Hérold, Michel (dir.): (avec la collaboration de Françoise Gatouillat, Jean-Pierre Blin et Véronique David) Les vitraux du midi de la France. 400 p., 24 x 31,5 cm, ill. couleurs, ISBN : 978-2-7535-7934-7, 45 €
(Presses universitaires de Rennes, Rennes 2020)
 
Compte rendu par Greta Kaucher
 
Nombre de mots : 1698 mots
Publié en ligne le 2022-04-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3954
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          Ce XIe et dernier volume du Corpus Vitrearum clôt le recensement exhaustif de tous les vitraux de France antérieurs à 1789. L’achèvement de ce projet ambitieux, qui fut le premier organisé sur le plan international, débuta après la Seconde Guerre mondiale. Suite aux conflits successifs ayant entraîné la perte de nombreuses verrières, les historiens de l’art se mobilisèrent alors pour repérer, étudier et faire connaître ce patrimoine à la fois fragile et précieux.

 

          Sous la direction de Michel Hérold, conservateur général du patrimoine et grand spécialiste du vitrail, et avec la collaboration d’éminents chercheurs (Françoise Gatouillat, Jean-Pierre Blin et Véronique David), ce volume, inédit, est entièrement consacré aux vitraux du Midi de la France. Il est divisé en trois parties, correspondant aux trois anciennes régions administratives (avant la fusion des Régions en janvier 2016) : Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur, regroupant ainsi treize départements. Les photographes professionnels des services régionaux de l’Inventaire (Marc Kérignard, Frédéric Pauvarel et Philippe Poitou) ont largement contribué à l’ouvrage, sillonnant les routes et prenant de nombreux clichés des verrières.

 

          Ces régions ont la particularité d’être considérées comme pauvres en vitraux par rapport à d’autres régions de France ; ce volume permet ainsi d’aborder l’histoire complexe du vitrail dans le Midi depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle principalement et de mettre en lumière la richesse méconnue de ses sites et de ses verriers. Sortant du cadre initialement fixé (« antérieur à 1789 »), plusieurs pages sont également consacrées au vitrail depuis le XIXe siècle. Le développement et la redécouverte des vitraux à cette époque, en passant par l’Art nouveau, permettent en effet d’appréhender aussi le vitrail ancien et sa réhabilitation.

 

          Le présent volume suit la méthode et s’organise de la même manière que les volumes précédents. Après une introduction importante pour chacune des deux grandes régions actuelles (Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur) relatives à l’historiographie et à leurs verriers, le corpus présente de façon systématique tous les vitraux conservés dans les édifices et collections publiques (cathédrales, églises, chapelles, château, abbaye, musées), mais aussi dans quelques collections privées. Chaque vitrail, étudié in situ, fait l’objet d’une notice détaillée. Classées par ordre alphabétique de département, puis de ville et de site, celles-ci sont abondamment illustrées, offrant une monographie individuelle du lieu et une description méthodique des verrières, comprenant des informations historiques et bibliographiques. Les détails les plus précieux sont pris en compte : sujet, datation, composition précise de la verrière, dimensions, identification des auteurs, commanditaires ou donateurs, restaurations éventuelles, etc. Le corpus recense également les vitraux déplacés et disparus, ainsi que les vitraux de fouilles. Au total, ce volume dénombre cent quarante-deux sites (vingt-et-un pour le Languedoc-Roussillon ; quatre-vingt-quatre pour la région Midi-Pyrénées et trente-sept pour la Provence) parmi lesquels plus de six cents pièces sont inventoriées. L’ouvrage s’achève par un important et très utile index des lieux, personnes et termes iconographiques.

 

          Hormis les cathédrales (les plus réputées : Aix-en-Provence, Albi, Apt, Auch, Béziers, Carcassonne, Carpentras, Embrun, Narbonne, Mende, Rodez, Saint-Lizier ou Toulouse), de nombreuses églises sont recensées. Citons aussi le collège privé de l’enclos Saint-François à Montpellier, la Maison dite du Viguier à Meyrueis (Lozère), le Palais des rois de Majorque à Perpignan, ou le château de Teillan à Aimargues (Gard) et ses panneaux Renaissance, celui de Belcastel (Aveyron), de Castelnau-Bretenoux à Prudhonnat, Montal à Saint-Jean-Lespinasse, La Treyne à Lacave dans le Lot, ou de Castelfranc à Montredon-Labessonnié (Tarn). Ce corpus recense également tous les vitraux conservés dans les musées de ces régions, principalement au musée Granet et Arbaud à Aix-en-Provence, Calvet, Petit-Palais et au Palais des Papes à Avignon, Grobet-Labadié à Marseille, Prieuré du Vieux-Logis à Nice, Francis Poulenc à Rocamadour, Fenaille à Rodez, mais aussi à la Villa Ephrussi de Rothschild à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

 

          Dans leur première introduction, Michel Hérold et Françoise Gatouillat évoquent longuement l’évolution des verrières en Occitanie et la place marginale qu’elles occupent dans l’histoire du vitrail français du fait de leur méconnaissance, principalement. Ainsi dressent-ils une cartographie des vitraux de cette région qui s’avère très inégale selon les départements, liés aux ressources et richesses des uns, mais aussi aux vandalismes successifs des guerres, à commencer par les guerres civiles du XVIe siècle. L’histoire du vitrail dans cette région dépend aussi de la production verrière ainsi que de l’implantation et de l’influence des artistes – qui s’avèrent encore disparates selon les villes et leur histoire politique et économique. La mobilité des artistes, particulièrement vivace dans l’espace languedocien, a engendré un grand dynamisme de l’art du vitrail.

 

          En Occitanie, les vitraux les plus anciens remonteraient au XIIIe siècle, ce qui est bien plus tardif que dans les régions du nord de la France, et ils sont particulièrement visibles dans les cathédrales de Béziers, Carcassonne et Narbonne. Elle compte en revanche un corpus abondant et diversifié de vitraux du XVe siècle, toutefois peu présents dans le Bas-Languedoc. La période de la Renaissance n’est pas la plus abondante, cependant un artiste de premier ordre y jouera un rôle majeur : Arnaud de Moles à Auch ; cette période doit beaucoup également au mécénat de grands ecclésiastiques. Les guerres de religion ont été destructrices pour les églises occitanes mais, la paix revenue, de nombreux chantiers de réparation permettent une véritable mutation dans la décoration du vitrail. Les auteurs abordent la question des nombreux collectionneurs de vitraux à partir du XIXe siècle, qui ont aussi aidé à une meilleure conservation de cet art fragile.

 

          La seconde introduction de l’ouvrage concerne la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’histoire du vitrail dans ces contrées était restée longtemps méconnue jusqu’aux travaux de Danièle Foy puis de Joëlle Guidini-Raybaud, qui a consacré sa thèse aux vitraux en Provence occidentale, publiée en 2003 aux Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, dans la série Études du Corpus Vitrearum. Le découpage de la nouvelle région inclut des départements qui avaient déjà été étudiés, notamment les Bouches du Rhône, le Vaucluse et le Var, mais les auteurs ont largement enrichi les notices sur les verrières déjà connues.

 

          Pour la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, la situation est différente. Les premiers vitraux de l’époque romane, trouvés lors de fouilles, remonteraient au XIIe siècle, cependant l’architecture romane se prête peu au développement de l’art du vitrail, contrairement à d’autres régions. À partir de l’installation de la cour pontificale en Avignon, au XIVe siècle, le vitrail occupe une place plus importante dans la région et de nombreux peintres sur verre itinérants sont attirés par la cité papale, à l’instar du Normand Guillaume Le Tangard, du Bourguignon Jean Lo Borghano ou de Barthélemy de Labarre, certainement originaire de Bourges. Malheureusement, les crises sanitaires liées à la grande peste de 1348, s’étalant sur plus de cent ans, eurent une incidence dramatique sur la production. Au tournant du XIVe siècle, la cathédrale d’Aix s’enrichit d’une importante verrière et celle d’Embrun d’une rose Ouest remarquable.

 

          Durant la première moitié du XVe siècle, les peintres verriers de la famille Dombet (1414-1462) paraissent particulièrement actifs, du moins d’après la documentation conservée. Vers 1447, est achevé le plus vaste ensemble conservé en Provence, les vitraux de l’abside de l’ancienne cathédrale Saint-Siffrein de Carpentras. À partir de ce moment-là, la reprise économique permet à nouveau aux artistes de s’installer dans la région et les auteurs s’interrogent, entre autres, sur le véritable rôle joué par le peintre Enguerrand Quarton en tant que peintre verrier. Michel Hérold a récemment démontré qu’un petit panneau d’ajour, représentant Dieu le père d’une scène de l’Annonciation, provenant vraisemblablement de l’église Saint-Didier d’Avignon, aujourd’hui au musée Calvet, serait de la main de l’artiste et prouverait ainsi son implication personnelle dans la peinture sur verre.

 

          Les auteurs constatent qu’aucun vitrail d’édifices civils n’est conservé in situ en Provence. Seules les fouilles et les archives témoignent de la présence du verre dans l’espace domestique. Une fois encore, l’attrait de nombreux collectionneurs au XIXsiècle a permis de préserver ces trésors. À partir de la fin du XVe siècle, le métier de peintre verrier se stabilise et les ateliers deviennent plus actifs ; on note un regain d’activité ainsi que la finalisation de plusieurs chantiers.

 

          Si le corpus des vitraux en Provence paraît réduit, les guerres de religion et leur lot de destructions y sont pour beaucoup. À partir du XVIIe siècle, de profondes mutations vont bouleverser l’art du vitrail dans les édifices religieux, soit par une architecture différente amoindrissant la part du décor vitré, soit par un renouvellement complet de leur ornement. La Révolution française aura, elle aussi, des conséquences désastreuses sur la préservation des vitraux et, au siècle suivant, l’abandon et la réorganisation des édifices religieux permettent au contraire une sauvegarde inespérée de vestiges abandonnés. C’est à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que d’importantes campagnes de restaurations sont entreprises, faisant appel à des ateliers régionaux et extérieurs. Enfin, le XXe siècle voit renaître l’art du vitrail avec des artistes inspirés.

 

          Parmi les infimes critiques que l’on pourrait faire à ce monument, on pourrait regretter que la direction scientifique n’ait pas jugé opportun d’associer un numéro à chacune des entrées – comme c’est le cas dans la majorité des catalogues ou corpus – ce qui aurait permis de se référer plus facilement aux œuvres d’art. Par ailleurs, le renvoi aux figures n’est pas systématique, ce qui est dommageable pour la parfaite lecture des notices. Enfin, celles-ci, souvent très denses, avec une mise en page très condensée sans espacement entre les paragraphes, perdent parfois en lisibilité. Ces insignifiants détails ne doivent pas faire ombrage à ce précieux instrument de recherche qui sera particulièrement utile à tous les historiens, aux professionnels du patrimoine mais aussi aux amateurs.

 

          Les onze volumes du « Recensement des vitraux anciens de la France » parurent entre 1978 et 2020, nécessitant un peu plus de quarante années de recherche scientifique et l’on ne peut que se réjouir de voir l’aboutissement d’un travail de si grande envergure permettant au moins une sauvegarde écrite et visuelle d’un patrimoine si fragile, sachant que la France est le pays recensant le plus grand nombre de vitraux au monde.

 

 

Sommaire
 

Les vitraux d'Occitanie

Les vitraux de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d'azur