Malingue, Guillaume : The coinage of Domitius Alexander (308-310 AD), (Numismatica Antiqua, 9), 170 p., 35 €
(Ausonius éditions, Bordeaux 2018)
 
Compte rendu par Olivier Lempereur
 
Nombre de mots : 1861 mots
Publié en ligne le 2020-01-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3533
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     Cet ouvrage, issu de la thèse de l’auteur sur l’atelier monétaire de Carthage à la fin du IIIe-début du IVe siècles après J.-C., est consacré à l’étude du monnayage de Lucius Domitius Alexander. « Vicaire » du diocèse d’Afrique, ce dernier se rebella en profitant du contexte politique complexe du début du IVe siècle et se proclama empereur en 308 ou au début de l’année 309. Sa tentative fut vaine car il disparut à la fin de l’été ou au début de l’automne 310, son armée ayant été vaincue par les troupes de Maxence.

 

     Très peu de sources nous ont laissé le souvenir de ces événements. Trois auteurs, Aurelius Victor, Zosime et le pseudo Aurelius Victor, et treize inscriptions, commodément rassemblées en fin de volume, sont les seuls témoignages utilisables pour connaître la tentative d’usurpation de Domitius Alexander. C’est dire l’importance que représente le monnayage frappé à Carthage durant ces quelques mois pour connaître le portrait et les idées de l’ancien fonctionnaire de Maxence. Rédigé en anglais, mais avec un résumé en français, le livre de Guillaume Malingue est ainsi un véritable corpus de toutes les monnaies connues d’Alexander, travail de longue haleine qu’il faut ici saluer.

 

     La brève introduction présentant le projet de l’auteur est suivie d’un premier chapitre axé sur le contexte historique de l’usurpation. Les causes de celle-ci, l’étendue géographique des territoires soumis à l’autorité de Domitius Alexander (grande partie du diocèse d’Afrique, Sardaigne, et peut-être d’autres îles de la mer Méditerranée) sont clairement évoquées, l’auteur maîtrisant parfaitement les sources et leur exploitation. Si sa chronologie diffère parfois légèrement de celle proposée par Vincent Drost dans son étude du monnayage de Maxence (2013), ce n’est que de quelques mois et cela ne peut que prouver l’intérêt d’étudier de tels monnayages.

 

     Le chapitre 2 permet au lecteur d’entrer dans le vif du sujet. Guillaume Malingue y présente en effet le cadre de son étude numismatique. Toutes les monnaies de Domitius Alexander ont été émises dans l’atelier monétaire de Carthage, précédemment fermé par Maxence. Le corpus rassemblé par l’auteur, fort de 205 exemplaires (4 en or et 201 nummi de bronze ; il faudrait corriger page 39 le « 202 coins » en « 205 coins »), représente un progrès très significatif : Pierre Salama, en 1976, n’en avait recensé que 84. Le principal problème rencontré concerne la production des faussaires modernes et contemporains, attirés depuis longtemps par la revente d’imitations au nom d’un usurpateur rare. Pierre Salama rangeait beaucoup de monnaies parmi les « faux modernes », alors que Guillaume Malingue a pu établir les lieux de découvertes de plusieurs monnaies. Combinées à l’étude des coins monétaires, ses recherches permettent ainsi de confirmer l’authenticité de 95 exemplaires, et seuls 35 sont classés parmi les faux incontestables. Les dernières lignes de ce chapitre (p. 36-37) portent sur les quatre monnaies d’or. Si trois d’entre elles, portant la marque PK à l’exergue du revers, sont considérées comme authentiques, le doute demeure pour la dernière, plus légère et dans un état de conservation remarquable. On ne peut que suivre la prudence de Guillaume Malingue à ce sujet.

 

     Le chapitre 3 est consacré à l’étude iconographique des monnaies de Domitius Alexander, dont il faut bien reconnaître que la qualité esthétique n’est pas le point fort. Si un seul type de droit a été utilisé, la variété des types de revers (il y en aurait 17, mais l’auteur en compte 20 aux p. 63-66) permet de distinguer deux groupes. Le premier rassemble les revers dits « d’inspiration tétrarchique » (Rome, Carthage, l’Afrique et Jupiter), déjà employés à Carthage avant la fermeture de l’atelier par Maxence. Le second regroupe des revers fort proches de ceux employés lors de la première émission de solidi frappés à Trèves par Constantin : aigle entre deux étendards, Victoire, empereur à cheval, empereur et captifs, avec parfois plusieurs variantes. Cette liaison entre les deux monnayages est ici mise en avant pour la première fois, et ne laisse pas de s’interroger car elle pose « a major chronological problem » (p. 43) discuté dans le chapitre 4.

 

     En effet, le chapitre suivant s’ouvre sur une question qui dépasse le simple cadre du monnayage de Domitius Alexander. Les liens entre les monnaies de l’usurpateur et la première émission de solidi trévires étant établis, qui, d’Alexander ou Constantin, a-t-il copié l’autre ? Une alliance entre les deux a-t-elle pu exister ? L’opinion de l’auteur penche vers une influence des monnaies constantiniennes sur les monnaies de Carthage, car on imagine mal Constantin reprendre à son compte des revers issus d’une usurpation locale. Or l’usurpation d’Alexander se serait achevée vers la fin de l’été ou au début de l’automne 310 et la date généralement admise pour la création du solidus est l’été 310, à l’occasion des quinquennalia de Constantin. Comment les monnaies d’or auraient-elles alors pu servir de modèle, dans un laps de temps si court, aux nummi de Domitius Alexander ? Guillaume Malingue propose ainsi (p. 52) de remonter de quelques mois l’émission des premiers solidi, et de la dater de fin 309/début 310. Ses arguments convaincants font de cette hypothèse une possibilité très vraisemblable. Le reste du chapitre 4 s’attache à présenter les classiques et indispensables recherches métrologiques et quantitatives. La principale difficulté concerne la taille des nummi : les masses des exemplaires rassemblés ne permettent pas de déterminer avec certitude si les pièces ont été taillées au 1/48e de livre, même si cela est probable. Néanmoins, les dernières monnaies (marque d’exergue P*K au revers) sont plus légères et témoignent d’une réduction de la taille, peut-être au 1/72e de livre pour s’aligner sur les standards de Constantin. Ce chapitre s’achève sur l’estimation du nombre de monnaies produites et un récapitulatif des liaisons de coins. Guillaume Malingue a identifié, pour 170 monnaies authentiques, 79 coins de droit (ce qui est erroné : le total des coins de droit est de 80, d’après leur catalogue spécifique pages 67-83) et 103 coins de revers, ce qui l’amène à proposer une estimation d’environ un million de monnaies produites, dont plus de la moitié (le nombre de 600 000 est avancé page 55) auraient été émises durant les six ou sept derniers mois de l’usurpation. L’étude des liaisons de coins et de l’évolution des types monétaires permet en effet de préciser une chronologie difficile à appréhender au premier abord : la marque d’exergue au revers ne varie qu’à la toute fin des frappes, et l’association de certains coins de droit avec plusieurs coins de revers de groupes différents ne permet pas d’établir de limites chronologiques précises. Guillaume Malingue parvient pourtant à affiner la périodisation du monnayage de Domitius Alexander, et ce de manière très pertinente.

 

     La circulation monétaire des monnaies de l’usurpateur est présentée dans le chapitre V, et mise en parallèle avec la diffusion des pièces frappées dans l’atelier de Carthage entre 294 et 306. Seuls 34 exemplaires ont une provenance attestée (à mettre en relation avec les 277 000 du monnayage tétrarchique rassemblés par l’auteur, dont 15 500 proviennent de l’atelier de Carthage !), et parmi elles 16 étaient contenues dans l’énorme trésor de Misurata en Libye. À l’image de ce dépôt, la plupart des monnaies d’Alexander ont été trouvées en Afrique du Nord, mais certaines ont pu circuler jusqu’en Gaule, Pannonie et Syrie. Maxence aurait après sa victoire fait retirer les pièces de son rival, ceci expliquant en partie leur rareté.

 

     Les chapitres VI à IX regroupent l’ensemble des catalogues. Le premier (chapitre VI) présente les 20 types de revers, classés par ordre chronologique. Le deuxième catalogue rassemble tous les coins de droit, chacun étant illustré. C’est un instrument de travail très pratique mais, l’auteur a oublié de mentionner page 79, dans le groupe 17, le coin AS, et a inversé les photographies des coins : si l’on compare leurs illustrations avec le catalogue des monnaies et les planches (p. 136-139), on remarque que les monnaies 14.a#5, 14.e#10 et 14.e.Shield#1 ont été frappées avec le coin de droit AS et non AR, alors que c’est le contraire pour la monnaie 14.a#4. Le même genre d’erreur se reproduit dans le catalogue des coins de revers (chapitre VIII) : il faudra corriger lors d’une prochaine édition de l’ouvrage la partie sur les types 6.a et 6.b, car il y a des problèmes de numérotation des coins (le 6.a-C est absent, alors qu’il est dans le catalogue page 120, monnaie n°6.b#1) et certaines photographies de coins ne correspondent pas aux bonnes monnaies du catalogue (p. 120-121). 102 coins sont numérotés, et si on ajoute le 6.a-C manquant, nous retrouvons cette fois les 103 coins indiqués dans le chapitre IV (p. 54). Le dernier catalogue comprend enfin toutes les monnaies retrouvées par Guillaume Malingue. Leurs pedigrees sont intégralement donnés, ainsi que le lieu de découverte quand il est connu. Toutes sont reproduites par des photographies de bonne qualité. Il est au début assez difficile de passer d’un catalogue à un autre (l’auteur aurait pu choisir un système de numérotation plus classique et plus simple d’utilisation pour les coins et les monnaies), mais une utilisation récurrente de l’ouvrage finit par rendre plus aisée la manipulation. On trouvera enfin pages 152-153 une liste de monnaies retrouvées mais non illustrées, et qui, à ce titre, n’ont pu être insérées dans les catalogues.

 

     Au final, nous pouvons nous réjouir qu’un monnayage d’époque romaine (et son étude par coins), si peu abondant soit-il, puisse trouver une publication claire et abordable pour la communauté scientifique comme pour les collectionneurs et professionnels. À l’instar de tout ouvrage de ce genre, espérons que des suppléments sous forme d’articles, ou qu’une nouvelle édition, viennent compléter le catalogue au fur et à mesure que de nouveaux exemplaires seront retrouvés. À ce titre, la publication de l’ensemble du trésor de Misurata devrait faire connaître sept nouvelles monnaies. Une autre édition permettrait également de reprendre nombre de coquilles qu’une relecture plus attentive aurait permis d’éviter, en particulier dans le résumé en français. Si le texte anglais est clair (p. 55, « per offcina » par deux fois au lieu de « per officina »), la partie en français est en effet parsemée d’erreurs : majuscules en milieu de phrase (p. 13, l. 13 : « éclaircir, La date » ; l. 15 : « Octobre 310 » mais « 25 juillet 310 » l. 16), fautes d’orthographe (p. 13, l. 25 : manque l’accent à « peut-etre » ; l. 28 : « souvant » ; l. 32 : « grâces à » ; p. 14, l. 27 : « régne » ; l. 34 : « quantitée » ; l. 43 : « d’autre monnaies »)… La bibliographie (p. 159-163) comprend également des imprécisions dans les références. La publication du trésor de Chitry par Vincent Drost se trouve dans Trésors monétaires XXV et non XXVIII ; « Buttery » doit être corrigé en « Buttrey » (p. 160) ; certains numéros de revues sont manquants (ANS Museum Notes 30 pour l’article de F. C. Albertson, dont la première page est la 124 et non la 119 ; ANS Museum Notes 28 pour celui de G. F. Carter) ; les ouvrages de P. Bastien et de P. Bruun devraient être notés en italique ; il y a un mauvais copié-collé dans la référence de l’article de G. Di Vita-Evrard ; il aurait fallu harmoniser les références (la Numismatic Chronicle est parfois citée avec son nom entier comme dans l’article de W.W. Esty -et non E. W. Esty- et parfois abrégée en NC)… Nul doute que ces corrections seront reprises dans une prochaine édition d’une recherche désormais précieuse pour la numismatique romaine.