Blin, Olivier (dir.): Pour une archéologie du fait religieux (Les Nouvelles de l’archéologie, 160). 64 p., 21 x 29,7 cm, ill. couleur, ISBN : 9782735126859, 12€
(Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris 2020)
 
Compte rendu par Béatrice Robert
 
Nombre de mots : 2283 mots
Publié en ligne le 2021-06-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3987
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          Les nouvelles de l’archéologie (Éditions de la Maison des sciences de l’homme) est une revue ouverte à un large public tant dans la perspective du lecteur que de celui du contributeur, le choix des rédacteurs en chef Armelle Bonis (Conseil départemental du Val-d’Oise) et François Giligny (Université Paris 1) étant de proposer « un lieu de débat scientifique et politique » à tous les individus et toutes les institutions concernées par l’archéologie et ses enjeux dans la société. Ainsi, l’ouvrage prend en compte toute recherche archéologique française (métropolitaine ou non) ou étrangère.

 

         Le numéro 160, paru en juin 2020 et dirigé par Olivier Blin (INRAP Centre/Île-de-France), est consacré au fait religieux. En 62 pages et 11 chapitres, docteurs, chercheurs universitaires ou de l’INRAP, s’attaquent à un sujet épineux, à savoir les phénomènes religieux comme faits historiques et sociaux, et couvrant un large cadre spatio-temporel. Olivier Blin, dans son introduction intitulée « Pour une archéologie du fait religieux », rappelle d’ailleurs la complexité du sujet, qui touche à la fois au concret et à l’abstrait et évoque rapidement les différentes perspectives de réflexion proposées par les contributeurs. 

 

         Que retenir de la question du « fait religieux » à l’aune de la lecture ? L’élément essentiel à souligner, avant de rentrer plus avant dans l’aspect archéologique, et non le moindre, est la complexité même de la terminologie de « fait religieux », qui s’inscrit à la fois dans une volonté d’atténuation du sens du mot religion mais qui s’offre aussi comme une réponse au débat sur la laïcité (mené dans les années 1990) dans le cadre de l’Éducation nationale. Si le terme fait son apparition dans les années 1960, c’est bien ce débat qui donne de l’ampleur à l’utilisation de cette expression et ouvre un champ plus large à la recherche archéologique, favorisant ainsi la transdisciplinarité. À ce propos, l’article de Jean-Marie Husser éclaire le problème de manière lumineuse en évoquant notre vision ethnocentrée du monde qui nous entoure et en soulignant les conséquences sémantiques du choix d’utilisation des classes grammaticales (adjectif ‘religieux’ vs nom commun ‘religion’) : une même racine étymologique pour une atténuation du sens, un déplacement des perspectives de recherche, une approche multidimensionnelle de la religion dans ses acceptions symboliques ou abstraites, comme dans sa manifestation concrète par des activités rituelles, la gestuelle ou encore l’architecture ou les objets. Si le terme de religion est associé au dogme, le fait religieux étend le champ de vision au sacré et aux cultes (domestique, public ou encore les confréries), mais aussi aux paysages, aux bâtiments et aux objets. En cela, l’archéologie revêt un rôle déterminant dans la compréhension du fait religieux.

 

         Tout d’abord, l’archéologie du bâti apporte une contribution non négligeable à la question du fait religieux en cela qu’elle dépasse les considérations d’ordre architectural. Elle ouvre le champ aux pratiques rituelles, interroge la notion de sacré et prend en compte des activités non religieuses. Elle permet également de porter un regard sur la pérennité des cultes.

 

         En l’absence de textes et pour la période romaine, Isabelle Fauduet, dans son article « Fait religieux et pratiques cultuelles en Gaule romaine. Que révèlent les témoignages archéologiques ? », s’attache à préciser la notion de sanctuaire (plus particulièrement de fanum) dans les trois Gaules. Loin de proposer une interprétation unilatérale axée sur des questionnements architecturaux, elle met en évidence que les modifications observées sur un temple gallo-romain sont liées à des transformations sociétales influençant les rituels, comme les activités et les gestes religieux. L’étude du bâti ne se résume donc pas à un simple travail sur le phasage mais renvoie à une réflexion plus profonde sur le choix d’implantation des bâtiments et le développement de pratiques qui ne relèvent pas uniquement du sacré.

 

         Michèle Gaillard, quant à elle, constate que, même en présence de sources écrites (souvent ténues), il est important de confronter ces dernières à la réalité. L’archéologie du bâti permet alors d’apprécier « le caractère pérenne de la plupart des cultes » de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge. Dans son article intitulé « L’apport de l’archéologie à une approche renouvelée de l’histoire du fait religieux », elle affirme que le fait religieux, pour ces époques, est essentiellement attesté grâce à l’archéologie du bâti (travail sur les monuments mais aussi sur la topographie des édifices). Elle s’attarde sur la persistance du sacré dans les villes épiscopales et les chefs-lieux romains, notant une forte implantation, en zones suburbaines, d’églises édifiées sur d’anciennes nécropoles ou des sites liés à des inhumations de personnages étant à l’origine de lieux de culte ou de pèlerinage.

 

         À mi-chemin entre archéologie du bâti et archéologie du paysage, Benoît Rouzeau et Agnès Charignon confirment l’intérêt de la pluridisciplinarité (SIG, archéologie du bâti, modélisation microphotographique, photogrammétrie…) dans la compréhension du fait religieux en proposant une réflexion intitulée « Paysages, implantation et architecture des monastères cisterciens entre Seine et Rhin du XIIe au XVIIIe siècle », issue d’un PCR débuté en 2018. Ils proposent ainsi les résultats archéologiques et un état de la question et démontrent l’existence de marqueurs spécifiques préalables aux choix d’implantation et d’installation des établissements. Ces marqueurs déterminent l’identification des types de monastères (masculins, féminins, ou encore granges) et l’estimation de la pérennité des sites et/ou croyances.

 

         Ensuite, on constate que l’archéologie du paysage est un domaine en pleine expansion, permettant un autre moyen d’accès au fait religieux. À ce sujet, plusieurs contributeurs témoignent de son importance dans l’obtention d’une réflexion plus large sur les continuités et ruptures des installations religieuses, qu’il s’agisse de contextes ruraux ou urbains.

 

         Ainsi, dans son article sur les paysages religieux en Gaule à l’époque romaine, Raphaël Gosoletti partage une analyse réflexive s’intégrant dans un programme plus vaste (PCR). Le fait religieux est ici abordé grâce à une archéologie spatiale consistant en un maillage des lieux de culte dans le paysage naturel et anthropique, notamment au travers du repérage des sanctuaires à partir des méthodes dites « non invasives » (SIG, données paléo-environnementales, Lidar, drones ou encore prospections géophysiques). L’objectif est de cartographier l’ensemble du territoire de manière à obtenir un panorama complet des continuités et ruptures du paysage religieux, rapprochant ainsi le travail du concept « d’archéologie de la mémoire ». Partant de la notion de « sacred landscape », l’auteur rappelle l’essor de la discipline dans les années 2002 et fait un bref historique des recherches dans le domaine, avant d’insister sur l’aspect novateur de cette approche dans la compréhension du paysage religieux. Il rappelle aussi que cette perspective de recherche est liée à une volonté politique du CNRA, qui souhaiterait une centralisation des données au niveau national afin d’enrichir la problématique de la romanisation des paysages religieux. Toutefois, il termine sur une réserve, en notant que celle-ci ne fait pas l’unanimité auprès de tous les acteurs de l’archéologie, le dialogue restant parfois difficile.

 

         Véronique Soulay, quant à elle, démontre grâce à une étude de cas, l’importance de l’apport de l’archéologie et des études pluridisciplinaires dans le cadre urbain au Moyen Âge. Présentant un historique des implantations situées dans le quartier Saint-Jean et du monceau Saint-Gervais à Paris de l’époque mérovingienne au XIVsiècle, elle met en relation fait religieux et monumentalisation du quartier par l’examen des contraintes d’urbanisation (situation parcellaire, ressources financières et intégration nécessaire de l’ensemble des éléments liés à la fonction religieuses).

 

         Enfin, Philippe Blanchard offre une belle démonstration des limites imposées aux archéologues en traitant du problème des cimetières juifs médiévaux. Quand bien même l’archéologie peut être ralentie, voire bloquée par des pressions religieuses, politiques, médiatiques… ou par des difficultés d’accès aux sites, le fait religieux n’en reste pas moins décelable par une observation du paysage religieux qui témoigne implicitement de gestes, de lois, d’interdits ou de croyances. Ainsi, il prouve, grâce aux données obtenues à York en Angleterre et à Châteauroux en France, que la localisation spécifique des cimetières extra-muros éloignés des synagogues (pour des raisons de pureté rituelle), la gestion de l’espace (partition en fonction de l’âge, des sexes ; pratique funéraire ; interdits par la religion) et la position des corps (notamment le placement des mains spécifique) sont autant d’informations qui permettent l’accès au fait religieux.

 

         Pour terminer, le fait religieux ou plutôt les faits religieux sont appréhendés par les objets et ces derniers ne relèvent pas uniquement de la matérialité. De première ou de seconde main, l’objet retrouvé (in situ ou en remploi) procure des indications sur des croyances ou pratiques cultuelles. Dans un contexte élargi, il interroge sur les types de fréquentation des sites dans lesquels ils sont mis au jour, il est associé à une gestuelle ou plus encore à une pensée symbolique.

 

         Ainsi, l’article d’Isabelle Fauduet intitulé « Fait religieux et pratiques cultuelles en Gaule romaine. Que révèlent les témoignages archéologiques ? » propose une réflexion sur les gestes cultuels et les dévotions. En l’absence de textes, elle s’attache d’abord à la représentativité des divinités à partir des dédicaces ou de la statuaire. Elle note la prédominance des divinités masculines, la présence d’une divinité féminine (Minerve) et celle, locale, de Cernunnos. Elle rappelle aussi que les différentes pratiques qui se jouent au sein des sanctuaires ne relèvent pas uniquement du sacré. Elle insiste d’ailleurs sur la nécessité d’obtenir des composantes environnementales pour comprendre l’ensemble et accéder aux rituels de fondation ou encore de clôture. Enfin, en traitant des offrandes, elle s’interroge sur les objets recueillis dans les lieux de culte, leur diversité et la difficulté d’attribution (offrande individuelle, collective…). I. Fauduet termine en soulignant que le fait religieux à l’époque romaine est caractérisé par le développement d’offrandes et de dépôts rituels et se distingue des pratiques communautaires laténiennes, essentiellement caractérisées par des banquets. 

 

         Plus encore, Claude de Mecquenem prône une « phénoménologie du religieux ». En s’attachant aux spolia et remplois, il insiste sur le fait que des interprétations trop réductrices sont associées à ces objets « de seconde vie ». Or plusieurs éléments doivent être retenus : ces objets proviennent d’une chaîne opératoire indissociable de la notion de concept mental avant fabrication. Leur réutilisation n’est pas anodine mais au contraire empreinte d’un dialogue évident entre le sacré et le réel, entre le réel et différentes sphères de perceptions, entre l’œuvre et le regardeur, entre le sacré et le profane… Pour cela, l’auteur remonte à la Préhistoire pour souligner les liens entre sacré et profane mais aussi et surtout que l’objet, en tant que remploi ou spolia, transgresse le matériau ou le temps car le propre des sociétés humaines est d’entretenir un rapport au monde qui dépasse le réel, le palpable … En somme, il est de « nature religieuse, surnaturelle ».

 

         À l’issue de la lecture de ces articles, trois points peuvent être évoqués. Tout d’abord, ce numéro propose de riches contributions sur la question du fait religieux, tant dans la variété des approches, de la chronologie et des sites que dans les perspectives de recherche. Toutefois certaines d’entre elles restent de valeur inégale en termes d’horizon d’attente pour le lecteur. Alors que des auteurs proposent une véritable posture réflexive sur le sujet et se risquent sur le délicat terrain de la religion et du sacré, d’autres ne font état que d’études de cas, se limitant à des constats archéologiques sans véritablement lancer une discussion ouverte sur le fait religieux. Ensuite, alors que le choix des éditeurs est de faire de cette revue « un lieu de débat scientifique et politique », on peut s’interroger sur l’absence de contributions venant d’opérateurs en archéologie préventive autres que l’Inrap. Or il ne fait aucun doute que, parmi les nombreux sites fouillés, en France comme à l’étranger, les responsables scientifiques et/ou d’opération (tous opérateurs confondus) ont un avis sur le sujet. Des participations en ce sens auraient été les bienvenues. Enfin, cette lecture témoigne indiscutablement de la difficulté de cerner avec exactitude ou de proposer une définition adéquate de ce que revêt le « fait religieux ». En revanche, la vision ethnocentrée portée sur le sujet de la religion et la terminologie de « fait religieux » est tout à fait explicite. Entre dogme, édifice, objet, symbolique, rituel ou encore gestuelle, il semble que cette dernière expression exprime intrinsèquement toute la volonté des acteurs de l’archéologie de s’affranchir du terme religion afin d’explorer toutes les caractéristiques du sacré, impliquant nécessairement la notion de profane. On ressent une volonté d’aborder tous les champs du fait religieux mais également une certaine réserve ; réserve tout à fait compréhensible lorsqu’on lit l’article de Philippe Blanchard qui fait prendre conscience des contraintes auxquelles les archéologues sont confrontés dans leur quotidien et du poids de la religion dans l’accès à la connaissance des sociétés anciennes et/ou contemporaines. Toujours est-il que ce numéro est d’un profond intérêt pour réfléchir à la notion de « fait religieux » et à ce qu’elle recouvre en termes de libertés intellectuelles ou, au contraire, de tabous. À ce titre, l’article de Jean-Paul Husser est tout à fait réjouissant en termes de posture réflexive sur le sujet. 

 

 

SOMMAIRE

 

Pour une archéologie du fait religieux 

Olivier Blin (p. 5)

 

« Le fait religieux » : de quoi parle-t-on ?

 Jean-Marie Husser (p. 8)

 

Pourquoi étudier les paysages religieux en Gaule ?

Raphaël Golosetti (p. 12)

 

Fait religieux et pratiques cultuelles en Gaule romaine. Que révèlent les témoignages archéologiques ?

Isabelle Fauduet (p. 20)

 

L’apport de l’archéologie à une approche renouvelée de l’histoire du fait religieux. L’exemple du premier Moyen Âge en Gaule

Michèle Gaillard (p. 26)

 

Paysages, implantation et architecture des monastères cisterciens entre Seine et Rhin du XIIe au XVIIIe siècle

Benoit Rouzeau et Agnès Charignon (p. 33)

 

Connaissance du fait monumental religieux en milieu urbain. L’apport de l’archéologie à travers l’exemple du quartier Saint-Jean et du monceau Saint-Gervais (Paris, IVarrondissement)

Véronique Soulay (p. 40)

 

Le remploi, la chair, la pierre, des matériaux et des gestes. Pour une autre phénoménologie du religieux

Claude de Mecquenem (p. 46)

 

Une approche archéologique des cimetières juifs médiévaux en Europe. Ecueils et contraintes Philippe Blanchard (p. 52) 

 

Compte-rendu. La grotte d’Enlène, immersion dans un habitat magdalénien.

Eric Robert (p. 61)

 

Recommandations aux auteurs (p. 63)