Fagnart, Laure: Léonard de Vinci à la cour de France. 280 p., 17 x 24 cm, ISBN : 978-2-7535-7703-9, 30 €
(Presses universitaires de Rennes, Rennes 2019)
 
Compte rendu par Auderic Maret
 
Nombre de mots : 2237 mots
Publié en ligne le 2020-11-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3794
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Introduction

       

         L’année 2019 a donné lieu à de nombreux événements et célébrations à l’occasion du 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci. Parallèlement à la grande rétrospective organisée au Louvre, le musée Condé de Chantilly a par exemple exposé l’énigmatique « Joconde nue ». Les publications ne sont pas en reste, certaines destinées au grand public et d’autres plus spécialisées et destinées aux historiens et historiens de l’art. De plus, on a vu la réédition de plusieurs ouvrages comme l’excellent Léonard de Vinci de Daniel Arasse, publié pour la première fois en 1997. L’ouvrage de Laure Fagnart s’inscrit donc dans cette vague de parutions. Précisons d’emblée que l’enquête proposée est la poursuite d’une recherche menée depuis plus d’une décennie et qui avait fait l’objet d’une première publication en 2009[1]. L’historienne de l’art, maîtresse de conférences à l’université de Liège, poursuit ainsi ses travaux sur les échanges culturels et artistiques entre la France et l’Italie de la première modernité. Après avoir travaillé principalement sur deux amateurs et collectionneurs français, le cardinal Georges Ier d’Amboise, principal conseiller de Louis XII, et Louise de Savoie, la puissante mère de François Iercette chercheuse – avec cette publication – ouvre ses travaux à d’autres personnages de la cour de France.

 

         Si l’ouvrage s’adresse avant tout à des connaisseurs, amateurs ou spécialistes du maître italien, il a également le mérite de s’adresser à un public plus large grâce à un style clair et simple, et grâce à la richesse ainsi qu’à la qualité des nombreuses reproductions en couleur de sources et d’œuvres de l’artiste, ce qui rend l’ouvrage très agréable à lire. Une bibliographie de travaux en anglais, en français et en italien ainsi qu’un utile et judicieux index des noms complètent le texte.

 

         Laure Fagnart propose une vaste enquête, non seulement sur l’entrée dans les collections françaises des tableaux du peintre italien ou considérés comme tels (elle précise depuis quand certaines œuvres ne sont plus attribuées au maître italien), mais également sur les lieux et les conditions d’exposition des œuvres de Léonard de Vinci dans les différents châteaux royaux. Mais l’objectif de cette historienne est plus large puisqu’elle propose également une réflexion sur la fortune critique de Léonard de Vinci en France pour rendre compte de la manière dont le travail de l’artiste a marqué, ou non, la production artistique française ainsi que le discours théorique. Or, une telle entreprise n’est possible que si, au préalable, nous savons quels tableaux étaient gardés dans le royaume de France, dans quels lieux et si les œuvres étaient accessibles ou non et pour qui.

 

         L’ouvrage propose de répondre à ces questions de façon chronologique, à partir des premières œuvres de Léonard de Vinci commandées ou acquises par Louis XII jusqu’en 1695, date des dernières modifications des conditions d’exposition des œuvres de Léonard de Vinci à Versailles. Le travail de recherche repose sur des sources variées, principalement conservées aux Archives nationales de France et à la Bibliothèque vaticane. Pour les sources écrites, l’historienne a utilisé des lettres, dont elle propose la transcription et la traduction, comme celles de Charles II Chaumont d’Amboise, lieutenant général de Louis XII dans le duché de Milan, de Francesco Pandolfini, ambassadeur de Florence à la cour de France ou encore de Piero Soderini, gonfalonier de Florence. Des inventaires des tableaux et des œuvres ont également été utilisés. Des témoignages de voyageurs et d’ambassadeurs complètent les sources écrites. De plus, sont convoqués des dessins et des études du maître italien conservés dans différents manuscrits, notamment dans le Codex Atlanticus ou le Codex Arundel. Enfin, toutes les peintures évoquées sont reproduites avec grand soin et des détails sont parfois proposés.

 

Analyse critique

 

         Dans le premier chapitre sont évoquées les œuvres entrées avec certitude dans la collection royale. Tout d’abord, le Portrait d’une dame de la cour de Milan, réalisé vers 1493-1494, actuellement conservé au Louvre et installé à l’époque dans la bibliothèque du château de Blois. Ensuite, est acquise une version de La Vierge aux rochers, même si la localisation pose encore problème. Quant à la Sainte Anne, l’œuvre n’est pas une commande d’Anne de Bretagne, contrairement à ce qu’une partie de l’historiographie a défendu. Enfin, La Vierge au fuseau ne faisait pas encore partie de la collection royale sous Louis XII.

 

         L’historienne, dans ce premier chapitre, montre également que Léonard de Vinci entre d’abord au service du roi pour ses talents d’ingénieur et qu’il effectue des travaux relevant de l’architecture civile dans le duché de Milan. Ce n’est que par la suite que ses talents d’artiste sont reconnus, avant tout grâce à la célèbre Cène de Santa Maria delle Grazie à Milan, objet de l’admiration du roi et de la cour, lors de visites dans le duché. L’œuvre est alors copiée et reproduite en France et l’historienne rend compte de la genèse des copies et des hypothèses les concernant ainsi que la fortune de ce thème à la cour. Elle évoque ainsi la copie du château de Gaillon qui appartient à l’époque au cardinal Georges d’Amboise, conseiller du roi, et celle actuellement conservée au musée d’Écouen et commandée en 1506 par Gabriel Gouffier, chanoine et futur doyen de Sens.

 

         Dans un deuxième chapitre, est explorée la relation entre François Ier, Louise de Savoie et Léonard de Vinci entre 1515 et 1519, avant d’envisager la fortune des œuvres du maître après la mort de ce dernier. L’exposé est fait en trois temps. Tout d’abord, sont étudiés les travaux entrepris par Léonard de Vinci pour le souverain. L. Fagnart propose une synthèse du premier projet d’embellissement de Romorantin voulu par le roi et sa mère (p. 93-98). On trouve également plusieurs pages intéressantes sur le chantier de Chambord et les dernières hypothèses concernant le rôle de Léonard de Vinci dans l’entreprise, ainsi que les différentes versions du célèbre escalier intérieur (p. 99-103). Sont également étudiées les fêtes mises en scène par Léonard de Vinci, réputé pour ses machines, comme celle organisée à Amboise en 1518 d’après le texte la Fête du paradis du poète Bernardo Bellicioni, et connue notamment par une lettre de Galeazzo Visconti, alors ambassadeur de Mantoue à la cour de France, datée du 19 juin 1518 (p. 104-111). Dans un deuxième temps, L. Fagnart s’intéresse à l’enrichissement de la collection royale grâce à l’achat de cinq tableaux du maître en 1518. Elle montre alors le rôle de Gian Giacomo Caprotti, plus connu sous le nom de Salaì, protégé de Léonard de Vinci, qui reçoit pour son intervention dans la vente plus de 2 600 livres, somme considérable pour un peintre de second rang. Les cinq tableaux identifiés sont : la Sainte Anne, la Joconde, le Saint Jean-Baptiste ou Bacchus dans un paysage, Portrait de dame nue et une Léda.

 

         Enfin, L. Fagnart montre le rapport entretenu par le roi avec les œuvres de l’Italien après 1519. Le thème de la Cène de Santa Maria delle Grazie est encore bien présent, comme sous le règne de Louis XII, puisqu’une tapisserie est commandée à un atelier bruxellois copiant la célèbre œuvre. Elle est offerte en 1533 au pape Clément VII, alors à Marseille pour célébrer le mariage d’Henri d’Orléans (futur Henri II) et de Catherine de Médicis. De plus, l’acquisition de tableaux du maître se poursuit après 1519. L’historienne documente précisément ces tableaux et leurs lieux d’exposition. Deux œuvres aujourd’hui disparues faisaient partie de la collection : un Enlèvement de Proserpine et un tondo représentant Une Vierge à l’Enfant avec saint Jean-Baptiste et une figure agenouillée. C’est sous François Ier qu’est acquis le célèbre Salvator Mundi. Dernier tableau acquis, mais qui n’est plus considéré aujourd’hui comme de la main de Léonard : La Belle Ferronnière. Le chapitre s’achève par l’étude passionnante de l’appartement des bains – aujourd’hui disparu – du château de Fontainebleau où étaient exposées certaines œuvres du maître (p. 168-184). Les années 1540 marquent en effet un tournant pour les collections royales françaises avec un regroupement à Fontainebleau d’objets et œuvres d’art auparavant dispersés dans différentes résidences royales.

 

         Le troisième chapitre, le plus court de l’ouvrage (une quinzaine de pages), est principalement consacré à Henri IV, où l’on voit que ce souverain introduit un nouveau rapport au tableau. En effet, à l’occasion de la transformation des décors de l’appartement des bains du château de Fontainebleau, le roi regroupe la plupart des peintures en un lieu unique où elles sont exposées pour elles-mêmes et ne sont plus considérées comme des éléments de décor. On apprend ainsi qu’il sauve de l’humidité les œuvres jusqu’alors exposées dans les salles composant l’appartement des bains. Sont alors évoqués plusieurs inventaires ou descriptions rédigés sous Louis XIII par des collectionneurs ou antiquaires comme Sébastien Zamet, Cassiano del Pozzo ou encore Nicolas-Claude Fabri de Peiresc.

 

         Le dernier chapitre est consacré au règne de Louis XIV et s’articule en deux temps. Laure Fagnart étudie les nouvelles acquisitions puis les changements des conditions d’exposition de la collection royale. Cinq tableaux sont achetés par le roi mais un seul est considéré désormais de la main du peintre : le Saint Jean-Baptiste, exécuté en 1505-1506 ou bien en 1508. Le Sommeil de l’Enfant Jésus, réalisé entre 1525 et 1528 est aujourd’hui considéré comme une œuvre de Bernardo Luini. La Vierge à la balance est un tableau réalisé par un anonyme lombard entre la période d’activité d’Andrea Mantegna et celle de Léonard de Vinci. La Sainte Catherine entre deux anges est réalisée dans les années 1530 et s’inspire d’une œuvre de Luini. Le Couple mal assorti en joyeuse compagnie, enfin, est vraisemblablement de Quentin Metsys.

 

         Après avoir évoqué le cabinet de Louis XIV au Louvre et les tableaux conservés aux Tuileries, l’historienne s’intéresse au réaménagement des appartements du roi et de ses collections après la mort de Marie-Thérèse, en juillet 1683, et la disgrâce, fin 1684, de Madame de Montespan. Au départ, l’absence d’œuvres de Léonard dans la collection de peintures à Versailles s’explique par le goût du public parisien du XVIIᵉ siècle et par le discours officiel de l’Académie royale, lesquels privilégient les œuvres de Raphaël et des Carrache. Ce n’est qu’entre 1690 et 1695 que les œuvres de Léonard de Vinci sont envoyées de Paris à Versailles pour être accrochées, vraisemblablement dans la petite galerie de l’appartement du roi ou dans le cabinet des médailles. Certaines, enfin, sont présentes au Trianon ou envoyées au château de Meudon.

 

Conclusion

 

         L’ouvrage remplit les objectifs exposés en introduction. Il offre tout d’abord une mise au point scientifique et une synthèse historiographique sur des œuvres ou entreprises parfois très étudiées où la production académique est abondante, comme le chantier de Chambord, la Joconde ou encore le Salvator Mundi. Ensuite, l’acquisition, les lieux et conditions d’exposition des œuvres sur le sol français sont très bien documentés. Enfin, Laure Fagnart étudie en détail la réception des œuvres de Léonard de Vinci dans la production artistique et le discours théorique français, avec par exemple l’influence d’une œuvre comme la Cène de Santa Maria delle Grazie à Milan.

 

         Cependant, quelques interrogations émergent à la lecture de cet ouvrage de qualité. Rien n’est dit des œuvres et de l’influence de Léonard de Vinci après le règne de François Ier et avant celui d’Henri IV. Est-ce parce qu’il n’y a eu aucune acquisition et aucun changement dans les conditions d’exposition ou bien, ce qui est possible, parce que la documentation est très insuffisante ? Peut-être aurait-il fallu le signaler en introduction ou bien à la fin du chapitre 2 sur François Ier ou au début du chapitre 3 sur Henri IV et Louis XIII. Il est étonnant, par exemple, qu’il n’y ait aucun changement dans l’exposition des œuvres, sachant qu’à partir de 1557 est lancé le projet du Château Neuf ou « maison du théâtre et de la baignerie » à Saint-Germain-en-Laye, qui devient une résidence royale très fréquentée car proche de Paris et qui est alors réaménagée. On peut d’ailleurs avoir une idée des transformations et des aménagements en 1576 grâce aux illustrations d’Androuet du Cerceau[2]. Si l’aménagement concerne avant tout les jardins avec la construction de grottes, d’automates et de jeux d’eau, les appartements des bains et le Château Neuf sont aussi décorés.

 

         Malgré ces réserves, l’ouvrage reste une enquête passionnante, solidement documentée avec une argumentation claire et très convaincante, et des analyses renouvelées. Enfin, l’historienne l’indique elle-même avec la dernière phrase de son ouvrage, elle n’a pu répondre qu’à certaines de ses interrogations : « Toutefois, si ce livre a tenté de préciser ce qui est assuré, ce qui est probable, ce qui est incertain, ce qui est inexact, plusieurs énigmes subsistent encore » (p. 261). Le livre, me semble-t-il, présente donc trois grandes qualités : il apporte du nouveau sur certains points à l’issue de solides démonstrations, il offre ce que l’on pourrait appeler un bilan historiographique sur plusieurs sujets abondamment étudiés et enfin il est honnête intellectuellement, reconnaissant les zones d’ombre qui subsistent et l’incapacité à répondre à certaines questions en raison de l’état actuel de la documentation.

 

 


[1] Laure Fagnart, Léonard de Vinci en France. Collections et collectionneurs, Rome, L’Erma di Bretschneider, 2009.

[2] Jacques Androuet du Cerceau, Les Plus Excellents Bastiments en France, 1576-1579, David Thompson (éd.), Paris, Sand & Conti, 1988, p. 94.