Lenoble, Michel (dir.): Atlas topographique de Lugdunum, I : Lyon - Fourvière, (Revue Archéologique de l’Est. Suppl., 47), 584 p., 900 ill., ISBN : 978-2-915544-41-1, 85 €
(Société Archéologique de l’Est, Dijon 2019)
 
Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université de Grenoble
 
Nombre de mots : 1837 mots
Publié en ligne le 2020-08-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Fruit d’un travail collectif commencé en 2001, dans le cadre d’un Projet collectif de recherche soutenu par la DRAC de la région Rhône-Alpes, ce premier volume de l’Atlas topographique de Lyon est une somme d’une richesse impressionnante, à la mise en page très soignée, avec des illustrations nombreuses d’une excellente qualité. L’ouvrage est organisé en trois parties : des introductions thématiques, les feuilles de l’atlas proprement dit, et des synthèses. Il est complété d’une bibliographie – successivement la bibliographie générale (p. 557-571), les archives, rapports et documents (p. 571-573), les corpus et dictionnaires (p. 573) et les textes anciens (p. 573-574) – et d’index. La méthodologie suivie a été inspirée par l’Atlas topographique des villes méridionales. 2, Fréjus, sous la direction de L. Rivet (Montpellier, 2000).

 

         Certaines des introductions sont des monographies accompagnées d’un remarquable appareil de documents iconographiques (cartes, plans, reproductions de manuscrits et livres anciens), de références bibliographiques et de corpus très utiles. Chercheurs ou érudits y trouveront tout. Ainsi, sur l’Histoire des recherches (p. 23-83). D’autres, plus courtes, comme la présentation du cadre naturel de Lyon, méritent toute l’attention des historiens qui ne doivent pas négliger la géologie et la géographie. La précision des cartes (notamment les figures 78-79 et 81-83) à l’appui d’un texte qui fait le lien avec l’archéologie et l’analyse historique éclaire les étapes de l’installation et permet de comprendre les phases du développement urbain et économique. De l’apport de l’épigraphie à la connaissance de la topographie de Lyon (Fr. Bérard, p. 127-136) on retiendra, d’une part le fait bien connu que le nom antique a durablement été Lugudunum, jusqu’au IIIe siècle, la forme avec la chute du u entre Lug et dunum ne s’imposant que dans les inscriptions chrétiennes et n’étant guère attestée sinon dans des inscriptions d’étrangers ou extérieures à la ville, d’autre part que les canabae (ou kanabae) ne se rapportaient probablement qu’au seul quartier des uinarii et non à l’ensemble de la presqu’île. En revanche, l’épigraphie ne permet pas de connaître exactement les limites situées sur la rive gauche du Rhône, avec la colonie de Vienne, malgré les milliaires.

 

         Les feuilles de l’Atlas consistent en une introduction rappelant la localisation de la feuille, l’histoire du site concerné puis le catalogue raisonné (chronologique) des vestiges selon des rubriques générales aménagées en fonction des vestiges existants. On y trouve donc dans toutes, peu ou prou, des données de la Voirie et urbanisme, des Aménagements hydrauliques, des Monuments publics, des Habitations, de l’Artisanat, du Commerce. Chaque fait recensé est suivi d’une bibliographie exhaustive (rapports de fouille, thèses et mémoires, bibliographie générale). Ce catalogue est suivi d’une interprétation qui reprend cette organisation thématique. Dans ces feuilles, le lecteur pressé pourrait regretter que les monuments épigraphiques mentionnés et illustrés ne comportent pas leur référence au corpus ou à L’Année épigraphique (AE). La consultation de l’index permettra de les trouver aux pages des introductions ou des synthèses. Ainsi pour le monument épigraphique découvert au Verbe Incarné, en remploi dans l’égout de la rue (fig. 332, p. 251, feuille 6 D – Verbe Incarné, du milieu du Ier au IIIe siècle), dont la première ligne conservée comporte le mot arcus, trouve-on sous ce mot sa mention page 131 (AE, 1980, 636).

 

         Il serait vain de prétendre résumer cet ouvrage qui est à la fois instrument de travail, monographies, beau livre. On n’y parviendrait pas tant il fourmille de détails, de références, de notations qui révèlent un travail approfondi et de longue haleine, méthodique, réfléchi et mûri où tout est justifié, fondé et occasion de nouveaux développements et de recherches suggestives. Aussi se contentera-t-on de présenter quelques exemples qui mettront en lumière acquis ou questions récentes qui risqueraient sans cela de passer inaperçus. Pour le site du Verbe Incarné, qui a procuré tant de matériel archéologique et épigraphique, dont seule une partie a été publiée (AE, 1980, 637-639), F. Bérard et G. di Vita-Evrard font (p. 271) une mise au point en partant de la totalité du matériel et proposent une réinterprétation. Au lieu d’inscription(s) qui aurai(en)t été (des) dédicace(s) offerte(s) à la divinité du temple par un empereur fondateur ou restaurateur d’un édifice du culte impérial, en pendant à l’autel et au sanctuaire fédéral du culte impérial sur la colline de la Croix Rousse, ils proposent d’y voir un exemple de fastes impériaux comparables aux listes connues à Brescia ou Luni (AE, 1988, 564). Page 368, la recherche archivistique érudite (Feuille 9 B – Les Théâtres. 15 – fin du Ier siècle ap. J.-C.) sur une partie du site, au-dessus du théâtre, considérée comme « sanctuaire de Cybèle », à la suite de la mise au jour en décembre 1704 d’un autel taurobolique inscrit (CIL, XIII, 1751) conduit à relever une erreur ancienne dans le lieu de sa découverte qui n’est pas « dans la propriété de M. Gautier, marchand de sel » mais dans la propriété de M. Bourgeat, probablement plutôt dans sa vigne puis transporté dans sa maison où il est resté quelques temps. L’hypothèse d’un sanctuaire à Cybèle à l’emplacement de la découverte de l’autel ne tient plus depuis les fouilles archéologiques entreprises dans le secteur depuis les années 1990, qui d’une part ont montré un décalage chronologique incompatible avec la datation de l’inscription au IIe s., puisque le bâtiment mis au jour est d’époque augustéenne, d’autre part n’ont pas mis en évidence un plan qui permettrait d’identifier la destination de cet édifice. Les hypothèses sont nombreuses : collège des augustales, schola, macellum, fabricia ou armamentarium, caserne des vigiles, voire sanctuaire (p. 370-371). Dans le secteur de l’Antiquaille (Feuille 10), une terrasse orientée à l’est regardant vers les Alpes à la confluence de la Saône et du Rhône, si les fouilles de la décennie 2000 ont permis de compléter (deux domus ont été partiellement mises au jour en 2011-2012) ou confirmer la présence de luxueuses domus organisées autour d’un atrium avec de nombreuses pièces (une vingtaine pour l’une d’elles) et de citernes, elles conduisent aussi à s’interroger sur la nature privée de l’édifice, appelé par A. Audin la « maison à la citerne » : « au vu des énormes citernes situées dans ses fondations », c’est peu probable (p. 418). 

 

         La première synthèse porte sur les trames urbaines et les réseaux viaires. Il en résulte trois principales orientations (cinq plans avec essais de restitution ; tableau récapitulatif précis et exhaustif des vestiges de la voirie mis au jour) : une d’époque coloniale, sur la partie sommitale du plateau de la Sarra, une autre un peu postérieure, couvrant la partie orientale de la colline de Fourvière et une troisième surplombant le vallon de Trion. Ces trois trames ont été utilisées sans changement jusqu’à l’abandon de la ville haute entre la fin du IIe et la fin du IIIe s. ap. J.-C. De la synthèse sur l’eau et son usage à Lugdunum, on retient le souci généralisé de canaliser l’eau pluviale mais aussi les eaux usées, les disparités des aménagements mais aussi très probablement l’existence de règles distinguant espace privé et espace public, avec pour ce dernier la trace d’un programme d’urbanisme qui révèle le souci de l’hygiène. Il y avait une aqua publica : aqueducs, fontaines standardisées, thermes, latrines en témoignent. Il faut encore mentionner la petite mise au point, par T. Silvino (p. 498) sur les vestiges de l’apport de la fouille à l’angle des rues Appian et des Fossés Trion, dans le 5ème arrondissement, qui pourraient se rapporter à un siphon de l’aqueduc du Gier. Relevons aussi la nouvelle connaissance des antécédents à la colonie de Plancus, des fouilles dans le secteur de la plaine de Vaise, sur la rive droite de la Saône, au nord-ouest de ce qui devient la colonie du Lugdunum sur la colline de Fourvière. Ces fouilles ont montré que, dès le IIe s. av. J.-C. probablement, le site de Lugdunum est intégré aux échanges avec le monde romain, qu’il est une place commerciale comme l’est Toulouse par rapport à la provincia. Enfin, à l’opposé, la question de l’abandon précoce de la colline de Fourvière reste en suspens. Il n’est pas impossible que la bataille de Lyon, en 197 ap. J.-C., y ait joué un rôle mais l’abandon n’en est pas une conséquence directe, ni massive ou brutale. Aucun indice ne permet d’attribuer l’abandon aux incursions barbares. Une hypothèse de nature commerciale et économique est envisageable : la colline était malcommode pour des courants marchands liés au commerce fluvial. Dans un tel contexte, la presqu’île était plus aménageable et fréquentable.  

 

         Ces synthèses sont bienvenues aussi parce qu’elles permettent d’appréhender globalement un secteur de Lyon que l’organisation en feuilles fait parfois perdre de vue.

 

         Il est évident que ce livre ne se lit pas en une fois. Il n’en est pas moins indispensable pour qui s’intéresse à Lugdunum. Les trois parties s’articulent remarquablement entre elles et quiconque souhaiterait travailler sur quelque sujet que ce soit de la capitale des Gaules doit commencer par aller y chercher l’information et y revenir. On attend donc les autres volumes.

 

 

Sommaire

 

Introductions

M. Lenoble, « Le PCR Atlas topographique : un programme de recherche essentiel pour l’archéologie lyonnaise », p. 15-19.

G. Macabéo, V. Vachon, le système des coordonnées, les conventions graphiques », p. 21-22.

G. Bruyère, M. Lenoble, « Histoire des recherches », p. 23-83.

O. Franc, A. Vérot, « Le cadre naturel du site de Lyon : entre reliefs et plaines, des espaces variés lors de la fondation de Lugdunum », p. 85-100.

C. Bellon, avant Lugdunum, p. 101-108.

J.-Cl. Decourt, G. Lucas, « Brève histoire de Lyon, de sa fondation à l’arrivée des Burgondes », p. 109-115.

L.-Cl. Decourt, G. Lucas, « Les sources littéraires : leur apport à la topographie de Lugdunum », p. 117-117-126.

Fr. Bérard, « L’apport de l’épigraphie à la connaissance de la topographie lyonnaise », p. 127-132.

B. Clément, H. Savay-Guerraz, « Construire à Lugdunum. Matériaux et techniques », p. 133-138.

 

Les feuilles de l’atlas

Feuille 1 : La Sarra, C. Chomer, M. Lenoble, p. 141-148.

Feuille 2 : La Solitude, C. Chomer, B. Clément, p. 149-163.

Feuille 3 : L’Angélique, C. Chomer, M. Lenoble, p. 165-175.

Feuille 4 : Les Lazaristes, M. Le Nézet-Célestin, p. 177-189.

Feuille 5 : Loyasse, M. Monin, p. 191-202.

Feuille 6 : Verbe Incarné, É. Delaval, Ph. Thirion, avec la participation de M. Lenoble, p. 203-280.

Feuilles 7 et 7 bis : Fourvière, Dj. Fellague, Ph. Thirion, avec la participation de M. Lenoble, p. 280-324.

Feuille 8 : Saint-Barthélémy, L. Françoise-dit-Miret, p. 325-332.

Feuille 9 : Les Théâtres, A. Desbat, H. Savay-Guerraz, p. 333-392.

Feuille 10 : L’Antiquaille, Chr. Becker, p. 393-418.

Feuille 11 : La Visitation, A. Desbat, Chr. Thollon-Pommerol, p. 419-426.

Feuille 12 : Les Farges, B. Clément, A. Desbat, C. Sartre, H. Savay-Guerraz, p. 427-462.

Feuille 13 : Grotte Bérelle, H. Savay-Guerraz, p. 463-476.

 

Synthèses

M. Lenoble, Ph. Thirion, « Trames urbaines et réseaux viaires sur la ville haute de Lugdunum », p. 479-494.

C. Chomer, « L’eau et son usage à Lugdunum », p. 495-502.

B. Clément, « L’architecture domestique à Lugdunum », p. 503-523.

A. Desbat, « La topographie de Lugdunum », p. 525-552 avec une étude sur « L’assiette de la ville de Lugdunum au Haut-Empire, E. Dumas, p. 549-552.

A. Desbat, M. Lenoble, « L’abandon précoce de la colline de Fourvière », p. 553-556.

Bibliographie générale, p. 557-574.

Index (onomastique ; topographie moderne et antique de Lyon ; géographique des lieux extérieurs à Lyon), p. 575-580.