Sapin, Christian - Gillon, Pierre (dir.): Cryptes médiévales et culte des saints en Île-de-France et en Picardie (coll. Architecture et urbanisme). 496 p., 20 x 27 cm, ISBN : 978-2-7574-2852-8. 35 €
(Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq 2019)
 
Compte rendu par Aline Warie, Université de Picardie Jules-Verne
 
Nombre de mots : 2359 mots
Publié en ligne le 2021-01-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3800
Lien pour commander ce livre
 
 

          L’ouvrage publié aux Presses universitaires du Septentrion, sous la direction de Pierre Gillon et Christian Sapin, est dédié aux cryptes médiévales et au culte des saints en Île-de-France et en Picardie. Trois chapitres d’introduction sont consacrés à l’architecture des cryptes connues, aux exemplaires de l’époque gothique et au culte des saints et des reliques. Ils sont suivis d’un corpus de nombreuses notices classées par région et département, auquel ont contribué de nombreux auteurs (Pierre Guillon, Marc Viré, Catherine Brut, Claire Mabire La Caille, Claude de Mecquenem, François Heber-Suffrin, Christian Charamond, Fabrice Henrion, Christian Sapin, Gilbert-Robert Delahaye, Marc Langlois, Fabrice Foucher, Michaël Wyss, Thierry Galmiche, Jean-Louis Bernard, Philippe Bilwès, François Blary, Christophe Patat, Jean-Pierre Jorrand, Dany Sandron, Georges-Pierre Woimant, Géraldine Victoir, Aurélien Gnat, Mathieu Tricoit, Yoann Zotna, Marc Durand, Arnaud Ybert, Julie Aycard, Philippe Racinet, Sabine Racinet) avec les collaborations de Louise-Marie Asselineau, Roselyne Bussière, Denis Defente, Jean-Marc Fémolant, Judith Forstel, Michèle Gaillard, Jean-Pierre Gély, Rollins Guild, Werner Jacobsen, Danielle Johnson, Marie-Christine Lacroix, Jean-Pierre Laporte et Roselyne Le Bourgeois. Les « non-cryptes », telles que nommées, ont été ajoutées au volume et font l’objet d’une attention particulière. Le sommaire, les abréviations et acronymes, ainsi que le code de couleurs sont placés au début du livre pour faciliter la lecture. 

 

         Gisella Cantino-Wataghin, professeure émérite d’archéologie chrétienne et médiévale à l’Université du Piémont oriental, présente dans sa préface le contenu du volume dont le lecteur comprend rapidement l’intérêt. On apprend que l’ouvrage est le résultat d’un Projet collectif de recherche (PCR) qui a duré sept ans. L’étude n’est plus uniquement portée sur la forme qui éclipsait autrefois la fonction, mais elle conjugue au contraire forme et fonction : « chaque document est lu à la lumière d’un culte spécifique ». L’histoire de l’art et l’archéologie du bâti sont mises à contribution. La description détaillée du modèle des notices nous est livrée. Elles s’accompagnent, dans l’ouvrage, d’une documentation iconographique. 

 

         Ce sont les directeurs de la publication, Pierre Gillon (architecte et historien) et Christian Sapin (archéologue, directeur de recherche émérite au CNRS), qui introduisent le volume. Le Projet collectif de recherche fut initié par Jean-Olivier Guilhot (conservateur régional de l’archéologie de Picardie) et Bruno Desachy (conservateur du patrimoine) à la lumière des fouilles récentes et, paradoxalement, de cryptes méconnues dont l’état de conservation a parfois entraîné leur disparition… Ce projet pluridisciplinaire est le fruit de collaborations entre différents services et acteurs du patrimoine. Il a fallu, avant toute chose, faire un point sur la définition de l’objet « crypte ». Il est rappelé le sens donné au mot par les hommes et femmes du Moyen Âge. La crypta, en tant que lieu dissimulé, peut renvoyer aux caves, grottes, ossuaires, carrières, souterrains, simple espace voûté… En revanche, sous l’Ancien Régime, la crypte se rapproche du sens commun que nous lui connaissons aujourd’hui : cave, catacombe, chapelle ou église basse, sépulcre ou tombeau. Cependant, pour un tel projet de recherche, il était nécessaire de renforcer et préciser la définition du mot. La crypte étudiée est donc définie comme « une structure architecturale placée principalement sous le chevet ou au contact du chevet d’une église. Caractérisée par sa fonction liturgique (…) », ce qui permet d’exclure toute confusion. Les « non-cryptes » correspondent aux caves, caveaux funéraires, souterrains (refuges, ossuaires). Elles font l’objet d’un recensement à part. Toutefois, les auteurs précisent que les « cryptes de rattrapages de pente » ne sauraient être retenues comme un élément discriminant pour les classer définitivement en tant que crypte ou « non-crypte ». Le lecteur constate rapidement qu’il y a alors une large diversité de constructions.

 

         Ainsi, l’architecture des cryptes, leur décor, leur fonction, tout comme le culte des saints en Picardie et Île-de-France précèdent le corpus. 

 

         Christian Sapin s’attelle en premier lieu à l’historiographie de la crypte, depuis les premiers inventaires de Viollet-le-Duc aux monographies récentes. La crypte a souvent été rapprochée du martyrium, cette construction bâtie à l’emplacement du martyre d’un saint ou renfermant son tombeau. Ne pouvant se substituer à cette seule définition, l’étude des cryptes est en perpétuelle évolution. Elle connaît un renouvellement dès les années 1970 grâce aux « recherches historiques intéressées par le culte des reliques et incidemment à l’approche des corps saints », auxquelles sont maintenant progressivement adjoints les apports de l’archéologie et de l’archéologie du bâti. M. Sapin avertit le lecteur de la limite des recherches menées par le PCR en regard du nombre restreint d’édifices étudiés, qui ne permettent pas une conclusion ferme et définitive sur l’évolution des cryptes. Il convient donc de « relativiser le propos ». Il expose une difficulté majeure : la datation des constructions qui, si elles étaient mal datées, comporte un risque de biais. Il a toutefois été possible de mettre en exergue deux processus de créations de crypte : soit la réutilisation d’une construction, soit la création d’une véritable œuvre architecturale. Ainsi, il constate que le culte d’un saint n’entraîne pas systématiquement une nouvelle construction. Pour toutes ces problématiques, il prend en exemple la crypte de Jouarre, dont les textes et les sarcophages des fondateurs de ladite plaident en faveur d’une date haute tandis que l’étude du bâti, notamment du plan, « ne correspond nullement aux descriptions connues pour des cryptes de cette période ». Il est de nouveau démontré l’ambiguïté du terme cripta, qui est – dans le cas de Jouarre – employé par Grégoire de Tours. Les cryptes de référence les plus anciennes pour l’Île-de-France sont donc celles de Saint-Denis et de Saint-Quentin. La typologie générale des cryptes est passée en revue. Le modèle de la crypte-halle, au cours des XIe et XIIe siècles, semble avoir connu un grand succès : il représente près de la moitié des cryptes étudiées. Plusieurs variantes s’observent toutefois : vaste déambulatoire, salle unique… Le siècle suivant est moins marqué par l’innovation. Des contraintes architecturales pèsent ainsi la création de nouvelles cryptes ou la modification de cryptes existantes et sont inhérentes au développement des dévotions privées (construction de chapelles et autres bâtisses). D’un point de vue général, la composition d’une crypte peut varier selon plusieurs autres facteurs : l’attrait du saint, le contexte historique, la monumentalisation ostentatoire, le manque de moyens, les contraintes topologiques, la présence de sources guérisseuses, l’utilisation d’un même escalier ou au contraire la séparation des accès… Autant de spécificités qu’il est parfois difficile de cerner, comme en témoigne le cas de Saint-Sauveur de Meulan, dont la crypte a bénéficié de larges moyens mais dont on ne connaît pas la réalité cultuelle, d’autant plus que les constructions gothiques ont fait disparaître « tout témoin de cryptes ayant pu exister ». L’implication des souverains, la diffusion de reliques ou de cultes ainsi que des pouvoirs locaux semblent avoir contribué au développement des cryptes. Aussi, pour la Picardie – par sa position géographique en lien avec la Belgique et le monde germanique – la crypte couloir est préférée à la crypte-halle d’Île-de-France qui est davantage proche de la région Centre. Plusieurs plans de cryptes, regroupés par type, datation et localisation, accompagnent l’argumentaire. 

 

         Arnaud Ybert constate que l’usage de la crypte tombe progressivement en désuétude aux XIIe et XIIIe siècles. Il passe au crible les différents éléments composants leur architecture : les voûtements, les supports, les décors et la modénature, avant d’aborder les usages liturgiques et de s’interroger sur l’usage « palliatif topographique » des cryptes gothiques. Il observe que ces dernières existent en infime quantité et finissent par être supplantées par les grandes constructions gothiques. Ainsi, à la basilique Saint-Denis, il est nécessaire d’élever « des colonnes massives qui obstruent le passage [de la crypte] » pour la reconstruction du chevet et « modifient, à l’évidence, les fonctions antérieures [de la crypte] ». Le déplacement de reliques, comme à la collégiale de Saint-Quentin, d’un espace à un autre, peut également justifier l’abandon d’une crypte ou en transformer l’usage. En tous les cas, les cryptes gothiques offrent peu d’originalité dans leurs caractères architecturaux et empruntent les lignes des cryptes-halles édifiées dès la fin du Xe siècle. Tout au plus, Arnaud Ybert note qu’elles sont « dépourvues de confessions » et que leur plan, leur élévation ainsi que leur volume sont simples. La voûte d’ogive supplante, également sous terre, la voûte d’arête fort répandue à l’époque romane bien qu’elle persiste – de façon traditionnelle – dans les parties tournantes des déambulatoires des cryptes de Saint-Denis par exemple. Cette même tradition se rencontre dans l’emploi ou le réemploi de piles monolithes, ainsi que dans la modénature qui demeure soignée. Il retient toutefois que « les enveloppes des espaces inférieurs sont contraintes par celles des parties sus-jacentes et non le contraire ». 

 

         Pierre Guillon poursuit les réflexions sur le culte des saints et des reliques en Île-de-France et en Picardie en exposant les objectifs et les méthodes de sa démarche dans le cadre du PCR ainsi que les sources et les outils de travail qu’il a exploités. Les espaces géographique et chronologique, les marqueurs du culte, les saints en Île-de-France des origines à l’an 1100 ainsi qu’en Picardie (avec Sabine Racinet), et les aménagements au tombeau sont ainsi analysés. Il ressort de l’étude que la très grande majorité des cultes, qu’ils soient franciliens ou picards, sont antérieurs à l’an 1000. Les documents hagiographiques et liturgiques sont les sources principales qui renseignent l’existence d’un culte. L’auteur rend compte que des événements historiques, telles que les invasions normandes ou la première croisade, peuvent être à l’origine de la création de lieux spécifiques à la liturgie, si tant est que le culte le rende nécessaire. La liste des saints connus est ordonnée par siècles et diocèses. 

 

         En Île-de-France, le culte des saints prend place dès le Ve siècle avec le culte de saint Denis. Si les VIe et VIIe siècles sont pauvres en élévation de saints, bien que quelques noms aient traversé le temps (Denis, Geneviève), les quatre siècles suivants sont les plus prolixes à cet égard. M. Guillon explique ce phénomène par le fait qu’accèdent « à la sainteté presque systématiquement les fondateurs et les premiers supérieurs des communautés religieuses ». Pour le IXesiècle, il parle de « pluie de béatifications ». Il met toutefois en garde le lecteur car certains saints ou certaines saintes sont inventés de toutes pièces, comme c’est le cas pour la sainte Osanne. Les écrits, parfois largement remaniés, ne facilitent pas la tâche du chercheur. Il démontre ainsi les limites des sources écrites et la nécessité de les confronter à l’archéologie. M. Guillon dégage, pour la Picardie, un caractère spécifique des premiers cultes (VIIe et VIIIe siècles) : ils sont en étroite relation avec une série de martyres commis par Rictiovar. En Picardie, le culte des saints semble démarrer dès le IVe siècle avec le culte de saint Quentin. Pour chaque région, plusieurs figures religieuses (abbés, évêques) et royales semblent avoir joué un rôle majeur dans la création et la diffusion des cultes. Un premier tableau, adjoint à chacune des démonstrations, synthétise les principaux saints et reliques ayant fait l’objet d’un culte. Il est organisé ainsi : nom, qualité, lieu du culte, date, natalice ou fête, élévation ou translation, premières sources. Un second tableau se réfère quant à lui aux saints rejetés du fait de leur culte tardif ou de l’absence de documentation. Une fois les sources explorées et les listes des principaux saints établies, l’auteur se penche sur les aménagements de tombeaux à travers le témoignage de Grégoire de Tours, les tombeaux des saints ornés par saint Éloi et les translations des premières reliques. Il s’exerce alors une « monumentalisation des sanctuaires » qui « est à mettre en relation avec les collections de corps saints et de reliques qu’accumulent les abbayes ainsi qu’avec la multiplication des autels ». Les tombeaux prennent ainsi diverses formes ; créés pour honorer le saint, ils peuvent aussi être l’œuvre de remplois. 

 

         Ces articles permettent au lecteur de comprendre toute la complexité de la méthodologie et des réflexions menées autour de l’étude des cryptes. Ils introduisent le corpus (cryptes et non-cryptes). Chacune des régions étudiées est précédée d’une présentation générale des sites. En guise d’introduction à la partie consacrée aux « non-cryptes », Pierre Guillon explique et justifie le rejet de certains édifices ainsi que leur problématique ; elle est suivie d’études de cas. Les notices des cryptes suivent, à quelques exceptions près selon la configuration du site, les lignes suivantes : la localisation, le cadre historique, les reliques, l’église, la datation, la crypte (sources écrites et/ou historiques, historique des recherches, état et dispositions), description analytique et archéologie (accès, plan, sols, murs, baies, supports, voûtement, aménagements liturgiques et funéraires, décor et inscription), comparaisons et hypothèses de datation, conclusion, sources, études et rapports non publiés, bibliographie. 

 

         Une riche bibliographie générale, suivie d’un index des principaux noms de lieux et d’un index des principaux saints et des reliques, ainsi que la liste des auteurs et collaborateurs, achèvent l’ouvrage.

 

         Exempt de conclusion, l’ouvrage invite à la réflexion. En ce sens, il ne peut y avoir de conclusion définitive. Ainsi, chacune des personnes ayant œuvré au PCR ouvre la voie à de nouvelles perspectives de recherche sur les cryptes, dont la méthodologie et la riche littérature nécessitaient d’être renouvelées. Les sources hagiographiques et historiques, tout comme les sols et les élévations, sont sondés afin de comprendre les choix architecturaux subordonnés aux cultes ou à la topographie des lieux. La disparition progressive des cryptes à l’époque gothique est particulièrement intéressante dans la mesure où les espaces migrent du « caché » vers le « visible » et la lumière des chapelles privées. La modification de la circulation dans les cryptes, parfois entravée lors de l’édification de piles qui soutiennent les nouveaux chœurs, a sans doute joué un rôle dans cet abandon. Ces recherches permettent également d’intégrer les spécificités régionales et le souhait de leur commanditaire. Il faut souligner la qualité des nombreux plans et images qui accompagnent les propos. Les index offrent la possibilité au lecteur de cibler rapidement un lieu ou un saint et ses reliques. Les nombreuses pages de la bibliographie, que vient à présent compléter le présent volume, attestent, en sus de la rédaction du corpus, le travail de recherche titanesque qui a été nécessaire pour mener à bien ce PCR.


 


N.B. : Aline Warie prépare actuellement une thèse de doctorat intitulée "La collégiale Notre-Dame de Mantes-la-Jolie et la première architecture gothique" sous la direction de M. Arnaud Timbert (université de Picardie-Jules-Verne).