Bouffier, Sophie - Fumadó Ortega, Iván (dir.): L’eau dans tous ses états. Perceptions antiques. 238 p., ISBN: 9791032002841, prix : 27 €
(Presses de L’Université de Provence, Aix-en-Provence 2020)
 
Compte rendu par Frédéric Dewez, Université Catholique de Louvain
 
Nombre de mots : 2016 mots
Publié en ligne le 2022-04-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4051
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          En 2015 était créé le projet « HYDRΩMED ». Il s’agissait de soutenir des études de terrain et des rencontres thématiques axées sur la gestion de l’eau en Méditerranée antique. C’est entre 2015 et 2016 que se sont réunis une centaine de chercheurs, de différentes disciplines, pour traiter de questions fondamentales comme l’approvisionnement, le stockage, l’acheminement et l’évacuation de l’eau. Ce volume est le dernier d’une série de quatre ouvrages, publiés dans une même collection éditoriale. Comme le soulignent les éditeurs dans une courte introduction, les différentes contributions sont assez hétérogènes tant elles diffèrent dans leurs objectifs, leurs méthodologies et leur portée. Cette relative hétérogénéité peut s’expliquer par la multiplicité des sujets en lien avec la gestion de l’eau dans l’Antiquité. En guise de préambule, les deux éditeurs mettent en évidence quelques idées d’ordre général, qui concluent cette brève introduction.

 

         L’ouvrage se compose de trois chapitres précédés de deux articles plus généraux qui, en quelque sorte, leur servent de prologue.

 

          La géomorphologie tient une place essentielle dans l’étude sur la gestion de l’eau. Vincent Ollivier, ingénieur de recherche au CNRS, fait la synthèse, dans un premier article, sur les différents procédés de cette discipline dans le périmètre de ses recherches. Dans le deuxième article, qui tient lieu de prologue aux trois grands chapitres du livre, l’ingénieur Henning Falhlbush dresse un tableau des différents types d’infrastructures hydrauliques utilisées par les Grecs et les Romains. Comme le précisent les auteurs, à juste titre, ces deux articles posent le cadre des études de cas rassemblées dans l’ouvrage. De ces recherches exploratoires, il ressort que la manière dont les sociétés antiques ont géré la problématique de l’eau résulte de la conjugaison de différents facteurs.

 

          Les sociétés antiques étaient déjà confrontées à la difficulté d’acheminer l’eau dans un milieu naturel hostile. Elles ont été dans l’obligation d’élaborer des stratégies d’acheminement. C’est l’objet du premier chapitre, qui fait état des études menées dans les îles centrales de la Méditerranée, en Afrique du Nord et en Israël.

 

          Dans le premier article de ce chapitre, Alex Walthall, Keith Buhagiar et Jonathan Flood présentent leurs recherches sur la gestion de ressources hydrologiques du site archéologique de Morgantina, situé à Aidone en Sicile. Ils ont pu mettre en corrélation la croissance très rapide de la population vers le milieu du IIIe siècle av. J.-C. et l’impact de cette croissance sur les nappes aquifères. Les auteurs développent deux exemples de la gestion hydrologique pour faire face à l’appauvrissement de la quantité et de la qualité de l’eau dans cette région : des citernes domestiques et des canalisations souterraines de type « qanat ».

 

          Nora est une ancienne cité romaine, située en Sardaigne, fondée par les Phéniciens aux environs du IXe siècle av. J.-C. Dans l’article consacré aux structures hydrauliques de la ville, Stefano Cespa précise les caractéristiques des puits et des citernes en activité au cours du premier millénaire avant Jésus-Christ. Grâce à l’histoire de l’utilisation de ces constructions, il met en évidence l’importance de l’eau dans le développement urbain de l’agglomération antique au cours du temps.

 

          Des enquêtes sur les installations hydrauliques de Tunisie et d’Algérie ont été menées par les Français au cours du XIXsiècle. Elles ont permis de dresser d’importants inventaires de vestiges sur lesquels Nicolas Lamare, de l’université de Kiel, a basé son étude sur les captages romains. Dans une première partie, le chercheur présente les aménagements hydrauliques et l’usage qu’en ont fait les Romains. Il réévalue ensuite la documentation ancienne sur l’hydraulique nord-africaine, pour s’intéresser enfin aux captages urbains sur des sites préromains. Comme l’écrit Nicolas Lamare, son objectif est de recontextualiser les aménagements de sources et de s’interroger sur leur datation.

 

          Dans le dernier article de ce premier chapitre, Ariel Bagg sollicite sources écrites et traces archéologiques pour objectiver la gestion des ressources hydriques dans l’ancien Israël, de l’Âge du bronze moyen à l’Âge du fer. Il s’est particulièrement intéressé aux solutions techniques qui ont été envisagées pour permettre un accès à l’eau permanent dans les villes fortifiées. Les habitants de l’époque ont dû composer avec un milieu orographique particulier et des variations climatiques importantes et se sont dotés de structures très sophistiquées : c’est le cas pour les puits, les citernes et les systèmes de captage souterrains.

 

          Les articles du deuxième chapitre de l’ouvrage s’attachent à des problématiques plus culturelles. Les auteurs montrent comment les sociétés préromaines et romaines ont fait évoluer leurs installations, eu égard au niveau de maîtrise qu’ils avaient des technologies, mais aussi à l’attitude des dirigeants qui ont placé la gestion de l’eau au cœur de leurs politiques.

 

          Maria Grazia Masetti et Federico Defendenti, de l’École Pratique des Hautes Études, entament cette deuxième partie dans un article qui met en évidence les dynamiques du pouvoir politique assyrien pour organiser stratégiquement le réseau hydrique. Après une courte introduction sur la structure topographique de la Mésopotamie et quelques considérations historiographiques, les auteurs présentent deux cas d’étude placés dans le contexte de l’idéologie du pouvoir royal en Assyrie.

 

          C’est au système hydraulique de la ville d’Alexandrie qu’Isabelle Hairy, du CNRS, consacre le deuxième article, particulièrement intéressant et fourni. Le réseau hydraulique alexandrin reposait sur un système proche du qanat, appelé hyponome, utilisé pour capter les eaux souterraines et pour les stocker. C’est grâce aux hyponomes, aux puits et aux citernes que la nouvelle ville lagide se développa. Dans un court paragraphe, elle rappelle comment, par la volonté de Ptolémée Ier, la ville a été intégrée dans le réseau de communication égyptien grâce au creusement d’un canal entre Schédia et Alexandrie. Les travaux effectués par une équipe allemande sur le site de Schédia ont permis de déterminer le tracé initial du canal qui comprenait deux embouchures : l’auteure en a dressé une carte particulièrement détaillée. Elle décrit ensuite le nilomètre découvert à Schédia par les ingénieurs de l’expédition napoléonienne en 1798 et celui d’Alexandrie, situé au pied de la colline du Sarapéion. Il s’agissait d’un véritable observatoire de la crue, dans le sens où il permettait d’évaluer approximativement la quantité d’eau disponible tant pour les nappes phréatiques que dans les canaux souterrains.

 

          Isabelle Hairy consacre ensuite deux longs paragraphes aux citernes et aux hyponomes. L’hyponome alexandrin se compose d’une galerie drainante qui remplit le rôle de citernes et d’un puits vertical. Les hyponomes se superposent sur deux niveaux, ce qui s’explique vraisemblablement par la variation de la surface de la nappe sur plusieurs années. L’auteur termine sa description par une interprétation pertinente d’un passage de La guerre d’Alexandrie de César qui met bien en lumière la complexité du réseau hydraulique alexandrin.

 

          Les ingénieurs romains ont indubitablement contribué au perfectionnement des technologies hydrauliques. C’est ce que Monika Trümper, d’une part, et Gül Sürmelihindi, Cees Passchier et Philippe Leveau, d’autre part, mettent en évidence dans les deux derniers articles de ce deuxième chapitre. Le thermalisme était une activité de loisirs majeure pour les Romains. Comme le souligne à juste titre Monika Trümper, l’approvisionnement en eau des bains était essentiel. Elle en propose une étude chronologiquement ciblée au travers de l’examen de six monuments républicains tardifs. Il s’agit, pour l’Italie, des thermes de Stabies, de Pompéi, de Musarna et de Crotone et, pour l’Espagne, des bains de Cabrera de Mar et de Valentia. Dans une analyse minutieuse, elle compare, entre autres, les capacités en eau de chacune des installations et les mécanismes de stockage et de distribution de l’eau. Constatant l’hétérogénéité des techniques utilisées, l’auteure en conclut que les quantités d’eau nécessaires au fonctionnement des thermes étaient relativement modestes et que les solutions architecturales étaient envisagées en fonction d’un contexte local.

 

          Gül Sürmelihindi, Cees Passchier et Philippe Leveau se sont, quant à eux, intéressés aux moulins romains de Barbegal, situés à Fontvieille, près de la ville d’Arles. Avec l’aqueduc, ils forment un complexe de meunerie hydraulique. Il s’agit du plus important site industriel antique alimenté en énergie hydraulique. Sur la base d’une analyse archéométrique des dépôts carbonatés retrouvés dans les conduites d’eau, les chercheurs en ont déduit que les besoins en eau – dont ils ont pu donner la composition chimique – étaient assez conséquents et que son alimentation était régulière. Deux schémas, particulièrement éclairants, viennent corroborer leurs conclusions : ils montrent clairement la séparation des deux aqueducs d’alimentation au moment de la construction du moulin.

 

          Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré aux représentations que se faisaient les sociétés antiques de l’eau et les sociétés méditerranéennes plus particulièrement.

 

          Sophie Bouffier et Michèle Brunet entament cette dernière partie par un article qu’elles consacrent à la manière dont les Grecs, dont le pays était soumis aux aléas climatiques, ont pu gérer, de manière efficace et responsable, l’accès à l’eau pour leurs populations. Sur la base de sources iconographiques et textuelles pertinentes, qu’elles mettent en confrontation avec des données scientifiques, les auteures ont pu mettre en évidence la manière dont les différentes cités grecques ont traité l’approvisionnement en eau pour tous.

 

          Damien Agut-Labordère est chercheur au CNRS et responsable du programme « Achemenet ». Lors des fouilles réalisées dans l’oasis de Douch en Égypte, ce sont des centaines de documents inscrits en écriture démotique qui ont été découverts. Quatre cent soixante de ces ostraka, véritable mine d’informations sur la vie paysanne égyptienne, ont été lus et traduits : ils figurent dans une base de données en ligne accessible sur le site « Achemenet ». L’étude dont l’auteur fait état dans cet article traite des documents relatifs à la vente et à la location des jours dits « d’eau », à savoir les temps d’irrigation.

 

          Les deux derniers articles traitent des liens qui ont pu exister entre certains cultes religieux et l’eau.

 

          Monica de Cesare, Giovanni Luca et Elisa Chiara mettent en relation l’eau avec un culte pratiqué dans une partie du sanctuaire de Zeus olympien à Agrigente. Sur la base d’une analyse des vestiges architecturaux, des objets cultuels et de sources iconographiques, les trois chercheurs concluent que le bassin était dédié à des rituels de purification réservés aux femmes.

 

          Pour terminer, Francesca Bonzano propose, dans son étude, une reconstitution des systèmes de canalisation découverts dans le sanctuaire de Tag-Silg sur l’île de Malte qu’elle met à la lumière de la fonction cultuelle du site.

 

          Chaque article est rehaussé d’illustrations claires et de schémas précis qui soutiennent la lecture. Les auteurs ont eu à cœur de fournir des bibliographies fournies.

 

 

Table des matières

 

Introduction – L’eau dans tous ses états. Perceptions antiques, 5

Sophie BOUFFIER, Iván FUMADÓ ORTEGA

 

Géomorphologie, archéologie et gestion de l’eau. « Identités remarquables » des relations plurimillénaires entre environnements et sociétés ?, 13

Vincent OLLIVIER

 

Griechische und Römische Wasserversorgungssysteme – eine vergleichende Betrachtung, 29

Henning FAHLBUSCH

 

Aménagements hydrauliques antiques et exploitation des ressources naturelles

 

Hydrologic Resources and Management at Hellenistic Morgantina (Sicily), 45

D. ALEX WALTHALL, Keith BUHAGIAR, Jonathan FLOOD

 

Water supply systems in a Punic-Roman settlement of Sardinia: the case of Nora during the 1st millennium B.C, 63

Stefano CESPA

 

Les aménagements de sources en milieu urbain dans le nord-est de l’Afrique : des captages « romains » ?, 79

Nicolas LAMARE

 

A land of brooks, of springs and floods: Water management in Ancient Israel, 91

Ariel M. BAGG

 

De l’histoire politique et économique à l’histoire des sciences et des techniques

 

Eau pour l’Assyrie : les rois assyriens et leur politique hydrique, 105

Maria Grazia MASETTI-ROUAULT, Federico DEFENDENTI

 

Alexandrie : hydraulique urbaine à la fin du premier millénaire av. J.-C, 117

Isabelle HAIRY

 

Water Management of Late Republican Baths, 141

Monika TRÜMPER

 

Giving voice to the incrustations from a Roman watermill complex at Barbegal: an impression, 161

Gül SÜRMELIHINDI, Cees PASSCHIER, Philippe LEVEAU

 

Cultures de l’eau et des eaux

 

L’eau dans les cités grecques antiques : approvisionnement et salubrité, 175

Sophie BOUFFIER, Michèle BRUNET

 

Qu’est-ce qu’un « jour d’eau » ? L’eau et la terre à ‘Ayn Manâwir (Oasis de Kharga) Ve-IVe siècle av. J.-C , 195

Damien AGUT-LABORDÈRE

 

Installazioni idrauliche nell’area sacra a Sud del Tempio di Zeus Olympios ad Agrigento, 203

Monica De CESARE, Giovanni Luca FURCAS, Elisa Chiara PORTALE

 

Archeologia dell’acqua nel santuario di Tas-Silg˙ a Malta: cisterne, canalizzazioni e spazi rituali, 217

Francesca BONZANO

 

Index, 231