Pilz, Oliver: Kulte und Heiligtümer in Elis und Triphylien. Untersuchungen zur Sakraltopographie der westlichen Peloponnes, xiii-455 p., 54 ill., 24.0 x 17.0 cm, ISBN : 978-3-11-060832-8, 119,95 €
(De Gruyter, Berlin 2020)
 
Compte rendu par Jacques des Courtils, Université Bordeaux Montaigne
 
Nombre de mots : 1787 mots
Publié en ligne le 2022-10-20
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3920
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       L’ouvrage d’O. Pilz est une version remaniée de sa thèse d’habilitation soutenue à Mayence en 2016-2017. L’auteur a fait preuve d’un grand courage en choisissant de s’attaquer à un sujet doublement difficile. La présence, au milieu de la région considérée, du site d’Olympie était une première difficulté en raison de la disproportion entre ce sanctuaire panhellénique qu’on pourrait qualifier de mondialement connu et les petites cités d’Élide et de Triphylie. Traitant des cultes locaux, l’auteur a logiquement choisi de ne traiter du sanctuaire de Zeus que les aspects religieux et cultuels qui entraient dans une perspective régionale. La seconde difficulté, plus grave, consistait dans les lacunes des sources, qu’elles soient historiques, épigraphiques ou archéologiques. On a affaire à une de ces régions du monde grec où le système de la polis et le phénomène de l’urbanisation sont apparus tardivement, sauf exception, et qui n’a pas joué un rôle majeur dans l’histoire de la Grèce. Peu cité par les historiens, pauvre en organes administratifs qui eussent généré des textes officiels, peu développé du point de vue des routes et de l’urbanisme, enfin peu fréquenté par les archéologues jusqu’à une époque récente, l’ouest du Péloponnèse soufre d’un déficit documentaire qui se ressent cruellement dans l’ouvrage d’O. Pilz. Heureusement, pourrait-on dire, il y a eu Strabon et surtout Pausanias, ce dernier étant l’auteur le plus souvent cité dans le présent ouvrage et, pour apporter une touche positive, il n’est que justice de reconnaître qu’O. Pilz a rassemblé ici à peu près tout ce qu’il était possible de connaître sur les cultes et les sanctuaires d’Élide et de Triphylie : il reste que beaucoup de sanctuaires ne sont connus que par la tradition écrite et ne sont toujours pas localisés matériellement, et que ceux qui ont conservé des vestiges substantiels (temples de Mazi, de Kombothékra) posent quelques problèmes de restitution ou d’interprétation.

 

       L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. Le premier contient l’indispensable présentation du cadre géographique et des limites administratives des régions considérées, ainsi qu’un exposé historique qui s’étend de l’époque archaïque jusqu’à leur incorporation à la province de Macédoine en 146. Les trois régions considérées (Élis, Pisatide, Triphylie) font ensuite l’objet d’un chapitre chacune, qui passe en revue systématiquement les cultes de chaque cité à l’intérieur de sa région. Le dernier chapitre étudie les « aspects fondamentaux de la tradition cultuelle » de l’entité unifiée sous le patronage d’Élis, en soulignant les intentions politiques qui sous-tendent les liens religieux mis en place au cours du temps.

 

       Pour chacun des sites, l’auteur a réuni avec une ardeur inlassable toutes les ressources documentaires disponibles. Aux écrivains antiques s’ajoutent quelques rares inscriptions mais aussi la numismatique, l’archéologie (fouilles anciennes mais aussi quelques prospections au cours des dernières décennies) et les panthéons locaux avec leur mythographie, ces diverses sources s’éclairant parfois mutuellement – hélas plutôt rarement ! – et permettant dans certains cas d’avoir une connaissance assez précise des cultes de telle ou telle cité. On se trouve souvent en présence de cultes attestés par la tradition mais qu’il n’a pas été possible de localiser sur le terrain, parfois aussi d’édifices religieux dont la destination n’est pas évidente. Ainsi, en Triphylie, Lépréon est la cité la mieux documentée archéologiquement : plusieurs lieux de culte ont été trouvés, en ville et à l’extérieur, mais les identifications ne sont pas sûres…

 

       Un des apports méthodologiques majeurs du livre d’O. Pilz se trouve dans la rigueur avec laquelle il a analysé les rares récits mythographiques et surtout les épiclèses, et les a, quand c’était possible, confrontés avec les données iconographiques fournies occasionnellement par les monnaies, des figurines votives et quelques rares représentations sculptées. On s’aperçoit en le lisant que les régions considérées se caractérisent par une richesse et une variété de cultes qui n’a pas grand-chose à envier aux autres régions de la Grèce. Malheureusement, la pauvreté des sources, souvent réduites à une simple épiclèse locale, ne se prête pas à une étude approfondie, aussi l’auteur a-t-il recouru non seulement, c’est une évidence, à l’étymologie, mais aussi à des comparaisons hors de région considérée, ce qui lui a permis dans bien des cas de jeter un peu de lumière sur des cultes locaux mal connus (en soulignant par place des liens avec les cultes étoliens).

 

       De ces difficultés cumulées on peut prendre comme exemple le cas de la ville d’Élis : à la maigreur des vestiges conservés sur l’agora de la ville s’ajoute la difficulté d’identifier parmi eux les sanctuaires dont les sources nous indiquent l’existence. À l’inverse, on peut reconstituer plus ou moins en détail le panthéon éléen. À l’origine, les divinités poliades des Éléens étaient Dionysos et Athéna mais, au cours du temps, Zeus ainsi que Héra ont progressivement acquis cette place (en rapport avec la mainmise sur le sanctuaire d’Olympie ?). Figurent aussi, entre autres, Hadès, dont le culte est indépendant de ceux de Déméter et Corè, et Héraclès, à propos duquel l’auteur montre les hésitations des Anciens entre l’Héraclès idéen, très présent à Élis ainsi qu’à Olympie, et l’Héraclès thébain, pourtant considéré généralement par les Grecs comme le fondateur des Jeux Olympiques. L’onomastique apporte aussi un appui extérieur dans le cas de Dionysos : les noms théophores confirment la révérence particulière qui s’adresse à ce dieu en Élide, mentionnée par Pausanias, 6, 26, 1. L’auteur mène l’enquête sur les fêtes en étudiant le célèbre miracle de l’eau changée en vin qui eut lieu lors de la fête des Thyia, célébrée dans un lieu situé à 8 stades d’Élis : comme Pausanias insiste sur la distance et mentionne une panégyrie, il paraît loisible de penser qu’il y avait deux fêtes, Dionysia et Thyia, ainsi qu’une procession à ces occasions, et le rapprochement s’impose avec l’Hymne à Dionysos chanté par un chœur de seize femmes dans un sanctuaire de ce dieu proche de la mer.

 

       Si l’Élide et la Triphylie permettent l’élaboration d’un tableau assez riche, il n’en va évidemment pas de même avec la petite Pisatide qui a toujours eu du mal à exister : déjà au temps de Pausanias elle était dépeuplée en comparaison de l’époque de Strabon. Le seul site archéologiquement documenté est celui que Dörpfeld a repéré à Salmoni et qu’il a proposé d’identifier à Dyspontion. La ville d’Œnomaos, Pise, n’était plus que ruine à l’époque romaine. Les sites de la région sont tous liés au cycle d’Œnomaos, Hippodamie et Pélops : lieux de mémoire que O. Pilz serait assez tenté de rassembler sous le vocable « région de mémoire ».

 

       Il paraîtra légitime de souligner deux ordres de considérations particulières envisagées par l’auteur et qui apportent un éclairage bienvenu sur des cultes apparemment très hétérogènes et dispersés : d’une part, la mise en lumière de la bipolarité ville/chôra, d’autre part le traitement politique de ces cultes. Depuis qu’il a été mis en pleine lumière par les travaux de Fr. de Polignac, le rôle unificateur des cultes dans le cadre particulier de la polis grecque est devenu une piste de recherche des plus fécondes. Dans plusieurs cités de l’ensemble régional considéré, O. Pilz montre bien qu’une bipolarité ville/sanctuaire apparaît (à des époques diverses selon les cas) et n’a pas toujours été aperçue. Le cas le plus clair est celui d’Élis et d’Olympie : les Éléens ont certainement pris le contrôle d’Olympie dans le cours du VIe siècle et l’auteur propose de reconnaître dans le bâtiment nord de l’agora d’Élis le lieu où un collège de 16 femmes tissait le péplos d’Héra destiné à lui être remis à Olympie, ce qui permet d’inférer l’existence d’une procession entre les deux sites : du reste, l’existence d’une hiéra hodos les reliant est mentionnée par Pausanias. Dans le dème Orthia, à 8 stades d’Élis, se trouvait la tombe de Physkoa, amante de Dionysos qui fonda son culte dans cette cité et qu’un chœur de seize femmes avait mission de célébrer à Olympie. Un dernier exemple pourrait être celui du temple d’Athéna agorios (= agoraia) à Prasidaki en Triphylie : quasi jumeau du temple d’Athéna à Makiston (Mazi), traduisant une mainmise religieuse de Lépréon sur ces sites.

 

       L’analyse d’O. Pilz pousse l’interprétation des faits religieux jusqu’à ses connotations politiques. De ce point de vue aussi, le cas d’Élis est particulièrement clair : non seulement les Éléens disposent dès le Ve siècle d’une boulè et d’un prytanée à Olympie même (pourtant distante d’une cinquantaine de kilomètres) mais les textes officiels de la cité sont affichés dans ce même sanctuaire. On citera encore l’exportation du culte d’Artémis Alphéiaia d’Élis à Letrinoi qui traduit une mainmise sur le territoire des périèques à la fin du VIe et au Ve, de même que, en sens inverse, le transfert à Élis du culte de Poséidon, célébré dans le sanctuaire de la ligue triphylienne à Samikon, transfert qui aboutit au déplacement de la statue de culte et finalement à l’extinction du culte à Samikon.

 

       Cette lecture « bipolaire » et politique des faits religieux est certainement fondée, comme le montrent ces exemples et d’autres encore, il n’en est que plus regrettable que la déficience des sources ait empêché l’auteur d’en donner un tableau moins lacunaire et une interprétation politico-religieuse plus argumentée, à l’instar de ce qu’a fait Chr. Williamson pour les rapports entre les villes et les sanctuaires de Carie[1].

 

       Pour finir, on soulignera que le découpage des chapitres de cet ouvrage est clair mais on regrettera que le cinquième chapitre soit très réduit alors qu’il traite de l’ensemble de la région en prenant en considération le site d’Olympie et qu’il insiste sur l’interprétation politique des cultes. Les indices sont particulièrement riches et utiles. L’apparat des notes est lui aussi très riche, mais seuls les ouvrages principaux sont cités dans la bibliographie liminaire (deux pages) de sorte qu’il faut passer par les indices si l’on veut retrouver une référence pour un point précis. L’illustration est loin d’être surabondante. Les quatre cartes auraient mérité d’être homogénéisées, voire redessinées dans le cas de la Triphylie (fig. 4). Malgré ce défaut formel, le livre d’O. Pilz apporte une contribution désormais essentielle en ce qu’il rassemble toutes les données disponibles et propose des clés d’interprétation pertinentes, permettant au chercheur de mieux connaître les cultes d’un ensemble régional jusqu’ici difficile à comprendre.

 


[1] Chr. Williamson, Urban Rituals and Sacred Landscapes in Hellenistic Asia Minor, Religions in the Graeco-Roman World 196, Brill, Leyde (2021).

 

 

Table des matières :

 

Vorwort

Abkürzungen und Siglen

1 Einleitung

2 Koile Elis

2.1 Kulte in der Stadt Elis

2.2 Kulte in der Chora von Elis und in den Periökengebieten

2.3 Nicht lokalisierte Kulte und Heiligtümer

3 Pisatis

3.1 Dyspontion ?

3.2 Herakleia

3.3 Harpina

3.4 Zusammenfassung

4 Triphylien

4.1 Epitalion

4.2 Skillus

4.3 Babes (Pyrgos ?)

4.4 Makiston

4.5 Phrixa

4.6 Epeion.Epion

4.7 Hypana

4.8 Samikon

4.9 Kombothekra

4.10 Lepreon

4.11 Prasidaki

4.12 Nicht lokalisierte Kulte

5 Elis – Olympia – Triphylien

Abbildungsnachweis

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