Cicolani, Veronica: Passeurs des Alpes. La culture de Golasecca : entre Méditerranée et Europe continentale à l’âge du Fer, 362 p., 27 x 1,8 x 21 cm, ISBN : 978-2705694166, 42 €
(Hermann, Paris 2017)
 
Compte rendu par Clémentine Barbau
 
Nombre de mots : 1638 mots
Publié en ligne le 2020-08-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3926
Lien pour commander ce livre
 
 

          Ce beau volume est l’aboutissement d’une thèse de doctorat soutenue en 2010, dont les résultats ont été complétés jusqu’en 2015 par les recherches postérieures de cette jeune et éminente spécialiste de la culture de Golasecca, largement reconnue par la communauté scientifique.

 

         V. Cicolani nous invite à la suivre dans un périple menant de l’Italie du Nord à l’Europe occidentale, en passant par les Alpes, pour redécouvrir les populations de Golasecca, trop longtemps éclipsées par les Étrusques, les Grecs et les Celtes. En effet, elle propose d’analyser les équipements personnels (fibules et accessoires vestimentaires) issus de ce domaine sud alpin, dans les contextes exogènes, alpins et transalpins, afin de mettre en évidence les interactions culturelles entre les communautés et redéfinir la complexité du fonctionnement des échanges au premier Âge du Fer.

 

         Après une brève introduction qui pose d’emblée la problématique et les objectifs, l’ouvrage est construit en trois parties, correspondant respectivement à la présentation du cadre de l’étude, au corpus présenté de manière analytique et critique et à une synthèse interprétative assortie d’une mise en perspective des résultats. Une brève conclusion vient parachever l’ouvrage. La bibliographie se trouve en fin de volume, avant une table des matières très bien présentée et détaillée pour faciliter les recherches spécifiques.

 

         La première partie (La culture de Golasecca entre mondes italique et celtique) s’ouvre sur une présentation détaillée de l’histoire des recherches sur Golasecca, depuis les premières fouilles de l’abbé Giani et les découvertes de Ca’Morta, ainsi que les fouilles menées par P. Castelfranco à partir de 1873 (chapitre 1). L’évolution des connaissances de cette civilisation est mise en perspective avec les travaux européens visant à soutenir l’hypothèse de l’Homme antédiluvien et avec les débuts de la typologie, dont G. de Mortillet, à l’origine de la riche collection Golasecca du Musée d’Archéologie nationale, a été l’un des pionniers. Au XXe siècle, les travaux de R. Peroni et R. C. de Marinis permettent d’aboutir à la mise en place d’un « cadre chrono-typologique solide et fiable, ancré et corrélé tant aux chronologies régionales italiennes qu’aux chronologies transalpines » (p. 17). Ces résultats sont également complétés par les recherches tessinoises de M. Primas, W. E. Stöckli et B. Schmid-Sikimič. Dès lors que la celticité de Golasecca est acquise, les recherches s’intéressent désormais aux modes de circulation et d’acheminement des objets étrangers – étrusques, grecs et massaliotes – et s’attache à identifier les intermédiaires et caractériser les territoires relais de ce commerce méditerranéen. C’est dans ce schéma que prennent place les travaux d’O. H. Frey, L. Pauli et H. Parzinger, documentés par des listes d’objets et des cartes de répartition.

 

         Le chapitre se poursuit sur la définition de la culture de Golasecca, au sens anthropologique et géographique. Une langue et une écriture commune, un artisanat caractéristique et des pratiques funéraires persistantes, mais aussi l’intégration et l’adaptation de traits stylistiques étrusques, hallstattiens et vénètes engendrées par des contacts réitérés viennent singulariser l’identité culturelle de ce groupe à la structuration sociale complexe. Trois faciès culturels ont été identifiés par l’analyse des découvertes archéologiques. Le faciès occidental se développe dès le VIIIe siècle autour de Castelletto Ticino-Sesto Calende ; le développement de Côme comme grand centre commercial dès le VIe siècle dessine le faciès oriental ; les vallées alpines, où plusieurs nécropoles sont utilisées à partir de la fin du VIIe siècle, sont également caractérisées par des productions spécifiques. Enfin, la culture de Golasecca est positionnée au sein des réseaux d’échanges italiques et hallstattiens à l’Âge du Fer.

 

         Le deuxième chapitre, après avoir rappelé l’évolution des systèmes chronologiques italiques, définit le cadre chronologique retenu, qui s’appuie sur les derniers travaux de R. C. de Marinis et de F. Gambari. C’est déjà ici que l’on peut entrevoir la parfaite maîtrise de l’auteure des différents systèmes chronologiques en vigueur au nord et au sud des Alpes et surtout son aisance à passer de l’un à l’autre, lorsque les différents marqueurs mobiliers et contextes clés sont explicités. Les résultats de ces réflexions, fournis par le tableau de synthèse (p. 50), offrent au lecteur un outil de travail indispensable. Enfin, le troisième chapitre de cette première partie vise à brièvement préciser la méthodologie employée, ainsi que les différentes étapes du travail.

 

         La deuxième partie de l’ouvrage (Le mobilier métallique de Golasecca au nord des Alpes) s’attache à présenter de manière analytique le corpus des fibules (chapitre 4) et des accessoires vestimentaires (chapitre 5) et procède à son analyse quantitative et spatiale.

 

         Après un prélude méthodologique sur les outils typologiques employés, chaque type de fibules (serpentiformes, a drago, a sanguisuga, à arc plein de section plano convexe et de section lenticulaire, à arc composite, a navicella, de type Certosa) et leurs variantes font l’objet d’une présentation. Pour chacune des formes, le cadre chrono-typologique est richement documenté par des références du domaine de Golasecca et l’évolution des types est agrémentée par un tableau chrono-typologique mettant en parallèle la chronologie de Golasecca et celle d’Europe nord-occidentale. Ensuite, la diffusion des fibules en Italie du Nord, puis au nord des Alpes est traitée avec des listes d’objets et différents contextes à l’appui, tout en étant illustrée par des cartes de répartition. Un bilan critique clôt certaines de ces présentations typologiques en proposant les premiers éléments d’analyse chronologique et contextuelle. Les questions autour de la présence de ces marqueurs exogènes sur le plan culturel, ainsi que les réflexions sur l’importation, la production et l’imitation des fibules sont richement argumentées, témoignant d’une bibliographie parfaitement intégrée, tant pour le sud que pour le nord des Alpes.

 

         La présentation des éléments du costume de Golasecca se poursuit avec les pendentifs, les parures annulaires, les trousses de toilette et les plaques de ceinture. Pour la première catégorie d’ornement, les « perles » et les disques de fibule sont évoqués dans leurs contextes sud-alpin et nord-alpin, avec des listes à l’appui. Ensuite vient la grande variété des pendeloques (en forme de panier, de botte, d’anneau bouleté et de rouelle) clôturée par un bilan critique qui récapitule la chronologie de leur diffusion au nord des Alpes et qui interroge la fonction de ces témoins « de la mobilité d’hommes et de femmes impliqués à différents titres dans les trafics protohistoriques » (p. 151). Les bracelets sont peu représentés au nord des Alpes et constituent des « marqueurs culturels de premier choix » (p. 154). De même, les trousses de toilette, ces objets ayant un poids symbolique particulier, sont rares au nord des Alpes. Enfin, les quelques plaques de ceinture découvertes au nord des Alpes sont évoquées.

 

         Cette deuxième partie se termine par plusieurs analyses quantitatives et spatiales du corpus, constitué par les 618 individus présentés précédemment. Elles se concentrent sur les fibules, considérées comme des objets utilitaires du costume, pour lesquelles apanages masculin et féminin sont distingués. Agrémentées par des cartes de répartition, des graphiques et des tableaux, ces analyses tiennent compte du nombre d’objets par catégorie fonctionnelle, de leur répartition et des contextes dans lesquels ils ont été découverts, en distinguant les habitats et le domaine funéraire. Quant à la conclusion de ce chapitre, elle introduit l’évolution chronologique des différents types d’objets, synthétisée par un « tableau typologique du mobilier de la culture de Golasecca découvert au nord des Alpes » (fig. 150, p. 175), outil essentiel pour les recherches à venir.

 

         La troisième et dernière partie de l’ouvrage (Des objets aux sociétés hallstattiennes) se concentre sur les interprétations culturelles et sociales de ce petit mobilier de type Golasecca en le replaçant dans son contexte. Il est analysé selon un découpage chronologique (Ha C2 au Ha D1 ; Ha D1 au Ha D2 ; Ha D2-D3/Ha D3 ; LTA), en interrogeant le type de site (habitat, funéraire, cultuel) et le type d’objet (chapitre 7). Les sites d’exceptions tels que Tamins, Gamsen, Montmorot, Bussy, Coire, Uto-Kulm, Britzgyberg, Bourguignon-lès-Morey, Chassey-le-Camp, Salins-les-Bains, le Mont Lassois, Bragny-sur-Saône, Bourges y sont présentés de manière plus détaillée, sous la forme de petites notices parfaitement intégrées au texte et illustrées par des plans de site et des planches de mobilier. L’analyse se poursuit (chapitre 8) en repositionnant les faciès mobiliers au sein des différentes aires géographiques identifiées dans les zones alpines et transalpines, que ce soit pour les habitats – où la chronologie d’apparition des objets est discutée –, pour le domaine funéraire – où la typologie des structures, la nature et la qualité des assemblages permettent d’interroger les processus d’intégration et les phénomènes de mode – ou encore pour les dépôts qui renseignent sur la sphère cultuelle. Enfin, dans une archéologie du genre, l’auteure interroge les rôles respectifs des hommes et des femmes de Golasecca dans les échanges à longue distance, à partir de l’analyse anthropologique des objets de type Golasecca dans les différentes régions réceptrices.

 

         L’organisation de ces circuits d’échange est finalement caractérisée (chapitre 9) en remettant en perspective l’évolution du petit mobilier de type Golasecca avec les importations méditerranéennes, afin de définir précisément le rôle joué par ces populations d’Italie du Nord, à la fois partenaires des échanges mais aussi intermédiaires privilégiés. Enfin, la question des voies de circulation, alpines et transalpines, est explorée à l’aune des résultats de cette présente étude.

 

         En somme, c’est à travers une démonstration très fluide, dont l’argumentation est parfaitement intelligible et dont la lecture est guidée par des transitions soignées et par des illustrations et cartes en couleur judicieusement placées, que le lecteur est amené à (re)découvrir la culture de Golasecca. Bien loin des premiers travaux sur la question, nous avons affaire à une communauté structurée qui tient une place prépondérante au sein des réseaux d’échanges culturels, technologiques et marchands en Europe protohistorique. Il ne fait nul doute que cet ouvrage marque un tournant essentiel dans l’histoire de ces Passeurs des Alpes.