Barbau, Clémentine: Romanisation et vie quotidienne. L’instrumentum de type italique en Gaule interne (IIe s. av. J.-C. – Ier s. ap. J.-C.), ( MI, 58), 66 p., ill. en coul., ISBN : 978-2-35518-090-3, 58 €
(Mergoil, Dremil-Lafage 2019)
 
Compte rendu par Michel Chossenot, Université de Reims
 
Nombre de mots : 1940 mots
Publié en ligne le 2020-11-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3667
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          Cette grosse publication est la version remaniée d’une thèse de doctorat sous la direction d’A.-M. Adam et M. Poux, soutenue en 2015 à l’Université de Strasbourg. Dans la préface, G. Kaenel réexamine le concept de romanisation et se demande si la culture matérielle étudiée par l’autrice permet de répondre à cette question. Les difficultés sont en effet importantes compte tenu de l’hétérogénéité des sources (plus ou moins bien publiées), du rôle des circuits commerciaux, des pratiques des Gaulois, en particulier de celles des élites qui ne trouvaient pas de répondants chez leurs artisans. Les objets de la vie quotidienne traduiraient une romanisation qui s’est faite par à-coups, d’abord par les militaires et avec une nette distinction entre la vieille aristocratie gauloise et la nouvelle élite. 

 

         Dans l’introduction C. Barbau précise clairement ses intentions en se demandant dans quelle mesure les petits objets de la vie quotidienne, la culture matérielle, céramique exclue, pourraient permettre de répondre à ces questions. L’ouvrage est divisé en trois chapitres : 

 

Chapitre 1, Cadres et méthodologie :

 

         C. Barbau commence par reprendre l’historique de l’idée de romanisation née à la fin du XIXe s. : il s’agissait de l’adoption du modèle romain par des populations plus ou moins réceptives. À cette époque, une grande majorité d’historiens formés par des études classiques, dans les Écoles Françaises de Rome et d’Athènes, et au vu des vestiges monumentaux de la Gaule romaine, estimaient que les barbares gaulois avaient largement bénéficié de la Conquête. La notion de colonisation vint ensuite jeter le trouble et fut accentuée par les modèles anthropologiques anglo-saxons des trente dernières années. Ceci finit par aboutir à des interprétations plus fines intégrant la temporalité, les relations particulières des peuples avec Rome (commerciales, diplomatiques), en particulier celles des élites, leur position, voire leur intégration dans l’armée, leur distance géographique, etc. se traduisant par un processus évolutif à deux vitesses : l’un politique, juridique et militaire généralisé à toute la Gaule et l’autre culturel, divers suivant les provinces. 

 

         Mais l’Italie tardo-républicaine était formée d’une mosaïque de peuples loin d’être unifiés du point de vue culturel, en train de se romaniser eux-mêmes ; ainsi les bronzes étrusques et les céramiques campaniennes s’écoulaient en Gaule, depuis plusieurs siècles pour les premiers, plus récemment pour les secondes ; les bronze étrusques atteignaient même la Champagne dès le Ve s. av. J.-C. sous forme d’objets exceptionnels (casques, œnochoés), et plus régulièrement au Iers. avant notre ère. 

 

         Une liste déjà élaborée par le groupe de travail « Instrumentum » a été retenue comme représentative de la romanisation ; elle compte 28 types d’objets en bronze, répartis en six catégories : la vaisselle (14 objets), la parure (2 objets), le vêtement (3 objets), la toilette (5 objets), l’éclairage (2 objets) et l’écriture (2 objets). 

 

         La vaisselle métallique la plus représentée, la plus précoce et la mieux étudiée comprend les passoires à poucier et doigtier qui apparaissent dès la fin du IIe s. avant notre ère, les cruches de type Kelheim et Ornavasso, les nombreuses variétés de louches associées au service du vin et aux libations du Ier s. avant notre ère, les poêlons, puisoirs, casseroles et patères aux fonctions mal définies, les bassins, les gobelets, les situles, les coupes, les skyphoi, les cochlearia ; pour la parure, les bagues et les intailles ; pour le vêtement, les fibules de type Alésia, Aucissa, Jezerine et Cenisola, les boucles de ceinture et les clous de chaussure ; pour la toilette et la médecine : les spatules-sondes et cuillères-sondes, les cure-oreilles, les agitateurs et palettes à fard, les miroirs ; pour les systèmes d’éclairage, les lampes à huile (quatre variétés) et les lanternes ; pour les ustensiles de l’écriture, les styles et les boîtes à sceau.

 

         L’autrice évoque ensuite le cadre chronologique, la société et l’économie celtique puis ses propres options de présentation et de méthodologie : ainsi, pour la Gaule interne elle utilise une chronologie allant du début du IIe s. av. J.-C. à la fin du règne d’Auguste en 15 de notre ère, subdivisée en cinq sous-phases allant de LT C2 (200 av. J.-C.) à LT D2b (30 av. J.-C.) et les deux dernières pour la période augustéenne. Du point de vue géographique, les archéologues ont généralement construit une périodisation régionale qui s’appuie sur les matériels les plus représentatifs qui ont été rassemblés dans un tableau à sept entrées géographiques allant de l’Auvergne au territoire des Trévires. 

 

         C. Barbau décrit ensuite la société et l’économie celtiques, en pleine évolution, avec les aedificiavici et oppida dont les productions de l’agriculture, de l’élevage et de l’artisanat s’échangent largement avec la péninsule italique, d’abord par l’intermédiaire de la Transalpine, puis par les axes fluviaux Aude-Gironde et Rhône-Saône (par ex. les amphores à vin arrivent en pays rème dès 150 avant notre ère). Ces activités ont été facilitées par l’adoption de la monnaie et en particulier celle du « denier romain ». Il ne faut pas non plus oublier que certains peuples (les Éduens en particulier) et des membres de la société gauloise entretenaient des relations commerciales et/ou personnelles avec Rome. De la vaisselle métallique importée évoquant le service du banquet italique apparaît dans certaines nécropoles à incinération ; les sanctuaires se monumentalisent sous la forme de temples de type fanum avec autel à l’extérieur et fosses à offrandes avec monnaies, rouelles, outils et amphores.

 

         Au total, 757 objets ont été étudiés suivant trois approches différentes : une première qualitative, une seconde par type d’objets, une dernière prenant en compte les disparités régionales d’évolution dans les « peuples » gaulois.

 

Chapitre 2, Présentation et analyses du corpus :

 

Le territoire gaulois a été divisé en six zones géographiques :

- la Celtique centrale (37 sites) : Ségusiaves (5 sites), Arvernes (4), Lémovices (3 sites), Éduens (7), Lingons (2), Mandubiens (1), Bituriges (7), Carnutes (4), Sénons (2) et Parisii (2)

- la Celtique orientale (17 sites) : Helvètes (11sites), Séquanes (2) et Rauraques (4)

- la Belgique orientale (28 sites) : Leuques (5 sites), Médiomatriques (1), Meldes (1), Suessions (2), Rèmes (7) et Trévires (12)

- la Belgique occidentale (9 sites) : Véliocasses (1 site), Bellovaques (1), Calètes (1), Ambiens (3), Nerviens (1) et Atrébates (2)

- la Gaule du Sud-Ouest (6 sites) : Rutènes (3 sites), Nitiobriges (2) et Bituriges Vivisques (1)

- la Gaule celtique Ouest (7 sites) : Santons (2 sites) et Pictons (5) 

 

         L’évolution chronologique des catégories et des types de mobiliers : 

 

         Pour la vaisselle métallique (298 ex.), les premiers éléments, des fragments de passoire et de gobelet de type Idria apparaissent à LT C2 et les passoires à poucier et doigtier à LT D1. Les cruches de type Kelheim et patelles de type Aylesford à la LT D1 (en contexte funéraire), les simpula, bassins et situles à la LT D2a. ; les cruches d’Ornavasso, à l’Augustéen précoce, puis de nouvelles formes de cruches, de passoires, de patères et puisoirs ainsi que d’aryballes et de cochlearia.

 

         S’agissant de la parure (72 ex.), les bagues et intailles apparues à partir de LT C2 sont d’abord rares et leur nombre augmente à LT D1 b. 

 

         Pour le vêtement, si l’on considère les fibules (62 ex.), en suivant l’ordre chronologique, apparaissent d’abord les types de Jezerine à la LT C2, puis de Cenisola, à la LT D1 ; les types d’Alésia et d’Aucissa, les plus nombreuses (49 ex.), se retrouvent de LT D2 à l’Augustéen précoce. Les boucles de ceinture (39 ex.) de forme semi-circulaire succèdent à celles de forme quadrangulaire à partir de LT D2b, époque à laquelle apparaissent aussi les 23 lots de clous de chaussures.

 

         Dans le domaine de la toilette, les miroirs (40 ex.) font leur apparition dès LT D1 et perdurent pendant toute la période augustéenne. Dans celui de l’éclairage (108 lampes à huile), plusieurs types se succèdent à partir de LT D2a.

 

         Pour l’écriture, 27 styles ont été recensés à partir de LT D ; les boîtes à sceau (18 ex.) sont plus tardives que les styles.

 

         Parmi les six différents types de sites : les oppida viennent largement en tête (62 %) : la vaisselle y domine largement ; les autres éléments sont à peu près égaux, à part l’écriture, nettement moins bien représentée. Dans les agglomérations, la vaisselle domine également les autres catégories (parure et toilette sont en retrait). Dans les établissements ruraux (21 objets), la vaisselle représente la moitié des artefacts ; en contexte funéraire (131 objets sur 26 sites), la vaisselle domine largement avec une spécificité pour celle qui est liée à la boisson et aux ablutions. Les sanctuaires (10 objets sur 5 sites) et les rivières (2 sites) comptent très peu d’objets. En terme de répartition géographique, la Gaule celtique centrale et la Belgique orientale comptabilisent les plus d’objets. 

 

Chapitre 3, Synthèse :

 

         Pour l’autrice, en accord avec les membres de la communauté scientifique travaillant sur ce sujet, la mise en évidence de l’évolution typologique, chronologique et spatiale des mobiliers de type italique reflète la pénétration des usages italiques et la transformation des mœurs ; elle permet d’établir une chronologie de la romanisation au quotidien. Mais ces critères devront être mis en perspective avec d’autres types de recherches concernant l’acceptation ou le refus, ainsi que le rôle des acteurs. Quant à la céramique, le centre de la Gaule (la plaine du Forez en particulier) profite d’un approvisionnement privilégié en vaisselle campanienne, dont les causes peuvent-être géographiques, économiques et/ou politiques. Pour les sites les moins achalandés comme Besançon, Boviolles et Langres, la distance avec les sites de production est-elle uniquement en cause ? Pour finir, la romanisation de l’architecture accuse un net retard. 

 

         Des tentatives ont été faites pour définir un indice de romanisation pour la céramique, mais qu’en est-il pour l’instrumentum ? Devant la difficulté C. Barbau a choisi de définir « un indice de diversité » comptant de une à six catégories d’objets en trois niveaux dans ses sept types de sites et un indice de potentiel d’acculturation de ce même instrumentum dans une échelle allant de 1 à 100. Les résultats se situent entre 2 et 38 pour les oppida, au maximum à 22 pour les agglomérations, à 15 pour les établissements ruraux, à 36 pour les contextes funéraires et 11 pour les sanctuaires. 

 

         Dans sa conclusion, l’autrice estime que l’instrumentum, grâce à un choix des sites dans un espace et une chronologie définis par des critères pertinents, permet d’affiner certaines propositions concernant les mécanismes de romanisation des populations qui reposent pour le moment essentiellement sur la céramiqueL’instrumentum se révèlerait ainsi comme un moyen plus intéressant car provenant beaucoup plus d’un choix que des courants commerciaux

 

         À partir de cette masse de données, C. Barbau propose de définir une sorte de concept qu’elle appelle « le degré de romanisation », qui combine l’espace, le temps et les différents types de sites : ce processus débute lentement à LT D1a dans quelques agglomérations et camps du centre de la Gaule ; il s’accélère à LT D1b et D2a dans les oppida et le centre-est (commerce et opérations militaires liées à la conquête, troupes en déplacements, présence romaine) ; l’époque augustéenne voit ensuite une homogénéisation culturelle, les différents objets se retrouvant dans toute la Gaule, mais surtout en contexte funéraire aristocratique (soit par imitations du modèle romain, soit par le fait des auxiliaires). Certains sont un indice potentiel d’acculturation (strigile et écriture). Mais comme tous ces objets n’ont pas forcément été utilisés, il faut aussi distinguer « possession » et « utilisation ». D’où l’idée d’une « intégration sélective sans hybridation » ; ces recherches devront être complétées par d’autres sur les outils ou la construction.

 

         Une remarque formelle concernant l’organisation de la bibliographie finale. Dans ce domaine, il serait judicieux que les auteurs distinguent clairement plusieurs catégories : les articles ou ouvrages publiés et ceux qui ne le sont sont pas, comme les travaux scientifiques et surtout la littérature grise des rapports de fouilles (DFS, RFO…).