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Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université Pierre Mendès-France, Grenoble Nombre de mots : 1781 mots Publié en ligne le 2019-07-19 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3599 Lien pour commander ce livre Issu de la thèse de l’auteur, soutenue en 2016, ce livre, bien édité, met à la disposition du public une recherche archéologique de qualité qui permet, grâce à l’établissement d’un corpus et d’une méthodologie d’analyse rigoureuse, d’aborder des évolutions socio-culturelles lentes (pratiques alimentaires). En analysant les vestiges de la céramique retrouvée en fouille, l’a. ouvre les portes des maisons, nous fait pénétrer dans la vie quotidienne, entrevoir des pratiques alimentaires, de consommation, d’échanges et leurs transformations, voire des différences entre villes et campagnes ou selon des niveaux sociaux.
Correspondant pour l’essentiel au cadre contemporain du département de l’Aisne (pour des raisons administratives professionnelles et de recherche), le corpus constitué est heureusement resitué par l’a. dans les limites administratives antiques de trois cités de la Gaule Belgique : les Rèmes, les Suessions et les Viromanduens. Dans ce cadre, les documents proviennent de zones identifiées à cinq pagi du haut Moyen Âge qui peuvent être hérités d’entités administratives antiques : chez les Rèmes, le pagus Laudunensis, chez les Suessions, les pagi Suessionensis et Tardunensis et chez les Viromanduens, les pagi Noviomensis et Vermandensis.
L’enquête est fondée sur un catalogue constitué, pour la thèse, à partir de la documentation provenant de quarante-trois sites d’habitat et huit sites funéraires, avec une attention particulière, en raison de la quantité et de la diversité des documents, portée à trente-quatre d’entre eux, auxquels ont été ajoutés quatre sites supplémentaires depuis la soutenance pour compléter l’information relative aux Rèmes dans la publication. En vue de l’analyse, le catalogue a été organisé en catégories définies techniquement et fonctionnellement (mode de façonnage, cuisson, traitement de surface, répertoire, fonctions) et types, définis pour l‘enquête : céramique commune claire, céramique fine régionale sombre, proto terra nigra, rubra, céramique rugueuse sombre et mortiers pour une partie de la production de l’atelier de Noyon. Dater la documentation est indispensable pour espérer l’interpréter historiquement. C’est l’objet du chapitre 2 qui « séquence » la céramique pour chacun des sites à partir du regroupement d’ensembles en céramique présentant des caractères communs. Au total, treize horizons ont été déterminés qui recoupent des horizons de la Gaule Belgique en général pour les deux tiers d’entre eux :
- I (La Tène D2b, entre 65/60 et 30/25 av. J.-C.) avec présence importante de céramique tournée et fine ; - II (début de la période augustéenne jusque vers 5-1 av. J.-C.), déclin des catégories issues du monde gaulois ; - III (5-1 av. - 15-20 apr. J.-C.) caractérisée par l’augmentation de la terra rubra, l’affirmation plus nette de la céramique commune claire et la persistance de la présence de la céramique modelée ; - IV (entre 15/20 et 40/45 apr. J.-C.) amorce du déclin de la terra rubra et grande diversité selon les sites qui montre que cette période est charnière : des formes ouvertes qui concurrencent des formes fermées, des céramiques différentes sur un même site ; - V (40/45 - 60/65 apr. J.-C.) apparition de la céramique sigillée pour la première fois avec le « groupe Sud de la Gaule », c’est-à-dire en provenance des ateliers du sud de la Gaule, nette domination de la terra nigra puis en seconde catégorie, la céramique rugueuse ; - VI (65/70 - 85/90 apr. J.-C.), présence résiduelle de la terra rubra, apparition de nouvelles catégories ponctuelles sur certains sites (par exemple de la céramique engobée de Lyon, de la céramique rugueuse dorée), diversification de la céramique commune claire et surtout, basculement entre la terra nigra et la céramique rugueuse sombre, celle-ci arrivant désormais plus souvent en tête dans les différents sites ; - VII (85/90 - vers 120 apr. J.-C.) amorce du déclin de la terra nigra, stabilité de la céramique rugueuse sombre, pas encore de remplacement par la sigillée ; - VIII (120-150 apr. J.-C.) assez proche du précédent, cet horizon est singularisé par la diversité avec seulement l’apparition d’un groupe nouveau, issu de l’Argonne ; - IX (150 - début IIe s. apr. J.-C.), horizon en nette rupture avec les précédents par l’augmentation généralisée de la céramique rugueuse sombre autour de 50 %, l’augmentation du taux de sigillée qui s’établit à peu près au même taux que la terra nigra désormais résiduelle, la présence ponctuelle de céramique rouge pompéien ; - X (215/220 - vers 270 apr. J.-C.), horizon marqué par une tendance à l’évolution vers des répertoires propres à chaque cité dans le cadre d’une prédominance généralisée de la céramique sombre ; - XI (après 270 - vers 320 apr. J.-C.), maintien de la céramique claire avec une grande diversité typologique, domination de la céramique sombre (souvent plus de 70 %), traces de céramique métallescente apparue dans l’horizon précédent ; - XII (320/330 - 370 apr. J.-C.), peu documenté, cet horizon semble caractérisé par le renouvellement de la sigillée ; - XIII (370/380 - début du Ve s. apr. J.-C.), recul de la céramique commune claire, renouvellement de la sigillée.
À partir de l‘établissement de la chronologie, le chapitre suivant (chap. 3, Les catégories, p. 177-339) étudie la documentation par groupe de production, provenance, en esquissant donc des questions sur l’approvisionnement, par typologie (assiettes, bols, pots, bouteilles, couvercles, types et formes des plats), ce qui permet d’esquisser des questions sur des pratiques culinaires et donc une réflexion sur des évolutions des pratiques, des consommations, des différences entre zones urbaines ou rurales etc.
Viennent alors logiquement les chapitres d’analyse : d’abord, Analyse fonctionnelle de la céramique (chap. 4, p. 341-364), par pagus et type de vaisselle (service des liquides, service des solides, vaisselle de cuisson). Ce chapitre est utilement complété par des graphiques qui présentent pour chaque pagus les résultats constatés sous deux formes : séquence chronologique par séquence chronologique, la répartition des différentes classes fonctionnelles de céramique (stockage, cuisson, liquides, solides, amphores), et sous forme linéaire de façon à donner une idée des évolutions au fil du temps, et comparative selon les cités (Viromanduens, Suessions, Rèmes), les représentations par classes fonctionnelles. Retenons quelques caractéristiques ainsi mises en évidence : pour le service des liquides, la baisse généralisée de la céramique qui leur est consacrée, à partir de la fin du IIe s. apr. J.-C. ; pour les solides, le groupe le plus représenté et le plus régulièrement présent consiste dans les assiettes, apparues dès l’horizon I, mais il est vraisemblable qu’alors il s’agissait d’une introduction de ces objets pour un motif assez ostentatoire. Par exemple « l’acquisition des assiettes s’avère plus facile que celle des coupes car elle demande moins de changement des habitudes alimentaires, à la campagne comme à la ville et reflète davantage une nouvelle façon de présenter les aliments » (p. 358) ou bien encore les plats à cuire. Si leur apparition semble concomitante avec l’arrivée des assiettes dès l’horizon I, c’est seulement dans les milieux privilégiés, chez les Viromanduens. Il faut attendre l’horizon VI et en général même l’horizon VII, les espaces ruraux n’ayant pas été les derniers chronologiquement.
Ensuite (chap. 5, p. 365-384), Analyse des faciès typologiques, c’est-à-dire des répertoires céramiques selon des caractéristiques communes qui sont supposées refléter une culture commune dans une zone donnée. Dans ce chapitre, l’a. change le point de vue et essaie de montrer des caractéristiques correspondant aux différents pagi ou à des espace géographiques, par exemple un faciès dit septentrional, connu dans le nord de la Gaule, fabriqué dans des ateliers atrébates. Ce chapitre est illustré de graphiques (fig. 226, p. 379 pour la répartition des faciès de la céramique rugueuse sombre) et de cartes d’une grande clarté et très parlantes (fig. 267-270, idem, par pagus et pour l’ensemble). En diversifiant les modes de représentation des informations accumulées, l’a. prouve que le pagus est l’échelle territoriale la plus à même de montrer la différenciation des répertoires céramiques. Alors qu’au Ier s. apr. J.-C., la plupart des formes sont issues d’un fonds culturel commun provenant de la période gauloise avec des techniques apportées par les Romains, dès le milieu du Ier s. apparaissent des formes nouvelles et de la seconde moitié du IIe au IIIe s., il y a « un renouvellement progressif des profils du répertoire traditionnel, notamment au niveau des lèvres » (p. 382). Pour comprendre cela, il faut très concrètement et pratiquement penser aux contraintes de temps dans les déplacements. L’horizon géographique du producteur, du marchand, du consommateur est celui du déplacement qu’il effectue à pied ou en charrette. La localisation de certains faciès peut donc être expliquée par la présence d’un atelier dans le pagus ou dans le pagus voisin par exemple. Le chapitre suivant, consacré au Commerce de la céramique (chap. 6, p. 385-405) l’analyse rigoureusement et l’illustre aussi clairement que le précédent avec graphiques et cartes. Il met en évidence le dynamisme des ateliers et des ventes, l’existence d’une concurrence entre eux dans une même cité, les différentes zones de chalandise avec des aires de diffusion manifestement économiques et non administratives (elles ne s’arrêtent pas aux frontières d’une cité), des échelles différentes (la sigillée appartient au « commerce lointain », p. 403) qui nécessitent des moyens de diffusions différents : au long cours, il y a des relais, des étapes (producteurs, grossistes, marchands de détails etc.), des negotiatores, negotiatores cretarii, des entrepôts de stockage. Au court cours, au niveau local, des cités, en ville mais aussi dans les campagnes, il devait y avoir des officines de production avec vente directe ou par le biais de commerçants locaux installés dans des boutiques ou des marchands itinérants. Là pouvaient se rencontrer les deux types de circuits.
Il faut lire ce livre car, pour être géographiquement circonscrit à un espace de prime abord étroit, il n’en est pas moins un exemple supplémentaire de la richesse d’informations qu’il est possible de tirer de la céramique en général et de corpus bien construits et analysés avec rigueur. Il faut encourager les travaux de ce type (qui nécessitent une ferme volonté car constituer de tels corpus documentaires est long), au-delà des rapports de fouilles, la rédaction de synthèses historiques locales ou ponctuelles qui sont une étape indispensable à l’établissement de tableaux historiques, économiques et sociaux plus larges[1] qui permettent de contribuer au renouvellement, parfois en profondeur, de notre connaissance et compréhension de l’histoire des sociétés provinciales.
[1] Laubenheimer, Fanette - Marlière, Elise : Échanges et vie économique dans le Nord-Ouest des Gaules. Le témoignage des amphores du IIe siècle avant J.-C. au IVe siècle après J.-C., vol 1 et 2, Presses universitaires de Franche-Comté, Besançon, 2010. Compte rendu Histara publié le 29 juin 2011
Sommaire
1 - Introduction, p. 17-29 2 - Le séquençage de la période romaine par la céramique, p. 31-176 3 - Les catégories, p. 177-339 4 - Analyse fonctionnelle de la céramique, p. 341-364 5 - L’analyse des faciès typologiques, p. 365-384 6 - Le commerce de la céramique, p. 385-405 7 - Conclusion, p. 407-408 8 - Bibliographie, p. 409-427 9 - Annexe : pourcentage du NMI des catégories par site comptabilisé en NMI bord et par horizon de synthèse, p. 429-432.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |