Philipp, Klaus Jan: Architektur – gezeichnet. Vom Mittelalter bis heute. 352 p., 33 x 24 cm, ISBN: 978-3-03821-563-9, 79,95€
(Birkhäuser, Bâle 2020)
 
Compte rendu par Camille Demange
 
Nombre de mots : 2090 mots
Publié en ligne le 2021-06-23
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3953
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          Klaus Jan Philipp présente, dans cet ouvrage richement illustré, une histoire générale du dessin d’architecture du Moyen Âge jusqu’à nos jours. Cette ambition est née du constat que les ouvrages sur la thématique du dessin d’architecture approfondissaient l’étude d’une collection, d’un architecte ou bien d’une époque spécifique, mais qu’il n’existait encore aucune synthèse de toute cette connaissance. L’entreprise comportait cependant des embûches que l’auteur nous expose en avant-propos. La première d’entre elles est, sans nul doute, la multitude de dessins d’architecture qui a été réalisée depuis le XIIIe siècle, ce qui ne permettait évidemment pas à l’auteur de mener une étude exhaustive sur le sujet. Par ailleurs, bien que des similitudes semblent poindre d’un siècle à l’autre, les maillons de la chaîne permettant de les relier sont parfois difficiles à mettre en évidence. L’histoire qui nous est ici proposée repose donc sur une sélection d’exemples considérés par Klaus Jan Philipp comme représentatifs de l’histoire du développement du dessin d’architecture. Le critère esthétique a également joué un rôle important dans cette sélection de dessins, dont la qualité est restituée à travers de belles et nombreuses illustrations se donnant parfois à voir sur des doubles-pages et des pages dépliantes.

 

         Une introduction (Einleitung : ein notwendiges Kommunications- und Vermittlungsmedium) expose le sujet d’étude à travers les principales définitions nécessaires à la compréhension de l’ouvrage et précise son cadre de recherche. Le dessin d’architecture y est défini comme la mise en page artistique d’une idée architectonique, présentée sous la forme de plan, de coupe et d’élévation, et réalisée sur papier ou à l’aide d’un ordinateur. Le premier objectif du dessin d’architecture semble être d’ordre pratique, puisqu’il est indispensable à la construction d’édifices complexes. Cependant, il n’a pas toujours vocation à être le projet d’un futur bâtiment, puisque les architectes peuvent aussi s’atteler à la création d’esquisses dans le but de se constituer une bibliothèque d’idées personnelles ou de dessins utopiques résultant d’une dialectique entre l’analyse d’un thème architectural et la poétique de leur représentation. Le dessin d’architecture revêt donc une double nature : il est à la fois un objet pratique, dans le cadre d’un projet de construction, mais aussi un objet artistique, dont la réalisation différerait des autres œuvres d’art par l’intervention de différentes mains entre le projet et l’édification finale.

 

         D’un point de vue historique, bien que l’œuvre de Vitruve soit fondatrice pour le dessin d’architecture, la vision actuelle du dessin s’est en grande partie formée au XVIIIe siècle, période à laquelle s’est affirmée la représentation de l’architecture par des plans, des élévations et des coupes. Son développement s’est nourri de la relation entre la science et l’art. Quelques mots s’arrêtent également sur la figure de l’architecture en tant que dessinateur : il apparaît que si l’architecte n’est pas tenu d’être un bon dessinateur, et qu’un bon dessinateur n’est pas nécessairement un bon architecte, le dessin demeure malgré tout le principal moyen de persuasion dans le cadre d’un projet de construction. Le dernier sujet abordé est la « préhistoire » du dessin d’architecture, qui remonterait à l’antiquité égyptienne et grecque, et comprendrait encore le dessin de Saint-Gall (IXe siècle). L’histoire du dessin d’architecture débuterait donc au XIIIesiècle, période à laquelle de nombreux dessins destinés à la construction sont exécutés.

 

         L’introduction s’achève par la présentation de la logique de l’ouvrage. Il est organisé par chapitres thématiques à l’intérieur desquels le propos est ordonné de manière chronologique. Les esquisses ont été délaissées, ainsi que les dessins du domaine militaire car ils sont à étudier de manière conjointe avec l’histoire des machines, ce qui semblait s’éloigner du propos initial.

 

         Le premier chapitre de l’ouvrage (« Grundriss, Aufriss, Schnitt ») est consacré aux modalités de représentation des plans, coupes et élévations. Ces formes de représentation sont connues depuis le XIIIe siècle, comme en témoignent les dessins de cathédrales, et survivent à la Renaissance en dépit de l’apparition de la perspective centrale. Leur développement technique et esthétique a permis au dessin d’architecture de s’élever au rang d’art. La réalisation de plans, qui se définissent comme la coupe horizontale d’un objet, apparaît déjà en 4000 avant J-C en Mésopotamie (maison d’Umma), tandis que Vitruve donne, dans son traité, la définition d’un plan. S’ensuit le récit de son développement du XIIIe siècle au XXsiècle. Un sous-chapitre est dédié aux effets d’ombrages à partir du XVIIIesiècle, qui seraient un moyen de montrer le volume de l’édifice.

 

         Le sous-chapitre suivant débute par la définition de l’élévation (le dessin d’une face d’un bâtiment) puis par une réflexion sur la langue. Les termes allemands incluent le mot « Riss » (Aufriss, Grundriss), qui caractérise un projet dessiné en allemand médiéval, tandis que le terme français « élévation », provenant du latin « elevare », désigne directement la façade de l’édifice, sans inclure la notion de projet dessiné. Ce mode de représentation rend toutefois difficile la lecture du volume. Aussi, les diverses stratégies utilisées par les architectes pour rendre leurs dessins plus intelligibles sont-elles détaillées dans ce sous-chapitre, à l’instar de Villard de Honnecourt montrant la correspondance entre l’intérieur et l’extérieur des chapelles de la cathédrale de Reims. Parmi les autres techniques auxquelles les architectes ont eu recours, figurent les effets d’ombrages ou encore la réalisation de maquettes d’architecture.

 

         La troisième modalité de représentation est la coupe, soit l’illustration d’un édifice coupé en largeur ou en longueur de manière à faire apparaître l’intérieur ou encore l’épaisseur des murs. Cependant, l’auteur nous précise ici que Vitruve ne semble pas connaître cette technique de représentation, pour revenir plus en détail sur cette question dans le chapitre sur la perspective. Utilisée dès le XIIIe siècle par Villard de Honnecourt, la coupe renseigne sur l’agencement intérieur d’un édifice et son articulation avec l’extérieur. Son emplacement (longitudinal ou transversal) est choisi en fonction des indications que le dessinateur souhaite communiquer. Comparativement à un plan ou une élévation, l’information initiale est déformée par la représentation en perspective. Quelques techniques graphiques sont développées pour améliorer sa lisibilité, telles que l’introduction de hachures à l’emplacement de la coupe ou encore d’ombres portées pour illustrer le volume, allant parfois jusqu’à la création délibérée d’effets dramatiques. La coupe est parfois aussi utilisée pour illustrer le contexte topographique de l’édifice (coupes des niveaux), ou encore pour la représentation de toits ou de charpentes au XIXe siècle.

 

         De l’étude successive des fonctions et de l’histoire de ces trois modes de représentation découle une réflexion sur la manière dont elles s’articulent les unes aux autres. Le plan, l’élévation et la coupe se complètent et permettent de fournir toutes les informations indispensables à la compréhension de la logique d’un bâtiment. Toutefois, associer les informations provenant de ces trois modes de représentation demande une capacité d’abstraction que le novice en architecture n’a pas toujours. Une série de sous-chapitres traite des tentatives de combinaisons de ces trois modes, des projets de dessins complexes parmi lesquels compteraient en particulier les projets de toits, et du paragone entre dessin et maquette, ce qui donne lieu à un retour sur le thème des dessins de maquettes puis sur le développement de l’axonométrie.

 

         Un dernier sous-chapitre présente l’isométrie et l’axonométrie, qui se seraient développées en raison des limites des modes de représentation traditionnels. Elles sont notamment utilisées dans les guides de voyages, pour illustrer des édifices en rendant compte de leur tridimensionnalité. L’axonométrie peut également être employée dans un but « scientifique », comme moyen d’analyse d’un bâtiment.

 

         Le deuxième chapitre de l’ouvrage s’attache à étudier plus en détail la représentation en perspective. Celle-ci commence par la présentation du troisième livre de Vitruve (Scaenographia) et du débat sur son interprétation, soit comme la coupe, soit comme la perspective. La perspective, dont les premiers essais remontent au XIIIe siècle, s’utilise traditionnellement comme un moyen d’illustrer l’agencement de l’espace.

 

         Le premier sous-chapitre décrit l’histoire de la représentation de l’espace architectural, qui prend un tournant capital lors de l’apparition de la perspective centrale à la fin du XVe siècle, puis un autre au XIXsiècle lors de la théorisation des « arts de l’espace ».

 

         Le sous-chapitre « Perspektive im Widerspruch » détaille les différentes utilisations de la perspective, qui peut être illusionniste ou centrale, utilisée sur une esquisse ou un dessin achevé pour impressionner l’observateur. Parmi ses formes compte l’axonométrie, dont Jacques Androuet du Cerceau serait le précurseur. Le recours à la perspective dans un but narratif, notamment pour relater par le dessin l’histoire de l’édifice, est abordée dans le sous-chapitre « Erzählen in Perspektiven ». Des critiques sur la perspective naissent au tournant des XIXe et XXe siècles dans le cadre de réflexions portant sur la manière dont l’architecture devrait être représentée et sur sa relation avec les autres disciplines (peinture, sculpture). Elles sont présentées dans le sous-chapitre « Kritik an der Perspektive ». Un sous-chapitre porte sur les concours d’architecture autour de 1900 (« Wettbewerbe um 1900 »). Lors de la grande exposition internationale en 1905, les projets proposés pour le Friedenpalast à La Haye permettent d’apprécier un éventail des styles de l’époque. Le traitement pictural très élaboré de ces dessins a également fait l’objet de critiques : à titre d’exemple, Adolf Loos fait le reproche selon lequel l’art de construire aurait été rétrogradé au rang d’art graphique, car la préoccupation première, qui est celle de bien construire, aurait été dépassée par celle de bien représenter l’architecture par le dessin. Le dernier sous-chapitre (« Weiterleben der Perspektive ») est consacré à l’utilisation de la perspective au XXe siècle, notamment pour représenter l’édifice dans son environnement. Selon l’auteur, l’introduction du CAD (computer aided design) facilite la représentation en perspective mais ne possède pas la force narrative du dessin traditionnel.

 

         La partie intitulée « Kein Ende in Sicht » conclut l’ouvrage. Les différents modes de représentation, dont les définitions sont ici rappelées, obéissent à des conventions qui n’auraient finalement que peu changé au fil des siècles. En définitive, le style de l’architecture influence le style du dessin, comme le montrent les grands dessins aux couleurs pastel de Mies van der Rohe, ainsi que l’architecture des années cinquante, souvent asymétrique et dotée de grands avants-toits, dessinée en perspective et sans ombres. L’auteur précise qu’il a choisi, pour cet ouvrage, des dessins destinés à un jury spécialisé ou au grand public, de sorte qu’ils doivent intéresser sans déconcerter, répondre à des attentes ou promettre quelque chose.

 

         Les différents supports et techniques du dessin sont également détaillés, ainsi que leurs rôles dans l’histoire du dessin. Enfin, la question de l’avenir du dessin d’architecture traditionnel face aux nouvelles technologies est posée. L’auteur affirme que ces nouvelles technologies ont ouvert des possibilités dans le secteur industriel et forceraient le dessin traditionnel à innover, en apportant des informations qui ne sont pas d’ordre architectonique. Le dessin traditionnel se développe en revanche par les concours, qui évaluent sa qualité, ce qui permet de conclure qu’il n’y a pas de mort du dessin d’architecture. Une bibliographie et une liste des illustrations complètent l’ouvrage.

 

         Architektur gezeichnet est un beau livre synthétisant l’histoire du dessin d’architecture du Moyen Âge jusqu’à nos jours. La logique chrono-thématique a servi à éviter la présence de certaines redondances, bien que l’on puisse, par endroits, regretter que les liens entre le développement des différentes formes de représentation ne soient pas davantage mis en évidence. Par exemple, les dessins de Villard de Honnecourt sont successivement abordés dans les chapitres portant sur le plan, l’élévation puis la coupe : on pourrait ici se demander s’il n’eut été plus clair de les réunir, plutôt que d’y revenir au début de chaque chapitre, ce qui aurait également permis de restituer plus aisément leur contexte de production. L’ouvrage a une ambition généraliste, aussi les débats plus spécifiques sur les datations des dessins (soulevés par exemple par les publications récentes de Johann Joseph Böker à propos des dessins médiévaux) ou encore sur la profession de Villard de Honnecourt, débat quoique plus ancien, n’y figurent-ils pas. Les points forts de l’ouvrage sont indéniablement son style didactique empreint d’enthousiasme, qui le rend abordable à un public intéressé mais non-spécialiste, la qualité et la quantité des images, ainsi que la synthèse relativement complète sur un sujet pléthorique. Cette synthèse, bel et bien la première du genre, couvre en effet de très nombreux aspects – techniques, philosophiques, artistiques, historiques... – du sujet, si bien que l’objectif que s’était initialement fixé l’auteur, proposer une histoire générale du dessin d’architecture du Moyen Âge jusqu’à nos jours, est atteint. Il offre en cela une belle traversée du dessin d’architecture à travers les siècles.