Jacob-Friesen, Holger - Jehle, Oliver (ed.): Hans Baldung Grien. Neue Perspektiven auf sein Werk. 320 p., 30 x 24 cm, ISBN : 978-3-422-97982-6, 29,90 €
(Deutscher Kunstverlag, Berlin 2019)
 
Compte rendu par Eric Thil, Universität des Saarlandes
 
Nombre de mots : 7409 mots
Publié en ligne le 2021-09-30
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3851
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          Le présent ouvrage intitulé sobrement Hans Baldung Grien. Neues Perspektiven auf sein Werk retranscrit les actes d’un colloque tenu en 2018 précédant une exposition rétrospective de l’œuvre Grienienne (Hans Baldung Grien heilig I Unheilig du 30/11/2019 au 08/03/2020 à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe) dont les articles viennent enrichir la lecture des œuvres qui y furent présentées. Ce volume est donc à lire en diptyque du catalogue d’exposition publié également par Holger-Jacob Friessen, l’un des éditeurs scientifiques du volume présenté ici.   

 

         Dans leur Introduction qui rappelle les étapes de la réception Grienienne, Holger Jacob-Friessen et Oliver Jehle commencent par dresser un constat surprenant, celui de l’oubli dans lequel ce maître de la Renaissance était tombé jusqu’à sa redécouverte par les romantiques du XIXe siècle (p. 6) en particulier avec le critique Alfred Wottmann qui fut l’un des précurseurs de la recherche Baldungienne, elle-même trouvant son apogée dans la dernière décennie du XIXe siècle (p. 7). Si cette période est propice à sa reconnaissance dans les pays germanophones, il faut atteindre 1896 pour que celle-ci traverse les frontières nationales et 1902 pour voir apparaître l’un des premiers symposiums qui soit consacré à l’artiste (p. 8), dont le rôle fut d’évaluer si le retable du couvent Lichtenthal pouvait ou non lui être attribué (p. 9). Gabriel von Térey démontra le contraire dans sa conférence inaugurale (p. 10). Une quinzaine d’années plus tard, un nouvel élan d’engouement se fit sentir, notamment de la part des membres du Blauer Reiter et de l’expressionnisme qui louèrent les traits éminemment modernes qu’un critique d’art français, Valabrègue, avait remarqué avant eux. Dès les années 20, le nombre de monographies augmente et ne s’oriente plus uniquement vers un public d’érudits, tentant d’expliquer les performances artistiques d’Hans Baldung Grien au grand public (p. 11). Une rétrospective pour les 400 ans de sa mort était planifiée mais fut stoppée par la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’eut guère l’effet de désintéresser le public, puisque l’exposition eut bel et bien lieu en 1959 et fut un succès de premier ordre (p. 12) à en juger par les divers éloges obtenus. Les 60 dernières années ont permis aux recherches de se renouveler notamment par des publications doctorales de qualité (p. 12) mais il manquait, selon l’avis des éditeurs scientifiques, une exposition capable de créer une vue d’ensemble de cet artiste aux talents si diversifiés, tâche que s’est donnée l’exposition Hans Baldung Grien heilig/unheilig dont le présent volume reflète le travail (p. 13). La redécouverte du peintre se fait notamment par le biais de deux œuvres demeurées inédites de la période strasbourgeoise de l’artiste et dont l’exposition pourra financer une partie de leur restauration (p. 14). Quant à cette fascination qu’il peut exercer sur le public contemporain, les éditeurs en font la conséquence d’une œuvre sans texte et simplement soumise à la réalité immédiate des spectateurs (p. 15). Génie de la Renaissance, son œuvre appelle à une étude interdisciplinaire qui se doit d’analyser tant le maniérisme qui le caractérise que les réflexions ambiguës qu’il fournit de sa propre époque. Ainsi, c’est le médium artistique même utilisé qui sera interrogé afin de donner une nouvelle dimension à l’œuvre Grienienne (p. 16).   

 

         Dans son article intitulé Le cas Baldung (et originairement destiné à la soirée d’ouverture de l’exposition), le réalisateur et historien de l’art Joseph Leo Koerner rappelle comment il est venu à travailler sur Hans Baldung Grien (p. 18). Le sens du détail ainsi que la couleur furent en effet des caractéristiques décisives pour lui (p. 19), de même que son ambivalence à traiter des sujets aussi bien saints que démoniaques (p. 20). L’historien rappelle également que le peintre fut l’un des premiers à signer presque systématiquement son œuvre et qu’il s’y représenta de diverses façons (en autoportraits ou alors de manière plus subtile dans ce que ce dernier estime être des œuvres testamentaires à l’instar de Der Behexte stallknecht), phénomène assez rare pour son époque (p. 21). L’auteur effectue alors une analepse afin de présenter les conditions de l’artiste au début du XVIe siècle, moment clef de l’histoire de l’art où l’on venait d’inventer la gravure en couleur sur bois, médium qui permit à la fois un nombre important de tirage et une meilleure qualité esthétique. Hans Baldung Grien s’en servit pour effectuer sa représentation d’Adam et Eve qui le mit en concurrence directe avec Albrecht Dürer (p. 22). Mais là où Dürer représentait le moment précédant la chute, Baldung lui choisit consciemment l’après empli de conséquences. Ce choix proleptique devient alors un signe distinctif de l’artiste (p. 23) qui use des connaissances apprises de Dürer pour mettre en scène la décomposition, conclusion inéluctable du péché originel (p. 24). Bien que l’aspect érotique soit systématiquement convoqué par Grien, Koerner rappelle que ce dernier ne fut pas le premier à associer la chute de l’humanité à la sexualité, mais le peintre le traite en tant qu’autre résultante du péché et non comme une cause (p. 25) ce qui explique son refus, toujours d’après l’auteur, de montrer un couple innocent (p. 26). Il s’agit pour lui de jouer avec son public en l’excitant par ses représentations et lui faire ainsi comprendre que l’art ne fait que refléter le caractère de son spectateur (p. 27). Toutefois, non content de souligner une éventuelle lubricité féminine, issue des théories misogynes cléricales, le peintre met également en garde contre la femme, proche de la nature et donc encline à s’adonner à la sorcellerie, phénomène qu’il met également régulièrement en image (p. 28). C’est ainsi les peurs masculines et les débats de cette époque qui sont représentés, peur de la castration (p. 31), débat sur les envolées voire les existences de sorcières (p. 32). Maîtresse de l’illusion, la sorcière renvoie cependant à l’art même en tant que création illusoire et par conséquent à l’artiste (p. 33). L’historien conclue par l’actualité du peintre qui représente les craintes de l’autre, mais ces dernières sont avant tout des craintes personnelles que l’on porte en soi (p. 34). C’est cette ambiguïté qui donne tout son intérêt et son mystère à ce cas si particulier de l’histoire de l’art qu’est devenu Hans Baldung Grien. 

 

         C’est alors au tour de Casimir Bumiller de se mettre en quête de l’origine et de la parenté de l’artiste que l’on sait provenir de Gmünd de par les indices laissés dans ses tableaux (p. 36). L’auteur explore tout d’abord la piste du patronyme Baldung dont une généalogie assurée remonte jusqu’au XIVe siècle dans ladite localité. Il est question d’abord d’un certain Johannes Baldung, juriste et clerc et de l’un de ses fils Hieronymus, médecin et pronotaire papale, qui se maria et eut au moins six enfants. Il est intéressant de constater que les enfants de ce dernier changèrent le patronyme en Baldung von Löwen, marque de prestige social et de l’embourgeoisement de la famille (p. 38). Cela explique peut-être les choix artistiques du peintre, notamment en ce qui concerne le tableau illustrant l’autel de Freiburg où l’on peut voir Saint Jérôme figuré par un cardinal caressant un lion rappelant ainsi subtilement son oncle Hieronymus (p. 39). Par le biais du critique Gerd von der Osten, un lien a pu être établi entre Hieronymus et son frère, Maître Hans, procureur de l’évêché décédé à Strasbourg de la peste (p. 40). Malgré son nom, il ne peut en aucun cas s’agir du père de l’artiste, auquel cas, c’eût dû être ce dernier et non son oncle qui aurait profité de l’héritage. Une autre piste indique qu’il existait bel et bien un troisième frère, dont le nom ne nous est pas parvenu, et qui serait le père du peintre. Toutefois, l’auteur émet l’hypothèse qu’un dénommé Ambrosius Baldung, cas isolé de patronyme, prêtre dans les environs de Strasbourg pourrait être le père d’Hans Baldung Grien et de son frère Caspar. Sa carrière ecclésiastique expliquerait ainsi le silence qui règne autour des parents du peintre (p. 41). Toutefois, l’auteur suggère une autre hypothèse : si la mention du père n’est faite nulle part dans les archives d’Alsace, c’est peut-être simplement qu’il ne s’y soit jamais installé, idée qui irait cependant à l’encontre de la critique Grienienne. Bumiller se consacre alors au frère de l’artiste, Caspar, docteur en droit diplômé de l’université de Freiburg et historien amateur, qui devint avocat de la ville de Strasbourg. Les deux frères semblent s’être entendus et se sont entraidés (p. 42). Bumiller s’attache ensuite à Grien dont il rappelle un voyage à Nuremberg dans le cadre de sa formation avant de s’en revenir à Strasbourg où il épousera sa femme et où il implantera son atelier. Mis à part un séjour malheureux de 6 ans à Freiburg après son mariage, il n’existe pas de sources indiquant d’autres voyages. Néanmoins, le critique propose de lire les esquisses de l’artiste comme un carnet de voyage, les croquis de certains monuments valant comme certitude d’un déplacement, ce qui lui permet d’avancer l’hypothèse d’une visite à l’un de ses cousins en même temps que celle de l’atelier de Grünewald qui travaillait à la même époque sur le Retable d’Issenheim (p. 43). L’auteur conclue sur la descendance des Baldung, rappelant que si seuls deux membres de la famille perpétuèrent la lignée (p. 44), un des tableaux de l’autel fribourgeois pourrait représenter un autoportrait de l’artiste accompagné de son propre fils. Bumiller en appelle alors une dernière fois aux archives de l’université de Freiburg pour fournir les preuves de l’immatriculation d’un certain Jeorius Argentinensis afin de faire valoir cette idée (p. 45). 

 

         S’en suit un diptyque de deux communications qui étudient de nouvelles perspectives du voyage de Hans Baldung Grien à Nuremberg. Dans un premier temps, Daniel Hess s’intéresse aux dessins et peintures de l’artiste. Si le nom de Nuremberg rime avec celui de Dürer, l’auteur montre que la vision d’un atelier qui se transforma peu à peu en école, fréquentée par Hans Baldung Grien n’a aucun fondement historique (p. 48). Les sources montrent des apprentis relativement isolés qui travaillent sur les chantiers de Dürer voire qui font appel dans certains cas à d’autres maîtres, mais en aucun cas une académie qui fonctionnerait indépendamment de lui (p. 49). Cependant, il est certain que Baldung et Dürer travaillèrent ensemble et Hess s’interroge sur le lien qui les unissait (p. 50). Analysant les techniques utilisées sur les tableaux de l’autel Paumgartner (p. 51) et sur le retable de Saint Sébastien (p. 52), l’historien remarque un certain nombre de similitudes avec Dürer (à l’instar de la disposition des têtes, de l’économie de la couleur incarnat, etc.). Toutefois, en comparant la technique même des deux artistes, il en vient à la conclusion que les détails sont plus importants chez Dürer de même que son attention aux pinceaux utilisés (p. 53), ce qui donne un sentiment de naturel au spectateur. Grien, pour sa part, est beaucoup plus imaginatif au niveau de la couleur, ce que l’auteur expliquerait par sa connaissance de la peinture sur verre, renvoyant directement à l’article suivant (p. 54). Pour Daniel Hess, il s’agit d’une certitude, aucun tableau de Nuremberg ne permet de dire de façon sûre que Baldung a bel et bien travaillé avec/pour Dürer, tant au niveau de ses peintures (p. 55) que de ses dessins (p. 56). Dans un second temps, Harmut Scholz interroge la carrière de vitrailliste qu’Hans Baldung Grien accomplit (p. 58) et propose l’hypothèse suivante : s’il en est venu à travailler sur les vitraux, c’est par l’entremise de Dürer pour lequel il a sans doute œuvré (p.59). Scholz étudie alors les vitraux de l’église Saint Laurent de Nuremberg pour laquelle l’artiste a composé les scènes de l’annonciation et de la naissance (p. 60). L’auteur reconnait le coup de pinceau de Baldung ainsi que les contours de ses figures (p. 62) et rappelle que ce dernier a aussi envoyé des esquisses et des plans de ces vitraux (p. 63). Toutefois, l’histoire ajoute que ces ouvrages furent effectués pendant le voyage de Dürer à Venise, aussi tire-t-il la conclusion que Baldung aurait travaillé pour le maître vitrailliste Veit Hirsvogel et non pour Dürer (p. 64). C’est notamment cette proximité avec la peinture sur verre qui aurait donné à Grien son sens aigu des couleurs (p. 65).

 

         C’est alors au tour de Michael Roth de chercher à établir une filiation entre Dürer, Baldung et Grünewald au niveau des dessins/de la gravure (p. 68). Peu de preuves existent quant à un éventuel lien (personnel ou professionnel) entre le peintre du retable d’Issenheim et Grien, si ce n’est peut-être l’aspect émotionnel et maniéré que prennent ses dessins (notamment ses gravures) durant la deuxième partie de la décennie 1510 (p. 69). Roth met en avant l’idée que c’est peut-être moins du retable même que des dessins préparatoires de Grünewald que Baldung s’inspire (p. 71) voire éventuellement de l’utilisation du charbon (p. 72). Laissant de côté les discussions qui s’attachent à l’autel de Lindenhardt, l’auteur souhaite tirer les conséquences d’une attribution de cette œuvre à Grünewald et non à Hans von Kulmbach comme le veut la critique actuelle (p. 73). Cette œuvre issue de l’école de Nuremberg attesterait alors de la présence du peintre du retable dans cette ville aux alentours de 1503, auquel cas il est fort probable que ce dernier ait connu Dürer et Baldung (p. 74). Toutefois, là où Grünewald restait dans le domaine de la peinture, Grien s’attachait pour sa part à la gravure en imitant à la fois les techniques de Martin Schöngauer et de Dürer (p. 75) qu’il adapte plus qu’il ne copie (p. 76) en utilisant notamment des coloris. Roth conclue ainsi que si l’influence de Dürer est certaine (sans rentrer dans les polémiques d’une éventuelle école), celle de Grünewald en revanche nécessite davantage de recherches (p. 78). 

 

         Contrairement à son prédécesseur, Sabine Söll-Tauchert s’interroge sur une possible rivalité voire une opposition artistique entre le maître de Nuremberg et Hans Baldung Grien (p. 80). Dans son enquête, elle s’attache notamment aux gravures et plus particulièrement aux autoportraits des deux artistes dont elle montre le caractère novateur, en particulier de l’artiste cadet, capable de se mettre en scène dans une posture frontale voire offensive (p. 82). Cette mise en scène, Baldung semble l’avoir utilisée dans quelques-unes de ses oeuvres probablement dans un but publicitaire afin de se présenter sous le meilleur jour possible auprès de sa future clientèle (p. 83). A la différence de Dürer qui se faisait assez discret lorsqu’il se représentait lui-même dans ses tableaux, Baldung fait de sa personne l’un des protagonistes du drame qu’il représente comme dans le Martyr de Saint-Sébastien (p. 85). De même, là où son aîné cherchait l’idéal des proportions, il semble que Baldung ne s’y soit que peu intéressé, ce qui fait dire à l’autrice que le cadet souhaite prendre une contre-position face à son maître : ces distinctions lui permettaient ainsi une émancipation artistique (p. 86). Allant plus loin dans sa démonstration, Söll-Tauchert avance l’idée d’une compétition entre les deux artistes en étudiant de plus près un détail : celui de mouches présentes sur le tableau du Martyr, directement inspirées de Dürer mais dont l’impact sémantique fut plus important (p. 87). D’autres œuvres du peintre perpétuent sa mise en scène soit par le biais de l’intégration de sa personne, soit par l’utilisation de la couleur verte, soit par l’utilisation de cartellini ou encore par le choix de l’imperfection (p. 89). Si la mort de Dürer n’a pas empêché Hans Baldung Grien de continuer à lui rendre hommage, notamment par sa gravure Etalon hennissant au milieu d’un troupeau de chevaux, l’autrice indique néanmoins qu’il convient de lire ces hommages de façon ironique : le non-respect des proportions ainsi que la présence d’un singe évoque davantage la critique d’un Dürer obsédé par un art froid et parfait plus que par les capacités créatrices contenues dans l’imagination. Baldung se sert qui plus est de ses œuvres pour mener une réflexion méta-artistique, faisant donc bien de lui un créateur à contre-courant de son prédécesseur (p. 90). 

 

         Holger Jacob-Friesen poursuit les réflexions posées par Söll-Tauchert mais en examinant de plus près le personnage de Saint Sébastien dans les chalcographies et peintures de Dürer et Baldung. Il en tire assez rapidement la conclusion que si le maître de Nuremberg cherchait l’idéal et la beauté classique, son disciple, quant à lui, cherchait avant tout une expression dramatique démontrant l’éphémère du monde et des choses. Il ne s’agit plus d’influence, mais de « révision », ainsi l’auteur citant la thèse de Joseph Leo Koerner (p. 92) qui se propose d’étudier ces divergences artistiques comme une divergence d’interprétation de la légende. Dans un premier temps, Jacob-Friesen étudie le rôle du Saint chez Dürer pour lequel il endosse un rôle de piété, puisque ses premières esquisses apparurent à la fin du Moyen Âge, époque ravagée par la peste et contre laquelle on priait ledit Saint (p. 93). Sa représentation picturale dans l’autel de Dresden irait dans la même idée si l’on considère les divers ingrédients présents en bas du tableau et qui étaient utilisés comme remède pour les pestiférés (p. 94), ce qui montre une réception de l’art italien ainsi que de ses préoccupations (p 96). L’auteur s’attache ensuite à Hans Baldung dont il suppose que ce dernier s’inspira beaucoup de Dürer pour ses premières chalcographies (p. 96). Il passe ensuite au retable de Saint Sébastien qui met en scène un saint presque dansant accompagné par l’artiste lui-même qui ose déplacer ainsi l’attention sur sa personne propre (p. 97), l’éloignant ainsi de ce même maître qui lui donna l’occasion de s’exercer sur cette figure légendaire. Cet éloignement se voit aussi à travers un certain maniérisme dans la pose, les vêtements et le décor dans la gravure communément appelée le Petit Saint Sébastien (p. 98) ou encore à l’utilisation d’éléments traditionnellement reliés au Christ dans sa gravure du Grand Saint Sébastien (p. 100). Selon Jacob-Friesen, Baldung aurait eu connaissance de la Légende Dorée et l’aurait interprétée sérieusement ce qui explique un certain nombre de ces motifs récurrents (p. 101). Qui plus est, selon lui, le peintre aurait assimilé le saint comme un garant contre la syphillis, ce qui expliquerait à la fois la commande du retable par Ernst de Saxe (atteint de la maladie) ainsi que la présence d’une flèche dans les parties génitales du saint dans certaines gravures (p. 102). Ce passage du sacré au profane se retrouve dans d’autres œuvres du graveur ; l’auteur donne un exemple d’une femme commune au cœur transpercé par une flèche et appuyée contre un arbre, rappelant parfaitement le martyr du Saint (p. 103). L’auteur invite à lire cette profanation comme une des conséquences de la Réforme, concluant ainsi que Saint Sébastien représente l’un des motifs qui permet le mieux de montrer l’évolution du style et des croyances du Nord qui va progressivement chercher à se démarquer de l’influence picturale et religieuse italienne (p. 104).

 

         Après la figure légendaire de Saint Sébastien, Julia Carrasco s’attache aux onze représentations d’Adam et Eve produites par Hans Baldung Grien ainsi qu’aux relations entretenues avec leurs homologues düreriens, ce dernier ayant popularisé le motif dès les années 1500 (p. 106). L’autrice rappelle en guise d’introduction que ce motif acquiert non seulement une certaine autonomie mais également un certain érotisme, ce qui aura pour conséquence d’attirer une nouvelle clientèle en recherche d’originalité et d’individualité dans ses acquisitions artistiques. Elle propose ainsi de lire cette partie de l’œuvre Grienienne en étudiant l’évolution du motif comme un ensemble aux œuvres fonctionnant dépendamment les unes des autres, devenant peu à peu profane, rejetant ainsi l’apprentissage de Dürer (p. 107). Le fait que l’une de ses premières œuvres présente une Eve solitaire amalgamant Dürer et Cranach (p. 108) montre à la fois la lecture érotique de la chute biblique, mais également le déplacement des enjeux : là où le maître de Nuremberg profitait de ce thème pour montrer l’idéal des proportions et de la beauté d’avant la faute, Baldung pour sa part, montre l’état des corps (ainsi que leur reflet moral) lui succédant (p. 109) et fait participer activement le spectateur à la faute par le biais d’une confrontation visuelle directe (p. 110) censée montrer les dangers de la femme conformément aux discours misogyne de cette époque (p. 112). Ceci explique, selon l’auteur, la raison de la séparation des deux figures comme sur les tableaux de Budapest (p. 113) : cette scission présente une victimisation de l’homme en parallèle d’une diabolisation de la femme qu’il poursuivra dans d’autres tableaux sans rapport direct avec le couple mythique (p. 114). L’œuvre de Baldung doit donc se lire comme une réponse (p. 111) mais également comme une concurrence de celle de Dürer d’où la volonté de se démarquer tant au niveau thématique que stylistique (p. 116).

 

         Thomas Noll s’attache dès lors à ce qu’il appelle, à la suite de Kurt Bauch, le « style iconographique » de Hans Baldung Grien (p. 118). L’auteur commence par l’étude du seul retable intégralement conservé dans son lieu d’origine (à Fribourg), dont le panneau principal représentant le couronnement de Marie est directement inspiré de Dürer (p. 119). Baldung s’émancipe de ses prédécesseurs notamment par ce que Noll nomme la « matérialité » des corps Grieniens (p. 120) ainsi que son travail sur la luminosité qu’il juge quasi artificielle (p. 121). Poursuivant son analyse, le critique démontre que le retable concorde aux dires de l’Apocalypse biblique et permet surtout une lecture de la figure mariale comme allégorie de l’Eglise (p. 122), raison probable pour laquelle les panneaux latéraux du retable se concentre davantage sur les personnages et laissent le décor de côté (p. 123). Ceci accentue le caractère pittoresque des constructions et de la perspective Grieniennes (p. 124) et permet surtout à Baldung de se laisser aller au façonnement des personnages (p. 125), art qu’il poursuivra dans ses œuvres postérieures, notamment au dos du Retable de Saint Sébastien dans la scène de Crucifixion (p. 127). Ses mises en scène violentes, l’aspect monumental de ses personnages, son jeu de lumières deviennent ainsi les caractéristiques principales du style de Hans Baldung Grien (p. 128). 

 

         Dans l’exposé suivant, Dietmar Lüdke propose d’étudier l’influence de l’art byzantin sur Hans Baldung Grien à travers deux versions de la vierge à l’enfant datant de la période féconde fribourgeoise (p. 132). Le premier tableau se trouve au dos du retable de Fribourg et présente une Marie très différentes de ses traditionnelles représentations, ne serait-ce que par sa tenue et la couleur brune inhabituelles (p. 133) dont l’inspiration est à chercher, d’après l’auteur, dans les peintures italiennes à tendance byzantine du XIVe siècle (p. 134). De même, le mouvement du Christ (p. 135) ou encore la sphère tenue par les personnages (p. 136) proviendraient directement de l’art byzantin. Le second tableau considéré est conservé à l’Augustiner-Museum de Fribourg et aurait été peint vers 1514 plaide Lüdke, étant donné les nombreuses ressemblances avec les œuvres que Baldung peint vers cette période (p. 138).  Les couleurs et le fait que le peintre se soit arrêté à la partie supérieure du corps mariale serait à comprendre comme une inspiration des peintures flamandes du XVe siècle (p. 139). Que l’enfant endormi prenne le doigt de sa mère est une référence directe à l’art byzantin des XIIIe-XIVe siècles (p. 140), tout comme l’est le fond rouge (p. 141). L’auteur conclut sur l’idée qu’en tant qu’artiste de la Renaissance, Hans Baldung Grien mélange les sources et les inspirations jusqu’à les « re-former » en leur ajoutant la note personnelle qui a fait sa marque de fabrique (p. 142).

 

         Prolongeant la question des influences, Bernard Aikema s’interroge sur le lien entre le peintre et l’Italie en posant la question d’une émulation ou d’une opposition (p 144). L’historien rappelle que ces rapports ont souvent été laissés de côté, notamment parce que Grien souhaitait échapper à la manière italianisante de Dürer, mais que certains de ses dessins pourraient s’inspirer d’artistes italiens que ce dernier aurait pu connaître via Dürer ou des reproductions (p. 145). Ce qu’Aikema retient de ses dialogues, c’est que les références de Baldung à l’art italien sont souvent sorties de leur contexte en plus de se voir ajouter une certaine violence voire une sensualité très explicite (p. 146). C’est alors que l’auteur propose une analyse plus poussée du lien qui pourrait unir Baldung et Lotto (p. 147-148) à l’aide de deux scènes, la nativité et un portrait de Saint Jérôme accompagné de la vierge (p. 149). Selon lui, les jeux de lumière ainsi que la présence humoristique d’anges ou de putti contribueraient à justifier son hypothèse. Une autre hypothèse serait les portraits féminins sur fond noir que Baldung emprunterait directement à Dürer voire à Cranach ou encore aux écoles de Giorgione et Botticelli (p. 150). L’historien en conclut que ce type de tableaux devait peut-être servir de sujets de discussions à une élite de la Renaissance et que le lien avec l’Italie mériterait d’être approfondie, tout comme une lecture historique qui ferait de ces œuvres une imitation typique de la Renaissance (p. 152). 

 

         Christian Müller interroge ensuite une série d’esquisses conservée au musée de Bâle sous la dénomination du « pseudo Leu » (p. 154) afin de démontrer une possible influence de Dürer et Baldung (p. 155) sur cet artiste inconnu. Une copie particulièrement fidèle de La Naissance du Christ datée de 1504 et également conservée à Bâle vient appuyer la théorie de l’auteur (p. 156). Chacune des 13 esquisses se voit alors minutieusement analysée et comparée à des compositions similaires conservées à Berlin ou encore au Louvre et établit des parallèles potentiels avec Dürer et Hans Baldung Grien, que ce soit au niveau des dates potentielles, de la technique utilisée ou encore des motifs représentés (p. 157-162). Si l’historien en déduit que la plupart doivent être des copies (p. 163), certains dessins ont dû être des esquisses pour des œuvres propres, à l’instar des Deux femmes ensorcelant un vieillard (p. 164). Ce qui demeure sûr, c’est que le pseudo Leu a une préférence pour les dessins figuratifs sortis de leur contexte (p. 165). En guise de conclusion, Christian Müller tente de percer le mystère identitaire entourant la figure du bien mal nommé « pseudo Leu » : celui-ci aurait davantage de points communs avec Baldung qu’il aurait croisé lors de l’installation strasbourgeoise de ce dernier. Malheureusement, son talent n’eut pas le même succès, ce qui le fit tomber dans l’oubli (p. 166).

 

         Sans transition, Ariane Mensger revient aux talents vitriers de Hans Baldung Grien, rappelant qu’en plus de ses esquisses, une série de maquettes a également été conservée et signée douteusement de son nom avant que Carl Kochs ne vienne remettre un peu d’ordre et de méthodologie en 1941 (p. 168). La vingtaine de maquettes créées continuellement par le peintre ne possède en effet que rarement de date ; ainsi leur chronologie repose sur des comparaisons stylistiques entre les dessins (p. 170). Ces absences de dates et de signatures doivent se comprendre selon l’auteur comme le fait que Hans Baldung Grien ne jugeait pas ces esquisses comme des œuvres à part entière (p. 172), d’autant plus que celles-ci se trouvaient être des commandes de verriers aux instructions précises voire qui lui donnaient des esquisses de dessins (p. 173). Cela explique notamment les dessins aux traits et aux encres différentes (p. 177) ou encore les copies décalquées que l’on peut trouver dans certains cas (p. 179). Il semble néanmoins que l’empreinte du peintre ait été suffisante pour qu’il influence d’autres générations de dessinateurs et vitriers, conclut l’autrice (p. 180).

 

         C’est alors à Wolfgang Zimmermann d’interroger le monde de la sorcellerie dans l’imaginaire artistique et théologique du Moyen Âge tardif dans le Rhin supérieur. Selon lui, l’œuvre de Baldung reflèterait les discours politico-sociaux sur le sujet (p. 182). Dans un premier temps, l’auteur rappelle la définition et les faits qui ont conduit aux croyances en la sorcellerie (p. 183—187) avant de s’attacher aux représentations graphiques archétypales émergeantes de la fin du XVe siècle accompagnant tracts et pamphlets contre les magiciennes et qui seront largement repris par Baldung (p. 188). Zimmermann compare alors le fameux Sabbat des sorcières à une page illustrée d’un livre de Geiler von Kaysersberg pour en démontrer les ressemblances afin d’établir une filiation entre les discours des érudits et ses créations artistiques (p. 190), créations qui inspireront à leur tour d’autres auteurs comme Ulrich Molitor (p. 192). Toutefois, l’auteur constate une évolution dans le domaine de l’art, là où Baldung et ses contemporains estimaient que certaines pratiques de sorcellerie n’étaient que des visions transmises par le diable, les générations postérieures croiront à la véracité de ces pratiques (p. 191). 

 

         Yvonne Owens suit une problématique proche de son prédécesseur en s’intéressant aux figures féminines et bestiales dans l’imaginaire de Hans Baldung Grien. Parce que la vieille sorcière encadre toujours les plus jeunes dans les tableaux du peintre, Owens suggère que cette figure reflète les réflexions et les discours sur la vieillesse de la femme à la Renaissance (p. 194). Rappelant les théories aristotéliciennes et hippocratiques, l’autrice évoque les théories humorales et gynécologiques pour expliquer la raison qui fait des femmes des sorcières (p. 195), avant de rappeler que les discours de l’époque suggéraient que le mal se voyait à travers le mauvais œil des vieilles femmes, phénomène traduit en peinture par le regard fier et lubrique chez Baldung (p. 197). Ce même regard était capable selon religieux et médecins, d’ensorceler et de rendre malade quiconque le voyait (p. 198). Baldung joue donc avec ces discours en représentant des sénescentes particulièrement viriles, femmes inversées représentant la perversion et le mal ultime (p. 199). L’historienne rappelle ensuite que les œuvres antiques latines furent rééditées par les humanistes strasbourgeois et que certains auteurs à l’instar de Virgile ou Varron, listèrent des sortilèges (p. 200), notamment certains utilisant du sang menstruel de jument (p. 201), ce qui explique la présence du duo cheval/sorcière, en particulier dans Le Palefrenier ensorcelé (p. 202). En ce sens, Owens conclue que les tableaux de Hans Baldung Grien sont issus tant des discours médicaux-religieux que littéraires redécouverts au début de la Renaissance.

 

         Daniela Bohde, Anna Christina Schulz et Irene Brückle prolongent la réflexion autour des figures féminines pour étudier les corps féminins en clair-obscur chez Baldung. Les autrices rappellent la distance que prend le peintre avec ses prédécesseurs par le choix de gravures en couleur et par le choix d’émancipation du modèle traditionnel géométrique utilisé au XVe siècle pour créer des représentations humaines (p. 204). De plus, utilisant la xylographie, Baldung expérimente, notamment, le clair-obscur, ce qui va le mener à jouer avec les règles spatiales (p. 205). Non content de réinventer sa technique, le graveur va plus loin et réinvente la représentation de la sorcière en l’érotisant, voire en thématisant la lubricité comme dans le Souhait de la nouvelle année avec trois sorcières (p. 207). Baldung va même jusqu’à jouer avec son public : afin de pouvoir observer sa signature sur cette même gravure, l’observateur doit tourner la page, donc toucher le papier et par conséquent les corps des sorcières, faisant de la gravure même un objet érotique (p. 208). Allant plus loin, les autrices étudient l’obscénité mystérieuse de La Sorcière et le dragon-poisson (p. 2010) pour démontrer l’inversion des genres ainsi que l’obsession charnelle propres à Baldung. Cette obsession se reflète dans la technique utilisée du contour noir, de la couleur blanche et des rayures visant à rendre toute la profondeur et l’aspect charnu du corps (p. 211). Un troisième exemple vient alors confirmer cette hypothèse, celle de la Lucrèce Grienienne (p. 212) dont le corps érotisé et présenté aux spectateurs (qui deviennent les avatars de son mari et de son père) vient paradoxalement atténuer sa vertu (p. 213). Analysant plus avant les techniques du clair-obscur dans la gravure (p. 214), les trois autrices concluent sur le fait que ce clair-obscur est justement ce qui va permettre à l’espace d’exister et au corps d’être créé : il semble également que seul les corps féminins soient approfondis d’où la sensation érotique naissante pour le spectateur et en laquelle réside tout l’art de Hans Baldung Grien (p. 215). 

 

         Faisant office de transition entre féminin et masculin, l’intervention d’Ulrich Söding s’intéresse aux portraits à tendances souvent maniéristes peints par Baldung (p. 218). Cette autonomisation du portrait a d’ailleurs été souvent critiquée (p. 219) mais ne semble jamais avoir été étudiée dans une perspective diachronique, confrontant les esquisses aux tableaux finaux, étude que propose l’auteur (p. 219). Les premiers portraits témoignent d’une évolution de la perspective, de la profondeur et du travail de la couleur qui gagnent en complexité depuis le fameux Autoportrait jusqu’à ceux représentant les Rois Mages au dos du retable éponyme (p. 220). C’est à son arrivée à Fribourg qu’il va commencer à mettre véritablement ses modèles en scène, notamment le Comte Christoph Ier dont les difformités faciales (la bosse du nez ou son côté aquilin, les nombreuses rides, etc.) se veulent des marques de pouvoir et d’autorité (p. 221). Le ton change quelque peu entre l’esquisse faite en 1512 et le portrait réalisé en 1515 qui représente le même personnage vieilli (p. 222) voire apathique, phénomène interprété par l’auteur comme une annonce de ses faiblesses intellectuelles qui lui vaudront sa destitution un an plus tard (p. 224). Baldung se voit confier à la même époque la charge du retable de la cathédrale de Fribourg sur lequel il représentera les portraits des trois gardiens et du concepteur dans un même tableau en adoration devant la vierge dont les expressions semblent croquées sur le vif et par là particulièrement authentiques (p. 225). Ce « pris sur le vif » se trouvera également dans une esquisse d’un homme à l’identité inconnue également trouvée dans le carnet de Hans Baldung (p. 226). Lors de sa seconde installation à Strasbourg, le peintre est commandité par l’élite intellectuelle humaniste et religieuse dont il va faire les portraits, à l’instar de ceux de Balthasar Gerhardi (p. 227) ou encore de Caspar Hedia (p. 228) et qui montrent tous les deux une certaine rigueur physionomique censée leur rendre toute leur superbe (p. 229). Söding en conclut une certaine perspicacité du peintre malgré sa légèreté à faire de ses portraits des types de personnalité ou de tempérament. Il rappelle également qu’à défaut d’un décor ou d’une physionomie parfaits, le peintre se concentre sur l’émotion et le chef des modèles, ce qui caractérise son maniérisme rappelant le gothique tardif et l’éloigne en cela des artistes de la Renaissance italienne (p. 230). 

 

         Ueli Dill poursuit les réflexions de son prédécesseur en s’attachant aux esquisses d’épigrammes que Boniface Amerbach écrivit pour deux portraits peints par Hans Baldung Grien, bien qu’il soit vraisemblable que ces derniers ne se soient jamais rencontrés (p. 232). Boniface, très inspiré par les œuvres antiques, s’est attardé sur les épigrammes dont il composa quelques-unes lui-même (p. 233) dont deux destinées à être insérées dans les tableaux représentant Philipp Voyt et Goerg Koler par Grien (p. 234). L’auteur montre la maladresse du poète dans sa première épigramme grecque, à travers le rythme inexact, les fautes orthographiques (p. 235), sans oublier les intertextes maladroitement adaptés (p. 236). La deuxième épigramme, latine, semble également très maladroite (p. 237-238). Dill rappelle ensuite les diverses traditions liant portraits et épigrammes (p. 239-241) dont Amerbach aurait eu connaissance durant ses études universitaires à Fribourg, moment où il aurait pu rencontrer le peintre (p. 242). L’auteur en conclue diverses hypothèses : soit il s’agit de tableaux perdus, soit de tableaux en planification, soit d’un jeu d’étudiants, soit le coût demandé par Baldung aurait été trop élevé, ce qui expliquerait aussi que les épigrammes soient restées à l’état d’esquisse (p. 242). 

 

         Oliver Jehle, pour sa part, s’intéresse aux liens qui unissent Baldung à la musique et propose une lecture épidictique du diptyque des Trois Grâces et des Trois Ages, formulant l’hypothèse que ces derniers sont un éloge du musicien Ludwig Senfl (p. 246). L’auteur, après une description des deux tableaux qu’il rapproche de la tradition picturale du memento mori (p. 247-251), évoque la présence du chat-huant et l’omniprésence de la musique qui laisseraient à penser que non seulement le peintre s’est inspiré d’une chanson de Senfl (p. 252), mais que de surcroit le choix de cet animal permettrait une double lecture, celle de l’allégorie de la mélancolie et de l’hybris d’une humanité en quête de savoir mais au savoir qui la perd, suite au péché originel (p. 253). La partition des Grâces, lu par Jehle comme la voix soprane d’une chanson de Senfl, est partiellement entravée par un cygne dont le coup est brisé par un putto (p. 254). Cet animal est associé à la beauté puisque c’est, selon Erasme, à sa mort qu’il chante le mieux (p. 255), aussi vaudrait-il comme l’allégorie de la mort du musicien, décédé l’année de conception du diptyque selon l’auteur (p. 256). Jehle ouvre son exposé sur une lecture herméneutique, en chiasme des deux tableaux, invitant le spectateur à réfléchir sur la voie qu’il souhaite suivre dans sa vie : celle des plaisirs ou celle de la connaissance, tous deux menant toutefois au même résultat. La croisée des différentes interprétations se rapproche, selon l’auteur, du syncrétisme antique repris avec joie par les humanistes de la Renaissance (p. 257). 

 

         Dans le pénultième article de l’ouvrage, Jan Nicolaisen s’attache à ce qu’il nomme la « privatisation » de l’image, concept qu’il définit comme la propension des artistes à réagir aux aspects privés et quotidiens de la vie à partir du XVe siècle. Baldung plus que tout autre, semble s’être posé la question de ce qu’est le temps à travers son œuvre, ce que l’auteur se propose d’étudier (p. 260). Dans un premier temps, Nicolaisen rappelle d’une part la personnalité très commerciale de Baldung (p. 262) et d’autre part son art subversif représentant des femmes souvent nues et dominantes, phénomène demeuré jusque-là tabou en donnant pour exemple la gravure Aristote et Phyllis ou encore les nombreuses représentations de sorcières (p. 263). L’auteur fait remonter cette vision à l’Eve de son Péché originel dont la conséquence pour les chrétiens fut de faire apparaître la temporalité et par conséquent la mort (p. 264). Cette constatation mènera Baldung à une représentation particulièrement comique des Parques dans laquelle les allégories du destin sont elles-mêmes soumises à l’âge et donc représentées comme humaines, en partie dominantes et implacables et en partie nues et érotisées. Cette érotisation de la mort semble caractéristique de Baldung selon l’auteur (p. 265) mais sera laissée de côté dans ses dernières oeuvres, en particulier dans les Sept âges de la femme et les Trois âges de la femme et la Mort autour desquelles l’auteur se concentre et qu’il décrit brièvement (p. 266-267). Nicolaisen propose alors de lire ces tableaux en parallèle des Confessions de Saint Augustin et notamment du livre onze où le philosophe se consacre à la question du temps. La plus ancienne des sept femmes, en se démarquant et en regardant vers la gauche (endroit où se trouvent l’enfant et un plan de vigne), se souvient et attend simultanément, figurant par-là certaines formulations du père de l’Église (p. 268). De fait, ce tableau privé prend une propension universelle en montrant le drame de toute l’humanité. Toutefois, le rosaire dans les mains de l’enfant ainsi que le crucifix dans les mains de la deuxième femme entraînée par la Mort indiquent une espérance, celle d’échapper au temps par la religion que l’auteur interprète comme une preuve de protestantisme (p. 269). Par ailleurs, Nicolaisen rappelle que la mort, phénomène jusqu’alors religieux, acquiert une dimension médicale au XVIe siècle (p. 270) pour laquelle l’état du corps donne des indications sur le décès prochain. Le génie de Baldung réside pour lui dans le fait que l’artiste ait su rendre la justesse des physionomies de chacun des âges tout en l’associant à un état d’esprit correspondant. L’historien conclut en montrant le passage de l’érotisme léger à la confrontation avec des thèmes plus dramatiques, phénomène qui, selon lui, révèle l’apport philosophique et humaniste de Baldung (p. 271). 

         

         Dans le dernier article du volume, Justus Lange donne la parole à Oscar Eisenmann, pionnier de la critique Grienienne du XIXe siècle. Tombé injustement dans l’oubli, cet historien défendit sa thèse de doctorat consacrée au peintre (la première publication sur Baldung) en 1869 à Tübingen avant de publier une biographie en 1878 (p. 274). Après de courts rappels biographiques, l’auteur revient sur les sources (peu nombreuses) qui évoquent Eisenmann et constate une évolution quantitative au courant du XIXe siècle (p. 276), avant de s’attarder sur la thèse de l’historien (p. 277-278). Celle-ci n’ayant jamais été publié, un rapport permet de comprendre l’impressionnant travail de recherche biographique accompli bien que celui-ci ait été jugé superficiel. Eisenmann fut nommé directeur du musée des beaux-arts de Kassel en 1877 qui doit énormément à son talent puisque ce dernier fut capable d’acquérir de nombreuses œuvres des anciens maîtres dont l’auteur établit alors la liste (p. 279-281). Une lettre écrite par le Dr. Stiassny le place en tant que pionnier de la recherche Grienienne alors qu’un article du même docteur condamne le travail de Gabriel von Térey (p. 282-283). Lange conclut son article en montrant que malgré une thèse peu acclamée, la carrière d’Eisenmann fut brillante au point que Huysmans lui rendit hommage dans son Roman Là-bas, dans lequel il revient sur les tableaux de Grünewald exposés à Kassel et obtenus par le travail acharné de l’historien (p. 284). 

 

         Si l’on ne peut qu’être subjugué par la beauté des représentations picturales de cet ouvrage, certains points demeurent parfois quelque peu dérangeants et ce, malgré la qualité des contributions scientifiques qui dressent un large panorama de la recherche Grienienne. En effet, certains articles sont bien éloignés du sujet d’étude principal, ainsi ceux de Christian Müller, de Wolfgang Zimmermann ou de Ueli Dill, où le rapprochement tarde à être fait quand il n’est pas bancal. Par ailleurs, il est quelquefois difficile de suivre certains textes faute de représentations qui auraient pourtant considérablement simplifié les explications données (comme dans le cas de Bernard Aikema). La démonstration de certains textes est excellente malgré quelques coquilles dans l’ouvrage. Il aurait également été intéressant de faire interagir les contributions avec les diverses sections de l’exposition… Cependant, la lecture est aisée, la langue utilisée particulièrement limpide et s’adresse donc à un large public. De plus, le livre, par ses renvois à d’autres pages (pour les illustrations ou des approfondissements donnés dans d’autres articles), fonctionne comme un ensemble harmonieux. Non content de se cantonner à la figure du peintre, ce volume propose une exploration de l’époque Renaissance en fournissant moult détails culturels, techniques, artistiques et philosophiques. Il est une obligation pour quiconque souhaite se familiariser avec les anciens maîtres ainsi qu’avec l’humour et la liberté de penser d’Hans Baldung Grien. 

 

 

Sommaire

 

Zur Einführung : Etappen der Baldung-Rezeption / Holger Jacob-Friesen und Oliver Jehle, 6

Der Fall Baldung / Joseph Leo Koerner, 18

Hans Baldung Grien : Herkunft und Verwandtschaft / Casimir Bumiller, 36

Baldung in Nürnberg : Neue Überlegungen Teil I : Tafelmalerei und Zeichnung / Daniel Hess, 48

Baldung in Nürnberg : Neue Überlegungen Teil II : Glasmalerei / Hartmut Scholz, 58

Dürer : Baldung : Grünewald? / Michael Roth, 68

Baldung versus Dürer : Wettstreit oder Gegenbild? / Sabine Söll-Tauchert, 80

Exemplarisch schön, exemplarisch leidend : Der heilige Sebastian bei Dürer und Baldung / Holger Jacob-Friesen, 92

Ein "Fall" von selbstbewusster Ambivalenz : Die Adam-und-Eva-Darstellungen Baldungs und ihr Verhältnis zu Dürer / Julia Carrasco, 106

Zum ikonografischen Stil von Hans Baldung Grien / Thomas Noll, 118

Erneuerung durch Rückgriff auf Älteres : Byzantinisches Bildgut in Hans Baldung Griens Werk der Freiburger Jahre / Dietmar Lüdke, 132

Baldung and Italy : Emulation or Rebellion? / Bernard Aikema, 144

Der Pseudo-Leu : Zeichnungen aus Baldungs Strassburger Werkstatt um 1510 im Kupferstichkabinett Basel / Christian Müller, 154

Künstler im Korsett : Hans Baldung als Entwerfer für Glasgemälde / Ariane Mensger, 168

Hexenwelten des Spätmittelalters am Oberrhein : Herrschaftliche Verfolgung : theologische Reflexion : künstlerische Imagination / Wolfgang Zimmermann, 182

The Hags, Harridans, Viragos and Crones of Hans Baldung Grien / Yvonne Owens, 194

Körper im Helldunkel : Baldungs Imaginationen von Frauenleibern / Daniela Bohde, Anna Christina Schütz und Irene Brückle, 204

Profilbildung und Blickrichtung : Baldung und seine Bildnisse / Ulrich Söding, 218

"Ingeniosa manus" : Bonifacius Amerbachs Epigrammentwürfe für zwei Porträts von Hans Baldungs Hand / Ueli Dill, 232

Kreuze, Käuze, Komponisten : Baldungs Schwanengesang / Oliver Jehle, 246

Hans Baldung Grien und die "Privatisierung" des Bildes : Augustinische Bildgedanken zur Zeit und Erinnerung im Spätwerk des Künstlers / Jan Nicolaisen, 260

Der "Altmeister der Baldung-Forschung" Oscar Eisenmann / Justus Lange, 274

Literaturverzeichnis, 286

Abbildungsverzeichnis, 302

Personen- und Werkregister, 311

Impressum, 319

Abbildungsnachweis, 320

 


N.B. : Éric Thil prépare actuellement une thèse de doctorat sous la direction du Prof. Dr. Christiane Solte-Gresser (université de Sarrebruck), qui porte sur "La culture de la subversion : L’homosexualité masculine dans la littérature européenne de 1830 à 1930".