Preiss, Nathalie (textes édités et présentés par): Le XIXe siècle à l’épreuve de la collection. 292 p., 14,8 x 21 cm, ISBN : 9782374960661, 25 €
(ÉPURE - Éditions et Presses universitaires de Reims, Reims 2019)
 
Compte rendu par Marie-Claude Genet-Delacroix, Université de Reims Champagne-Ardenne
 
Nombre de mots : 1569 mots
Publié en ligne le 2022-01-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3840
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          Le colloque qui s’est tenu à l’Université de Reims les 19 et 20 novembre 2015 s’insère dans le projet « Collecta » (2014-2016), dont le programme qui allait « des pratiques antiquaires aux humanités numériques », a montré que l’esprit de collection semble correspondre à la crise de l’archive au XIXe siècle telle que Michelet l’observait dans son Journal dès 1830, et à la crise des objets, inhérente à la production de masse des marchandises, contre lesquelles luttaient les collectionneurs par leurs pratiques d’« amateur ». Composé d’une quinzaine de contributions, le volume traite de toutes les formes et de tous les types de collections, qu’elles soient privées ou publiques, que leur « discours » (Dominique Pety) soit esthétique, littéraire, historique ou artistique. Il s’inscrit dans une perspective pluridisciplinaire, à la fois chronologique et thématique, structurée autour de deux axes principaux : le premier, intitulé « De la geste de la Révolution au geste de la collection ​» et le second, « Collection et révolution du globe », chacun étant subdivisé en trois chapitres.

 

          Ainsi construit, l’ouvrage s’avère riche et varié, à l’image de « l’esprit de collection », et sa lecture offre un passionnant et foisonnant répertoire de figures, d'objets, de signes et d'images qui peuplent tant l’espace à collectionner que l’espace collectionné, ainsi qu’une précieuse série de portraits de ces collectionneurs – il semble s’agir d’une activité exclusivement masculine – engagés dans ces pratiques lettrées, esthétiques, littéraires et artistiques. Les sources utilisées, qu’elles soient manuscrites, testamentaires, archivistiques, imprimées ou graphiques (estampes, dessins, partitions musicales) sont extrêmement variées, tout comme les sujets traités qui vont de la bibliophilie la plus érudite à la compilation de catalogues en passant par les objets du mobilier ancien, les objets issus des fouilles archéologiques, les vêtements contemporains. Notons que l’étude des pathologies liées à la collection, de la passion de la possession jusqu’à la folie meurtrière, n’a pas été oubliée. Aussi est-il très difficile de résumer chacune de ces contributions sans réduire leur intérêt scientifique dans le cadre nécessairement restreint d’un compte rendu. Une rapide évocation des sujets traités par les différents auteurs donnera cependant une idée plus précise du contenu de l’ouvrage.

 

          La problématique définie par Nathalie Preiss dans son intervention liminaire (« Collection pour le siècle des siècles ? ») vise à « interroger la spécificité du geste collectionneur », en l’ancrant à la geste de la Révolution pour observer « le discours de la collection au XIXe siècle, et le penser comme figuration et fiction, production et projection d’un, voire du XIXe siècle, bref : le XIXe siècle à l’épreuve de la collection » (p. 11). Le chapitre « Recueillir, élire, relier » s’ouvre sur l’intervention de Jean-Yves Mollier (« L’encyclopédie de Diderot au Musée de C.L.F. Panckoucke à Meudon : naissance et développement d’une collection au XIXe siècle ») qui analyse le testament et le legs d’un personnage dont la volonté de léguer à la ville de Meudon les moyens de fonder un musée public finit par être perçue comme la preuve de sa folie. Quant à elle, Sabine Maffre rend hommage à un grand collectionneur rémois, Victor Diancourt (« Diancourt, bibliophile révolutionnaire »), sénateur et maire de Reims au XIXe siècle qui légua par testament en 1910 plus de 20 000 volumes à sa ville natale : elle étudie ce fonds exceptionnel, traçant le portrait d’un érudit passionné. Jean-Louis Haquette complète ce portrait par l’étude monographique, richement illustrée, de ses Douze poèmes du XIXe siècle (« Un siècle mis en livre : l’anthologie Douze poèmes du XIXe siècle de Victor Diancourt »). Dans le chapitre suivant, « Des fonds, des fondations, des filiations », Michèle Le Pavec (« Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France et les collections d’autographes au XIXe siècle ») fait l’historique du contexte dans lequel les autographes sont devenus, surtout à partir des années 1820, des objets usuels de commerce, et de l’attitude de la Bibliothèque nationale. Pour sa part, Jean-Jacques Gautier (« Le meuble de collection ou l’invention du XVIIIe siècle à usage du XIXe siècle ») démontre le caractère récent de l’histoire du mobilier à partir des premières publications de Pierre Verlet, parues en 1936, qui ouvrent la voie de l’histoire des meubles et objets d’art dans les collections du XIXe siècle. Enfin, Yannick Le Pape (« Au péril de Ninive : ambitions, rivalité et polémiques autour des premières collections assyriennes [1842-1900] ») traite de l’inauguration du tout premier « Musée assyrien » de Paris en 1847 dont il relate l’histoire mouvementée qui vit s’affronter archéologues et collectionneurs français et anglais. Dans le troisième chapitre, « Composition pour un siècle en gestation », Catherine Faivre d’Arcier (« Lovenjoul et l’invention du XIXe siècle romantique ») s’intéresse au vicomte de Lovenjoul. Issu de la bonne société belge où la bibliophilie était une tradition, il pratiqua dès l’adolescence un nouveau genre de collection, celle des catalogues et des périodiques traitant des écrivains du XIXe siècle édités par son ami l’éditeur Michel Lévy, leur accordant la même valeur de source qu’aux livres, procédant aussi à des achats rétrospectifs de collections anciennes. Sa propre collection comprend près de 40 000 imprimés, 900 collections de périodiques et 1 500 manuscrits. Ses méthodes de collecte sont toujours validées par les institutions. Enfin, Cécile Reynaud (« La réception de Berlioz à la fin du XIXe siècle : la collection musicale de Charles Malherbe ») aborde le rôle fondamental dans la constitution des collections nationales françaises d’un juriste devenu archiviste-bibliothécaire de l’Opéra, Charles Malherbe, qui est également compositeur. Commencée en 1880 et poursuivie jusqu’en 1911, sa remarquable collection d’autographes comporte des sources inédites pour la philologie musicale (notamment pour Schumann et Berlioz), dans lesquelles puisèrent les musicologues, tel Adolphe Boschot.

 

          La seconde partie de l’ouvrage, « Collection et révolution du globe » s’ouvre sur un chapitre intitulé « Inventaire sous bénéfice d’’inventio’ »  et l’article où Jean Balsamo (« Quelques remarques sur le catalogue de livres anciens en tant qu’objet littéraire au XIXe siècle ») montre comment ces catalogues, à l’instar des dictionnaires, objets utilitaires, furent une mise en fiction et une réflexion sur un objet au cœur des pratiques lettrées : le catalogue privé du bibliophile ou de l’amateur qui recense sa collection fut codifié par Prosper Marchand au XVIIIe siècle et par Martin Sylvestre au XIXe siècle. Franc Schuerewegen (« Au vestiaire de Chateaubriand ») nous entraîne dans l’exploration d’un pan de l’histoire du costume, abordé à partir des Mémoires d’outre-tombe (chap. 8 du livre 33) qui contiennent un inventaire du vestiaire de l’écrivain dans lequel il perçoit une « logique muséographique ». Les deux chapitres qui suivent, « Un second sens commun » et « De la protection à la projection du patrimoine », font place aux pathologies psychosomatiques des collectionneurs possédés par leurs passions et dépassés par leurs obsessions cycliques face à la catastrophe associée au désastre, à la destruction et à la mort. C’est ce que lit Daniel Sangsue (« Collection et catastrophe ») dans Le cousin Pons de Balzac, par exemple. « À quoi servent les bibliophiles ? » interroge pour sa part Julien Schuh (« Bibliophilie et revues fin-de-siècle : collection et innovation ») : sont-ils des parasites de la création, idolâtres perdus dans leurs ouvrages ? À partir de l’étude des revues du mouvement symboliste fin de siècle, il montre l’alliance qui se forme entre l’amateur bourgeois et le bibliophile grâce à la notion de collection. Marine Le Bail (« Bibliophilie moderniste et modernité littéraire : pour quel XIXe siècle ? ») soutient le contraire, à partir du point de vue exprimé par Théophile Gautier dans son Histoire du Romantisme favorable aux bibliophiles visionnaires tels Charles Asselineau. Enfin, l’essai de Dominique Pety (« L’esprit de collection aux XIXe-XXIe siècles ») conclut le volume en retraçant l’émergence de cet esprit de collection après la Révolution française et la façon dont il a contribué à recomposer les savoirs dans leur référence au temps et à l’histoire, au sujet individuel et à l’objet matériel, singularisé et requalifié au moment où se mettent en place une production et une consommation de masse. On sort en tous cas de la lecture de ce riche ouvrage collectif convaincu que, si le XIXe siècle passe pour n’avoir pas de style, il a certainement l’esprit de collection !

 

 

Sommaire

 

Collection de remerciements ; pp. 9-10

Nathalie Preiss – Collection pour le siècle des siècles ? ; pp. 11-20

 

De la geste de la Révolution au geste de la collection 

Recueillir, élire, relier
Jean-Yves Mollier – De l'Encyclopédie de Diderot au musée de C.-L. F. Panckoucke à Meudon. Naissance et développement d'une collection au XIXe siècle ; pp. 25-49
Sabine Maffre – Diancourt, bibliophile révolutionnaire ? ; pp. 51-56
Jean-Louis Haquette – Un siècle mis en livre : l'anthologie Douze poèmes du XIXe siècle de Victor Diancourt ; pp. 57-87

 

Des fonds, des fondations, des filiations
Michèle Le Pavec – Le département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France et les collections d'autographes au XIXsiècle ; pp. 91-101
Jean-Jacques Gautier – Le meuble de collection ou l'invention du XVIIIe siècle à usage du XIXe siècle ; pp. 103-111
Yannick Le Pape – Au péril de Ninive : ambition, rivalités et polémiques autour des premières collections assyriennes (1842-1900) ; pp. 113-137

 

Composition pour un siècle en gestation
Catherine Faivre d'Arcier – Lovenjoul et l'invention du XIXsiècle romantique ; pp. 141-148
Cécile Reynaud – La réception de Berlioz à la fin du XIXe siècle : la collection musicale de Charles Malherbe ; pp. 149-161

 

Collection et révolution du globe

Inventaire sous bénéfice d’inventio
Jean Balsamo – Quelques remarques sur le catalogue de livres anciens en tant qu’objet littéraire au XIXsiècle ; pp. 167-184
Franc Schuerewegen – Au vestiaire avec Chateaubriand ; pp. 185-196

 

Un singulier sens commun
Daniel Sangsue – Collection et catastrophe ; pp. 199-212
Julien Schuh – Bibliophilie et revues fin de siècle : collection et innovation ; pp. 213-232

 

De la protection à la projection du patrimoine
Marine Le Bail – Bibliophilie moderniste et modernité littéraire : pour quel XIXe siècle ? ; pp. 235-249
Dominique Pety – L’esprit de collection XIXe-XXIe siècles ; pp. 251-264

 

Table des illustrations pp. 267-269

Index des noms cités pp. 271-288