Montero Herrero, Santiago - García Cardiel, Jorge (dir.): Santuarios oraculares, ritos y prácticas adivinatorias en la Hispania Antigua, 401 págs., 38 ilustraciones, ISBN : 978-84-669-3604-0, 25 €
(Ediciones Complutense, Madrid 2019)
 
Compte rendu par Laurent Lamoine, Université Clermont-Auvergne
 
Nombre de mots : 2353 mots
Publié en ligne le 2021-04-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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         Saluons la capacité de nos collègues des universités de la péninsule ibérique à produire dans des délais raisonnables les résultats de leurs recherches dans un ouvrage dense de treize chapitres abondamment illustrés (cartes, tableaux, schémas et photographies) et référencés (chaque texte est suivi d’une bibliographie internationale). Un index des sources anciennes citées termine le livre. Comme il est traditionnel dans ce type d’ouvrage, les contributions se distribuent entre des synthèses (1, 2, 5, 6, 7, 10, 11 et 14) et des études de cas ou des études documentaires, en particulier épigraphiques (3, 4, 8, 9, 12 et 13).

 

         Dans un prologue très efficace (p. 9-19), les deux coordinateurs présentent le sujet : la divination observable dans les sociétés de la péninsule ibérique antique durant la conquête romaine et sous l’Empire, et les enjeux historiographiques et scientifiques de l’enquête. On sait depuis le De divinatione de Cicéron que le sujet est périlleux car il est protéiforme, universel et intemporel. En outre, l’historien moderne n’est pas animé par les mêmes motivations politiques, augurales et philosophiques qui permettaient à l’Arpinate de circonscrire son étude. Le livre édité par les collègues madrilènes est une pierre à l’édifice de la connaissance des pratiques divinatoires de même importance que toute la tradition issue des travaux d’Auguste Bouché-Leclerq (1879-1882) et que les derniers jalons de la recherche récente : S. L. Johnson, Mantiké: Studies in Ancient Divination, 2005 ; Ancient Greek Divination, 2008 ; S. Georgoudi, R. Koch Piettre et F. Schmidt (dir.), La Raison des signes. Présages, rites, destin dans les sociétés de la Méditerranée ancienne, 2012. Aux études qui font la part belle à la Grèce, à la Ville de Rome et à l’Orient, Santuarios oraculares, ritos y prácticas adivinatorias en la Hispania Antigua prouve que la recherche sur l’Occident n’a pas à rougir de ses résultats.

 

         Martín Almagro-Gorbea, « Sacra saxa y ritos populares de adivinación en la Hispana prerromana » (p. 21-52) : l’archéologue et spécialiste de la pré- et protohistoire reconnu qu’est M. Almagro-Gorbea se penche sur le phénomène des « pierres sacrées » à usage divinatoire, repérées dans le centre de la péninsule et sur la façade atlantique. Ces pierres sont des roches que la nature ou la main de l’homme a individualisées. Ces « pierres sacrées » comportent plusieurs catégories : propitiatoires, matrimoniales (dont celles dites « penedos dos cornudos », qui permettraient d’obtenir des dieux l’assurance de la fidélité de l’épouse) et stricto sensu divinatoires (associées aux paysages arboricoles). Les processus sont polymorphes, souvent rudimentaires et fondés sur des interactions avec d’autres éléments naturels. Cet objet d’étude, qui résiste à l’histoire sérielle et peu documenté par les auteurs antiques, appelle à considérer la « longue durée », c’est-à-dire, en amont, la préhistoire et, en aval, le folklore et le recours aux théories sur les communautés indo-européennes ou celto-atlantiques. C’est ce que fait M. Almagro-Gorbea en s’appuyant sur sa longue expérience. De même, l’auteur tisse des liens entre le phénomène étudié et des éléments de comparaison dans les pratiques grecques, italiques et romaines (d’où le recours à la notion de numen loci), et dans celles celtiques interprétées par les sources gréco-romaines. Bien entendu, le recours à la « longue durée » et à d’autres thèses qui ont fleuri dans la seconde moitié du XXsiècle (comme la persistance de rites païens malgré la christianisation) pourrait stigmatiser ce travail mais, a contrario, ces pages denses témoignent du renouvellement de ces pistes.

 

         Avec « Sacrificio y adivinación en el área galaico-lusitana de Iberia » (p. 53-86), Marco V. García Quintela confronte la documentation archéologique et épigraphique (lusitano-latine) issue de Galice et du nord du Portugal, qui renseigne sur les sacrifices, avec le célèbre passage de Strabon (3, 3, 6) décrivant les pratiques sacrificielles et divinatoires des Lusitaniens. Il en ressort que, débarrassé des poncifs gréco-romains sur la barbarie (hérités de Posidonios), le témoignage de Strabon, comme les inscriptions et les bronzes, suggèrent que les pratiques sacrificielles et divinatoires par l’examen des entrailles attestent dès les IIet Ier siècles av. J.-C. des transferts entre l’aire lusitanienne et le monde gréco-romain.

 

         Dans sa contribution intitulée « Plynteria celtica. La ceremonia lustral de San Beturián » (p. 87-110), Francisco Javier Fernández Nieto applique la méthode régressive à une cérémonie d’immersion du reliquaire de l’ermite Victorien [Beturián] au VIe siècle pour y retrouver ses racines celtiques en se fondant sur l’utilisation d’une peau animale, d’un coffre et de l’eau, dont la combinaison n’était pas non plus sans rapport avec le nettoyage de la statue divine (comme à Athènes lors des Plynteria) et son usage magique et divinatoire.

 

         Pedro R. Moya-Maleno (« Prácticas adivinatorias y creencias oraculares en la Hispania Céltica: aportaciones etnoarqueológicas », p.111-152), en se fondant également sur l’association des sources littéraires antiques, des découvertes archéologiques et des apports de la « littérature orale et des traditions populaires », se propose d’examiner les différentes catégories de rites qui présentent un impact divinatoire : l’examen du comportement et des entrailles des animaux sacrifiés (voire des êtres humains), les spéculations sur le temps et le calendrier agricole (dans lesquelles il faut intégrer celles sur la gestation animale et humaine), la considération du déroulement et des résultats des combats entre animaux, la sensibilité aux réactions de la flore (les arbres oraculaires), l’ambiance particulière attribuée aux paysages (on retrouve ceux centrés sur les « pierres sacrées »), les présages apportés par les oiseaux et certaines plantes, les songes et la parole sacerdotale ou prophétique. Ce vaste panorama témoigne non seulement de convergences méditerranéennes mais aussi de l’importance du prisme gréco-romain dans l’expression écrite et plastique des témoignages.

 

         Dans son article « Algunas precisiones sobre los rituales de sacrificio y adivinación en la céltica hispana » (p. 153-182), l’historien Juan Carlos Olivares Pedreño se concentre sur le sacrifice humain (prisonnier de guerre, délinquant) qu’il replace dans l’environnement général des techniques divinatoires. On rencontre à nouveau le passage de Strabon concernant la manipulation et le dépeçage du corps de l’ennemi comme point de départ d’une étude qui concerne en fait toute l’Europe occidentale (les comparatifs avec les Gaulois et les Germains sont nombreux).

 

         Avec « Agentes locales y prácticas oraculares durante la conquista romana de Hispania: el caso de la comunidades ibéricas » (p. 183-217), l’objectif de Jorge García Cardiel est de tenter de percevoir l’impact de la conquête sur les pratiques oraculaires ibériques et d’en déterminer les agents. Plutôt que de s’appesantir sur les témoignages littéraires gréco-romains qui déforment la connaissance des pratiques préromaines, l’auteur préfère analyser la documentation iconographique funéraire, qui, si elle peut être constituée de modèles importés d’Italie et de Sicile, n’en n’informe pas moins sur les croyances des élites ibériques, en particulier guerrières, et permet d’atteindre des temps entre l’archaïsme et le IIIe siècle av. J.-C. Il en profite pour faire le point sur l’histoire du sanctuaire de l’Hercule-Melqart de Gadir (Gadès, Cadix), liée à celle controversée de la cité elle-même. Il montre la complexité des faits qui ont présidé à la fondation du sanctuaire gaditain au carrefour des influences locales, phéniciennes et grecques, et la difficulté qu’il y a à connaître la divination pratiquée, les sources gréco-romaines mettant en avant l’oniromancie dont Hannibal et César ont profité. J. García Cardiel insiste sur l’importance de la Deuxième Guerre punique et du duel Barca-Scipion dans le processus d’interactions entre les traditions locales et les religions des grandes cités focalisées sur les prodiges et les oracles. En revanche, sur le plus long terme, ce sont les sacrifices et leurs acteurs qui témoignent le mieux des interférences religieuses (on retrouve une fois encore Strabon, 3, 3, 6). L’auteur s’arrête sur le personnage du vaticinateur Olyndicus qui symbolise, dès la fin du premier tiers du IIe siècle, les conflits entre divination locale et romaine, et termine sur l’expérience sécessionniste de Sertorius qui, de 77 à 72 av. J.-C., a cherché au contraire à s’appuyer sur les traditions indigènes.

 

         Sabino Perea Yébenes (« Omina mortis para Decimus Laelius, legado de Pompeyo en (año 76) », p. 219-232) revient sur l’épisode de l’annonce de la mort du légat D. Laelius (Julius Obsequens, 58) qui atteste l’intégration dans la divination romaine du contexte provincial et singulièrement ibérique.

 

         L’article de Rafael Barroso Romero s’intitule « Nuevas señales divinas para tiempos de cambio. La función simbólica de la palmera en el prodigio de Munda » (p. 233-251). Suétone (Aug. 94, 11) et Dion Cassius (43, 41) racontent qu’à l’époque de la bataille de Munda, en 45 av. J.-C., une pousse de palmier, représentant le destin d’Auguste, a grandi plus que sa souche (celui de César). R. Barroso Romero analyse le faisceau d’influences locales (étude fondée sur la présence de l’arbre dans la péninsule) et méditerranéennes qui ont présidé à l’élaboration du récit.

 

         Santiago Montero Herrero (« Aruspicina y arúspices en la Hispania romana », p.253-291) s’intéresse à l’hépatoscopie (ou hépatomancie), ce qui lui ouvre le champ des traces de cette pratique dans la péninsule à l’époque punique et, en se fondant sur l’étude de M. V. García Quintela (voir ci-dessus), chez les peuples « préromains ». Ce n’est que dans un second temps que l’auteur traite de l’haruspicine, arrivée dans la péninsule avec Scipion (l’Africain) et très liée aux démonstrations militaires romaines à partir de ce moment-là (attestée également à Numance en 134). L’époque césarienne constitue aussi un jalon particulier car le recours aux haruspices devient plus aisé, leur recrutement n’étant plus aristocratique. L’auteur évoque bien évidemment la loi d’Urso qui atteste l’intégration des haruspices dans les appariteurs des magistrats des colonies. On peut regretter, avec l’auteur, la modestie du corpus épigraphique (deux inscriptions, du municipe de Caesarobriga et de la colonie de Tarraco) d’époque alto-impériale et noter le revival de l’institution à l’époque tardive, combattu par les conciles ibériques des VIet VIIe siècles.

 

         De son côté, Juan Manuel Abascal (« Los testimonios epigráficos de auguracula y augures en las ciudades de la Hispania romana », p. 293-303) analyse le corpus épigraphique qui concerne les augures locaux : en plus du témoignage d’Urso, la documentation est constituée de six inscriptions de Carthago Nova (en partie monétaire), deux d’Italica, une d’Hispalis et une d’Astigi (près de Séville), tandis que l’inscription de Tarraco (CIL, II², 14-1000) serait de nature sénatoriale.

 

         Après avoir rappelé ce que l’on entend généralement par incubation dans le monde méditerranéen, en particulier grec (lié au culte d’Asclépios), David Serrano Ordozgoiti (« Seños e incubatio en la epigrafía hispana: las fórmulas ex visu y ex iussu », p. 305-342) présente la situation en Espagne, née de toutes les expériences méditerranéennes, et se concentre sur la documentation épigraphique qui garde la trace d’une incubation (quinze inscriptions avec la formule ex visu et autant avec celle ex iussu). Cette pratique concerne l’ensemble de la péninsule, de l’époque tardo-républicaine au Haut-Empire. Elle serait de caractère indigène (celtique) à plus de 73% de témoignages et très marquée par l’usage de l’eau dans la préparation de l’incubation.

 

         Adrián González Romero (« La adivinación en los cultos egipcios: testimonios de incubatio en la Hispania romana », p. 343-367), en s’inscrivant dans le sillage des travaux de Laurent Bricault et de Gil H. Renberg, analyse les témoignages liés aux cultes d’Isis et de Sérapis qui se concentrent dans les portes d’entrée dans la péninsule, principalement Emporion et Carthagène.

 

         Dans « Evolución de la adivinación en la Hispania Cristiana » (p. 369-394), Diego M. Escámez de Vera insiste sur la difficulté du dossier car les sources ecclésiastiques normatives des Ve-VIIe siècles condamnant les pratiques divinatoires, présentées comme des vestiges du paganisme mais toujours vivaces dans les campagnes, déforment la réalité et nient l’existence d’une divination chrétienne, bientôt dénoncée comme démoniaque.

 

         Comme il est traditionnel en Espagne pour ce type de publication, il n’y a pas de conclusion générale. Bien évidemment, sans me livrer à l’exercice, je voudrais essayer de faire ressortir quelques lignes forces. La « longue durée », souvent évoquée, semble dissimuler un basculement des pratiques divinatoires d’un contexte dominant celto-atlantique vers celui méditerranéen : des échanges anciens avec le centre de la Méditerranée, l’investissement phénicien et la Deuxième Guerre punique ont scellé cette évolution. L’intégration de la péninsule dans le monde romain et sa municipalisation ajoutent à cette méditerranéisation un rôle accru de l’expérience divinatoire romaine elle-même, qui ne fait pas disparaître pour autant les traditions indigènes et favorise souvent des recombinaisons. La divination, quelle que soit son origine, représente généralement pour le pouvoir en place une manière de qualifier les pratiques qui échappent aux élites dirigeantes et celles qui sont considérées comme hétérodoxes. Mais, dans des circonstances particulières (compétition politique, conquête du pouvoir, guerre civile), cette hétérodoxie peut se révéler très utile aux compétiteurs qui bénéficient de la péninsule ibérique comme tremplin. Ce n’est pas un hasard si Santiago Montero Herrero et Jorge García Cardiel ont choisi pour débuter leur ouvrage l’évocation des présages, rapportés par Suétone (Galba, 10, 4), qui annoncèrent l’Empire à Galba, un mélange de faits indigènes (l’anneau de pierre gravé du mot victoire découvert) et méditerranéens (le navire alexandrin arrivé sans pilote). L’un des apports importants de cette publication est également la mise à disposition de la communauté historique de bilans archéologiques et épigraphiques, thématiques et régionaux, qui complètent et amendent les corpus documentaires et les enquêtes prosopographiques qui existaient jusqu’alors.

 

 

Índice 

 

Prólogo, 9-20
Santiago Montero Herrero y Jorge García Cardiel

Sacra saxa y ritos populares de adivinación en la Hispania prerromana, 21-52
Martín Almagro-Gorbea 

Sacrificio y adivinación en el área galaico-lusitana de Iberia, 53-86
Marco V. García Quintela 

Plynteria celtica. La ceremonia lustral de San Beturián, 87-110
Francisco Javier Fernández Nieto 

Prácticas adivinatorias y creencias oraculares en la Hispania Céltica: aportaciones etnoarqueológicas, 111-152
Pedro R. Moya-Maleno

Algunas precisiones sobre los rituales de sacrificio y adivinación en la céltica hispana, 153-182
Juan Carlos Olivares Pedreño

Agentes locales y prácticas oraculares durante la conquista romana de Hispania: el caso de las comunidades ibéricas, 183-218
Jorge García Cardiel

Omina mortis para Decimus Laelius, legado de Pompeyo en Hispania (año 76), 219-232
Sabino Perea Yébenes

Nuevas señales divinas para tiempos de cambio. La función simbólica de la palmera en el prodigio de Munda, 233-252
Rafael Barroso Romero

Aruspicina y arúspices en la Hispania romana, 253-292
Santiago Montero Herrero

Los testimonios epigráficos de auguracula y augures en las ciudades de la Hispania romana, 293-304
Juan Manuel Abascal

Sueños e incubatio en la epigrafía hispana: las fórmulas ex visu y ex iussu, 305-342
David Serrano Ordozgoiti

La adivinación en los cultos egipcios: testimonios de incubatio en la Hispania romana, 343-368
Adrián González Romero

Evolución de la adivinación en la Hispania Cristiana, 363-394
Diego M. Escámez de Vera

Índice de citas