AA.VV.: Cordon, Nicolas - Degans, Edouard - Doulkaridou-Ramantani, Elli - Heering, Caroline (dir.) Jeux et enjeux du cadre dans les systèmes décoratifs de la première modernité (1500-1700), 254 pages, 17,0 cm × 24,5 cm × 1,4 cm, ISBN : 978-2-7535-7740-4, 29 €
(Presses universitaires de Rennes, Rennes 2019)
 
Compte rendu par Chloé Perrot
 
Nombre de mots : 1792 mots
Publié en ligne le 2021-01-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3749
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         Jeux et enjeux du cadre dans les systèmes décoratifs de la première modernité rassemble les actes d’un colloque qui s’est tenu les 9 et 10 mai 2014 à l’INHA, à l’initiative du Centre d’Histoire de l’art de la Renaissance (CHAR), du Group for Early Modern Cultural Analysis (GEMCA) et du Centre de recherche François-Georges Pariset. 

 

          Les études qui y sont réunies s’intéressent aux systèmes d’encadrement entre 1500 et 1700, décentrant le regard de l’œuvre vers la marge, vers des dispositifs dont les valeurs syntaxiques et sémantiques participent pleinement à l’élaboration du sens et à la réception du représenté. À travers les notions de décor et d’ornement, dans une acception large qui ne se limite pas à l’architecture, l’ouvrage offre ainsi une réflexion sur le cadre comme medium, l’affirmant comme moyen non accessoire de la construction du discours artistique.

 

         La cohérence des communications a permis de structurer le plan général des actes selon trois axes : le cadre comme élément de clôture imposant rythme et modalités de lecture du décor ; le cadre comme vecteur du message, aspect conduisant à envisager son autonomie, notamment dans sa dimension ornementale ; enfin, le cadre dans sa perméabilité, qui implique la prise en compte d’une fonction conjonctive, effaçant les limites de ses contours tant matériels que fonctionnels. Une telle organisation révèle la volonté de renouveler, sans en renier la validité, l’approche de Meyer Schapiro dans Style, artiste et société, désormais classique, considérant le cadre comme structure de délimitation et de clôture. 

 

         La première partie inscrit toutefois la réflexion dans cette même perspective dont elle réaffirme ainsi la validité. Elli Doulkaridou-Ramantani ouvre le recueil par une analyse des « Dispositifs d’encadrement dans les manuscrits romains, de Léon X à Paul III ». La question de la participation des encadrements à l’acte de lecture prend ici pleinement sens dans la mise en évidence de leur participation à l’articulation de la page, qu’ils construisent et déconstruisent à la fois, dans un rapport texte-image qui dévoile sans livrer entièrement, complexifie et fait signe. La coexistence de l’écrit, de la représentation et d’un système d’encadrement à la surface unifiante de la feuille de papier permet cependant bien d’autres approches qui dépendent notamment du contexte de mise en présence avec le spectateur-lecteur. L’étude de Gwendoline de Mûelenaere permet de le mesurer. Faisant écho aux travaux de Véronique Meyer, elle s’intéresse à un type spécialisé de gravures, les « affiches de thèse dans le décor de la soutenance académique » aux Pays-Bas. Dans son corpus, le vu supplée au lu dans des modalités d’usage propres à des affiches disposées de manière éphémère dans l’espace de la soutenance et pendant la durée de celle-ci. Le cadre intervient alors comme instrument de valorisation d’un discours normalisé et comme guide cognitif. L’auteur inscrit sa réflexion dans la continuité des travaux du groupe µ. Elle enrichit ainsi l’idée de cadre en distinguant et articulant les notions de contour et de bordure. Elle fournit une observation précise des moyens mis en œuvre au service de « l’iconisation de la marge », avant d’envisager plus succinctement, déplorant l’absence d’archives, la relation de l’avis à l’espace de la salle de soutenance. Si les sources manquent donc à la reconstitution de l’environnement général de ces affiches accrochées à la paroi, l’étude de Rosario Salema de Carvalho qui porte sur « les cadres des azulejos baroques portugais » permet justement, en changeant de médium, de révéler les « propriétés organisatrices du cadre » sur l’espace qui les contient. Mais il est vrai que le matériau, la pérennité, l’évolutivité et la finalité des décors de céramique supposent et autorisent de nouvelles lectures des fonctions du cadre qui, dans ce cas précis, intervient comme limite et médiation entre l’espace fictif de la représentation et celui de la réception. En appui sur deux exemples, Rosario Salema de Carvalho interroge alors la contribution du décor d’azulejos à la lisibilité de l’organisation de l’église et fournit ainsi matière à une réflexion sur la sémiologie propre à la relation architecture-décor. Puis, elle relève succinctement les effets de mise en présence de cet art de la faïence avec d’autres media artistiques, comme la peinture. Laurent Paya enrichit encore ce premier axe et préfigure le suivant grâce à un article dédié au « cadre dans l’art des jardins de la Renaissance » comme figure de transitio. Une étude sémantique lui permet de démontrer, en filigrane, la participation de la bordure à la conception du jardin comme œuvre d’art, par l’emprunt au vocabulaire de l’architecture et l’emploi des moyens de la logique. Il en appelle ensuite au vocabulaire de la rhétorique et met en évidence le rôle du cadre comme élément de structuration du discours végétalisé, comme agent, non de séparation mais de liaison, à la fois transition et mise en relation des compartiments qu’il contient. La bordure est alors le lieu de l’entre-deux dont elle investit les possibilités plastiques infinies tout en invitant à la dimension réflexive qui prépare à la mise en présence d’un nouveau sujet.

 

         Après avoir considéré le cadre dans son appartenance à un système global, la deuxième partie l’envisage dans son autonomie en tant que signe iconique. Émilie Passignat s’intéresse tout d’abord à la sculpture encadrée, par des « Observations sur l’encadrement dans les ensembles sculptés italiens du XVIe siècle ». Elle se penche plus particulièrement sur les portes monumentales des églises, lieux de passage dont les ornements sculptés dans les marges agissent comme une mise en abyme de la transition qui doit s’opérer pour le fidèle au moment de l’entrée. Mais ces marges sont également le lieu de représentation de l’artiste et de son commanditaire. De même, la méticuleuse analyse iconographique de la nature identitaire du cadre de « La Pompe funèbre de Charles III », par Vincent Dorothée, vise, dans une démarche originale, à relever des anomalies qui signent une « ‘réinvention’ du cadre iconographique, au sein de la cérémonie de papier ». Puis, comme opérant un focus sur le support, Annelyse Lemmens poursuit la réflexion par une recherche dédiée au « frontispice comme encadrement. Statut et fonctions d’un système décoratif (Anvers XVIe-XVIIe siècles) ». Le frontispice emprunte au vocabulaire architectural pour mettre en scène l’auctoritas du texte, tout en intervenant comme un seuil, dans un jeu de mise à distance du lecteur, du hors-livre dont il marque la limite. Et c’est d’ailleurs du point de vue architectural que Catherine Titeux étudie à son tour les « Cadres et encadrements » français de l’Âge classique dans leur dialogue avec le mur, entre délimitation, négation et enrichissement, allant jusqu’à l’instauration d’un « ordre du mur » auquel l’ornement créé par le cadre contribue. Au nombre des ornements de la paroi, réelle ou fictive, figure le cartouche, objet des attention de Caroline Heering. Elle clôt cette partie et assure une transition habile en envisageant le motif tant comme contenant que comme contenu et comme ornant d’un orné.

 

         Ainsi apparaît la multidimensionnalité des points de vue sur le cadre, comme une invitation à en observer aussi la perméabilité, en guise de synthèse. Pour Édouard Degans, « Portes, cadres, ornements et figures peintes dans les systèmes décoratifs maniéristes italiens » marquent autant de lieux de passage, et forment des brèches dans le décor peint, tout participant de celui-ci, phénomène paroxystique dans le cas de la niche, « quasi-ouverture », et surtout dans celui des portes feintes que l’auteur désigne comme « portes de la représentation ». Nicolas Cordon poursuit cette étude du décor peint en s’intéressant à la Sala Regia du Vatican. Les encadrements de stuc contribueraient par l’effet de relief qu’ils offrent aux ignudi à la construction d’une réflexion sur le Paragone. Les figures qui les habitent débordent sur l’encadré peint dans une transgression des limites entre les espaces et de fait entre les arts. Ce dispositif de transgression est d’ailleurs mis à profit par Rubens dans des « Tapisseries réelles et feintes » du Triomphe de l’Eucharistie étudiées par Kristen Adams. Le spectateur se trouve alors convié à une méditation religieuse sur le thème de la vue, de la vision et probablement de l’illusion elle-même. Le thème revient d’ailleurs dans l’article de Sandra Bazin-Henry consacré au « jeu des peintures sur miroirs en Italie au XVIe siècle ». Cadre dans le cadre, « élément de liaison entre l’image dans l’image dans le miroir et les autres parties du décor », le motif peint sur la surface réfléchissante, présente à la vue du spectateur et intégrant à la fois son image spéculaire à un univers fictif, permet l’interpénétration de deux mondes en les rendant perméables l’un à l’autre. 

 

         Grâce à une circulation fluide entre les textes, ces actes de colloque livrent ainsi un ouvrage très riche de réflexions et de perspectives. Il est vrai, comme les auteurs le soulignent eux-mêmes, que certaines études se heurtent à une absence de sources. Elles ouvrent toutefois la voie vers des prolongements possibles. Par exemple, le lecteur espère que Gwendoline de Mûelenaere puisse, dans d’autres publications, interroger la relation de ces affiches à l’oralisation du discours, souligner peut-être des liens ou des ruptures entre dispositifs de monstration et de démonstration du savoir. D’une manière plus générale, la lecture suscite le désir de voir ces systèmes davantage mis en relation avec les rébus ou encore les arts de la mémoire, ce qui paraîtrait particulièrement pertinent dans les bornes chronologiques et le contexte culturel imposés par le sujet du colloque. Les actes invitent enfin à une réflexion plus transversale qui établirait des rapports entre médialité et séquentialité. En somme, le regroupement de ces études fournit une matière féconde, propice à de nombreux développements et atteint son but en réactivant l’intérêt porté à l’encadrement, donnant de la visibilité au champ des possibles pour des axes de travail nouveaux. 

 

 

Table des matières

 

Introduction, 7

 

Première partie : Clôture et sémiotique du cadre

 

Elli DOULKARIDOU-RAMANTANI

Dans la marge, à travers le cadre et au-delà

Dispositifs d’encadrement dans les manuscrits enluminés romains,

de Léon X à Paul III, 21

 

Gwendoline DE MÛELENAERE

Cadre(s) gravé(s)

Les affiches de thèse dans le décor éphémère de la soutenance académique, 41

 

Rosário Salema de CARVALHO (traduit de l’anglais par Édouard DEGANS)

Les cadres des azulejos baroques portugais, 59

 

Laurent PAYA

Le cadre dans l’art des jardins de la Renaissance

Une figure de la transitio , 73

 

Deuxième partie : Rhétorique et autonomie du cadre

 

Émilie PASSIGNAT

La sculpture encadrée

Observations sur l’encadrement dans les ensembles sculptés italiens du XVIe siècle, 89

 

Vincent DOROTHÉE

La Pompe funèbre de Charles III ou les mensonges du cadre, 109

 

Annelyse LEMMENS

Le frontispice comme encadrement

Statuts et fonctions d’un système décoratif (Anvers, XVIe-XVIIe siècles), 123

 

Catherine TITEUX

Cadres et encadrements dans l’architecture française à l’Âge classique , 137

 

Caroline HEERING

Un ornement mobile et détachable

Le cartouche dans les décors modernes, 161

 

Troisième partie : Perméabilité du cadre

 

Édouard DEGANS

Portes, cadres, ornements et figures feintes

dans les systèmes décoratifs maniéristes italiens, 183

 

Nicolas CORDON

De la peinture au relief

À propos des ignudi de la Sala Regia du Vatican, 199

 

Kristen ADAMS (traduit de l’anglais par Caroline HEERING)

Tapisseries réelles et feintes

Dispositifs d’encadrement dans la série du Triomphe de l’Eucharistie de Rubens , 213

 

Sandra BAZIN-HENRY

Le cadre et son double

Le jeu des peintures sur miroirs en Italie au XVIIe siècle, 231

 

Conclusion, 247

 

Les auteurs, 251