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Compte rendu par Véronique Castagnet, Université de Toulouse Nombre de mots : 1791 mots Publié en ligne le 2020-04-21 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3638 Lien pour commander ce livre
Neuf auteurs, dont trois chercheurs allemands, se sont réunis à Francfort en janvier 2017 pour poser les termes nouveaux d’une réflexion sur les ex-voto, pourtant déjà envisagés dans les travaux des historiens et des ethnologues, portant sur les religions antiques, médiévale, moderne et contemporaine. Cette recherche s’inscrit dans la poursuite de travaux portant sur l’histoire religieuse et sur l’histoire des mentalités, mises à l’honneur par Jean Delumeau, Michelle Vovelle et Jacques Le Goff, depuis les années 70. Plus récemment, deux publications, l’une en 2006 de Thomas Kaufmann[1], l’autre en 2010 de Philippe Büttgen et de Christophe Duhamelle[2], témoignent d’une approche différente selon les deux traditions historiographiques. Le premier historien développe en l’occurrence un concept approprié, celui de « culture confessionnelle » dans laquelle la pratique de l’ex-voto entre ; les deux autres insistent sur la nécessité de poursuivre l’étude comparée entre France et Allemagne pour approfondir la connaissance historique sur l’époque moderne.
Tour à tour, les auteurs de cet ouvrage présentent des travaux novateurs. L’ordre de présentation choisi met en valeur, dans une première contribution, l’apport d’une ethnologue, Angela Treiber. Elle explique tout d’abord que les ex-voto ont intéressé les chercheurs français et allemands dès les années 70 et que ces derniers ont longtemps pensé qu’il n’y avait plus rien à écrire sur la question. Or, en tenant compte de l’apport des historiens de l’art (comme Georges Didi-Huberman), une « redécouverte » a pu être initiée. Angela Treiber s’inscrit dans cette nouvelle démarche montrant l’importance de ces « objets banals » dans la connaissance de la logique intérieure et des structures sensorielles. Deux concepts novateurs retiennent l’attention du lecteur : celui de « similarité », qui se détache des analyses contextuelles, et celui de « réciprocité », revenant sur l’interprétation des pratiques votives.
Dans un deuxième temps, les synthèses proposées par Rudolf Haesnch et Ulricke Ehmig s’attachent à l’Antiquité gréco-romaine. Rudolf Haensch revient sur les particularités de l’Antiquité grecque pour interroger les pratiques antiques pour elles-mêmes et non pour ce qu’elles seraient fondatrices pour des périodes historiques postérieures. Alors l’adjectif « votif » prend deux dimensions : l’acte de remerciement ; la désignation d’objets donnés, dans des contextes très variés, à une divinité, sans que l’on ne connaisse la signification du geste. Cependant la formule du « do ut des » reste inopératoire pour l’Antiquité. Toutefois, une certaine continuité est à observer entre cette première période historique et la suivante, le Moyen Âge. Cette ouverture fondamentale sur la période antique est complétée par la réflexion de Ulrike Ehmig portant sur les témoignages épigraphiques en langue latine. Elle parvient à montrer l’évolution quantitative du corpus, et la possibilité qu’il offre de saisir les différentes étapes individuelles du vœu, sachant qu’ils ont deux intentions : la recherche de la protection des dieux en échange de leur soutien, et le don aux dieux, sans contrepartie.
Ensuite, Pierre Antoine Fabre et Bernadette Roberjot se consacrent à l’étude d’un corpus d’ex-voto marins bretons datés des XVIIIe-XIXe siècles, observant ainsi une continuité entre les périodes moderne et contemporaine, dans l’analyse de tableaux constitués en ex-voto. Le principal apport repose sur l’analyse de la présence dans le corpus iconographique, de la représentation d’une langue de terre, entre la partie peinte du tableau et sa partie écrite, dédicatoire. Ils en concluent le lien entre ce choix pictural et la volonté d’inscrire dans l’iconographie la « mémoire de la catastrophe miraculeusement évitée et protection espérée contre d’autres naufrages. »
Un lien est déjà alors établi entre la période moderne et l’époque contemporaine, voire l’époque très contemporaine sur laquelle reviennent plus précisément les trois dernières contributions. Dans sa monographie consacrée au sanctuaire de Notre-Dame-des-Victoires, Aline Debert propose une étude liant le développement du lieu de culte, et celui des pratiques votives, notamment à travers l’encadrement assuré par la confrérie du Très Saint et Immaculé Cœur de Marie (devenue en 1838 archiconfrérie). L’intercesseur vers lequel se tourne le plus fréquemment les croyants n’est autre que la Vierge, invoquée sur des vocables multiples.
Pour Giordana Charuty, les pratiques observées entre l’Italie du Sud et le Nord du Portugal au milieu des années 80 se fondent sur d’anciens rites catholiques médiévaux, comme celui de la ponderatio, dans la mesure où les catholiques aspirent à une relation de filiation avec une puissance divine, monothéiste, avec laquelle ils « réaniment » le lien à l’occasion de ces pratiques chères aux pèlerins, et de laquelle ils espèrent une « réanimation » en retour.
Si le volume collectif ne contient pas de contribution exclusivement consacrée à la période médiévale, le Moyen Âge est décrit, dans plusieurs études, comme une période au cours de laquelle se codifient des pratiques chrétiennes, catholiques ou orthodoxes, par la suite réinvesties par les croyants. Le travail de Marie Anne Polo de Beaulieu illustre ce point en évoquant les ex-voto dédiés aux âmes du Purgatoire dans le Brésil actuel, qu’elle lie avec les cérémonies du « lundi des Trépassés ». Pour Victoria Smirnova, les icônes miraculeuses de la Russie contemporaine reflètent à la fois une tradition ancienne et de multiples reconfigurations virtuelles, en particulier pour ce qui est des offrandes de bijoux telle qu’elles sont attestées par la blogosphère et la pratique des messages électroniques.
Cinq thèmes majeurs se dégagent de l’ensemble des contributions de cet ouvrage collectif, essentiellement consacré aux pratiques européennes, anciennes comme contemporaines, une seule traitant du Brésil actuel.
Les auteurs posent tout d’abord la question du lieu de dépôt de ces ex-voto, dans des lieux de cultes polythéistes (pour Rudolf Haensch et Ulrike Ehmig), ou monothéistes (il est ici fait état de lieux de culte catholique dans les travaux de Pierre Antoine Fabre et Bernadette Roberjot, d’Aline Debert, seule monographie de ce volume consacrée à l’église de Notre-Dame des Victoires, de Marie-Anne Polo de Beaulieu ; ou de lieux de culte orthodoxe dans celle de Victoria Smirnova). L’intentionnalité est sans doute plus difficile à établir pour les temps les plus anciens.
Cette question est fortement liée à la protection divine recherchée. Les sources juridiques antiques grecques et surtout romaines aident à établir les étapes individuelles d’un vœu, dont certains éléments sont transférables dans un contexte chrétien. Au cours des périodes médiévale, moderne et contemporaine, les croyants retiennent quelques motifs essentiels de l’acte de remerciement (Rudolf Haensch) : la victoire ou la protection durant les guerres, la ou les naissances obtenues, la guérison, la réussite scolaire et sociale (Aline Degert), les dangers écartés (Pierre Antoine Fabre et Bernadette Roberjot), la lutte contre les maladies enfantines (Giordana Charuty), le soin des âmes du purgatoire (Victoria Smirnova), en considérant que le vœu royal de Louis XVIII soit singulier (Aline Degert). Le comportement des croyants est regardé à l’aune des concepts de l’anthropologie historique afin de mettre en évidence la logique intérieure de l’individu en retenant la « similarité », la « réciprocité » attendue, espérée, et le « do ut des » (A. Treiber).
Vient ensuite la question de leur nature, de leur composition, de leur pérennité dans le temps. La tradition de l’association entre iconographie et texte se maintient depuis le Moyen Âge. Toutefois quelques spécificités significatives apparaissent : le cas des ex-voto marins témoigne de la volonté des peintures des XVIIe-XIXe siècles de ménager un espace dans la toile, d’une « langue de terre », étroite, entre la mer et la dédicace écrite du corpus breton (Pierre Antoine Fabre et Bernadette Roberjot). Dans la Russie actuelle, l’orthodoxie admet le dépôt d’offrandes d’un nouveau type : des bijoux, des fleurs, des biscuits (Victoria Smirnova).
Il est alors possible de songer à la question de l’héritage, de la permanence de pratiques anciennes. Certes une certaine continuité entre les périodes, par exemple entre l’Antiquité et le Moyen Âge est à observer, dans le cas du catholicisme (Giordana Charuty). Pour autant, elle n’est pas linéaire et totale. Ainsi dans les pratiques observées en Italie du Sud (Abruzzes) et Nord du Portugal, les croyants se réapproprient des rites anciens comme celui de la ponderatio, tout en lui conférant d’autres gestes et pensées : ceci s’apparente à une « réanimation » de pratiques anciennes recomposées dans la modernité. En outre, les formes de la communication votive sont maintenues, mais les tableaux médiévaux cèdent la place aux portraits photographiques introduits désormais dans les images pieuses même si, par ailleurs, des formes persistent comme les fragments de corps humains, les baguettes de bois par exemple.
Plusieurs questionnements ont été initiés dans cet ouvrage ; seul le prolongement de cette recherche, collective et comparée, pourra apporter de nouveaux éléments de réponse. Tout d’abord, l’écriture a une grande place dans ces réflexions car dans leur grande majorité les ex-voto sont des écritures, et à l’inverse, l’écriture inscrit l’ex-voto dans le temps. Mais qu’en est-il de la destruction, du recyclage, du simple retrait de ces objets ? De leur éphémérité selon leur nature constitutive ? Ensuite, les ex-voto ont-ils été utilisés en dehors des temples, voire déplacés hors des sanctuaires polythéistes ou monothéistes ? Enfin, les interrogations portent sur le centre de gravité inspiré par la pratique des ex-voto : est-ce le geste ou l’objet qui prévaut ? le dépôt ou l’intention de dépôt ?
Au-delà d’un livre au contenu intéressant et stimulant, cet ouvrage collectif est un objet très agréable à manipuler, à feuilleter, en raison de la place accordée aux reproductions iconographiques en couleur insérées dans chaque contribution.
[1] Thomas Kaufmann, Konfession und Kultur. Lutherischer Protestantismus in der zweiten Hälfe des Reformationsjahrhundert (Spätmittelalter und Reformation, Neue Reihe, 29), Tübingen, 2006 [2] Philippe Büttgen, Christophe Duhamelle, Religion ou confession. Un bilan franco-allemand sur l’époque moderne XVIe-XVIIIe siècle, Paris, 2010.
Sommaire
Pierre Antoine Fabre, Introduction, p. 7 Angela Treiber, »Objets rebattus pour l’ethnologue… ?«. Phänomenologische und kulturanthropologische Zugänge der Ex-Voto-Forschung in der Volkskunde / Europäische Ethnologie, p. 13 Rudolf Haensch, Das Ex-voto in der antiken Welt : Wom archaischen Griechenland bis zur christliche Spätantike. Eine Einführung in Befunde und Forschung, p. 41 Ulricke Ehmig, »Ex voto« in lateinische Inschriften, p. 77 Pierre Antoine Fabre et Bernadette Roberjot, La langue de terre dans les ex-voto marins, p. 93 Giordana Charuty, « Payer sa promesse » : retour sur une enquête, p. 109. Aline Debert (†) avec la collaboration de Marie-Anne Polo de Beaulieu, Un désordre céleste ici-bas : les ex-voto de Notre-Dame des Victoires (Paris), p. 131. Marie Anne Polo de Beaulieu, Entre demandes singulières et cohortes d’intercesseurs anonymes : les ex-votos aux âmes du purgatoire, Brésil XXIe siècle, p. 151 Victoria Smirnova, Bijoux votifs et vénération des icônes miraculeuses dans la Russie contemporaine : une tradition ancienne et ses reconfigurations virtuelles, p. 177 Zusammenfassung – Résumés – Summaries, p. 197
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |