Jockey, Philippe (dir.): Les Arts de la couleur, en Grèce ancienne… et ailleurs, (Bulletin de Correspondance Hellénique. Supplément), 18,5 x 24 cm, 510 p., ISBN :978-2-86958-290-3, 80 €
(École française d’Athènes, Athènes 2018)
 
Compte rendu par Jacques des Courtils, université Bordeaux-Montaigne
 
Nombre de mots : 1718 mots
Publié en ligne le 2019-07-18
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3489
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          Cet ouvrage collectif s’ouvre par une brève introduction de Ph. Jockey dans laquelle il rappelle l’union indissoluble de la couleur et du relief, « sculpter c’est peindre », suivie de 23 articles répartis en 3 chapitres : 1°) « Entrer en matières » (jeu de mots bien français !) comprenant 4 articles consacrés aux aspects matériels (technique, production, économie), 2°) « arts polychromes et dorés, synthèses et études de cas » (10 articles), 3°) « Rôles, valeurs et symboles des couleurs et de l’or » (9 articles).

 

         Le premier chapitre présente 3 études portant sur les matières tinctoriales suivies d’une étude du commerce. Les trois premières (Cavassa, Koren, Cardon et alii) nous offrent d’excellentes mises au point sur les principales teintures utilisées dans l’Antiquité : la première est consacrée au bleu égyptien, les deux autres à la pourpre. Dans les trois cas, les auteurs dressent un bilan des connaissances qui inclut les recherches les plus récentes en recoupant les champs disciplinaires, ce qui aboutit à des résultats passionnants : pour le premier (L. Cavassa), l’éclairage des lieux et des procédés de production du bleu égyptien, montrant que si l’Égypte occupait la première place, la région de Naples aussi était, à l’époque impériale, une grosse productrice de ce pigment (alors que l’île de Kos ne l’a sans doute pas été, contrairement à une opinion répandue). Les deux études sur la pourpre offrent, d’une part (Z. C. Koren) des moyens d’identification des diverses variétés de murex utilisées au cours des siècles, et (D. Cardon et alii) une étude serrée et très documentée de l’économie du prix de la pourpre qui conclut au caractère « relativement abordable » des tissus de pourpre, donnant la possibilité d’un « large accès des classes moyennes et inférieures », ce qui modifie évidemment l’idée générale que l’on se fait du caractère luxueux, voire inabordable, de tels tissus. Enfin, V. Chankowski étudie les circuits au moyen desquels les anciens se procuraient la couleur : elle montre que les cachets payés aux peintres comprenaient la fourniture par ces derniers des pigments nécessaires mais que les sanctuaires, gros acheteurs de certains produits (dorure, poix, miltos), se ravitaillaient directement sur le marché. Les appellations traditionnelles (miltos de Sinope etc.) mettent en avant les grands centres producteurs au détriment de productions locales moins prestigieuses. L’on constate même l’existence de véritables appellations contrôlées permettant d’éviter les contrefaçons. De ces analyses qui combinent épigraphie et textes historiques, émerge aussi une hiérarchie des utilisations : travail « au kilomètre » (par exemple les moulures architecturales), réalisations plus délicates (personnages de frises sculptées) et bien payées, enfin œuvres d’artistes dont les prix explosent à partir de l’époque des monarchies hellénistiques. Ces quatre premières études forment un ensemble cohérent qui apporte aux études sur l’utilisation des matières tinctoriales dans l’Antiquité un cadrage général à la fois novateur et très utile.

 

         La deuxième partie est consacrée aux arts polychromes et dorés. Elle s’ouvre par une étude d’E. Walter-Karydi qui date l’émergence de la polychromie grecque (peinture murale aussi bien que vasculaire) au VIIe siècle, après l’époque géométrique qu’elle trouve sans couleur, et lui assigne une origine égyptienne. Elle plaide aussi pour une indépendance de la peinture vasculaire qui n’a pas eu besoin de la « grande peinture » pour évoluer. On trouve ensuite deux essais de reconstitution de la polychromie de statues féminines : la Nicandrè de Délos par G. Kokkorou-Alevras et la corè 682 par B. Schmaltz, l’une et l’autre illustrées de photos de très bonne qualité. La contribution de B. Bourgeois et Ph. Jockey constitue un bilan, bref mais très éclairant, sur les récentes acquisitions scientifiques permises par les nouvelles technologies (vidéomicroscope et spectromètre de fluorescence X) qui modifient sur plusieurs points nos connaissances des techniques picturales antiques. Particulièrement intéressantes sont les observations sur l’utilisation de l’or et sur les techniques de rendu des ombres que l’on croyait inconnues des anciens : ces derniers maîtrisaient donc leur art à un niveau encore insoupçonné.  L’article de St. Steingräber porte sur la peinture des tombes en Étrurie et en Italie méridionale, qui réunit d’abondantes connaissances (présentées de façon quelque peu « touffue ») mais est affaibli par l’indigence de l’illustration et le recours fréquent à des recherches inédites qui laissent le lecteur sur sa faim (analyses de pigments).

 

         Dans un article s’appuyant largement sur la céramique, A. Rouveret s’attaque à un sujet « risqué » : celui de la représentation de sujets difficiles, voire impossibles à représenter, tels que les phénomènes atmosphériques (la foudre), les notions morales (vertu) ou même les éléments extrasensibles (enfers). Cela donne un article tout à fait passionnant dans lequel les grands textes (Aristote, Xénophon) sont croisés avec la documentation archéologique, ce qui permet de constater que quelques peintres ont eu recours à des techniques précises (combinant couleurs et représentations architecturales) pour évoquer l’autre monde. On suggérera de confronter ces résultats avec les analyses de T. Osada (« The Invisible God » dans A. Patay-Horvath, New Approaches to the Temple of Zeus at Olympia).

 

         Les trois articles suivants portent sur le verre. M.-D. Nenna a l’excellente idée de donner une étude de la production de verre incolore au cours de l’Antiquité et de la mettre en rapport avec l’histoire du goût ; D. Ignatiadou publie une exceptionnelle phiale à couvercle du IVe s. provenant de Pydna, qui, chose encore plus rare, porte au-dessous du rebord un décor (visible en transparence) de postes incisés et conservant des traces de décor de couleur rose (peut-être initialement recouverte de dorure). Enfin, un article collectif contient une étude pluridisciplinaire de flacons à fard trouvés en Thessalie, avec l’analyse chimique des traces de fard conservées et une étude de leur utilisation. Cette section se termine par l’article de N. Tolis sur l’utilisation de l’or dans les mosaïques de la maison de Fourni à Délos, un des fruits de la reprise récente de l’étude de cet ensemble architectural remarquable. Des études au microscope ont en effet détecté la présence d’une bande d’or de 3 cm de largeur sur des tesselles blanches. L’auteur propose un rapprochement avec la description de la Thalamège qui mentionne un antre avec « décor de pierres véritables et d’or ».

 

         La troisième et dernière section de cet ouvrage s’intitule « Rôles, valeurs et symboles des couleurs et de l’or ». Elle contient des études importantes sur divers aspects de l’utilisation de la polychromie dans l’Antiquité, pour des raisons de symbolique sociale ou politique, mais aussi sous l’angle des techniques picturales, notamment dans le domaine de la représentation du relief et de la profondeur. Plusieurs de ces contributions apportent des observations et des analyses particulièrement éclairantes, ainsi les études de cas proposées par A. Grand-Clément ou l’étude du traitement des décors architecturaux par A.-M. Guimier-Sorbets qui fournit une clé supplémentaire pour le décryptage de la peinture macédonienne, ou la remise en situation par F. Fauquet et Ph. Jockey de l’Artémis élaphébole de Délos qui amène à prendre en compte les conditions originelles d’éclairage des œuvres. P. Liverani s’intéresse à la symbolique sociale des couleurs à Rome. Plusieurs articles se font remarquer par l’originalité de leur approche qui éveille des échos diachroniques (P. Julien, I. Manfrini). Le dernier article (N. Farra-Haddad sur les couleurs vestimentaires des représentations de saints au Liban) est le seul qui traite de questions post-antiques mais il aborde une thématique qui pourrait avec fruit être appliquée rétrospectivement.

 

         Cet aperçu rapide ne rend pas justice à la richesse particulière de l’ouvrage édité par Ph. Jockey : si les études sur la peinture antique peuvent paraître avoir atteint l’essentiel des résultats espérés, la réunion d’articles ici présentée montre que ce n’est pas le cas : l’apport de résultats nouveaux est permis par la mise en œuvre de techniques nouvelles mais aussi par celle de points de vue nouveaux qui permettent de relire des œuvres déjà étudiées et de les faire parler encore plus. Cet ouvrage est donc plus qu’une synthèse de connaissances et de résultats, il est un point de départ pour explorer plus avant un champ dont la complexité ne fait que s’accentuer.

 

                                                                                          

Table des matières

 

Ph. Jockey, Introduction.

 

Entrer en matières : techniques de fabrication, production, Économie de la couleur

L. Cavassa, La production de bleu égyptien durant l’époque hellénistique et l’Empire romain (IIIe s. av. J.-C.-Ier s. apr. J.-C.).

Z. C Koren, Scientific Research on Purple Mollusc Pigments on Archaeological Artifacts.

D. Cardon, W. Nowick, A. Bülow-Jacobsen, R. Marcinowska, K. Kusyk, M. Trojanowicz, La pourpre en Égypte romaine. Récentes découvertes, implications techniques, économiques et sociales.

V. Chankowski, Un marché de la couleur ? Quelques considérations sur les enjeux économiques de la polychromie.

 

Arts polycromes et dorés, synthèses et études de cas

E. Walter-Karydi, The Emergence of Polychromy in Ancient Greek Art in the 7th Century.

G. Kokkorou-Alevras, The Painted Decoration of the Dress of the Nikandre Statue.

B. Schmaltz, The Acropolis Kore 682 from Athens. An Approach to the Reconstruction of a Greek Late Archaic Sculpture of a Girl.

B. Bourgeois, Ph. Jockey, Ombres et lumières. La sculpture hellénistique polychrome et dorée de Délos : bilan méthodologique et historique.

S. Steingräber, Greek Contributions in Tomb Painting in Etruria and Southern Italy : Colours, Painting Techniques. Workshops and Iconography.

A. Rouveret, Les couleurs du visible et de l’invisible dans la peinture grecque et étrusque (Ve-IVe s. av. J.-C.).

M.-D. Nenna, Le verre incolore dans l’Antiquité : de l’histoire de la production à l’histoire du goût.

D. Ignatiadou, A Lidded Glass Phiale with Reverse-Painted Decoration.

V. Adrymi, E. Nikolaou, S. Alexandrou, S Kravaritou, Ph. Walter, E. Welcomme, E. Van Elslande, G. Tsoucaris, Les flacons à fard à l’époque hellénistique. Exemples de la région de Thessalie.

N. Tolis, L’utilisation d’or dans les mosaïques de pavement hellénistiques de la Maison de Fourni à Délos.

 

Rôles, valeurs et symboles des couleurs et de l’or

A. Grand-Clément, Les noces de l’or et de la pourpre dans le monde grec. À la recherche d’un juste accord chromatique.

A.-M. Guimier-Sorbets, Couleur, volume, illusion, de la Macédoine à Alexandrie. Structure, éléments constructifs et décor architectural à l’époque hellénistique.

J. Valeva, La couleur dans les tombeaux thraces.

M. Mulliez, Gestuelle et couleur au service du trompe-l’œil dans les peintures pariétales de la fin de la République romaine.

P. Liverani, Reflections on the Colour Coding in Roman Art.

F. Fauquet, Ph. Jockey, La restitution des couleurs. Des réalité antiques à l’imagerie numérique contemporaine.

P. Julien, De Théophraste à Poliphile : les marbres, fondements d’une vision polychrome de l’architecture antique.

I. Manfredi, Iconicité du corps : l’efficacité de la couleur. Le laboratoire de l’histoire.

N. Farra-Haddad, S’habiller aux couleurs des saints : démarches votives et cultes des lieux saints au Liban.

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