Gonzalez, Vincent: Le Campus universitaire de Mont-Saint-Aignan. Urbanisme, architecture, art. 210 p., 17 x 21 cm, ISBN : 979-10-240-1326-8, 21 €
(Presses universitaires de Rouen et du Havre, Mont-Saint-Aignan 2019)
 
Compte rendu par Eléonore Marantz, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
 
Nombre de mots : 1468 mots
Publié en ligne le 2022-01-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3847
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          Les décennies 1950-1970, moment-clé de l’histoire des universités françaises, commencent à bénéficier de multiples éclairages donnant à voir les évolutions institutionnelles et pédagogiques majeures de la période ainsi que les nouvelles formes architecturales et urbaines qui leur sont attachées[1]. Ces dernières sont au cœur de l’étude que Vincent Gonzalez consacre au campus de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), complexe universitaire dont les premiers bâtiments accueillirent les étudiants à la rentrée 1961 et qui, depuis, n’a cessé de se densifier et de se transformer, accompagnant le développement de la commune-satellite surplombant la ville de Rouen dont il porte le nom[2]. Or, nous savons désormais que dans le domaine de l’urbanisme et de l’architecture universitaires, deux phénomènes parfois concomitants sont susceptibles de jouer le rôle de ferments pour l’histoire. Le premier, certainement le plus vertueux, est la commémoration : célébrer l’anniversaire – souvent le quarantième anniversaire ou le jubilé – de la création d’une université, d’un campus ou d’un bâtiment universitaire, est depuis le début des années 2000 à l’origine de regards rétrospectifs sur un passé somme toute assez récent, pour lequel les méthodes de l’histoire du temps présent et la mémoire des acteurs peuvent être fructueusement mobilisées[3]. Le second, parfois plus ambivalent parce qu’il n’est malheureusement pas toujours garant de la prise en compte ni de la valeur d’usage ni de la valeur patrimoniale des campus, tient à la transformation des espaces et des bâtiments universitaires : à l’occasion du lancement d’opérations immobilières, par exemple le Plan Campus[4], des enquêtes historiques, des récolements d’archives, des inventaires du patrimoine ont parfois permis d’engager des réflexions sur l’histoire et le devenir de ces campus.

 

          Le livre que Vincent Gonzalez consacre au campus de Mont-Saint-Aignan, site historique et centre administratif de l’actuelle Université de Rouen Normandie, s’inscrit dans cette dynamique. Il est issu d’une étude commandée par l’Université qui souhaitait, à un moment clé de son histoire, bénéficier d’un diagnostic éclairé sur le patrimoine urbain, architectural et artistique de son campus principal. À Mont-Saint-Aignan sont en effet aujourd’hui encore regroupés, sur près de 166 000 m2, l’IUT de Rouen, les UFR Sciences et Techniques, Lettres et Sciences humaines, Sciences de l’Homme et de la Société, Sciences du Sport et de l’Éducation physique, ainsi que l’Institut national supérieur du Professorat et de l’Éducation. À ces locaux d’enseignement et de recherche s’ajoutent des équipements mutualisés dédiés à la vie universitaire et étudiante (Maison de l’Université, Espace Michel-Serres, installations sportives, résidences étudiantes). Le diagnostic confié à Vincent Gonzalès prolonge d’ailleurs une monographie historique très complète, publiée à l’occasion du jubilé de l’Université, en 2016[5]. Ce dernier ouvrage montre bien que la création de l’Université de Rouen en 1966 peut être lue, au même titre par exemple que celles de l’Université de Nice (1965), d’Amiens (1969) ou de l’Université technologique de Compiègne (1972), comme un témoignage éloquent de la politique de développement et de décentralisation de l’État en matière d’équipements universitaires – effort rendu plus que nécessaire au moment où les baby-boomers s’apprêtaient à accéder à l’enseignement supérieur –, mais aussi de l’implication des acteurs locaux dans l’évolution de la carte universitaire avant la rupture de 1968. En l’occurrence, dans le cas de Mont-Saint-Aignan, la manière dont Vincent Gonzalez éclaire la question de la maîtrise d’ouvrage du campus de la nouvelle université met en lumière le rôle déterminant joué par le Département, les offices publics HLM ainsi que diverses personnalités politiques et publiques.

 

          Offrant trois échelles de lecture (Urbanisme/Architecture/Œuvres d’art) en étroite interaction les unes avec les autres, le livre de Vincent Gonzalez démontre plus fondamentalement combien les programmes universitaires ont été des laboratoires d’expérimentation et de création pour les urbanistes, les architectes et les artistes au cours des décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. Cet intérêt, reconnu dès le milieu des années 1980 en ce qui concerne les campus d’Amérique-du-Nord, nourrit l’historiographie française qui ne cesse de s’enrichir d’ambitieuses contributions sur le patrimoine universitaire[6]. En la matière, le livre de Vincent Gonzalez est particulièrement exemplaire de la dimension démonstrative que peut prendre une monographie précise et documentée. Reposant sur une solide enquête documentaire ayant mis à profit la richesse des fonds d’archives publics (Département, municipalités de Rouen et Mont-Saint-Aignan, Rectorat de Rouen, Caisse des dépôts et consignations, Université de Rouen) et privés (architectes, artistes, personnalités politiques, universitaires, etc.), le travail se donne pour principal objectif de lire le campus au prisme « du contexte historique dans lequel il a été édifié » (p.15).

 

          L’introduction permet au lecteur de bien comprendre les enjeux de la recherche (« redonner du sens, et peut-être une certaine dignité, au campus dans son ensemble, ainsi qu’à ses différentes composantes », dans un contexte de mutation, déjà amorcée, du campus, p.14-15), mais aussi, ce qui est plus appréciable encore, d’en comprendre plus largement les fondements historiographiques et méthodologiques. Au fil des trois essais, l’auteur articule finement les différentes phases de la planification universitaire (schéma directeur du campus, projets d’extension, évolution du campus après 1970) avec les réalisations architecturales et artistiques. Ni l’exhaustivité de l’étude conduisant à aborder les bâtiments les uns après les autres, ni l’adoption d’une narration chronologique, n’empêchent Vincent Gonzalez de mettre en avant les morceaux de bravoure que constituent, sur le plan architectural, le collège scientifique universitaire et la faculté des Sciences (1961-1964, arch. : Pierre Noël et André Guerrier), la faculté des Lettres et Sciences humaines (1961-1964, arch. : Robert Génermont), l’école et la faculté de Droit et de Science économiques (1962-1964, arch. : Pierre Noël et André Guerrier), la bibliothèque universitaire (actuelle bibliothèque des Lettres et Sciences humaines, 1961-1964, 1969, arch. : Pierre Noël et André Guerrier) et le restaurant universitaire Le Panorama (1961-1964, arch. : Pierre-Maurice Lefebvre). Adoptant un point de vue volontairement didactique, l’auteur ponctue le texte de nombreux focus : si ceux destinés à éclairer les enjeux conceptuels du campus de Mont-Saint-Aignan (« Le campus universitaire, une double origine », p.29 ; « L’architecture moderne », p.74 ; « La décoration des ensembles universitaires et le principe du 1 % artistique », p.135) restent trop généraux pour être réellement éclairants, ceux consacrés aux architectes (René Coulon, François Herr, Pierre Noël, Jean Faugeron, Robert Génermont) et aux artistes (Alexandre Obradovicth, Guidette Carbonnell) montrent de manière éloquente que ce sont des praticiens aguerris, « spécialistes » de l’urbanisme et de l’architecture universitaires, ainsi que des artistes rompus à intervenir dans des édifices publics, qui ont donné forme au campus de Mont-Saint-Aignan.

 

          Nul doute que la qualité architecturale que l’on y observe, et que le lecteur peut apprécier au prisme des très beaux documents d’archives illustrant le livre de Vincent Gonzalez, doit beaucoup à leur vision partagée de ce que devait être une université (et une architecture), contemporaine et démocratique au début des années 1960. Reste à savoir comment cette cohérence et cette qualité architecturale peuvent aujourd’hui être prises en compte par l’Université de Rouen Normandie, ce que l’auteur aborde (un peu timidement) en conclusion. En la matière, le livre de Vincent Gonzalez montre très pertinemment que le campus de Mont-Saint-Aignan est désormais un ensemble universitaire « historique » possédant, comme toute architecture, une valeur patrimoniale propre mais aussi un potentiel d’évolution et d’adaptation pouvant ouvrir à un usage à la fois respectueux et vivant. Le lecteur se prend à souhaiter que la connaissance (de l’architecture) soit matrice de reconnaissance (du patrimoine) et surtout d’une gestion éclairée du campus « historique » de Mont-Saint-Aignan et, plus généralement, des architectures universitaires héritées des Trente glorieuses.

 


[1] Catherine Compain-Gajac (dir.), Les campus universitaires 1945-1975. Architecture et urbanisme, Histoire et sociologie, États des lieux et perspectives, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2014 ; Éléonore Marantz, Stéphanie Méchine (dir.), Construire l’université. Architectures universitaires à Paris et en Île-de-France (1945-2000), Paris, Publications de la Sorbonne, 2016.

[2] Olivier Feiertag, Loïc Vadelorge, Mont-Saint-Aignan 1819-2019. Comment devient-on une ville ?, Rouen, Éditions des Falaises, 2019

[3] Jacques Girault, Jean-Claude Lescure, Loïc Vadelorge, Paris XIII. Histoire d’une université en banlieue (1970-2010), Paris, Berg International, 2011 (actes du colloque du 40e anniversaire de Paris 13, 8 décembre 2010) ; Florence Bourillon (dir.), Aux origines de l’UPEC. Quarante ans de réussites universitaires en banlieue est, Créteil, UPEC, 2011 ; Gilles Peissel, Grenoble. Un campus entre ville et montagne, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2012.

[4] Poirrier Philippe (dir.), Paysage des campus. Urbanisme, architecture et patrimoine, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2009

[5] Anne Bidois, Olivier Feiertag, Yannick Marec (dir.), L’Université de Rouen 1966-2016, Tome 1 : Histoire d’une université nouvelle, Tome 2 : Lieux de mémoire et témoignages, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016.

[6] Paul Venable Turner, Campus. An American Planning Tradition, New York/Cambridge et Londres, The Architectural History Foundation/The MIT Press1984, rééd. 1995 ; Christian Hottin, Les patrimoines de l’enseignement supérieur à Paris (fin XVIIIe-XXe siècles), thèse de doctorat en Histoire de l’art sous la direction de Jean-Michel Leniaud, EPHE/Université PSL, Paris, 2021.