AA.VV.: Victor Prouvé (1858-1943). Ouvrage collectif de Christian Debize, de Dominique de Font-Réaulx, de Sophie Harent, d’Emmanuelle Héran, de Blandine Otter, de Bénédicte Pasques, de Jérôme Perrin, de Philippe Thiébaut et de Claude Tillier. 306 pages, 463 ill., cart., sous couv. ill., 230 x 290 mm. Livres d’Art, Gallimard -art. ISBN 9782070120703. 39,00 €
(Gallimard, Paris 2008)
 
Rezension von Samuel Toutain, Université de Perpignan
 
Anzahl Wörter : 1727 Wörter
Online publiziert am 2008-12-27
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=397
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Richement illustré et documenté, grâce à la nature même des ressources archivistiques disponibles sur la vie de Victor Prouvé, l’ouvrage retrace fidèlement la carrière hétéroclite et insoupçonnée d’un artiste au demeurant assez peu connu. C’est à la fois une entreprise de réhabilitation honorifique que de voir dans ce personnage un artisan de la révolution des arts dits « mineurs », et c’est l’hommage tardif de toute une ville. Il s’agit en effet de la première exposition sur l’ensemble de son œuvre, exceptée celle du Centenaire de Victor Prouvé organisée en 1958, par le musée des Beaux-Arts de Nancy. L’exposition, dont ce catalogue est issu, a été présentée du 17 mai au 21 septembre 2008 dans les trois musées de la ville de Nancy ; sa qualité visuelle et son degré d’érudition auront certainement comblé tous les publics, des amateurs de la peinture du XIXe siècle aux aficionados de l’art décoratif, en passant par les amoureux de la ville de Nancy ou tout simplement les adeptes de l’art sous toutes ses formes.

Les dix articles qui portent sur l’activité de Victor Prouvé revalorisent la production de l’artiste mais aussi son statut, tout à fait symbolique des changements de l’époque. Tour à tour peintre, dessinateur, décorateur, sculpteur, relieur et amateur éclairé, Prouvé ne manqua pas de participer aux débats de son temps – l’époque tourmentée de la fin du XIXe siècle avec l’antagonisme allemand et l’affirmation du régime républicain qui fut particulièrement éloquente à cet égard pour lui – et il s’impliqua même dans les politiques artistiques au début du XXe siècle. C’est le domaine pictural, où il atteint une notoriété certaine auprès du grand public et de la critique au cours des années 1890, qui donne à Prouvé l’autorité d’un homme capable d’influer significativement sur le cours de l’histoire de l’art. Si l’artiste ne s’est pas enfermé dans une seule voie, comme l’ont justement mis en valeur les auteurs de ce catalogue, c’est aussi parce qu’il a cultivé cette pluralité toute sa carrière durant ; il l’a érigée au rang d’activité plénière d’artiste-artisan en redéfinissant la beauté que le XIXe siècle s’était évertué à ne voir que dans les choses inutiles. Élevé dans une famille d’artisans – son père est dessinateur en broderie – et environné de plusieurs personnalités déterminantes, notamment Émile Gallé et Émile Friant, l’artiste et l’homme se caractérisèrent par une simplicité, une clairvoyance et une originalité uniques. Prouvé étonna par sa fantaisie dans ses productions « classiques », déconcerta par l’audace de ses créations et suscita enfin l’admiration de ses pairs, au point d’être surnommé l’héritier de Puvis de Chavannes ; il sera ainsi un « héraut de l’unité de l’art » comme le désigne Philippe Thiébaut. C’est d’ailleurs ce statut d’artiste transversal qui explique peut-être la difficulté de compréhension de l’ensemble de son œuvre et la nécessité d’un tel catalogue d’exposition.

 

S’essayant à tous les savoir-faire, toutes les matières, toutes les inspirations, Victor Prouvé ne trouva de limites que dans l’esprit de son temps, tantôt avant-gardiste dans sa production artistique à la fin du XIXe siècle, tantôt presque désuet dans l’application de ses préceptes idéologiques à la tête de l’école des Beaux-Arts de Nancy vers le milieu du XXe. La période phare 1880-1910 où l’artiste développa l’essentiel de sa création et prôna le renouveau des arts est en effet finement mise en relief en contraste avec la deuxième partie de la vie de Prouvé, au sein de l’école des Beaux-Arts de Nancy. Acteur éminemment important du paysage artistique de sa ville natale, il fut aussi le véritable artisan de la constitution d’une nouvelle école d’artistes ; il serait à ce titre sans doute intéressant d’en étudier l’influence sur les générations postérieures à Prouvé.

 

Seule la moitié des articles traite véritablement du travail de l’artiste au sens propre ; l’autre moitié éclaire de manière décisive la pluralité des intérêts idéologiques et politiques de Victor Prouvé ainsi que sa carrière vue comme un phénomène sociétal (dans la presse, à la tête de l’école des Beaux-Arts...). Même s’il apparaissait nécessaire de mettre en valeur l’importance de l’artiste dans son contexte historico-artistique, il est toutefois dommage que les auteurs du catalogue n’aient pas accordé plus de place à l’analyse et à l’interprétation de l’œuvre en elle-même. Pour un personnage « considéré également comme un peintre-décorateur, non seulement par ses contemporains, mais aussi par l’historiographie » (p. 65), on aurait en effet aimé qu’un article soit entièrement consacré à la réalisation des grands décors publics et privés, tant l’exercice se révèle particulier et important à cette époque. On peut même se demander s’il n’eût pas été préférable de mélanger les domaines – nous pensons ici à la sculpture et à la peinture – afin de présenter une précieuse synthèse sur les commandes pour les monuments publics, miroir, qui plus est, d’une célébrité indéniable durant la Troisième République. D’autre part, la production de salon et d’exposition aurait aussi pu faire l’objet d’une partie propre, à cause de son caractère obligé dans la vie parisienne et de son retentissement en province. Le nombre important de portraits (« L’art du portrait », p. 152-160 et « La famille Gallé », p. 161-175), sans être révélateur, mériterait peut-être une étude plus approfondie, car l’habileté de Prouvé est à ce titre tout à fait remarquable, comme en témoigne le regard langoureux de la plupart des visages qui regardent les spectateurs dans un esprit quasi-photographique, comme l’illustrent fort bien La famille Bergeret (p. 174) ou encore le Portrait de Mlles Moulins (p. 171). Il n’est guère fait de cas du domaine purement technique, dans ses méthodes classiques, d’essai ou sporadiques (gravure, pyrogravure, dessins de broderie et d’orfèvrerie), alors que cet artiste génial s’intéressait à tout ce qui était à sa portée. Nous demandons sûrement beaucoup à un catalogue qui brille déjà par son exemplarité dans le genre, mais la valeur des œuvres présentées ainsi que l’importance de leur auteur excitent la curiosité du lecteur.

 

La production de Victor Prouvé se révèle si importante (la sélection d’œuvres publiée s’étend en effet sur près de 150 pages dans le catalogue), qualitativement et quantitativement, qu’il est bien étrange de constater l’ombre relative dans laquelle reste encore une grande partie de celle-ci : le musée lorrain de Nancy possède à lui seul 1130 œuvres graphiques, tandis que les autres musées nancéiens recèlent de très nombreuses créations de l’artiste. Grâce à des dons successifs de la famille Prouvé, Nancy s’est aussi dotée d’une partie importante des archives et productions personnelles de l’artiste. On peut toutefois regretter le grand nombre d’affiches de Victor Prouvé présentées à l’exposition en comparaison du petit nombre d’esquisses et projets pour le grand décor (p. 178-187), d’une dextérité impressionnante, révélateurs d’un travail intense et minutieux. Certes, la production graphique populaire de l’auteur a sans aucun doute joué un rôle indéniable dans la gloire locale de l’artiste, mais nous aurions préféré  entrevoir les hésitations de Prouvé, ses ajouts, ses retraits, de l’ébauche à l’œuvre achevée, pourtant magnifiquement illustrés pour deux grandes toiles L’île heureuse (p.184-185) et La Joie de Vivre (p. 186-187). Si les affiches renseignent aussi sur les convictions politiques de l’auteur et son souci de « l’art utile » (pour la propagande et les menus), elles sont pour la plupart d’un intérêt artistique moindre par rapport à l’ensemble de sa production. On doit cependant souligner la beauté saisissante de certaines affiches comme par exemple, Oh ! Les cartes Bergeret ! (p. 257).

 

Il était donc justifié de consacrer la totalité d’une exposition à Victor Prouvé ; s’il n’est pas rare de voir collaborer plusieurs musées sur un même projet, il était tout à fait essentiel que tous ceux de la ville de Nancy s’unissent dans cette grande rétrospective qui se voulait un panorama complet – en tout point réussi – de la production hétéroclite de Victor Prouvé de 1880 à 1914. C’est ainsi que s’articule le catalogue des 124 œuvres publiées dans l’ouvrage (sur 383 objets de l’exposition) en expositions séparées dont la publication a été classée par thématiques chères à l’artiste ou révélatrices de sa production : la première partie, « le peintre de la joie de vivre », au musée des beaux-arts, la deuxième, « l’art et la matière », au musée de l’École de Nancy [1], et enfin « l’Art nouveau mis en images » au Musée Lorrain.

 

Bien que le catalogue reprenne bon nombre d’œuvres déjà publiées, on ne peut que se réjouir de la présence de certaines inédites : les peintures Sous la lampe, Portrait de maître Grillon et Portrait de Mme et Mlle Grillon, la cire peinte la jeunesse ou encore le panneau de cuir Fructidor ou Gourmandise. Bien plus qu’une mise à jour pour le cent cinquantenaire de la naissance de Prouvé, le catalogue est résolument tourné vers la consécration finale de l’artiste essentiel de l’École de Nancy. L’exposition peut à juste titre se présenter comme la dernière page (?) d’un panégyrique décennal inauguré en 1999 avec la manifestation « Peinture et Art nouveau », fruit d’un travail intense de la ville de Nancy (voir les catalogues d’exposition, p. 295).

 

Sommaire :

 

Avant-propos par Claire Stoullig, Valérie Thomas et Eric Moinet : p. 12 à 15

Victor Prouvé et son temps – repères  biographiques et documentation : p. 16 à 34

 

Victor Prouvé un héraut de l’unité de l’art : p. 35 à 41

Philippe Thiébaut

 

Humanisme social et conscience politique chez Victor Prouvé : p. 43 à 49

Bertrand Tillier

 

Au service du décor : les collaborations artistiques de Victor Prouvé : p. 51 à 59

Jérôme Perrin

 

Victor Prouvé et la peinture : du chevalet à l’espace public : p. 61 à 70

Blandine Otter

 

Victor Prouvé sculpteur : les « compositions symbolistes » : p. 73 à 81

Emmanuelle Héran

 

Victor Prouvé et le renouvellement de l’art décoratif : l’exemple de la reliure et du cuir : p. 83 à 89

Blandine Otter

 

Dans l’intimité de la création : Victor Prouvé et les arts graphiques : p. 91 à 99

Bénédicte Pasques

 

Victor Prouvé et la photographie : un amateur éclairé : p. 101 à 108

Dominique de Font-Réaulx

 

« Quel directeur allais-je être ». Victor Prouvé, de l’École de Nancy à l’école des beaux arts de Nancy : p. 111 à 119

Christian Debize

 

L’artiste et les chroniqueurs : l’art de Victor Prouvé vu par la presse de son temps : p. 121 à 127 

Sophie Harent

 

MUSEE DES BEAUX ARTS  - Le peintre de la joie de vivre : p. 128 à 193

 

MUSEE DE L’ECOLE DE NANCY – L’art et la matière [1] : p. 194 à 239

 

MUSEE LORRAIN – L’Art nouveau mis en image : p. 240 à 285

 

Bibliographie : p. 287 à 295

Index : p. 297 à 299

 

[1] Si elle est bien inscrite dans le sommaire de l’ouvrage sous le titre L’art et la matière, l’exposition au musée de l’École de Nancy est intitulée L’art de la lumière.