Pijaudier-Cabot, Joëlle - Recht, Roland (dir.): Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880–1930. Catalogue d’exposition. 400 p., 350 ill., ISBN : 9782351251546, 45 €
(Editions des Musées de Strasbourg, Strasbourg 2017)
 
Compte rendu par Frank Muller, Université de Strasbourg
 
Nombre de mots : 3478 mots
Publié en ligne le 2020-08-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3928
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N.B. : Le compte rendu suivant porte également sur l'ouvrage : 

Recht, Roland - Richez, Jean-Claude (dir.): Dictionnaire culturel de Strasbourg, 1880-1930. 600 p., 330 ill., ISBN 978-2-86820-988-7, 45 €
(Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg 2017)


         

         Ces deux ouvrages s’avèrent complémentaires, la presque totalité des personnages ou des sujets recensés dans le dictionnaire étant également au programme du catalogue, plusieurs auteurs ayant d’ailleurs contribué aux deux ouvrages. Le catalogue est centré sur l’importante exposition du Musée d’art moderne et contemporain et sur celle consacrée à la musique à la galerie Heitz. Ces manifestations coïncidaient avec le fait que la « Neustadt », c’est-à-dire les quartiers résultant de l’extension et de l’urbanisation de Strasbourg à l’époque allemande, a été classée la même année au patrimoine de l’Unesco. Dans une périodisation élargie (1830-1940), ces transformations urbanistiques et architecturales ont été étudiées récemment de façon approfondie dans le projet franco-allemand « Metacult » (Transferts culturels dans l’architecture et l’urbanisme).

 

         On peut d’abord s’étonner du fait qu’il ait fallu attendre si longtemps pour réévaluer cette époque d’un point de vue culturel et artistique, plus précisément la période « allemande » (rappelons qu’elle s’est étendue de 1871 à 1918). Celle-ci a fait très longtemps l’objet d’un quasi-tabou en Alsace après la Seconde Guerre mondiale, dans la mesure où elle était mise dans le même sac que la période nazie de 1940 à 1945, le Reich wilhelmien étant implicitement vu comme une préfiguration du Troisième Reich nazi, ce qui était évidemment un non-sens historique. Notons tout de même une initiative remarquable dans les années soixante, celle de Louis Grodecki, alors professeur d’Histoire de l’art, qui a dirigé un travail d’inventaire très novateur sur « Architecture et décoration à Strasbourg vers 1900 », paru en mai-juin 1968 dans le Bulletin de la Faculté des Lettres ; mais ce n’est vraiment qu’à partir des années 1970 que quelques chercheurs ont commencé à étudier cette période, dont ces deux ouvrages confirment la grande richesse culturelle, culture allemande et culture française s’opposant parfois, mais débouchant souvent, surtout après le tournant du siècle, sur une synthèse féconde, à visées européennes, d’où le titre des expositions, même si paradoxalement le régionalisme connaît lui-aussi son âge d’or, l’Alsace étant parfois considérée par certains chercheurs alsaciens de l’époque comme une sorte de grande communauté villageoise intemporelle, d’autant qu’une bonne partie de la population strasbourgeoise a visiblement souvent réagi avec méfiance aux nouveautés artistiques, que ce soit avant 1918 ou après.

 

         Chacun à leur manière, ces deux ouvrages rendent compte de l’ampleur et de la diversité des richesses culturelles de cette époque. Pour évoquer d’abord le Dictionnaire, les deux directeurs se sont assurés la collaboration d’un grand nombre d’enseignants-chercheurs et de muséologues. Pourvues, dans la mesure du possible, d’une bibliographie succincte, les notices ne permettent évidemment pas de rendre compte de façon détaillée de chaque personnage, a fortiori de chaque institution ; elles ne concernent pas uniquement les artistes, écrivains, musiciens, universitaires et bibliothécaires actifs dans cette période, mais aussi un certain nombre de responsables institutionnels et politiques. En effet, ainsi qu’il est énoncé dans l’introduction : « Les notices qui composent ce dictionnaire inscrivent la culture qui se déploie entre 1880 et 1930 dans le substrat social et politique qui fonde sa diversité et conditionne son intelligibilité ».

 

         Cela permet notamment d’y inclure les grands maires de l’époque : Otto Back, Rudolf Schwander, puis après la guerre Jacques Peirotes, qui ont été les responsables principaux de la modernisation de Strasbourg dans tous les domaines, la « Neustadt » et quelques cités-jardins périphériques en étant la concrétisation sur le terrain. Ils sont d’ailleurs l’objet du premier article du catalogue, dû à Jean-Claude Richez, suivi d’une belle étude de Jean-Louis Cohen sur l’évolution de l’architecture et de l’urbanisme dans la période considérée. On peut d’ailleurs remarquer que, malgré quelques regrettables destructions dans les années 1960-70, l’ensemble, aussi contrasté stylistiquement soit-il (Jugendstil, historicisme, régionalisme), reste d’autant plus précieux que les réalisations équivalentes des villes allemandes ont été en grande partie anéanties par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. On aimerait en savoir plus en revanche sur les deux duos d’architectes, Lütke et Backes et Berninger et Krafft, auteurs d’élégants bâtiments Jugendstil.

 

         L’institution culturelle la plus prestigieuse et aussi la plus durable est clairement la fondation de la Kaiser-Wilhelm-Universität dès 1871, mais qui n’atteindra son « régime de croisière » que dans les années 1880 et à laquelle sont consacrés les articles de Jean-Claude Richez : « Lieux et figures du savoir » et de Sébastien Soubiran : « Les nouveaux outils du savoir ». Au XIXe siècle, l’université de Strasbourg n’était guère plus qu’une université provinciale française, alors que très vite elle devint un des fleurons des universités européennes dans les domaines les plus divers. Il est clair qu’il s’agissait aussi d’une opération de germanisation, visant à montrer l’excellence de la « science allemande » dans tous les domaines, mais ce but a été atteint par la conjonction d’une volonté politique, d’une générosité financière extrême et de choix remarquables en ce qui concerne le personnel enseignant, soit qu’on ait nommé des savants confirmés, soit qu’on ait fait confiance à de jeunes chercheurs qui se sont pratiquement tous révélés excellents. Tout cela a fonctionné grâce aux partis-pris architecturaux souvent grandioses, mais aussi très fonctionnels, grâce à l’entente entre architectes, administration et corps enseignants, de façon à permettre à ceux que l’on peut appeler rétrospectivement des « enseignants-chercheurs » de remplir leur double mission. On a assisté très vite à la constitution de bibliothèques et de collections d’études très importantes dans les domaines les plus divers : sciences physiques et naturelles, médecine, papyrologie, égyptologie (voir l’article de Frédéric Colin et Cassandre Hartenstein : « Collectionner les sources du savoir : les fonds égyptologiques »), archéologie, histoire de l’art, etc. Pour ne citer qu’un exemple mis en valeur dans l’article de Jean-Yves Marc : « Le Musée de l’institut d’archéologie classique » : Adolf Michaelis, éminent archéologue, participe à la sélection de l’architecte Otto Warth pour la construction du Collegiengebäude (l’actuel Palais universitaire) et à son aménagement. Sa remarquable collection de moulages de statues grecques sera logée au 1er étage et continuellement augmentée ; moins utilisée pendant la période française et pratiquement mise au rebut après la Seconde Guerre mondiale, ce n’est que depuis quelques années que ce qui en restait a été remis en valeur au sous-sol du Palais universitaire, dans le cadre d’un musée qui porte son nom. Parallèlement – on verra à ce sujet l’article de Christophe Didier : « La bibliothèque, lieu de diffusion des savoirs » -  se met en place la Kaiserliche Universitäts – und Landesbibliothek (l’actuelle BNUS), d’abord logée au Palais Rohan, puis dans un bâtiment spécialement construit pour elle en 1895, puisque dès ce moment-là, elle compte plus de 700000 volumes, grâce en grande partie à son premier directeur, Karl August Barack, qui avait lancé au lendemain de la destruction de l’ancienne bibliothèque par l’artillerie allemande un appel à la fondation d’une nouvelle et donc aux dons de livres, qui fut un grand succès : de très nombreuses bibliothèques allemandes et des donateurs publics ou privés de trente-deux pays différents contribuèrent à cette recréation, qui fut également généreusement soutenue par les autorités impériales. La preuve spatiale de cette priorité donnée à la science est l’axe qui relie l’ensemble universitaire, qui se déploie à l’arrière du Collegiengebäude et se termine par un jardin botanique et un observatoire astronomique, au Kaiserpalast, siège théorique du pouvoir exécutif (actuel Palais du Rhin), faisant face également à la bibliothèque située sur le même Kaisersplatz (actuelle Place de la République). Dans l’exposition, la salle la plus impressionnante était celle qui présentait des échantillons des collections des différents instituts ; parmi bien des merveilles, je citerai simplement les véritables « œuvres d’art » que sont les modèles de mollusques réalisés en verre par des verriers de Bohême, les frères Blaschka et acquis à des fins pédagogiques par le directeur du nouveau musée zoologique, Ludwig Döderlein, en 1890, auquel est consacré l’article de Marie-Dominique Wandhammer : « Histoire de collections au fil du temps ».

 

         Le revers de la médaille était le fait que la quasi-totalité des enseignants et une bonne partie des étudiants initiaux étaient de « Vieux-Allemands », qui sauf exceptions se mêlaient peu aux autochtones ; les choses commencèrent à changer à partir du début du XXe siècle, à l’université comme ailleurs, grâce à de nombreux « passeurs », francophiles et « Vieux-Allemands » se rencontrant souvent dans des cercles de recherche, des associations, etc. En ce qui concerne l’université, il y a tout lieu de penser que, si la guerre n’avait pas eu lieu, il y aurait eu de plus en plus d’enseignants alsaciens ou en tout cas nés en Alsace. Toujours est-il qu’après avoir expulsé de façon injuste et brutale les enseignants allemands après la fin de la guerre, il ne fut pas évident de leur trouver des remplaçants francophones, dans une université nettement surdimensionnée pour les normes françaises. Mais l’Etat français mit lui aussi beaucoup d’argent dans l’affaire et beaucoup de jeunes professeurs se révélèrent fort talentueux, bien qu’une large majorité d’entre eux, à l’exemple de Marc Bloch et Lucien Febvre, les créateurs des Annales, ne concevait guère de terminer leur carrière ailleurs qu’à Paris…

 

         Une importante partie du catalogue s’attache à un autre domaine dans lequel le changement de régime politique a occasionné des transformations importantes, celui des arts et plus spécifiquement des arts appliqués, qui ont connu un essor remarquable à partir des années 1890. Les articles de Franck Knoery et Florian Siffer : « Les arts graphiques : un foyer strasbourgeois », d’Anne Doris-Meyer et Alexandre Kostka : « Artistes strasbourgeois entre France et Allemagne » et une partie de celui de David Cascaro et Geneviève Honegger : « Du Conservatoire à l’Ecole des arts décoratifs ou l’invention d’un modèle d’enseignement artistique » traitent des différents aspects de ce domaine, où les échanges artistiques avec Berlin, Munich ou Paris furent assez nombreux.

 

         Prenant le relais d’une école des artisans d’art fondée en 1878, la Kunstgewerbeschule (Ecole des arts décoratifs), décidée en 1890 et inaugurée deux ans plus tard va jouer un rôle central de ce point de vue. Elle sera dirigée dès le départ par Anton Seder, remarquable peintre-décorateur très typique du Jugendstil et qui prend la Nature comme inspiratrice ; les changements stylistiques qui s’amorcent au début du XXe siècle ne l’intéressent guère et il est bientôt contesté, mais réussit à rester aux commandes de l’Ecole jusqu’en 1915. En tout cas, celle-ci connaît un succès incontestable, attirant de plus en plus de jeunes filles (tous les ateliers seront mixtes à partir de 1900) et d’élèves de toutes les catégories sociales. Même si les élèves alsaciens sont majoritaires, de nombreux autres viennent des pays environnants et même de Scandinavie. Des bourses d’études permettent à des étudiants de voyager et de très nombreux professionnels issus de divers pays d’Europe viennent visiter la nouvelle école. Stimulés par de nombreuses publications, des artistes et des artisans d’art gravitent autour d’elle, par exemple une des personnalités marquantes de l’époque, Charles Spindler, peintre, illustrateur, créateur de meubles généralement incrustés de marqueterie, au confluent du Jugendstil et du régionalisme, animateur principal du cercle de Saint-Léonard, qui rassemblera à partir de la fin des années 1880 un grand nombre d’artistes ayant passé aussi bien par des écoles d’art françaises ou allemandes (voir à ce sujet l’article de Christian Joschke, « Aspirations communautaires et réseaux transnationaux. Le cercle de Saint-Léonard »). On peut citer par exemple le remarquable dessinateur et graveur Joseph Sattler, qui venait de Munich, un des foyers artistiques qui attirait le plus les jeunes artistes alsaciens.

 

         Regrettons simplement qu’à part une notice dans le Dictionnaire, il ne soit guère fait mention d’un artiste haut en couleurs, Leo Schnug, qui, au rebours de toute l’évolution artistique, est revenu à un style « lansquenet » des débuts du XVIe siècle, inspiré notamment des œuvres d’Urs Graf. Célèbre de son vivant, on conserve de lui notamment les décorations du château du Haut-Koenigsbourg et de la maison Kammerzell à Strasbourg.

 

         En fait, l’Alsace de cette époque a produit un seul grand artiste de renommée internationale, Jean Hans Arp, tôt parti d’Alsace pour éviter la mobilisation allemande et l’un des fondateurs de Dada à Zurich en 1916. Il reviendra à Strasbourg en 1926 pour le seul événement artistique important d’entre les deux guerres : la décoration intérieure, non figurative, d’une partie de l’Aubette, édifice central du XVIIIe siècle reconstruit après sa destruction en 1870, où il œuvrera avec son épouse, Sophie Taeuber-Arp, et Theo van Doesburg. Ce complexe de loisirs, initié par les frères Horn, investisseurs et grands collectionneurs d’art contemporain, fut terminé en 1928, non sans tensions avec les commanditaires et entre les artistes eux-mêmes, mais fut peu apprécié par un public dubitatif, au point que certaines pièces furent redécorées peu d’années après ; ce qui en restait n’a été remis en valeur qu’il y a peu de temps. C’est principalement dans la contribution de Roland Recht, plus généralement consacré à l’évolution de l’art à Strasbourg à travers l’histoire de l’Ecole des Arts décoratifs et aux collectionneurs, « Entre Anciens et Modernes. Des arts appliqués à la revue des Annales », qu’est évoquée cette réalisation.

 

         Deux articles, ceux de Joëlle Pijaudier-Cabot : « Les musées de Strasbourg : une perspective européenne » et de Pascal Griener : « Wilhelm Bode, ou le despotisme éclairé », éclairent la reconstitution des collections artistiques détruites dans l’incendie de l’Aubette par le tout puissant Wilhelm Bode, déjà directeur des musées de Berlin, qui réussit en quelques années, grâce à l’argent public, mais aussi à son entregent auprès des collectionneurs et des marchands, à mettre sur pied une remarquable collection d’art et d’arts appliqués, dans laquelle la Renaissance italienne brille tout particulièrement. Omniprésent, il veille à tout, de la restauration à la mise en place. Mais il ne s’intéresse pas à l’art contemporain, et son très actif successeur dans la période française, Hans Haug, créateur notamment du Musée de l’Œuvre Notre-Dame, est également assez réticent à cet égard (voir l’article de Franck Knoery et Anne-Doris Meyer : « Hans Haug dans les réseaux artistiques »). Il faudra notamment des dons plus tardifs de collectionneurs comme les frères Horn ou Alfred Lickteig, évoqués dans l’article de François Pétry : « Hans Koch, les Horn et les Lickteig, des collectionneurs d’art contemporain entre France et Allemagne, de 1900 à 1930 ») pour étoffer le devenir des musées de la ville, mais aussi l’activité discrète, mais efficace de Sabine Hackenschmidt, assistante au Cabinet des Estampes de 1913 à 1939, qui augmentera la collection de gravures contemporaines. Plus généralement, les articles d’Emilie Oléron Evans : « Illustres et inconnues : les femmes de Strasbourg » et d’Estelle Pietrzyk : « De la rue de la Nuée bleue à l’âge d’or de Montparnasse. Un portrait de Jeanne Bucher », permettent de mettre en valeur l’activité souvent méconnue de femmes artistes, pédagogues, galeriste (Jeanne Bucher) ou traductrice (Denise Lévy, cousine de la première épouse d’André Breton, Simone Kahn, et discrète égérie des surréalistes, qui épousera en secondes noces Pierre Naville). Enfin, dans le domaine des échanges artistiques franco-allemands, il faut évoquer le seul événement officiel de ce type, l’exposition d’art français contemporain de 1907, qui fait l’objet de l’article éponyme de Barbara Forest. Présidée par Rodin, dont le Penseur accueillait les visiteurs et qui était vénéré en Allemagne comme en France, l’exposition avait été suscitée par la très francophile Société des Amis des arts de Strasbourg et organisée par des conservateurs et des artistes parisiens. Obtenant un certain succès public, elle se voulait en fait très consensuelle, un impressionnisme depuis longtemps accepté en constituant la plus grande partie, alors qu’aucun des artistes novateurs de l’époque, post-impressionnistes, nabis ou fauves, n’était représenté. Il faut dire que s’il y avait eu une exposition équivalente d’art allemand contemporain, il y aurait eu peu de chances d’y voir figurer les artistes de la Brücke ou de l’avant-garde munichoise.

 

         Enfin deux articles, ceux de Matthieu Schneider : « Des lieux, des musiques, une ville. L’expérience musicale franco-allemande » et celui, déjà cité, de David Cascaro et Geneviève Honegger, donnent un ample aperçu sur la richesse musicale de l’époque. Ainsi que l’écrit M. Schneider : « Le dynamisme de la vie musicale strasbourgeoise entre 1880 et 1930 tient avant tout à trois institutions importantes… : le théâtre, le conservatoire et l’orchestre, leviers de la politique culturelle municipale, d’abord pro-allemande, puis pro-française,… mais aussi en quête d’ouverture ». C’est notamment le cas du théâtre, où l’opéra allemand, Wagner en particulier, fait une entrée massive, mais bientôt l’offre va être beaucoup plus différenciée. Ce sera a fortiori la politique des concerts orchestraux, où l’on peut écouter aussi bien Richard Strauss que Saint-Saëns ou Franck. En revanche, après 1918, Guy Ropartz, qui cumulera la direction de l’orchestre et celle du conservatoire, bannira pour un temps la musique allemande. Toujours est-il que le conservatoire d’avant 1914 aura un rayonnement au-delà de Strasbourg, grâce notamment à un corps professoral très international.

 

         Plus généralement, l’offre musicale ne se bornera pas à ces institutions, puisqu’on trouve aussi des lieux dédiés à l’opérette et à la musique légère, le développement des concerts dans les églises ou en plein air, tout ceci dans un contexte d’épanouissement de la pratique amateur, puisque dans la période allemande, on ne comptera pas moins de cinquante chorales, où tous les groupes sociaux sont représentés ; c’est aussi le cas pour les fanfares et harmonies, en ne tenant même pas compte des orchestres militaires, très présents lors des grandes cérémonies.

 

         Le catalogue se termine par un article de Christophe Didier, intitulé « La création littéraire : un élan contrarié ? », qui brasse à sa manière les questions, les apports et les contradictions de cette période, symbolisées par un écrivain à l’histoire singulière, René Schickele, de père germanophone et de mère francophone ; il écrira presque toujours en allemand, tout en maniant le dialecte et en se tenant au courant de la littérature française. Journaliste, écrivain, militant antinationaliste et pour un socialisme pacifiste, il regroupe à partir de 1902 autour de sa revue Der Stürmer de jeunes écrivains d’abord influencés par le Jugendstil, puis l’expressionisme. Journaliste à Berlin, puis à Paris, il milite pour une Alsace démocratique et contre le revanchisme. Son idéal européen et pacifiste s’exprime dans la revue Die weissen Blätter (1915-1920), qu’il dirige de Suisse. Obtenant en 1919 la nationalité française, mais critiqué et très mal à l’aise dans le climat patriotard de l’Alsace d’après-guerre, il s’installe à partir de 1922 à Badenweiler en Forêt-Noire, tout près de sa région d’origine. Publiée en 1925-1931, sa trilogie Das Erbe am Rhein (L’héritage rhénan) réaffirme son attachement à la double culture de l’Alsace et à une Europe pacifiée. Devant la montée du nazisme, il s’installe en 1932 à Vence, où il écrira son dernier et seul livre en français, Le retour, qu’il traduira en allemand un an après. Il meurt oublié en 1940. Encore calomnié comme personnage douteux (autonomiste !) dans l’Alsace d’après-guerre, il ne sera remis à sa place éminente qu’à partir des années 1980.

 

         Pour conclure, on peut dire que le Dictionnaire comme le catalogue sont d’ores et déjà des ouvrages de référence de cette époque complexe (peut-être devrait-on dire plutôt ces époques, même si des continuités existent), appelés à faire autorité pour de longues années.

                                                             

 

 

 

 

Sommaire

 

 

I. Une grande ville de culture

 

Quatre maires à l'épreuve de la culture: Georg Friedrich Stempel, Otto Back, Ruclolf Schwander et Jacques Peirotes

Jean-Claude Richez , 26

 

L'encyclopédie et le palimpseste

 Jean-Louis Cohen, 36

 

Illustres et inconnues : les femmes de Strasbourg

Émilie Oléron Evans, 46

 

II. Acteurs et lieux de l'art

 

Les arts graphiques : un foyer strasbourgeois

Franck Knoery et Florian Siffer, 56

 

Artistes strasbourgeois entre France et Allemagne

Anne-Doris Meyer et Alexandre Kostka, 70

 

Aspirations communautaires et réseaux transnationaux. Le cercle de Saint-Léonard dans le contexte européen

Christian Joschke, 84

 

Des lieux, des musiques, une ville. L'expérience musicale franco-allemande

Mathieu Schneider, 104

 

Du Conservatoire à l'École des arts décoratifs ou l'invention d'un modèle d'enseignement artistique

David Cascaro et Geneviève Honegger, 118

 

 

III. Collectionner et exposer

 

Les musées de Strasbourg: une perspective européenne

Joëlle Pijaudier-Cabot , 136

 

Wilhelm Bode à Strasbourg, ou le despotisme éclairé

Pascal Griener , 154

 

L'Exposition d'art français contemporain de 1907

Barbara Forest, 170

Hans Haug dans les réseaux artistiques

Franck Knoery et Anne-Doris Meyer, 186

 

De la rue de la Nuée bleue à l'âge d'or de Montparnasse. Un portrait de Jeanne Bucher Estelle Pietrzyk, 196

 

 

IV. Les institutions du savoir

 

Lieux et figures du savoir

Jean-Claude Richez, 208

 

La bibliothèque, lieu de diffusion des savoirs

Christophe Didier, 220

 

Les nouveaux outils du savoir, pour un nouveau modèle d'université

Sébastien Soubiran, 226

 

 

V. Collectionner le savoir

 

 

Le Musée de l'institut d'archéologie classique

Jean-Yves Marc, 248

 

Collectionner les sources du savoir: les fonds égyptologiques

Frédéric Colin et Cassandre Hartenstein, 258

 

Histoires de collections au fil du temps

Marie-Dominique Wandhammer, 270

 

L'étudiant Aby Warburg à Strasbourg

Roland Recht et Émilie Oléron Evans, 290

 

 

VI. Être moderne à Strasbourg

 

 

Entre Anciens et Modernes. Des arts appliqués à la revue des Annales

Roland Recht, 304

 

Theo Van Doesburg au Champ du Feu ?

Roland Recht, 312

 

Hans Koch, les Horn et les Lickteig, des collectionneurs d'art contemporain entre France et Allemagne, de 1900 à 1930

François Pétry, 330

 

La création littéraire : un élan contrarié ?

Christophe Didier, 340

 

Annexes

 

Liste des oeuvres, objets et documents exposés, 352

 

Index, 374