Lastraioli, Chiara - Le Gall, Jean-Marie (dir.): François Ier et l’Italie / L’Italia e Francesco I. Échanges, influences, méfiances entre Moyen Âge et Renaissance / Scambi, influenze, diffidenze fra Medioevo e Rinascimento, Études Renaissantes (ER 25), 308 p., 9 b/w ills + 29 col. ills, 5 b/w tables, 210 x 270 mm, ISBN : 978-2-503-58127-9, 55 €
(Brepols Publishers, Turnhout 2018)
 
Rezension von Auderic Maret, EHESS
 
Anzahl Wörter : 2610 Wörter
Online publiziert am 2020-05-29
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3591
Bestellen Sie dieses Buch
 
 

 

Introduction

 

          L’historiographie, depuis Michelet et le volume de son Histoire de France consacré à la Renaissance publié en 1855, a ancré l’idée d’une France qui se mettrait « à l’école italienne du beau, du bien, du vrai » (p. 9) sous le règne de François Ier (1515-1547) avec d’intenses échanges culturels et artistiques entre la France et l’Italie à la faveur des Guerres d’Italie. Pourtant, les exemples ne manquent pas de l’intérêt des rois de France pour la péninsule avant 1515, que ce soit Charles VIII (1483-1498) qui pille en partie les collections napolitaines ou Louis XII (1498-1515) qui offre une pension en 1507 à Léonard de Vinci avec le titre de « peintre et ingénieur du roy ». Deux raisons expliquent cette idée tenace : la longévité du règne François Ier et sa pugnacité à reprendre et conserver le Milanais.

 

         Cet ouvrage collectif, qui constitue les actes d’un colloque tenu en 2015 à Bologne, entend proposer une synthèse des récents travaux et des pistes de recherche, parfois renouvelées, sur ce thème très étudié. Il est édité par Jean-Marie Le Gall, historien de la Sorbonne, éminent spécialiste du seizième siècle et Chiara Lastraioli, professeur de langue et culture italiennes à l’université de Tours. Les contributions, écrites en français ou en italien, sont au nombre de dix-huit, auxquelles s’ajoutent l’introduction de Jean-Marie Le Gall et le prologue de Paolo Prodi (auquel l’ouvrage est dédié). Elles sont signées aussi bien par de jeunes chercheurs que des chercheurs confirmés et explorent les différents aspects des liens qui se tissent alors entre le royaume de France et les États italiens (militaires, diplomatiques, économiques, artistiques, littéraires et religieux).

 

         L’ouvrage, très pratique grâce à un index placé à la fin, se révèle également très agréable à lire grâce à la richesse et à la qualité des illustrations en couleur ainsi que les annexes de certaines contributions. Ainsi Maria Giuseppina Muzzarelli (p. 181-194) propose-t-elle à propos de la mode vestimentaire à la cour de France, un riche corpus iconographique comprenant des portraits du roi par Jean Clouet ou le Titien (qui est également reproduit en couverture de l’ouvrage). De même, Nicole Lemaître (p. 145-168) propose en une dizaine de pages à la fin de sa contribution un judicieux dictionnaire biographique des évêques italiens nommés sous François Ier ainsi que plusieurs cartes des diocèses français tenus par des prélats italiens.

 

Analyse critique

 

         Les contributeurs explorent principalement trois thématiques. Tout d’abord le coût de ces guerres et leurs conséquences pour le royaume de France. Ensuite, certains envisagent la dimension politique et politico-religieuse des liens. Enfin, la dimension culturelle (surtout artistique) est abordée, même si de nombreux ponts existent entre ces trois thèmes.

 

         Les célébrations et événements organisés en 2015 pour le cinquième centenaire de la bataille de Marignan, ont eu tendance à renforcer l’image d’un jeune souverain faisant de la France, avec cette bataille, une grande puissance européenne. Ce serait trop rapidement oublier les conséquences de cette aventure italienne sur le reste du règne et ce qu’il en a coûté à la monarchie. Paolo Grillo (p. 29-38) propose sur Marignan un bilan historiographique, qui est le bienvenu, tant les études sont nombreuses sur cet événement. Puis, il soulève une question encore peu abordée pour cette bataille afin d’en renouveler l’étude : les mutations de l’art militaire au début du XVIe siècle. Si la « révolution militaire » à l’œuvre à la Renaissance est désormais bien connue, l’approche appliquée à Marignan est originale. Il conclut en disant que la question reste ouverte : « È impossibile dire se Marignano sia stata une battaglia "moderna" o "medievale" » (p. 38). Toujours sur les aspects militaires de ces liens entre le royaume de France et la péninsule italienne, Matteo di Tullio (p. 73-86) pose la question du poids financier des guerres au début du règne. S’inscrivant dans le sillage des recherches de Philippe Hamon[1] et de David Potter[2], l’historien présente de façon très convaincante, grâce à des graphiques et des tableaux, une analyse quantitative des dépenses militaires du roi de France et propose également une réflexion sur l’organisation financière du gouvernement français à Milan entre 1515 et 1521.

 

         Laurent Vissière (p. 39-49) envisage quant à lui les conséquences sur les hommes et en particulier la noblesse. Il rappelle que l’Italie constitue alors « le pays des hécatombes » que ce soit par le nombre de morts sur le champ de bataille ou suite à des maladies. Il montre que des maladies qui ne sont en rien italiennes sont qualifiées comme telles, preuve du traumatisme, la syphilis devenant le « Mal de Naples » et la dysenterie étant qualifiée de « caquesangue de lombard ». Mais le traumatisme touche particulièrement la noblesse et il l’étudie à travers trois lignages, les La Trémoille, les Bourbon-Montpensier et les Foix, pour lesquels il propose des arbres généalogiques. Au-delà de « l’hécatombe lignagère » (p. 44), les guerres contribuent à l’émergence d’un genre littéraire : les tombeaux littéraires. À l’issue de ces guerres, trois sentiments dominent : la crainte, l’horreur et le dégoût ; l’image d’une promenade militaire a surtout été forgée par des auteurs proches du souverain cherchant une pension.

 

         Le règne de François Ier est une période de mutations pour les idées politiques et plusieurs contributions en rendent compte. Jonathan Dumont (p. 87-106) explore l’idée d’une « Franco-Italia », née sous Charles VIII et Louis XII, mais développée à partir de 1515. Se plaçant d’un point de vue juridique et philosophique, des auteurs, plus ou moins connus aujourd’hui, comme Guillaume Crétin (1450-1525), Jacques Signot, Robert III de La Marck (1491-1537) ou encore Guillaume Le Maistre, fournissent différents arguments pour justifier non seulement les guerres menées par le souverain, mais également la soumission de la péninsule au royaume de France. C’est ainsi qu’émerge cette idée de « Franco-Italie ». Séverin Duc (p. 19-28) revient sur les écrits de Claude de Seyssel, et notamment son œuvre la plus connue la Monarchie de France, publiée en 1515. L’évêque de Marseille expose dès 1515 les problèmes de la monarchie française mais également le contexte politique des États italiens, qui empêcheront finalement la conquête durable du Milanais.

 

         La contribution de Jean-Marie Le Gall (p. 107-130) relève un double défi : adopter non pas une vision « franco-française » des événements, mais les envisager au prisme des principautés italiennes et par là-même tenter une synthèse à l’échelle de la péninsule et non d’un seul État (Florence, Venise ou le royaume de Naples). L’intérêt de cette contribution est donc dans le renversement de perspective. De plus, il confronte des sources françaises (Seyssel, Jean d’Auton ou Jean Barillon) à différents auteurs de la péninsule que ce soit l’historien vénitien Marino Sanudo ou l’humaniste florentin Guichardin. L’historien en vient à la conclusion que la défaite de Pavie est une fracture dans l’image de François Ier puisqu’il passe du jeune souverain puissant que l’on admire et dont on recherche la protection à un voisin, qui est seulement considéré comme l’instrument pouvant limiter les ambitions de Charles Quint.

 

         D’autres contributions envisagent, quant à elles, les questions politico-religieuses de la période. Noemi Rubello (p. 51-63) se place dans la perspective symbolique des rencontres diplomatiques avec le pape et en particulier trois d’entre elles : la rencontre avec le pape Léon X en décembre 1515 à Bologne, la rencontre avec Clément VII à Marseille à l’automne 1533 à l’occasion du mariage d’Henri et de Catherine de Médicis et enfin la rencontre avec Paul III Farnèse en juin 1538 à Nice. Ces rencontres sont l’objet de nouvelles études et Guido Dall’Olio (p. 65-72) propose également une lecture des événements de décembre 1515 à Bologne en insistant sur l’importance du protocole liturgique dans cette rencontre. Alors que la plupart des contributions ont insisté sur le début du règne, celle d’Elena Bonora (p. 131-143) s’intéresse aux années 1540 avec en toile de fond la rivalité entre le pape Paul III Farnèse et Charles Quint. Elle rend compte du jeu et des marges de manœuvre du roi sur la scène politique européenne dominée par cette rivalité, grâce à un travail de recherche qui repose à la fois sur des textes de chroniqueurs, des lettres comme celles de Paolo Giovio ou encore des papiers et documents du cardinal Benedetto Accolti (représentant de l’empereur à Florence) conservés à l’Archivio di Stato di Firenze. Ces sources lui permettent également de faire tout un travail sur le langage utilisé dans l’entourage de l’empereur pour parler des Guerres d’Italie.

 

         Partant de la conclusion d’Émile Picot[3] en 1918 à propos de l’importance des Italiens dans la France du XVIᵉ siècle, Nicole Lemaître (p. 145-167) se propose de fournir « des chiffres et dessiner une géographie » de cette importance à travers la question des évêques italiens à la tête de diocèses du royaume de France. Si leurs pratiques pastorales et leur tendance à accumuler les bénéfices ne diffèrent pas vraiment des prélats français, l’étude de ce groupe montre que les nominations étaient liées aux projets français en Piémont et Lombardie. Giovanni Ricci (p. 169-179) revient sur la très célèbre et très étudiée « alliance impie » entre François Ier et Soliman le Magnifique, mais en renouvelant l’analyse, en ne se plaçant plus du point de vue de la monarchie française mais dans une perspective italienne. Si dans l’entourage de l’empereur, les auteurs ont considéré cette alliance comme celle d’un traître à la Chrétienté, la contribution a le mérite de montrer que des alliances, plus ou moins informelles, ont existé entre certains États de la péninsule et ceux que l’on considère comme des infidèles avant cette alliance. La République de Venise a toujours eu en effet selon l’auteur une relation ambiguë à l’égard des Ottomans (« l’ambigua convivenza turco-veneta » p. 174). Ces relations avec les Ottomans sont entretenues pour peser dans le jeu politique de la péninsule ou en Europe : Alexandre VI s’entendit avec Bajazet pour empêcher le projet de croisade de Charles VIII en 1494 ; en 1486 c’était Boccoloni Guzzoni, en conflit avec Innocent VIII, qui était entré en pourparler avec ce même sultan …

 

         La troisième et dernière thématique abordée par les contributions est celle de la culture et plus particulièrement de la commande artistique. Deux contributions s’intéressent à la protection des Lettres. Bruno Petey-Girard (p. 195-218) évoque l’essor de la langue française grâce à la protection du roi, dans un contexte de concurrence avec la littérature italienne. Quant à Chiara Lastraioli (p. 219-234), s’appuyant sur des textes littéraires et poétiques italiens, elle montre comment l’image de ce souverain est construite au gré des événements politiques et militaires.

 

         Le rôle de François Ier dans la production artistique est envisagé par les contributions de Laure Fagnart (p. 235-245), de Luisa Capodieci (p. 247-265) et de Dominique Cordellier (p. 283-292). La première contribution montre que le goût du souverain pour les artistes italiens date d’avant son accès au trône et lui vient en partie de sa mère, Louise de Savoie. Après avoir évoqué les artistes travaillant pour lui alors qu’il n’est encore que François d’Angoulême, cette contribution rend compte des œuvres réalisées par la suite par Andrea del Sarto ou Matteo del Nassero. La deuxième contribution partant des décors de deux cabinets de Fontainebleau, qui n’existent plus aujourd’hui, évoque la subversion du Primatice dans certains décors du château. Enfin, la dernière contribution apporte des précisions et un éclairage nouveau sur deux des tableaux de la collection de François Ier : le Saint Sébastien du Pérugin et le Ravissement de Proserpine de Gaudenzio Ferrari.

 

         Enfin, la circulation des modèles artistiques est envisagée à travers deux contributions. Maria Giuseppina Muzzarelli (p. 181-194), en faisant dialoguer les portraits de quatre souverains (Laurent de Médicis, Charles Quint, Henry VIII et François Ier), s’intéresse aux vêtements. Elle montre comment le roi de France adapte la mode vestimentaire étrangère pour en faire un instrument de communication politique au service de la France. Nicolas Cordon (p. 267-281) étudie les panneaux en trompe-l’œil de la galerie du château d’Oiron, commandés par Claude Gouffier, premier gentilhomme de la chambre en 1535 et qui devient Grand Écuyer de France en 1546. Après avoir rappelé les sources antiques du décor, il montre que cette galerie prend pour modèle celle commandée par le roi à Fontainebleau, qui apparaît comme le type même de la « galerie-promenoir » à cette époque.

 

Conclusion

 

         L’ouvrage remplit pleinement les objectifs exposés en introduction. Il offre tout d’abord un bilan historiographique sur des sujets parfois très étudiés pour lesquels la production académique est abondante, comme la bataille de Marignan ou bien la célèbre « alliance impie » entre le roi à la salamandre et Soliman le Magnifique. De plus, certaines contributions montrent le renouvellement des sujets d’études, comme les rituels lors des rencontres avec le pape. On voit ainsi que le thème du colloque, pour classique qu’il soit, n’est pas épuisé. Dominique Cordellier l’a très bien montré à propos des tableaux de la collection du roi ou Luisa Capodieci sur le Primatice. Enfin, un effort de synthèse est fait pour essayer d’envisager la totalité de la péninsule au-delà des particularismes politiques, institutionnels et culturels propres à chaque principauté.

 

         On peut regretter l’absence d’une conclusion, qui ferait pendant à l’introduction de Jean-Marie Le Gall et qui exposerait les perspectives de recherche et les chantiers en cours sur ce sujet, en rappelant les apports du colloque au monde académique. De plus, le titre, qui s’adresse certainement plus au grand public, laisse penser que l’Italie serait déjà unie et l’expression semble un peu maladroite. Malgré ces deux petits bémols, l’ouvrage reste dense, riche et passionnant. Il constitue un outil très précieux sur cette période. Enfin, le soin apporté aux reproductions des œuvres en fait un très bel objet, très agréable à lire. 

 


[1] Philippe Hamon, L’argent du roi. Les finances sous François ier, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994.

[2] Davide Potter, Renaissance France at War, Woodbridge, Boydell, 2008.

[3] Émile Picot, Les Italiens en France au xvie siècle, Paris, 1918 [réimp. Anastatique, Rome, 1995].



 

Table of Contents

 

Jean-Marie Le Gall — Introduction. L’Italia e Francesco Primo/ François Ier et l’Italie  9

Paolo Prodi — Prolusione. La Ragion di Stato di Leone X e la Ragion di Chiesa di Francesco I   15

Séverin Duc — Possibilités et limites de la Lombardie royale d’après Claude de Seyssel   19

Paolo Grillo — Melegnano 1515: una battaglia fra Medioevo e Rinascimento   29

Laurent Vissière — L’Italie, tombeau de la noblesse de France (1512-1527)   39

Noemi Rubello — Bologna, Marsiglia, Nizza: i tre incontri di Francesco I con i pontefici   51

Guido Dall’Olio — La confessione pubblica di Francesco I a Bologna   65

Matteo Di Tullio — Finanziare le guerre nel Rinascimento: Francesco I, le finanze francesi e i denari italiani   73

Jonathan Dumont — Francesco I e il sogno di una Franco-Italia   87

Jean-Marie Le Gall — Les princes italiens et François Ier : 1515-1530   107

Elena Bonora — Francesco I di qua dalle Alpi nell’ultima fase delle guerre d’Italia: politica, immagini e linguaggi   131

Nicole Lemaitre — Les évêques italiens de François Ier   145

Giovanni Ricci — L’«empia alleanza» franco-ottomana: una prospettiva italiana   169

Maria Giuseppina Muzzarelli — Mode al tempo di Francesco I   181

Bruno Petey-Girard — Le roi de France, l’Italie et la culture lettrée   195

Chiara Lastraioli — Della fama del Re Cristianissimo: ascesa, disgrazia e singolarità di Francesco I nelle lettere italiane   219

Laure Fagnart — Léonard de Vinci et d’autres. Artistes italiens au service de François d’Angoulême (et de Louise de Savoie)   235

Luisa Capodieci — « Oh my God ! » Genèse d’une invention scandaleuse du Primatice   247

Nicolas Cordon — Trompe-l’oeil merveilleux dans la galerie d’Oiron   267

Dominique Cordellier — Précisions sur deux tableaux italiens de la collection de François Ier : le Saint Sébastien de Pietro Perugino et le Ravissement de Proserpine de Gaudenzio Ferrari   283