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Compte rendu par Raphaël Tassin, EPHE Nombre de mots : 3624 mots Publié en ligne le 2020-03-23 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3833 Lien pour commander ce livre Cet ouvrage est issu d’un colloque qui s’est tenu du 20 au 22 octobre 2016 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon (ENSAL). Il constitue le cinquième volume de la collection « Faits de religion », dirigée par Philippe Martin, qui cherche à mettre en avant le point de vue universitaire dans les débats autour du fait religieux, par définition passionnés et partant toujours polémiques. L’objectif des organisateurs, tel qu’ils le rappellent dans l’introduction (p. 7-13), est d’aborder le phénomène de désaffectation des édifices cultuels en lançant une réflexion théorique, à la fois européenne et nord-américaine, à partir de cas concrets. Il faut dire que la question est brûlante et il n’est pas rare que les médias se fassent l’écho de polémiques autour de la destruction programmée ou du changement d’affectation d’églises ou de chapelles, a fortiori lorsque le projet est spectaculaire.
La première partie de l’ouvrage, qui s’intitule « Contextes de reconversion », compte quatre contributions explorant des cas très particuliers, dont deux outre-Atlantique (Missouri et Québec), un en Algérie et le dernier dans la région française des Hauts-de-France.
Tout d’abord Frank Proctor (p. 17-26), pasteur de l’Église unie du Christ, nous relate l’enquête empirique qu’il a menée dans le Midwest, plus précisément autour de la ville de Saint-Louis (Missouri). L’auteur rappelle que la totale autonomie financière des paroisses conjuguée à la baisse de la pratique religieuse (-45% entre 2000 et 2015) provoque un mouvement de fermetures de paroisses qui va certainement se poursuivre. F. Proctor s’est donc interrogé, en tant que ministre du culte risquant d’être confronté à ce genre de situation, sur le protocole à mettre en place lors d’une fermeture. L’article, d’un caractère très concret, se base notamment sur un questionnaire envoyé à des pasteurs de la région explorée. On constate que le facteur humain est déterminant : la baisse du nombre de fidèles, le départ d’un pasteur, voire des conflits personnels peuvent avoir des conséquences sur la santé financière des congrégations, menant à la fermeture. En cas de vente des bâtiments, les règlements d’urbanisme peuvent compliquer le changement d’affectation, tandis que la valeur patrimoniale peut susciter l’intérêt des associations de protection. Se pose aussi la question du mobilier qui peut être donné à une autre église, réemployé dans des bâtiments plus modestes, rendu à son éventuel donateur ou simplement stocké dans des entrepôts. L’auteur évoque des exemples précis à Saint-Louis qui montrent la diversité des situations en cas de vente : ces églises/temples peuvent être achetés par une autre congrégation, laïcisés ou détruits. F. Proctor conclut son propos en suggérant un protocole pour aider les paroisses confrontées à la fermeture. Outre une évaluation de la valeur pécuniaire, mais aussi artistique et historique, il recommande une étude sur l’impact social de la fermeture au sein de la communauté, de manière à avoir en mains les tenants et aboutissants d’un tel processus, qui doit se faire en connaissance de cause.
Marie-Dina Salvione (p. 27-37) présente de son côté le cas québécois à travers trois églises de style moderne construites après la Seconde Guerre mondiale. Ces bâtiments sont les plus sensibles au phénomène de « mutation » de l’architecture sacrée du fait d’une « reconnaissance en demi-teinte du grand public, mais aussi de celle des autorités qui ont tardé à poser des gestes concrets pour sa sauvegarde » (p. 27). Pour l’autrice, la connaissance approfondie du bâtiment doit « répondre à des problématiques de sauvegarde » puisqu’un statut protégé et la sensibilisation ne suffisent pas. S’ajoutent les problèmes plus concrets de conservation de ces lieux de culte souvent bâtis avec des matériaux et selon des techniques innovantes. De 2003 à 2014 le CPRQ (Conseil du patrimoine religieux du Québec) a inventorié toutes les églises à l’échelle de la Province, en les hiérarchisant selon des critères objectifs d’innovation, de contexte d’élaboration, de qualités « techniques et formelles, matérielles et immatérielles » : quarante bâtiments ont été retenus comme incontournables. Mêlant une pyramide et une croix grecque, l’église Sainte-Germaine-Cousin de Montréal, œuvre de G. Notebaert (1960-62) a pu être préservée de la démolition pour devenir un centre de petite enfance et une salle communautaire. M.-D. Salvione insiste sur le fait que les contraintes structurelles liées à l’existant ont constitué un moteur qui a stimulé les architectes. C’est donc l’étude de l’édifice qui a permis d’exploiter ses atouts dans le nouveau projet. A contrario, malgré son classement comme site du patrimoine en 2006, l’église Notre-Dame-de-Fatima à Saguenay n’a pu échapper à la destruction du fait d’une progressive mais inéluctable marginalisation dans le paysage urbain environnant. C’est au même sort funeste qu’est promise l’église Saint-Gérard-Majella à Saint-Jean-sur-Richelieu, qui ne doit pour l’instant sa survie qu’à une mobilisation des citoyens[1].
La contribution de Naouel Dessark et Mohamed Dahli relate « l’expérience algérienne » dans la reconversion des églises (p. 39-44), processus qui est intimement lié à la décolonisation. En préambule, les auteurs rappellent – avec justesse – que, quand les valeurs socio-culturelles véhiculées par un lieu de culte disparaissent, celui-ci devient un « objet de reconversion, de réappropriation, voire de démolition » (p. 39). Comme un retour de balancier, d’anciennes mosquées transformées en églises ont retrouvé leur destination d’origine, témoignant d’un fort symbole d’indépendance retrouvée par les populations musulmanes à peine émancipées. L’ampleur des modifications préalables au changement de culte est cependant variable, allant de la simple conversion du clocher en minaret (église de Ténès) à l’effacement total de l’identité du bâtiment dans le cas de Saint-Joseph de Bejaïa. Il n’est pas rare qu’on attribue aux anciennes églises algériennes une fonction culturelle, à l’instar de Saint-Hilarion de Laghouat, devenue musée communal, cette transformation étant facilitée par la ressemblance de sa silhouette avec celle d’une mosquée s’intégrant naturellement dans le paysage urbain. Dans des cas minoritaires (12%), l’édifice cultuel est passé dans des mains privées qui en ignorent souvent la valeur patrimoniale. Dans le cas présent, une comparaison avec des phénomènes similaires, par exemple dans l’Espagne d’avant et après la Reconquista, aurait peut-être pu venir éclairer d’un jour encore plus pertinent la question diachronique des conversions églises/mosquées et mosquées/églises.
La première partie s’achève avec une réflexion de Gilles Maury sur la situation – pour le moins contrastée – des reconversions d’églises en région Hauts-de-France (p. 45-56). Après un retour sur la destruction très médiatisée de l’église Saint-Jacques d’Abbeville, qui traduit à la fois l’ignorance de la valeur architecturale et les crispations à la fois politiques et religieuses autour du patrimoine cultuel des XIXe et XXe siècles, en s’appuyant sur l’exemple de Sainte-Thérèse à Saint-Quentin, remarquable exemple d’architecture Art déco, G. Maury s’interroge sur une supposée « frilosité » française vis-à-vis des programmes originaux, opposant au cas de la France celui de la Grande-Bretagne, où il cite des « salle d’escalade, auberge de jeunesse, bar-restaurant, discothèque et même casino » (p. 48). Pourtant l’Hexagone n’est pas en reste de réaffectations spectaculaires ; citons simplement la chapelle des Jésuites de Poitiers devenue hôtel en 2012 ou la non moins étonnante boîte de nuit La Chapelle (ex-K9) à Angers, que les médias citent abondamment en (contre ?-)exemple. Ici, il aurait été utile de faire le distinguo entre les églises paroissiales, autour desquelles se cristallisent naturellement l’attachement et l’identification des citoyens – qu’ils soient ou non des fidèles pratiquants –, et les chapelles conventuelles, moins propices à susciter un phénomène d’appropriation. Force est de constater, quoi qu’il en soit, que les protagonistes ont du mal à s’éloigner de la sphère religieuse lorsqu’il s’agit d’élaborer un projet de réaménagement. Quelques cas très réussis, telle l’église Saint-Gérard de Wattrelos, transformée en Farlab sous l’impulsion de Silvany Hoarau, permettent de compléter une esquisse de méthode que l’auteur synthétise en six points : expertises historique et architecturale ; diagnostic sanitaire ; situation urbaine ; environnement socio-économique ; définition des besoins ; présence d’acteurs économiques audacieux.
Malgré des cas de figure et des solutions variés, cette première partie frappe par le constat selon lequel les parties prenantes méconnaissent généralement la valeur historique et patrimoniale de leur église, mais aussi les mécanismes qui pourraient permettre de la sauvegarder, éventuellement en la réaffectant. C’est donc dans l’étude et la sensibilisation – des citoyens, des responsables religieux et politiques – que réside le premier enjeu des processus de reconversion.
La deuxième partie, elle aussi constituée de quatre articles, tente de cerner les « enjeux de la reconversion » en les replaçant dans un processus historique dépassant le seul cadre de la fin du XXe et du début du XXIe siècle.
Charles Suaud (p. 59-67) aborde la question sous l’angle sociologique et historique en tentant de comprendre comment s’articule la relation entre l’héritage incarné par les églises et les mutations de la société contemporaine, marquée par la déchristianisation et la sécularisation. Là encore, la réflexion prend appui sur une enquête de terrain menée à Corcoué-sur-Logne (Loire-Atlantique), commune qui, pour des raisons historiques, a la particularité de posséder trois églises et une chapelle pour seulement 2500 habitants. La composition par agrégation d’entités aujourd’hui fondues dans une commune, ainsi que le relâchement du maillage des circonscriptions religieuses atténuent le rôle de l’église comme symbole identitaire. Même pour les croyants, le développement d’une spiritualité plus individuelle fait passer le bâtiment au second plan. Pour autant, la conscience d’une valeur patrimoniale existe et le phénomène de détachement/attachement semble donner aux citoyens une ouverture d’esprit quant aux possibilités de reconversion, tout en maintenant sa dimension collective. Ch. Suaud évoque pour finir les rapports de force entre État, départements et communes, qui continuent d’avoir des répercussions sur la gestion du patrimoine religieux. L’auteur suggère en conclusion trois « modes d’action » pour « envisager un avenir plus ouvert pour les églises » (p. 66) : l’un de nature sémantique – faire évoluer le vocabulaire législatif pour faciliter certaines interventions par les communes ; le deuxième touchant à la responsabilité des propriétaires et des affectataires ; le troisième, corollaire, invite à « dépasser la division stricte des responsabilités entre pouvoir civil et religieux (…) ». On appréciera dans cette contribution la mise en perspective sur le long terme et l’analyse des rapports de force qui se jouent, depuis longtemps, quant à l’avenir des églises.
Le propos de Michel Steinmetz (p. 69-78) s’articule autour des concepts de conversion/reconversion appliqués aux lieux de culte. L’auteur invite d’abord à « prendre du recul » (p. 69-70) en replaçant l’objet d’étude dans le temps long, ainsi qu’à dissocier la question des églises de celle de la présence d’un prêtre. Cette consubstantialité du prêtre avec son église – et de manière plus tacite celle de la paroisse avec le village – s’est en effet généralisée au cours du XIXe siècle et fut consacrée par le Code de droit canonique de 1917. Nous avons pu mesurer, en effet, pour les XVIIe et XVIIIe siècles, combien cette situation est loin d’être la norme, notamment s’agissant de la Lorraine. De nos jours, la notion de paroisse n’est plus tant liée à une notion de territoire que de communauté. En tant que prêtre, M. Steinmetz, propose ainsi des pistes qui, loin de toute idée de reconversion (c’est-à-dire de désaffectation), ambitionnent de convertir les églises pour mieux les pérenniser : élargir l’activité cultuelle pour qu’elle ne se réduise pas aux seules célébrations liturgiques, tout en favorisant le caractère culturel et artistique des lieux.
Andrea Longhi aborde la question de la désaffectation et du changement de fonction (p. 79-86) en pointant l’idée selon laquelle la désaffectation suscite un débat dans les sphères laïques de la société, en mobilisant des thèmes comme la mémoire et l’identité, plutôt que des débats théologiques. Cette contribution s’avère intellectuellement stimulante en ceci qu’elle fait du patrimoine religieux un enjeu qui concerne la société dans son ensemble. Selon l’auteur, l’architecture des églises est intrinsèquement liée à l’époque ; elle traduit une temporalité (fidélité à la culture de son temps) autant qu’un caractère temporaire. Paradoxalement, la cessation du culte et la « sacralisation laïque » (p. 81) par l’accession de l’église à la sphère patrimoniale aboutit à une sorte de fixation de cette temporalité. Parmi ses réflexions, A. Longhi met en garde contre le risque de faire de la protection des églises une question technique dont les « sentiments » sont absents. S’il existe en effet un « désir social » de protéger les lieux de culte désaffectés, les mouvements populaires qui s’y impliquent ont parfois du mal à proposer – ou accepter – des usages innovants et pérennes.
Partant du point de vue italien, Maria Agostiano et Daniela Concas (p. 87-97) posent la question de la conservation, non seulement matérielle, mais aussi symbolique et culturelle de l’édifice, que peut altérer un changement de destination d’usage. En accord avec les chartes de Venise (1964) et Cracovie (2000), elles affirment qu’« il est toujours préférable de réutiliser une église désaffectée pour un usage collectif » (p. 89) « compatible avec (s)es valeurs formelles et (s)es contenus symboliques » (p. 90). Mais même dans le cas d’une fonction à caractère collectif et public, c’est la sensibilité de l’architecte et l’analyse au cas par cas qui doivent permettre de valoriser au mieux l’espace existant. Il n’existe donc pas de solution toute faite ou de formule universelle en la matière, ce qui est une évidence pour qui s’intéresse, même de loin, aux questions de restauration/conservation.
L’intérêt de cette seconde partie, qui alterne entre réflexions théoriques et cas concrets, est de pointer les enjeux collectifs, culturels, patrimoniaux mais surtout sociaux qui entrent en ligne de compte dans des cas de désaffectation/reconversion, lesquels sont bien souvent liés à des contraintes purement matérielles. L’article de Concas et Agostiano opère parfaitement la transition avec la troisième et dernière partie du livre, qui traite « des stratégies aux programmes d’intervention » à travers six contributions.
Cette partie commence avec deux autres articles liés à l’Italie par Flavia Radice et Valentina Russo. F. Radice (p. 101-113) rappelle en introduction que, selon le droit italien, les lieux de culte sont protégés du fait de leur destination à l’exercice de la liturgie et non en raison de leur caractère sacré. Se basant sur le cas vénitien qu’elle a étudié dans le cadre de sa thèse au Politecnico de Turin, l’autrice a mis au point une méthode permettant d’appréhender de manière globale le patrimoine ecclésial. Cette méthode nommée AURA (Accès, Usage, Reconnaissabilité, Aire d’activité) permet, grâce à une échelle numérique, d’opérer des rapprochements par groupes et ainsi d’envisager des stratégies d’intervention pertinentes. Cette méthode, qui doit s’accompagner d’une analyse architecturale précise visant à reconnaître les points forts à valoriser, a été appliquée pour la ville de Lucques afin d’éprouver sa pertinence.
V. Russo traite plus précisément du dialogue entre l’ancien et le nouveau dans quelques exemples italiens de reconversion. Cette dernière peut viser à préserver et valoriser les différentes étapes de la vie de l’église, soit dans une présentation « archéologique » (Sant’Ambrogio de Cantù, Lombardie), soit en évoquant l’aspect ancien avec des matériaux nouveaux (San Filippo Neri de Bologne). La transformation en lieu de réception publique (salle de concert, bibliothèque) peut conduire à des résultats harmonieux (Santa Maria Donnaregia de Naples ; San Giorgio in Poggiale de Bologne) ou particulièrement discordants (San Ponziano de Lucques), ce qui conduit V. Russo à recommander la prise en compte de l’équilibre nécessaire entre la valeur intrinsèque du bâtiment et les nouveaux aménagements, ce qui suppose une bonne connaissance des spécificités du lieu.
François Gruson, dans un article au thème original et mal connu – celui de l’architecture maçonnique (p. 125-134) – pose la question de la transformation des églises en temples. L’auteur rappelle en préambule le lien entre les lieux de réunion de la franc-maçonnerie et les salles capitulaires des couvents, mais aussi symboliquement avec le Temple de Jérusalem. Il rappelle également que durant le XIXe siècle, des loges se sont installées dans d’anciens lieux de culte conventuels désaffectés à la Révolution, tandis que des temples comme celui de Detroit adoptent une forme d’église. Le phénomène inverse existe aussi et l’on a vu des temples devenir lieux de culte chrétiens. On reste un peu sur sa faim quant à l’aspect prospectif de cette contribution car si « les temples maçonniques ont représenté, à une certaine époque, un avenir possible pour les églises désaffectées » (p. 133) et si, théoriquement, « l’installation d’un temple (…) dans une église ne pose pas plus de difficultés que sa réciproque » (p. 134), aucune piste précise ne vient ouvrir une véritable perspective d’avenir.
Claudia Manenti (p. 135-146) s’intéresse à la transformation d’églises allemandes en cimetières. Si la pratique funéraire a été, dès les premiers siècles du Christianisme, liée à l’édifice religieux, les sépultures se sont progressivement éloignées des églises à partir du XVIIIe siècle, dessinant une césure entre le monde des morts et celui des vivants. Dans une période où la mort constitue désormais une sorte de « tabou » (p. 135), la réutilisation d’églises est susceptible de recréer ce lien. De premières expériences menées en Allemagne (Columbarium Saint-Konrad à Marl ; Grabeskirche Saint-Joseph à Aix-la-Chapelle) permettent généralement de maintenir la fonction liturgique en accueillant soit des urnes cinéraires soit des tombes traditionnelles, créant des lieux propices au recueillement sans obérer la dimension cultuelle.
Toujours en Allemagne, le cas de l’église Sainte-Agnès de Berlin est traité par Hanna Dölle (p. 147-159). Exemple précoce de reconversion d’une église d’après-guerre qui fait figure de cas d’école, elle est devenue une galerie d’art contemporain, ce qui fut sans doute facilité par la forme géométrique de l’édifice, dépourvu de « toute forme d’historicisme » (p. 149). Si l’aspect extérieur, protégé au titre des monuments historiques, n’a quasiment pas été modifié, le volume interne a été divisé horizontalement en deux niveaux distincts grâce à un aménagement réversible. Le volume de la nef ainsi réduit lui donne des dimensions plus humaines, propices à la contemplation d’œuvres d’art et semble plus à même d’attirer du « public » que lors de sa vie cultuelle.
L’ouvrage s’achève avec la contribution de Catherine Titeux qui s’est penchée sur la transformation de la chapelle des Ursulines de Mons en artothèque (p. 161-169). Fortement endommagée pendant la Seconde Guerre mondiale et transformée en entrepôt de stockage dans les années 1950, l’église a vu son volume intérieur gravement modifié par la destruction de la voûte et la création de six planchers en béton. C’est en conjuguant la connaissance précise de l’édifice et un programme muséal comprenant des réserves et un espace de valorisation que cette réhabilitation a pu s’opérer selon des modalités satisfaisantes. Participant à la valorisation du quartier alentour, ce projet prouve que l’« on ne peut séparer les questions de restauration des questions d’architecture » (p. 168), a fortiori dans un cas aussi extrême que celui-ci.
Au total, cet ouvrage aborde de manière concrète – parfois empirique – la question de l’avenir des églises, en ne négligeant ni les aspects symboliques, sociologiques, politiques ou économiques. En s’appuyant sur des études de cas, on voit se dessiner des pistes réalistes et des méthodes qui se veulent plus objectives, sans toutefois faire fi des sensibilités et des particularités propres à chaque édifice. S’il est un petit regret à émettre, c’est, dans certaines contributions, le manque de mise en perspective historique avec des périodes où l’architecture religieuse a fait face à des problématiques similaires, notamment à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, après la vente des biens nationaux en France. De telles comparaisons, si elles ne peuvent évidemment fournir des solutions toutes prêtes, peuvent à tout le moins nous faire tirer des enseignements sur les écueils à éviter et appréhender plus finement les permanences dans les relations entre la population et les églises. Si la société de ce premier quart du XXIe siècle est certes très différente de celle des années 1790-1820, le livre a su montrer le rôle structurant de l’église – entendons ici l’église paroissiale – pour des communautés même déchristianisées ! C’est dans l’exploitation de ce paradoxe apparent que les auteurs – notamment ceux de la troisième partie – semblent vouloir tracer un nouveau chemin pour l’avenir des églises.
[1] Un référendum s’est tenu le 10 novembre 2019, visant à approuver le projet qui doit « permettre la préservation du bâtiment de l’église Saint-Gérard-Majella et la conversion du site (…) ». Le oui l’a emporté par 45 voix contre 42 non (https://sjsr.ca/consultations-publiques-seances-information/referendum-eglise-saint-gerard-majella/).
Table des matières
Jean-Michel Leniaud, « Préface », p. 5 Benjamin Chavardès et Philippe Dufieux, « Un défi majeur pour le patrimoine contemporain », p. 7
I. Contextes de reconversion Frank Proctor, « La fermeture d’églises dans le Midwest des États-Unis », p. 17 Marie-Dina Salvione, « L’architecture sacrée moderne : un chantier de (re)valorisation », p. 27 Naouel Nessark et Mohamed Dahli, « La reconversion des églises : l’expérience algérienne », p. 39 Gilles Maury, « Simplicité, réticence ou innovation : reconversions contrastées d’églises dans les Hauts-de-France », p. 45
II. Enjeux de reconversion Charles Suaud, « Entre tradition, déchristianisation et sécularisation : les églises au défi du changement », p. 59 Michel Steinmetz, « Conversion ou reconversion des églises : analyse de la mutation de quelques paradigmes », p. 69 Andrea Longhi, « Processus de désaffectation et de reconversion des églises : profils historiques et dimensions temporelles », p. 79 Maria Agostiano et Daniela Concas, « L’espace architectural des églises, lieu de rassemblement et point de repère pour la communauté », p. 87
III. Des stratégies aux programmes d’intervention Flavia Radice, « Connaître pour réutiliser : méthode d’analyse pour une approche systémique du patrimoine des églises désaffectées », p. 101 Valentina Russo, « Réaffecter pour restaurer : le dialogue de l’ancien et du nouveau dans de récents exemples de reconversion du patrimoine religieux bâti en Italie », p. 115 François Gruson, « Le temple maçonnique, passé ou avenir des églises ? », p. 125 Claudia Manenti, « De la mort à la vie : l’utilisation des églises désaffectées comme cimetières », p. 135 Hanna Dölle, « Transformer une église en galerie d’art contemporain ? La reconversion de l’église Sainte-Agnès à Berlin », p. 147 Catherine Titeux, « Réactiver et intensifier : la réaffectation des églises à travers l’exemple de l’Artothèque de Mons », p. 161
Biographies, p. 171 Le colloque, p. 175 Table des illustrations, p. 177
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |