Marcos, Susana: Entre espace public et espace privé : les élites en représentation, 16x24, 162 p., ISBN : 978-2-35412-307-9, 22 €
(Presses Universitaires de Perpignan, Perpignan 2018)
 
Compte rendu par Elpida Chairi, École Française d’Athènes
 
Nombre de mots : 1551 mots
Publié en ligne le 2020-09-04
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3935
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          L’ouvrage présente les travaux des Journées d’études tenues à l’Université de Perpignan en septembre 2015. La représentation des élites romaines dans les différents espaces de la cité, publics/civiques et privés, se trouve au centre de la réflexion et du dialogue scientifique interdisciplinaire, fondés sur les sources écrites et les découvertes archéologiques. Il est cependant regrettable que le titre de l’ouvrage ne soit pas explicite sur le domaine étudié : aucun élément ne permet de reconnaître qu’il est question des élites romaines, par conséquent l’ouvrage cité dans une bibliographie n’aura pas l’accueil qu’il mérite.

 

         Accompagné d’une riche bibliographie et de trois types d’index : des sources, des noms de lieux et des noms des personnages, divinités et peuples, l’ouvrage répond tout d’abord sa vocation scientifique. La présentation de chaque partie est claire, assurant une lecture agréable, avec un bref résumé en français et en anglais et des notes en bas de page, faciles à consulter. La conclusion d’ensemble, qui n’est pas un chapitre à part, comme on peut le remarquer dans le sommaire, constitue la dernière partie de l’intervention de Claire Denjean, apparemment chargée de cette tâche. 

 

         Dans son introduction, Susana Marcos étudie les concepts d’espace public et d’espace privé, en résumant les discussions sur la réciprocité qui les met en relation, pour aboutir à l’idée centrale qui a donné naissance aux Journées d’études : les stratégies de représentation et de mise en scène des élites dans les espaces de la cité. Ce thème, étudié par des spécialistes de plusieurs disciplines, met en évidence non seulement les différentes interprétations de l’espace privé, « intermédiaire » et public avec des variantes intéressantes à découvrir mais aussi celles des élites, considérées comme mécènes, gouverneurs ou classes dirigeantes, tout aussi bien que porteuses de valeurs familiales.

 

         Audrey Bertrand présente une enquête menée sur un groupe de colonies du versant adriatique de l’Italie centrale, pour faire apparaître la manière dont les élites se sont mises « en représentation » à travers les lieux de culte privés ou publics, en mettant l’accent sur les modifications survenues entre la République et le Principat augustéen porteur de la paix. Les sources épigraphiques et littéraires, étudiées sous plusieurs aspects par l’autrice, lui ont permis de réaliser une évaluation quantitative aussi bien que qualitative des données, suivant une méthodologie bien fondée. La réflexion proposée permet d’évaluer les relations entre le patron de la colonie et sa cité et de comprendre ses choix pour mieux « se représenter ».

 

         Martin Galinier se penche sur les qualités publiques et privées des citoyens récompensées de manière positive ou non par la société romaine. L’auteur analyse la constitution de l’« image » de ces personnages en milieu urbain ou même privé, qui est conforme aux normes juridiques et religieuses, ainsi que son rôle dans la création et la conservation de la mémoire collective. Presque synonyme de l’honneur attribué à un illustre défunt et de sa commémoration, l’« image » sous toutes ses formes apparaît tant dans l’espace public que dans la domus de celui-ci. L’auteur cite des exemples intéressants de sanctions subies par les monuments commémoratifs dans le but de déshonorer les personnages auxquels ils étaient dédiés. L’étude des comportements, trahissant les mœurs de l’élite, cachés derrière les choix ornementaux ou artistiques même de la classe dirigeante, explique l’opposition entre la représentation sociale, effectuée dans la domus urbaine et la libre expression du goût personnel dans la villa de loisir. L’auteur arrive à démontrer par des exemples assez parlants comment se heurtent en effet la volonté de représenter le statut social avec la vraie culture et la position politique des élites.

 

         Sabine Lefebvre définit l’espace intermédiaire, entre privé et public, utilisé par les notables pour rendre évidente leur participation à la vie politique et sociale de leur cité et discute de limites existant entre ces espaces. Dans un exposé extrêmement clair, l’autrice examine la localisation des places d’honneur, attribuées aux élites dans l’espace public, les conditions de ces attributions ainsi que les procédures suivies. Le financement et la forme des hommages sont systématiquement analysés, le rôle de l’espace restant toujours significatif voire explicite pour certaines actions. L’auteure arrive à la conclusion intéressante que les notables ont la possibilité de contrôler l’espace public aussi bien que leur espace privé, de créer même un espace intermédiaire pour eux-mêmes et d’en tirer tout le profit qui en résulte.

 

         Anthony Alvarez Melero traite le sujet peu abordé de l’auto-représentation des matrones équestres entre espace public et espace privé. L’étude comprend plusieurs niveaux, constituant une synthèse d’observations et de constatations relatives à la situation des femmes appartenant à l’élite en premier lieu, notamment à leur présence en milieu public, à la signification - directe ou non - de la reconnaissance et des hommages qui leur sont rendus, ainsi qu’au rôle de l’espace dans lequel ont eu lieu ces actes.

 

         Agnès Bérenger traite le sujet intéressant de l’accessibilité du gouverneur de province, notamment lors des cérémonies qui se déroulent dans sa résidence, en tenant compte des hiérarchies sociales. Après l’observation préliminaire de l’autrice sur la nécessité de représentation quasi permanente du gouverneur devant ses administrés, elle examine, à l’aide de sources, les lieux où sa présence s’impose par ses fonctions, à commencer par sa propre demeure, aussi bien que dans les lieux publics comme les tribunaux, les lieux de spectacle etc. Les déplacements dans sa province suivent des procédures bien définies qui se résument en une vraie mise en scène de caractère presque théâtral. Pour compléter la mise en valeur du profil du gouverneur par les structures administratives, l’autrice met l’accent sur le comportement exemplaire qu’il devait présenter en public aussi bien qu’en privé, étant donné qu’il était considéré comme un modèle pour les citoyens. Elle attire l’attention sur le fait que le gouverneur veut se montrer accessible et juste envers tous, tout en réservant un accueil différent à ses administrés, selon leur rang social.

 

         Samir Guizani, dans son étude préliminaire des espaces d’hygiène et de confort en Tunisie romaine, présente de manière assez détaillée l’inventaire des latrines privées appartenant aux habitations, actuellement peu nombreuses, des classes dirigeantes. L’exposé est clair, accompagné de plans, de photos et d’un tableau de classification des caractéristiques des latrines examinées. Mettant l’accent sur le contexte social qui a permis le développement de cet élément plutôt rare dans le plan des domus de l’élite, l’auteur indique les transformations apportées par les réaménagements des habitations à cet effet, considérant l’introduction de pièces de confort et d’hygiène comme une marque de l’évolution de l’architecture domestique du pays.

 

         Claude Denjean examine la question de la continuité de la représentation des élites dans l’espace pendant la période médiévale. La redéfinition et le reclassement des élites et de leur pouvoir vus sous un aspect différent, celui de la christianitas, semble conserver le lien avec la romanité, adapté aux réalités de l’époque. Dans sa présentation des données bibliographiques, l’autrice attire l’attention sur la quasi-absence de la notion de territorialisation et la manière dont se fait l’approche, lorsqu’il y en a, par les différents spécialistes. Elle remarque que l’idée de l’espace public fut considérée comme « anachronique » par les médiévistes, sans préciser si ce terme est mis en relation avec l’époque romaine. Au travers des exemples cités, l’autrice essaie de démontrer comment les intérêts privés interviennent dans l’espace public par l’usage exercé durant le Moyen Âge, en notant que la notion du bien commun/public renaît vers la fin de cette période, dans un contexte de luttes politiques et sociales. La réflexion va au-delà de la distinction et de la fonction des espaces public et privé, prend en compte les clans sociaux considérés comme garants du bien public et examine les principes selon lesquels ils seront admis dans le cercle des élites, tout en considérant le coût de cette admission.

 

         L’autrice, en conclusion, essaie de présenter une vision diachronique, horizontale et complète, des espaces initialement caractérisés comme publics ou privés et des variations observées à travers les comportements sociaux et les usages qui leur sont propres. Vu que le caractère de ces espaces dépend en effet de ce que les élites permettent d’y réaliser, il paraît nécessaire d’examiner le phénomène en tenant compte de la réalité politique qui lui permet d’exister et qui pose les limites dans l’exercice du pouvoir de ces élites, faisant enfin apparaître un espace spécial, celui des élites.

 

 

Sommaire

 

Susana Marcos, Introduction, 7

Audrey Bertrand, Scènes italiennes. Les lieux de culte des cités d’Italie comme espaces de représentation des élites locales et romaines entre République et Empire (IIe s. av. J.-C. –Ier s. apr. J.-C., 13

Martin Galinier, Franchir le seuil : l’exposition d’«images » à Rome, ou la moralité entre espaces publics et domestiques, 25

Sabine Lefebvre, Hommages publics, autocélébration : les formulaires épigraphiques entre espace privé et espace public, 45

Anthony Alvarez Melero, Entre espace privé et public. L’auto-représentation des parentes de chevaliers romains sous le Haut-Empire en Occident, 59

Agnès Bérenger, Le gouverneur de province en représentation, entre espace public et espace privé, 75

Samir Guizani, Les espaces d’hygiène et de confort en Tunisie à l’époque romaine : les latrines privées, 87

Claude Denjean, Contrepoint. Élites et espace public chez les historiens de la période médiévale, 113

Bibliographie, 129

Abréviations des sources, 147

Index des sources, 151

Index des noms de lieux, 156

Index des noms de personnages, divinités et peuples, 159