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Compte rendu par Stéphane Gomis, Université Blaise Pascal-Clermont II Nombre de mots : 1529 mots Publié en ligne le 2008-10-30 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=356 Lien pour commander ce livre Né dans les années 1990, sous les auspices de Gérard Picaud, agrandi en 2006, le musée de la Visitation présente plus de six mille objets provenant de plusieurs monastères français et étrangers. Désormais, douze salles retracent l’histoire de cet ordre fondé par François de Sales et Jeanne de Chantal dans les années 1610, dont les constitutions sont approuvées par Urbain VII en 1625. Rappelons que Jeanne de Chantal est morte en 1641 à Moulins. Depuis plusieurs années, les responsables de cette institution, soucieux de valoriser la richesse de ces collections, organisent régulièrement des expositions. En 2007, l’exposition intitulée « Splendeurs dévoilées » s’est attachée à présenter le patrimoine artistique et culturel de cet ordre né de la Réforme catholique. Depuis le 10 mai dernier, et encore jusqu’au 15 novembre, le thème à l’honneur s’emploie à restituer entre « Fastes et exubérance », les cérémonies célébrées en l’honneur de la béatification, puis de la canonisation des saints de l’ordre de la Visitation : François de Sales en 1661 et 1665, Jeanne de Chantal en 1751 et 1767, enfin Marguerite-Marie Alacoque en 1864 et 1920. Soucieux de replacer ces événements dans leur contexte, les auteurs s’attachent tout d’abord à présenter les élus, ainsi que les circonstances de leur procès en canonisation. Leur propos s’appuie notamment sur les Annales des monastères et sur les Relations des fêtes de béatification et canonisation. Ces « Lettres circulaires » rédigées avec précision par chaque communauté permettent de situer ces événements dans leur environnement politique, économique, spirituel et artistique.
En 1665 tout d’abord, François de Sales, l’évêque de Genève-Annecy, est mort depuis 1622 seulement. Son souvenir est encore très présent. Sa canonisation très rapide est l’une des conséquences de l’élan populaire, dont il était déjà l’objet de son vivant (sa béatification date de 1661). Fort de plus d’une centaine de maisons, installées dans les principales villes du royaume, l’ordre de la Visitation va pouvoir s’appuyer sur ce réseau pour organiser d’importantes festivités. Le recrutement sociologique des visitandines, essentiellement issues des élites qu’elles soient nobiliaires ou roturières, contribue également au succès de cette entreprise. Ce contexte favorable permet de mobiliser les principaux acteurs urbains. Les dons, le prêt de mobiliers notamment concourent à l’organisation de grandes fêtes, agrémentées parfois de carrousels. Un peu moins d’un siècle plus tard, la béatification de Jeanne de Chantal survenue en 1751, puis sa canonisation intervenue en 1767, mobilisent également les religieuses. Certes, l’environnement religieux est alors moins favorable. C’est peut-être aussi parce que les circonstances sont plus difficiles que les visitandines sont attachées à une certaine visibilité de ces manifestations. Elles leur font espérer un regain de piété. De fait, ces célébrations sont marquées par une plus grande sobriété, même si elles restent très empreintes de ferveur. Tout autre est le contexte qui préside à la fois aux fêtes de la béatification, puis de la canonisation de Marguerite-Marie Alacoque, intervenues respectivement en 1864, puis en 1920. Les profondes mutations religieuses et politiques arrivées depuis la Révolution française modifient considérablement le contexte des festivités, particulièrement depuis les lois de séparation des Églises et de l’État adoptées en 1905. Néanmoins, les fêtes restent fastueuses à Paray-le-Monial (la sainte ayant vécu toute sa vie de religieuse dans le monastère de cette ville) où l’on érige des arcs de triomphe.
Les auteurs se sont également employés à présenter les préparatifs inhérents à l’organisation de ces fêtes. Ils montrent comment les visitandines, dès l’annonce de la proclamation de la sainteté des fondateurs de leur ordre, s’activent dans le but de réunir des objets leur ayant appartenu. Généralement, ceux-ci sont placés dans des vitrines, par exemple dans la salle du chapitre, afin de pouvoir être admirés et vénérés par toute la communauté assemblée. La préparation des célébrations eucharistiques engage également les religieuses à commander des tableaux représentant le plus souvent la montée au ciel des saints. C’est le cas, par exemple à Rome, où l’on trouve une « Apothéose de la béatification de Jeanne de Chantal », une huile sur toile peinte par Sébastiano Conca, dit « Il Cavaliere », en 1752. Il s’agit ici d’un don du pape Clément XIII, qui représente la Mère de Chantal en gloire, présentée à la Sainte Trinité par saint François de Sales. Au bas du tableau, Vincent de Paul célèbre la messe, tout en admirant la scène. Ces œuvres trouvent naturellement leur place au-dessus de l’autel principal de la chapelle conventuelle. Elles ont alors une fonction de retable. Le recours au luminaire est également très important. La mise en scène des cierges, des chandeliers, mais également des vases sacrés d’or ou d’argent, permet de créer des jeux de lumière destinés à glorifier les saints à l’honneur, et à impressionner le spectateur. Les vases sacrés confectionnés sont, bien souvent, de très belles pièces d’orfèvrerie, telles que des reliquaires ou des monstrances. Le catalogue offre de beaux exemples de ces objets, telle que la « Monstrance des fondateurs de la canonisation », commandée par la Visitation de Poitiers en 1668. Réalisée en argent doré, elle est l’œuvre de l’orfèvre parisien Guillaume II Loir. A Montferrand, en Auvergne, « le Trône » destiné au Saint Sacrement, présente sur le fond un miroir « avec sa bordure d’argent et deux anges d’argent, qui avec des festons d’argent tournés en enroulements, faisaient une espèce d’arceau sur ce miroir, pour en changer la figure. Deux autres anges d’argent avançaient sur le devant, soutenaient une couronne de pierreries, estimées plus de cent mil écus ». Chaque communauté mobilise également ses savoir-faire pour fabriquer les plus beaux ornements sacerdotaux. L’une des reproductions proposées attire particulièrement le regard. Il s’agit de la chasuble brodée par les visitandines de Blois pour les fêtes de la canonisation de François de Sales. Utilisée la première fois le 19 avril 1665 précisément, cette étoffe est d’une grande richesse. Elle est entièrement brodée de fils d’or, d’argent et de soie, rehaussée de perles et, à l’origine, de pierres précieuses, le tout sur un fond de couchure de fils d’argent disposés en vagues. Une fois ces préparatifs assurés, les festivités s’échelonnent sur une semaine en observant un cérémonial bien établi. La célébration débute dans la cathédrale ou dans la principale église de la ville ; il s’agit souvent d’une collégiale. Après la bénédiction de l’étendard du saint, la procession à la tête de laquelle on retrouve l’étendard et les reliques, parcourt l’espace urbain pour se rendre dans la chapelle du monastère. C’est dans ce lieu richement paré que se déroulent deux événements importants. D’une part, la liturgie à l’œuvre entend mettre en valeur les reliques du nouveau saint, exposées à la vénération des fidèles ; d’autre part, on présente à l’assistance le bref pontifical qui officialise la canonisation, avant que soit célébrée une messe solennelle. Celle-ci comporte habituellement l’exécution de quelques Te Deum et autres programmes musicaux. Ainsi, à Chartres en 1772 : « […] Monseigneur entonna le Te Deum, qui fut chanté en entier par la musique de la cathédrale. Cet excellent morceau était de la composition de M. Delalande, Maître de musique de Notre-Dame ». Globalement, les décors déployés à la fois à l’intérieur des édifices, mais également à l’extérieur dont on a pu conserver le détail, sont d’une grande richesse. En 1666, à Nantes, la description précise de ceux-ci indique notamment que « le premier portail qui donne sur une grande place, qui sert de promenade à toute la ville, était orné d’un grand tableau du saint, prêchant les Hérétiques ». Les cérémonies se donnent donc à voir à toute la ville. Leur théâtralisation est ainsi assurée, de même que leur dimension catéchétique. Les fêtes ne se limitent donc pas à leur dimension religieuse. En effet, la mobilisation des autorités civiles, intendant et corps de ville, fait en sorte que ces réjouissances soient partagées par le plus grand nombre. Les illuminations ou encore les feux de joie participent de cette volonté.
Au total, il s’agit là d’un thème qui n’avait jamais fait l’objet d’une exposition significative. Cette heureuse initiative vient donc combler une absence muséographique et historiographique. Les auteurs démontrent que ces manifestations entendent non seulement honorer les saints de la Visitation, mais plus largement, édifier les fidèles sur leurs vertus. Au XVIIe siècle, ces festivités entrent tout naturellement dans le cadre de la reconquête des âmes entreprise par l’Église catholique à la suite du concile de Trente. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il s’agit de réaffirmer les pouvoirs des saints intercesseurs au moment où la Réforme catholique jette ses derniers feux, dans une société de plus en plus critique face aux enseignements de l’Église. Enfin, au XIXe siècle, puis dans les années 1920 surtout, il importe aux autorités religieuses de démontrer que la foi peut encore mobiliser des foules, surtout après les débats et les lois du début du siècle. Par ailleurs, il convient de mentionner que le catalogue de cette exposition édité par les soins des éditions d’art Somogy propose une riche iconographie (ce sont environ 170 clichés en couleur qui sont reproduits). Cette dernière est d’autant plus précieuse que la majorité de ces œuvres n’a jamais été publiée. Précisons que ce catalogue propose également une bibliographie sélective mais actualisée concernant l’ordre de la Visitation. Il est également doté à la fois d’une liste des personnes, ainsi que d’une liste des communautés citées. Il s’agit là de compléments très appréciables pour le curieux et pour le chercheur.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |