Lecomte, Vanessa - Bruns - Meslay, Olivier: Portrait of a lady, peintures et photographies américaines en France (1870-1915), 288x227 mm, 144 pages, ISBN : 9782847421170, 38 euros (Le Passage, Paris 2008)
Compte rendu par Annie-Dominique Denhez, Université Paris IV
Nombre de mots : 1491 mots Publié en ligne le 2010-06-22 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=349
Cette publication accompagne l’exposition présentée
au Musée de Giverny, puis à Bordeaux : Portrait
of a lady, Peintures et photographies américaines en France 1870-1915. La
présence des peintures américaines dans les collections françaises est connue par
la base La Fayette
, à l’instigation d’Olivier Meslay .
Cet ouvrage cartonné de cent quarante-quatre pages
présente trois articles et cinquante-deux reproductions en pleine page
complétés par la courte biographie des dix-neuf peintres et des quinze
photographes présents dans l’exposition. Les œuvres exposées bénéficient d’un
cartel pour les cinquante-et-une peintures et œuvres sur papier et les soixante-et-une
photographies. La bibliographie sélective se spécialise en quatre thèmes :
l’art américain en France, la femme au tournant du siècle, la peinture et la
photographie pictorialiste. Enfin la traduction en anglais des textes précède l’index
des noms de personnes.
On apprécie cette richesse iconographique.
L’avènement de
la femme transatlantique (Sarah Burns)
C’est durant l’automne 1894 que l’Académie nationale
de dessin de New York présente l’exposition de portraits féminins, surnommée
« Fair Ladies ». Son inauguration a été organisée en un événement
mondain pour ses aspects humanitaires. Sur les cimaises comme dans les salons,
les femmes rivalisent de beauté et d’élégance, parmi lesquelles les épouses de
William Astor, de J. Perpont Morgan
et de Cornelius Vanderbildt. Les peintres modernes sont européens, comme
Alexandre Cabanel, Carolus-Duran et Anders Zorn et américains comme Cecilia
Beaux, William Merritt Chase, John Singer Sargent et James McNeil Whistler. La
qualité de la peinture américaine est soulignée par la critique américaine. De
fait, cette « élite supranationale » se reconnaît en cette peinture pour laquelle
le peintre-écrivain Jacques-Emile Blanche veut voir, en l’atelier de Sargent,
la métaphore des « paquebots de la Cunard qui transportaient la fortune des deux
continents. » Malgré cela , ce n’est pas tant les héritiers de maîtres
comme Van Dick ou Reynods qu’il faudrait voir mais plutôt les tensions sociales
de ces années de « Fair Women ». La femme est devenue plus sportive,
nerveuse, voire dangereuse.
Les échanges entre les peintres sont tels qu’il
n’est guère possible de les distinguer par nationalités. Les peintres Boldini,
Sargent, Whistler, se fréquentent et échangent leurs ateliers, à Londres, à
Paris. Les écrivains Henry James, Marcel Proust comme les critiques, dont
Blanche, côtoient les peintres. De plus Carolus-Duran traverse l’Atlantique
pour aller portraiturer Kate Morton. L’art américain s’approprie les emprunts
pour gagner le genre du portrait mondain féminin par une idéalisation de la
femme en objet d’art-même. Si ce stylisme n’est pas toujours apprécié par la
presse, il est l’essence de Whistler comme la Symphonie en couleur chair et rose-Portrait de Mrs.
Frances Leyland. Alexander traite les femmes comme autant « d’éléments
contribuant à l’expression de la beauté (...), de simples accessoires dans sa
quête de la ligne et de la couleur » (Harrison S. Morris). Cependant,
n’est-ce pas aussi l’image de la Nouvelle-Angleterre qui est véhiculée à l’époque
où l’Amérique est aussi la terre d’exil de nombreux Européens de l’Est et du
Sud ? Danger ou richesse selon les visions américaines, mais aussi femme
nouvelle : la femme moderne émancipée effraie au point qu’il est affirmé
que les études ou le sport participent à l’affaiblissement de ce « monstre
androgyne ». Aussi les femmes peintres comme Cecilia Beaux ou Mary Cassatt
peignent-elles encore la femme traditionnelle. La force du modèle incite au
contraire à magnifier la « bonne éducation », comme le Portrait d’Ann Murray Vail en 1897 de
Cecilia Beaux. L’approche psychologique ou sociologique de la peinture envahit
la critique. La neurasthénie devient une thématique pour les peintures de
Sargent, de Boldini, comme d’Alexander : Madame Pierre Gautreau de Sargent devient scandaleuse par
« l’étalage provoquant d’une sensualité féminine débridée ». La Dame en rouge de William Turner Dannat devient
une « incarnation de la volupté finement serpentine » et le Dr. Samuel Jean Pozzi chez lui de
Sargent « le comble de la décadence du goût alors que Jeanne de Kergolay, vicomtesse de Poilloüe de Saint-Périer ne peut
que souligner la haute condition de la dame. La demi-mondaine La
Carmencitade
Sargent, non commandée, traduit la haine de ses pareils pour Sargent. C’est
sur ce portrait de « chaleur torride » que se clôt l’histoire du
portrait de femmes au tournant du siècle.
L’Américaine,
le peintre et le conservateur (Olivier Meslay)
Les collections françaises d’art américain prédominent
par la représentation de la femme : Portrait
de la mère de l‘artiste de James McNeil Whistler, La
Carmencitaou Mrs. Katharine Moore de John Singer
Sargent, La Nuit
d’été de Winslow Homer, La Femme cousant de Mary Cassatt, Sita et Sarita de Cecilia Beaux, Le Portrait gris de John White
Alexander. Cependant cette cristallisation ne rend pas compte de la grande
diversité artistique de cette époque, alors que les collections françaises
témoignent de celle-ci. En 1870, le Louvre ne possède aucun tableau de peinture
anglaise ni américaine : les Français semblent alors n’apprécier dans la
peinture américaine que leur propre reflet. Le
Retour d’Henry Mosler fut acquis cependant en 1879 – sans doute sur un
malentendu . C’est grâce au conservateur Léonce Bénédicte, que le Musée du
Luxembourg achète en 1889 le Benedicite
de Walter Gay, en 1890, Paysage, rivière
de Thomas Alexander Harrison et en 1891 Le
portrait de la mère de l’artiste de Whistler. En 1894, fut acquis le
premier tableau anglais Benedicite, fête
de grand-mère de John Henry Lorimer. En 1895, Une vue du Maroc par Frank Brangwyn, en 1896, Portrait du colonel Anstruther Thomson par Lorimer, et en 1900, Père et fille de Sir John Lavery. Dans
le contexte américain, une soixantaine de tableaux sont choisis, tableaux dans
lesquels le portrait de femme a une place modeste parmi les paysages, scènes
d’intérieur et scènes religieuses.
Plus tard, l’artiste américain, aux yeux des
Français, a une identité propre et forte : le Portrait de la mère de l’artiste a été l’objet d’une célébration
lors de sa circulation aux Etats-Unis en 1933 et 1934. La littérature, sous
la plume de Paul Bourget, a été le relais de la mise en scène de l’artiste
américain dans Cosmopolis, dans
lequel Maitland est une composition de Sargent et de Whistler. L’artiste
américain est devenu une figure populaire. La femme américaine fonctionne aussi
dans l’imaginaire européen. En 1878, Henry James avait publié Les Européens dans lequel deux
personnages féminins s’opposent. Les droits politiques des femmes américaines
fascinent encore Paul Bourget dans Outre-Mer.
L’ambassadeur de France en poste à Washington, Paul Claudel, serait prêt à
céder le Portrait de la mère de l’artiste
aux Etats-Unis pour faire montre d’une générosité et racheter la réputation
française. Malgré le refus de la conservation du Louvre, le tableau est devenu au
moins une icône américaine.
La richesse et la diversité des relations
franco-américaines ainsi que le traitement de la figure féminine témoignent de
l’histoire du goût français.
Pour clore cette partie, vingt-trois pages présentent
chacune un portrait de femme, provenant pour une large part du Musée d’Orsay
(13), six provenant de Chicago (Terra
Foundation for American Art). La reproduction comme la mise en page illustrent
les propos précédents et permettent un aperçu de qualité de l’exposition.
La Photographie
Lire entre les
lignes (Vanessa
Lecomte)
C’est en 1869 que l’Anglais Henry Peach Robinson
pousse les photographes à se penser comme des artistes. Peter Henry Emerson
promeut la photographie en tant qu’art en 1889, dans son Naturalistic Photography for Students of the Art. Les
pictorialistes veulent redéfinir le rapport du modèle et du photographe. C’est
en effet dans le portrait que la rupture avec la mimesis permet d’affirmer la
singularité du Pictorialisme.
Ce mouvement se répand grâce aux clubs : le
Linked Ring de Londres en 1892, le Photo-Club de Paris en 1894 et le
Photo-Secession en 1902 à New-York (Alfred Stieglitz). Joseph T. Keiley,
Clarence H. White, Gertrude Käsebier, Edward J. Steichen, Frank Eugene Alvin
Langdon Coburn, George H. Seeley sont rejoints par les Européens Paul Burty
Haviland et le baron Adolf de Meyer. La revue Camera Work est complétée par les Little Galleries of the Photo
Secession, qui insiste sur la formation spécifique des
« peintres-photographes ».
C’est la formation picturale qui leur apporte les
influences du Symbolisme, du Pré-raphaélisme, du Naturalisme comme celles de
l’Impressionnisme ou encore celles du Tonalisme ou du Japonisme. Käsebier s’est
rendue à l’académie Julian, Eugene à Munich, Steichen a aussi suivi les cours
de Laurens à cette même académie Julian. Dans leur recherche artistique, le
geste acquiert une visibilité voulant faire disparaître l’automatisme du
procédé pour Eugene ou Steichen, alors que les défenseurs de la photographie
« pure », Stieglitz, White, Meyer défendent le principe selon lequel
les manipulations doivent être invisibles, dans une approche dite
« objective ». De plus, les accessoires prennent une valeur
métaphorique. Pour les portraits, compte tenu du temps de pose unique, la
photographie se doit de manifester la psychologie de l’artiste. Ainsi, Käsebier
exprime le sentiment par « une émission de vibrations émotionnelles »
pour faire « lire entre les lignes » lors de la vision de la
photographie. Le portrait photographique tend alors à refléter et la
personnalité du modèle et celle de l’artiste : le modèle devient
« double et absent ».
Ces divergences de vue amènent à l’éclatement du
groupe en 1912, pour laisser place aux Pictorial Photographers avec Coburn,
Käsebier et White, tandis que Stieglitz se spécialise en paysages urbains et en
portraits cadrés serrés de son épouse. Berenice Abbott et Man Ray poursuivent en
l’avant-garde.
Vingt-trois planches reproduisent les collections du
seul Musée d’Orsay, affirmant la qualité de sa collection pour chacun des
photographes américains comme pour Haviland.
Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris Site conçu par Lorenz Baumer et François Queyrel et réalisé par Lorenz Baumer, 2006/7