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Compte rendu par Panayota Volti, Université Paris Ouest-Nanterre Nombre de mots : 2025 mots Publié en ligne le 2019-05-24 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3580 Lien pour commander ce livre
Cet ouvrage collectif, dédié à l’art du Moyen Âge en Hongrie, a été entrepris à l’initiative d’Antal Molnár, actuellement directeur du Centre de recherches humanistes de l’Académie hongroise des sciences, quand il était directeur de l’Académie de Hongrie à Rome, en 2011, avec l’ambition de cimenter, pour les milieux académiques hongrois, des collaborations scientifiques internationales durables. Naturellement, les liens avec l’Europe s’avéraient être centraux et ont ainsi inspiré une synthèse sur l’art médiéval de la Hongrie, appréhendé alors dans une perspective européenne : à savoir une approche thématique approfondie de la production artistique de quatre siècles d’un pays situé au cœur même de l’Europe. Aussi, ont été pris en compte les résultats des recherches les plus récentes sur l’art médiéval hongrois depuis l’époque romane et jusqu’au gothique tardif, voire la période de la Renaissance, en mettant l’accent sur les liens et les échanges artistiques entre la Hongrie et les autres aires politiques et culturelles européennes comme, par exemple, le royaume capétien, la péninsule italienne et l’empire germanique. Par ailleurs, de par ses spécificités géopolitiques – point de rencontre entre les régions méditerranéennes, les régions à l’est des Alpes et les territoires byzantins –, la Hongrie, au fil des siècles, a façonné un héritage artistique pétri de caractéristiques parmi les plus originales du passé européen. Afin de mener à bien cette entreprise à la fois scientifique et éditoriale, quatre spécialistes en ont été chargés : Xavier Barral i Altet (professeur émérite d’histoire de l’art à l’Université de Rennes), Pál Lővei (chercheur à l’Institut de recherche en histoire de l’art de l’Académie hongroise de sciences), Vinni Lucherini, (professeur d’histoire de l’art à l’Université Federico II à Naples) et Imre Takács (directeur du département d’histoire de l’art de l’Université Eötvös Loránd, à Budapest). Les quatre éditeurs scientifiques ont pris le parti de mettre en œuvre pour ce livre une trame affranchie de la linéarité chronologique : ainsi, la première partie de l’ouvrage consiste en une série d’amples études synthétiques, qui offrent un aperçu de l’art médiéval hongrois dans ses différents contextes (milieu urbain et rural, liturgie et pratiques culturelles, sphère publique et privée, etc.) ; la deuxième partie de l’ouvrage, quant à elle, est composée d’une série d’articles courts mais denses, autour de certains édifices et œuvres d’art hongrois majeurs, mais aussi autour des musées et des collections d’art médiéval en Hongrie contemporaine.
En début du livre, le chapitre de Kornél Szovák (p. 40-62) offre une étude à la fois typologique et raisonnée, succincte mais substantielle, des différentes catégories de sources écrites primaires qui peuvent contribuer efficacement aux recherches sur l’art médiéval hongrois ; entre autres, documents diplomatiques, inventaires, inscriptions, chartes officielles, armoiries, sceaux, testaments, contrats, sources narratives, écrits des humanistes, sont ainsi présentés et évalués, exemples à l’appui, en mettant en exergue leur potentiel souvent inexploité pour la documentation circonstanciée, l’étude et l’interprétation contextualisée de la production artistique en Hongrie pendant un « long » Moyen Âge. Une liste très riche de ces sources, tantôt inédites tantôt publiées, classées par catégories, complète fort opportunément le texte.
Si le contexte urbain médiéval et son architecture font partie des thématiques abondamment abordées au sein de l’historiographie du Moyen Âge, l’environnement des campagnes et l’architecture rurale, dans leurs différentes expressions, le sont moins. Abordant les dynamiques catalytiques et/ou inhérentes relatives à l’expansion rurale, Zsombor Jékely propose un chapitre (p. 99-116) sur l’architecture religieuse dans les campagnes, sans manquer de mettre les édifices présentés en rapport organique avec leur topographie et leur contexte humain. L’évolution du système ecclésiastique, le patronage seigneurial, les conjonctures historiques, entre autres, expliquent ainsi certaines typologies ecclésiastiques atypiques comme, par exemple, les églises fortifiées et/ou munies d’espaces de stockage pour les récoltes du village qui se multiplient vers la fin du Moyen Âge. La dimension fédératrice des églises rurales, entourées d’un cimetière, était renforcée par les décors simples, mais signifiants pour les fidèles, qui étaient appliqués notamment sur les tympans des portails : aussi, l’Agneau mystique, symbole par excellence du salut, surplombait l’entrée d’une série d’églises rurales en Hongrie occidentale à partir du XIIIe s., en suivant le modèle du portail méridional de la puissante abbaye bénédictine de Ják.
Evelin Wetter aborde la question de l’orfèvrerie et des tissus précieux au Moyen Âge tardif (p. 271-281). Les vicissitudes historiques ont été à l’origine de destructions systématiques de ces créations tant sacrées que profanes, c’est pour cela que le recours systématique aux sources écrites s’avère indispensable pour leur étude. Les œuvres aujourd’hui conservées, indépendamment de leur dimension historique en tant que memorabilia, renseignent sur les pratiques de représentation mises en œuvre par les lignages royaux et seigneuriaux, tout comme sur la portée symbolique diachronique des trésors ecclésiastiques : en témoignent les efforts mis en œuvre pour leur sauvegarde aussi bien à la fin du Moyen Âge qu’au XIXe s., époque où les inventaires exhaustifs de ces objets étaient doublés de catalogues raisonnés et d’expositions. La profusion ornementale orfévrée, quant à elle, faisant appel à des techniques à la fois sophistiquées et très variées, met en évidence les interconnexions et les échanges fructueux entre les différents ateliers, même si les orfèvres, eux, restent anonymes. Quant aux productions textiles, tant tissées que brodées, elles illustrent les modalités de production, de commande et de circulation au cours du Moyen Âge hongrois tardif. Ainsi, les tissus les plus précieux étaient produits en Italie, dans des ateliers qui conservaient jalousement le monopole de leurs matières premières, de leurs techniques et de leurs motifs, et étaient ensuite acheminés sur le marché hongrois par le biais de réseaux marchands compétents ; la position géographique de la Hongrie favorisait également l’importation de créations textiles depuis les contrées orientales ; toutefois, grand nombre d’ateliers locaux élaboraient aussi, abondamment, des tissus et des broderies de très grande qualité, afin de répondre aux besoin notamment du clergé : à cet égard, le rôle de la commande artistique s’est avéré être central, à plus d’un titre.
Dans l’Annexe I de l’ouvrage, consacrée notamment aux notices monographiques d’œuvres d’arts et de monuments médiévaux hongrois, Xavier Barral i Altet se penche sur le tympan du début du XIIIe s. de Szentkirály (p. 397-400), aujourd’hui conservé au dépôt lapidaire de la Galerie nationale, à Budapest. Sur cette œuvre, sculptée dans du marbre monolithe probablement remployé, sont représentés trois personnages de manière symétrique : dans l’axe vertical médian domine le Christ Pantocrator encadré, de part et d’autre, d’un homme et d’une femme richement vêtus, se prosternant, et offrant le premier la maquette d’une église et la seconde un objet aux formes arrondies. L’homogénéité dans le traitement plastique des trois personnages indique qu’il s’agit de l’œuvre d’un seul artiste, probablement inspiré par les créations de l’atelier des Antelami, actifs dans la région de Parme ; toutefois, l’attachement certain à l’esthétique romane diffusé par cet atelier, est doublé, sur le tympan de Szentkirály, par une recherche affirmée de naturalisme inscrivant alors déjà cette œuvre dans la mouvance gothique toute récente. Quant aux deux personnages qui encadrent la figure christique, il s’agirait probablement de véritables portraits de souverains, tels ceux, contemporains, dans le chœur de cathédrale de Naumburg. Autant d’éléments qui inscrivent le sculpteur hongrois de ce tympan dans une dynamique d’échanges et d’inspirations affranchie des clivages territoriaux.
Pour clore l’ouvrage, l’Annexe II est constituée de brèves présentations des différentes institutions muséales hongroises dédiées à l’art médiéval, illustrant à la fois la diversité et la complémentarité de ces structures de conservation, tout en questionnant de manière problématisée leurs fonctions patrimoniales dans une perspective européenne.
Les chapitres de synthèse et les articles de ce livre collectif, accompagnés d’illustrations abondantes pertinemment choisies, et étayés par une documentation bibliographique riche, offrent indubitablement un point de départ, pour ainsi dire, pour le renouvellement des recherches sur l’art médiéval en Hongrie, d’autant plus que la totalité des textes sont en anglais, ce qui les rend plus facilement accessibles à la communauté scientifique internationale. Par ailleurs, l’ensemble de cet ouvrage propose une vision unifiée et actualisée de l’art du Moyen Âge hongrois, dont la cohérence et la continuité se trouvaient souvent appréhendées de manière un tant soit peu atomisée, en suivant les charnières chronologiques traditionnelles liées, avant tout, aux conjonctures historiques : l’occupation ottomane en 1541, les sièges en vue de la reconquête au XVIIe s., les reconstructions et la modernisation qui s’en sont suivies. Les listes extrêmement riches de sources primaires, comme déjà évoqué, tout comme la bibliographie récente quasi exhaustive qui accompagnent cette publication sauront certainement dynamiser, nourrir et renouveler les recherches futures autour de l’art médiéval en Hongrie.
Sommaire
Antal Molnar, Preface, p. 9 Xavier Barral i Altet, Introduction. Hungarian Medieval Art from a European point of View, p. 13 I. Sources and Studies for Hungarian Medieval Art Ernö Marosi, Two Centuries of Research, from the Austro-Hungarian Monarchy to the Present, p. 29 Kornél Szovák, Written Sources on Hungarian Medieval Art History, p. 41 II. City and Territory Katalin Szende, Towns and Urban Networks in the Carpathian Basin between the Eleventh and the Early Sixteenth Century, p. 65 Pál Lövei, Urban Architecture, p. 83 Zsombor Jékely, Expansion to the Countryside: Rural Architecture in medieval Hungary, p. 99 István Feld, Castles, Mansions, and Manor Houses in Medieval Hungary, p. 117 III. Architecture and Art in the Context of Liturgy Béla Zsolt Szakács, Romanesque Architecture: Abbeys and Cathedrals, p. 133 Krisztina Havasi, Romanesque Sculpture in Medieval Hungary, p. 145 Imre Takács, The First Century of Gothic in Hungary, p. 165 Pál Lövei, Imre Takács, « Hungarian Trecento »: Art in the Angevin Era, p. 179 Gábor Endrödi, Winged Altarpieces in Medieval Hungary, p. 193 IV. Religious Cults and Symbols of Power Gábor Klaniczay, The Cult of the saints and their Artistic Representation in Recent Hungarian Historiography, p. 213 Vinni Lucherini, The Artistic Visualization of the Concept of Kingship in Angevin Hungary, p. 235 Pál Lövei, Epigraphy and Tomb Sculpture, p. 253 V. Forms of Art between Public and Private Use Evelin Wetter, Precious Metalwork and textile Treasures in late Medieval Hungary, p. 271 Anna Boreczky, Book culture in medieval Hungary, p. 283 VI. The Middle Ages after the Middle Ages Imre Takács, Medieval Twilight or Early Modern Dawn: Art in the Era of Sigismund of Luxembourg, p. 307 Árpád Mikó, A Renaissance Dream: Arts in the Court of King Matthias, p. 319 Gábor György Papp, Medievalism in Nineteenth-Century Hungarian Architecture, p. 333 Annex I. Medieval Artworks and Monuments Ernö Marosi, The Coronation Mantle of the Hungarian Kings, Originally Chasuble of King Stephen I and Queen Gisella, p. 347 Ernö Marosi, The Holy Crown of Hungary: The “Crown of Saint Stephen”, p. 351 Béla Zsolt Szakács, The Benedictine Abbey Church in Tihany, p. 355 Krisztina Havasi, The Provostry Church of the Virgin Mary in Székesfehérvár, p. 359 Krisztina Havasi, The Medieval Cathedral of Pécs, p. 367 Imre Takács, The Medieval Saint Adalbert’s Cathedral in Esztergom and the “Porta Speciosa”, p. 375 Imre Takács, Vinni Lucherini, The Chapel of the Royal Palace of Esztergom and its Late-Medieval Mural Paintings, p. 379 Imre Takács, The Medieval Cathedral of Gyulafehérvár (Alba Iulia), p. 385 Béla Zsolt Szakács, The Benedictine Abbey Church of Lébény, p. 389 Béla Zsolt Szakács, The Benedictine Abbey Church in Ják, p. 393 Xavier Barral i Altet, The Szentdirály Romanesque Tympanum, p. 397 Pál Lövei, The Sepulchral Monument of Saint Margaret of Hungary, p. 401 Béla Zsolt Szakács, The Hungarian Angevin Legendary, p. 405 Vinni Lucherini, The Hungarian Illuminated Chronicle, p. 409 Imre Takács, The Royal Palace of Visegrád, p. 413 Zsombor Jékely, The Medieval Augustinian Church of Siklós and the Wall Paintings in the Sanctuary, p. 417 Szilárd Papp, Gothic Statues from the Royal Palace of Buda, p. 421 Szilárd Papp, The Castle of Vadjahunyad (Hunedoara), p. 427 Ivan Gerát, The High Altar Retable of Saint Elizabeth in Košice (Kassa/Kaschau), p. 431 Péter Farbaky, The Royal Palace of Buda during the Reigns of Matthias Corvinus and the Jagiellonian Kings, p. 435 Péter Farbaky, The Bakócz Chapel of Esztergom, p. 441 Annex II. Museums and Collections Holding Medieval Art Piroska Biszó, The Hungarian National Museum in Budapest, p. 447 Györgyi Poszler, The Old Hungarian Collection of the Hungarian National Gallery in Budapest, p. 451 Emese Sarkadi Nagy, The Christian Museum in Esztergom, p. 457 Imre Takács, The Treasury of Esztergom Cathedral, p. 461 Péter Farbaky, The Budapest History Museum, p. 465 Ágnes Ziegler-Bálint, The Brukenthal Museum in Sibiu (Nagyszeben/Hermannstadt), p. 469 Pál Löveui, Collections of Stone Carvings, p. 473 Bibliography p. 481 Index of names and places p. 529 The authors p. 549
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |