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Compte rendu par Xavier Deru, Université Lille 3 Nombre de mots : 862 mots Publié en ligne le 2020-06-25 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3573 Lien pour commander ce livre À la différence de la céramique médiévale, la céramique romaine est d’une grande pauvreté chromatique, les tessons de céramique glaçurée offrent quelques très rares touches plus colorées. C’est à eux que Pauline Gohier a consacré sa thèse, dont cet ouvrage livre les résultats. Les limites chronologiques sont celles de la catégorie céramique elle-même, en effet les céramiques plombifères en biscuit – à double cuisson – apparaissent en Orient au IIe s. avant J.-C. et disparaissent au IVe s au profit de céramique cuite en une seule fois. Les critères géographiques du travail sont plus ambigus. L’auteure a en effet créé un corpus à partir du matériel de Gaule méridionale et de deux sites rhodaniens plus septentrionaux, Lyon et Vienne/Saint-Romain-en-Gal. L’ambiguïté naît de la localisation des lieux de production, en Orient et en Italie notamment, en-dehors donc de la zone d’étude. C’est d’ailleurs à propos de l’Italie que l’ouvrage apporte, comme je l’évoquerai, des résultats novateurs.
Les céramologues travaillant sur la période romaine ont une connaissance insuffisante de cette catégorie qui reste généralement anecdotique. Pauline Gohier reprend utilement l’état des recherches et présente la chaîne opératoire de la fabrication de cette catégorie. Si les techniques de la glaçure, associées à la naissance de la verrerie, sont millénaires, c’est assez tard que les glaçures plombifères se développent pour la fabrication des céramiques. Alors que les engobes sont des argiles, les glaçures sont des matériaux de synthèse, dans ce cas de la silice (30-40 %) et du plomb (60-70 %) comme fondant. Selon la température de cuisson, la glaçure est soit jaunâtre soit incolore et ce sont les impuretés ou un ajout de cuivre qui la colorent. Les fours sont très rares et ne semblent pas spécifiques, en revanche, les supports ou séparateurs des récipients pour la seconde cuisson sont de bons indicateurs d’une production au sein d’un atelier et même des traditions artisanales.
La suite de l’ouvrage traite du corpus par région de production, en partant des ateliers les plus éloignés : ceux d’Orient, ensuite ceux d’Italie septentrionale, de Lyon et de Saint-Romain-en-Gal, de Gaule centrale, pour retourner en Italie centrale et finir en Gaule méridionale. Pour chaque zone de production, l’auteure dresse un état de la question, une caractérisation technique et typologique, puis une description du mobilier retrouvé dans sa région d’étude. Si ces pages sont très justes, deux remarques peuvent quand même être soulevées. La première porte sur la caractérisation technique des productions. En effet celle-ci ne suffit pas aux lecteurs pour reconnaître le matériel qu’il aurait dans ses assemblages. Le Dictionnaire des céramiques (2010) rédigé sous la direction de R. Brulet aurait été un bon modèle pour cela. La seconde touche le caractère un peu redondant des commentaires avec le catalogue analytique très précis et bien illustré des pages 169 à 330. Des tableaux, des cartes, des planches plus synthétiques auraient sans doute été plus pertinents ici.
Parmi ces régions productrices, l’Italie centrale tient une place à part. En effet, les récipients qui en proviennent représentent près des trois-quarts du corpus. Deux ateliers situés à Rome, l’un sur le Janicule, l’autre au Nuovo Mercato Testaccio ont été fouillés récemment et l’auteure a pu réaliser, avec l’aide de Cl. Capelli, quelques analyses pétrographiques pour une caractérisation plus précise. À partir du mobilier de la Péninsule et de son corpus, elle propose une typologie novatrice (p. 332-447) où, comme pour toute la catégorie, le service à boire (gobelets, skyphoi et cruches) domine largement. La vaisselle du Latium – les possibilités d’une production campanienne sont à peine évoquées – offre des données plus représentatives. La ville d’Arles, avec notamment le dépotoir fluvial (Rhône 3), le Cirque ou Trinquetaille, donne des jalons chronologiques pour un véritable commerce entre la fin du Ier s. et le milieu du IIIe s. Ce commerce est également illustré par l’épave d’Aléria 1 qui, outre un chargement varié d’amphores, comportait des lampes et des récipients glaçurés italiques.
Pour chaque région et dans les pages de synthèse (p. 139-168), l’auteure traite des influences entre les ateliers et de la mobilité des artisans. Si l’on perçoit dans le répertoire oriental la prépondérance de la vaisselle en métal comme modèle, les influences du répertoire de la céramique à paroi fine engobée sont plus fortes ensuite. Le seul atelier méridional connu, celui de Servian, illustre quant à lui le transfert du répertoire de l’Italie vers la Gaule, dont témoignent aussi bien le répertoire que le matériel de cuisson.
Il est étonnant, comme le souligne Pauline Gohier, que les Romains n’aient pas perçu la qualité fonctionnelle des glaçures pour imperméabiliser les parois et n’aient utilisé la glaçure qu’à des fins décoratives. Dès lors, le caractère ostentatoire de cette vaisselle est essentiel à table mais cela se perçoit peut-être plus dans les ensembles funéraires que domestiques. Les assemblages ayant livré ces céramiques auraient pu être discutés plus longuement.
Ce beau volume, tout en couleur, permet de sortir la catégorie des « plombifères » de l’anecdote, car ces happy few témoignent des échelles globales et régionales de l’empire, des échanges artisanaux et des goûts de la consommation.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |