Mulvin, Lynda – Westbrooks, Nigel (eds): Late Antique Palatine Architecture. Palace and Palace Culture: Patterns of transculturation (Architectural Crossroads 5). 213 p., 110 b/w ill. + 50 colour ill., 10 b/w tables, 220 x 280 mm, ISBN: 978-2-503-57472-1, 90 €
(Brepols, Turnhout 2019)
 
Compte rendu par Xavier Lafon, Aix-Marseille Université
 
Nombre de mots : 2484 mots
Publié en ligne le 2021-02-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3914
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          Cet ouvrage, dédié à la mémoire de Ulrike Wulf-Rheidt (DAI Berlin), récemment décédée lors d’une mission à Athènes, s’appuie principalement sur un colloque tenu à une date non précisée dans les locaux de l’université de Dublin (University College), à laquelle est rattachée Lynda Mulvin ; pour sa part Nigel Westbrook est professeur à l’université d’Australie occidentale (UWA). Le volume regroupe neuf contributions parfaitement en adéquation avec le titre adopté par les éditeurs, à l’exception d’une seule : il s’agit de la présentation de la porticus post scaenam du théâtre de Saint-Bertrand-de-Comminges qui, ni par sa date (julio-claudienne) ni par sa fonction de promenade publique, ne peut être considéré comme un palais… Une bibliographie générale placée en fin de volume reprend tous les titres cités dans les différentes contributions. L’illustration, partiellement en couleurs, est de bonne qualité, avec un certain nombre de figures inédites, et ne nécessite pas de commentaire particulier.

 

       Le cadre géographique retenu est particulièrement vaste puisqu’il correspond aux limites de l’Empire romain classique, et même au-delà avec la mention de palais moyen-orientaux (sassanides en particulier). Chronologiquement, le propos va bien au-delà de ce que l’on entend habituellement par « Antiquité tardive » puisque le point de départ de l’enquête est constitué par le palais impérial, érigé progressivement sur la colline du Palatin, et s’achève avec les palais du Saint-Empire romain germanique, carolingiens et même postérieurs. L’objectif est en effet d’examiner le palais comme lieu où se manifeste et s’exerce le pouvoir impérial dans la ville, sans négliger les relations qu’il entretient également avec les grandes résidences rurales héritières de la villa romaine. De ce fait, deux monuments permettent de fixer des jalons essentiels pour mesurer les permanences, et bien évidemment également les innovations, qui marquent cette longue période de l’histoire politique de l’Europe. Il s’agit, d’une part, de l’ensemble monumental érigé par les empereurs du Haut Empire sur le Palatin et, d’autre part, du palais/villa construit par Dioclétien à Split à la fin du IIIe s./début du IVe s. pour abriter sa retraite.

 

       Ces deux ensembles font l’objet de communications spécifiques. Au Palatin est consacrée la contribution d’Ulrike Wulf-Rheidt qui, durant de longues années, a travaillé avec une équipe principalement allemande à en définir les différentes phases de construction grâce à l’apport des techniques de l’archéologie de la construction, notamment l’étude des parements de briques. Ces données rendent nécessaire une nouvelle approche de l’histoire de cette colline, comme vient de le faire plus récemment encore Pierre Gros dans un article paru dans le dernier numéro de la Rivista dell’Istituto nazionale d’archeologia e storia dell’arte[1]. En particulier le rôle attribué à Rabirius, l’architecte de Domitien, est largement réduit au profit de la réalisation d’un projet continu ; au contraire l’emprise du palais flavien est élargie, avec une place essentielle attribuée pour cette phase aux jardins. Chacune des phases ultérieures est également parfaitement définie. Les innovations dans les salles d’apparat, en même temps que leurs limites par rapport aux palais tétrarchiques, sont bien mises en évidence. Pour ne prendre qu’un exemple, la position des fenêtres, basses à l’époque flavienne, hautes (ne permettant pas ainsi de vue sur l’extérieur) dans la basilique de Constantin, suffit à montrer l’écart entre les périodes malgré la polyvalence des grandes salles (réceptions officielles vs salles à manger) déjà de mise sous Domitien et ses successeurs. Cet article montre tout ce que ce type d’études peut apporter à notre compréhension de ce complexe, pourtant déjà largement exploré depuis le XIXe s.

 

       Le Palatin fait l’objet d’une deuxième contribution par Sarah Wilson, étude consacrée plus spécialement aux pignora imperii, c’est-à-dire aux objets sacrés localisés, à l’origine, sur le Palatin mais qui, en raison de leur facilité à être déplacés, purent par la suite partir à Constantinople et garantir ainsi, à leur façon, la continuité du pouvoir impérial. L’origine orientale d’au moins deux d’entre eux – la Magna Mater et le bétyle d’Elagabal –, abrités dans deux temples contrôlés par le pouvoir impérial, est soulignée, facilitant par là même leur « retour » vers l’Orient. Toutefois, seul le transfert de la Magna Mater est attesté. Avant de passer à Split, une troisième communication concerne Rome et prend davantage en compte le tournant que constitue l’Antiquité tardive : il s’agit de la contribution d’Elisha Annn Dumser consacrée aux résidences romaines de Maxence. Arrivé au pouvoir sans passer par les voies officielles de consécration, Maxence a plus construit à Rome que les autres empereurs contemporains (basilique, reconstruction du temple de Rome et Vénus, salle d’audience sur le forum). Son pouvoir est demeuré fragile et de fait, en l’absence de textes littéraires, ces travaux sont connus quasi exclusivement par des frappes monétaires. En revanche, il se doit de résider sur le Palatin, abandonné par ses prédécesseurs de la Tétrarchie, où il rétablit le rite de la salutatio, mais parallèlement il fait construire un autre « palais » sur la via Appia, à 2,5 miles de la muraille, pour montrer que la situation politique et militaire est bien sous son contrôle. Cette villa avec son mausolée, son cirque et ses salles à absides reprend de fait tous les éléments qui caractérisent désormais les résidences impériales tout en demeurant clairement une villa par sa situation péri-urbaine.

 

       C’est Split, avec le palais de Dioclétien, qui constitue le deuxième monument de référence, emblématique cette fois des nouveautés apportées par la période tétrarchique. Celui-ci fait l‘objet de deux interventions, celle de Josip Belamaric consacrée exclusivement au palais de la côte dalmate et celle de Verena Jaeschke, plus générale sur l’architecture palatiale tétrarchique et le concept de souveraineté. L’objectif de J. Belsamaric est de définir la fonction principale et donc le nom qu’il convient d’attribuer au « palais » de Split : « Palais sacré, villa avec manufacture ou château (en français dans le texte) ». On peut regretter que son analyse du palais demeure principalement philologique pour la période de Dioclétien, sans tenir davantage compte par exemple des données apportées par le colloque consacré aux 1700e anniversaire de la construction, dont il était un des co-éditeurs[2]. De ce fait, les liens avec les demeures impériales antérieures, qu’il s’agisse du décor architectural ou du modèle de la villa maritime du haut Empire, sont quelque peu négligés, même si la date proposée, 298, pour les débuts des travaux de construction est légèrement avancée par rapport à la date de l’abdication, 305, généralement retenue. Toutefois cet auteur met l’accent sur les aménagements antérieurs du site. La présence d’un port, détruit pour permettre la construction du palais, est un acquis essentiel des dernières fouilles qui montrent ainsi l’existence d’une agglomération préexistante sur le site. La conclusion ne tranche pas véritablement entre les différentes fonctions évoquées dans le titre (en particulier celle d’ateliers de production clairement attestée seulement au Ve s.) mais l’auteur insiste à juste titre sur le côté défensif, finalement très limité au départ malgré l’existence de l’enceinte : des travaux de renforcement des défenses furent très vite nécessaires afin de faire du palais un lieu de refuge pour les populations locales. De même, la christianisation rapide des lieux et sa transformation en ville sont bien mises en évidence alors que Split est encore en état de loger, comme palais impérial, Galla Placidia et son fils Valentinien III en 424-425.

 

       La contribution de Lynda Mulvin, co-organisatrice de cette rencontre, couvre un champ beaucoup plus vaste géographiquement et thématiquement. Forte de sa connaissance du monde des villas balkaniques pendant l’Antiquité tardive, elle propose de rechercher les éléments qui montrent comment ces villas et les palais contemporains témoignent d’une image d’autorité. Les unes et les autres sont généralement fortifiés en raison de la proximité de la frontière et des menaces d’invasion. De façon apparemment paradoxale, cette situation est à l’origine d’un grand développement économiques des villas chargées du ravitaillement des armées, notamment à travers l’organisation d’un vaste réseau d’horrea, armées dont les effectifs régionaux dépassent 200 000 hommes. Deux lignes de défense et de ravitaillement sont ainsi mises en place, contribuant à faire de cette période celle de la plus grande prospérité de cette région désormais capable également d’exporter des surplus vers la zone méditerranéenne. L’analyse architecturale de ces palais et villas reprend les schémas bien connus à partir de la tétrarchie, avec multiplication des salles à absides multiples précédées par un péristyle, le remplacement du triclinium par le stibadium, la fermeture vers l’extérieur des espaces de réception, etc. La partie productive des villas n’est pas négligée pour autant : sur 18 villas connues, 15 possèdent des horrea. Si le concept de la villa comme lieu de pouvoir et de développement économique ne peut être considéré comme une nouveauté, les exemples choisis dans ce contexte particulier des régions danubiennes apportent des informations nouvelles, même s’il demeure encore impossible d’obtenir une véritable cartographie du développement de ces villas en raison du trop petit nombre de sites identifiés.

 

       Les deux dernières interventions concernent à proprement parler le monde médiéval, bien au-delà de ce que laisse entendre le titre du volume, mais le lien avec la période précédente, le modèle du palais impérial, demeure le fil conducteur essentiel. Cela est particulièrement vrai pour la première, que Nigel Westbrook consacre aux survivances des traditions architecturales romaines dans le Grand Palais byzantin de Constantinople. La question de fond, pour cet auteur, est de savoir s’il s’agit d’une véritable continuation des pratiques romaines, donc sans solution de continuité, ou seulement de « citations émulatives ». Il s’ensuit une analyse historiographique complexe sur ce que l’on entend comme caractéristiques de cette architecture romaine, le moment de sa disparition en tant que telle (milieu du VIe s. pour Simon Ellis) en lien avec le renforcement du pouvoir central qui rendrait moins nécessaire l’existence de domus à péristyle… La villa de Piazza Armerina et le palais du Latran marqueraient l’ultime transformation du palais hellénistique alors que d’autres auteurs comme Lippolis ont montré, au contraire, la continuité des pratiques romaines jusqu’à la conception du palais théodosien de Constantinople. Il est impossible de trancher en quelques pages entre ces deux conceptions (que l’on retrouve au moins en filigrane dans l’ensemble des contributions de ce colloque) pour mettre en évidence l’étape essentielle que constituent les palais de la Tétrarchie. L’intérêt principal de cette communication réside cependant, pour le rapporteur, dans le rappel de l’importance des échanges entre le monde romain et l’Empire Sassanide du IVe au VIe s., après ceux qui caractérisaient déjà le Haut Empire, au moins depuis Néron et la Domus Aurea, Hadrien et le Panthéon. Les échanges entre les deux empires n’ont pas concerné uniquement les guerres quasi permanentes mais également la sphère culturelle, et principalement pour ce qui concerne le sujet de ce colloque, l’architecture. Les ambassades réciproques, la captivité même de deux empereurs romains permettent de comprendre les rapports qu’entretiennent le palais de Takt-e Taqdis (Iran), les Iwan et autres constructions sassanides (listées p. 151, fig. 17-18) et les constructions constantinopolitaines (le « palais d’Antiochos », le chrysotriklinos construit par Justin II etc.). L’analyse des différents éléments constituant le palais byzantin menée à travers la lecture du Livre des cérémonies et des données archéologiques ne renvoie pas aux principes de l’architecture romaine mais à un cérémonial en partie au moins inspiré du monde sassanide. Cependant, parallèlement, il reste des éléments qui trouvent leur origine dans les pratiques romaines comme la salle absidiale dans le « péristyle à mosaïques » où était reçue la faction des « Verts », rencontre symbolisant la ville et l’empereur, montrant qu’il existe toujours à Constantinople une activité politique inspirée de celle de Rome. L’auteur voit dans cette continuité une différence avec le monde carolingien, où il sera davantage question d’une vision idéalisée du passé.

 

       C’est à Bern Nicolai qu’il revient de traiter cette question du maintien (ou non) d’une construction « more romano » dans les palais du Saint-Empire romain germanique. Charlemagne, avant même son couronnement romain en 800, avait entrepris la construction de son palais et de la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle (travaux datés par dendrochronologie à partir de 793), réunis par un long corridor. De fait, une véritable concurrence oppose cette construction et celle, strictement contemporaine (797-798), du palais du Latran par le pape Léon III. Les Carolingiens concilient donc une tradition germanique, celle du « grand hall », avec celle de la villa romaine de l’Antiquité tardive, notamment l’existence de salles à absides. La communication liste toutes les résidences impériales dont l’existence est connue, généralement uniquement par les textes (par exemple celle qu’Othon III entreprend à Rome même en 998), en comparant les rares données disponibles avec celles de villas tardives comme Téting (Moselle) ou Montmaurin (Haute-Garonne). Il relève ainsi ressemblances et différences. L’abbaye de Müstair, dans les Grisons, fondée autour de 775 par Charlemagne, constitue la dernière de ces résidences rurales inspirées du monde romain mais Bern Nicolai refuse d’y voir un « palais-abbaye » annonciateur du véritable palais carolingien. Une certaine tradition romaine de la villa se maintient donc sous les Carolingiens mais disparaît rapidement sous les Ottoniens, dont les « palais » sont plus réduits en surface, souvent construits intégralement en bois et assimilables à des forteresses. Seules les fresques à caractère historique présentes dans ces résidences permettent d’établir un lien avec le monde romain, tout comme le « deuxième couronnement » toujours organisé à Rome. Mais on est désormais plus dans la « citation » que dans une véritable continuité.

 

       Malgré ses dimensions réduites, cet ouvrage permet d’aborder de façon convaincante cette question peu souvent traitée de la « déromanisation » de l’architecture européenne. Si l’accent est clairement mis sur le moment de rupture que constituent les résidences impériales de la période tétrarchique, le phénomène suscite des visions encore sensiblement différentes. Tout cela demande d’élargir notre vision même du monde romain et de ses transformations permanentes, souvent en lien avec des « influences » extérieures que l’on a trop souvent tendance à négliger.

 

 


[1]Pierre Gros, Le palais impérial d’Auguste à Maxence : conquête de la colline et domination de la ville, RINASA, 75, 2020, p. 129-162.

[2] N. Gambi, J. Belamaric, T. Marasovic (edit.),  Proceedings of Diocletian Tetrarchy and Diocletian’s  Palace on the 1700th Anniversary of Existence, Split 2009.


 

 

Table des matières

 

Introduction (p. 7)

 

Preface in commemoration of Ulrike Wulf-Rheidt (p. 15)

 

List of Figures (p. 19)

 

Ulrike Wulf-Rheidt , The palace of the Roman Emperors on the Palatine in Rome (p. 23)

 

Sarah Wilson, Magna Mater and the pignora imperii : Creating Places of Power (p. 37)

 

Elisha Ann Dumser, The Political Power of the Palace : The Residences of Maxentius in Rome (p. 51)

 

Verena Jaeschte, Adapting to a New Concept of Sovereignty : Some Remarks on Tetrarchic Palace Architecure (p. 63)

 

Josip Belamaric, Diocletian’s Palace : Villa, Sacrum Palatium, Villa-Cum-Factory, Château ? (p. 77)

 

Lynda Mulvin, Architecture, Innovation and Economy in the Late Roman Danube-Balkan Region : palaces and « productive Villas from Pannonia (p. 95)

 

Daniel M. Millette, The Porticus Post Scaenam of Lugdunum Convenarum (p. 115)

 

Nigel Westbrook, The Question of the Survival of Roman Architectural Tradition within the Byzantine Great Palace (p.137)

 

Bernd Nicolai, « In More Romano » : Medieval Residences of the Holy Roman Empire (p. 165)

 

Bibliography (p. 185)

 

Index (p. 211)