Hameline, Jean-Yves: Sur le culte divin et la musique. Ecrits rassemblés. éd. A. Davy-Rigaux (coll. Église, liturgie et société dans l’Europe moderne, ELSEM 4). 816 p., 20 b/w ill., 216 x 280 mm, ISBN: 978-2-503-58342-6, 110€
(Brepols, Turnhout 2020)
 
Compte rendu par Jean-Paul Montagnier, Université de Lorraine
 
Nombre de mots : 1009 mots
Publié en ligne le 2021-06-18
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4065
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          Ce livre rassemble soixante-cinq textes que Jean-Yves Hameline (1931-2013) publia entre 1967 et 2010 et prolonge deux précédents recueils d’écrits diffusés par les Éditions du Cerf respectivement en 1997 (Une poétique du rituel) et en 2014 (Petite poétique des arts sacrés). Présenté par Achille [Cécile] Davy-Rigaux, ce copieux volume est encadré par un avertissement et une postface de l’auteur. Ce dernier y revendique l’inévitable disparité des méthodes d’analyse ainsi que des objectifs intellectuels et éditoriaux poursuivis au cours des quelque quarante-trois années de recherche qu’il conduisit dans le cadre de ses fonctions, tout d’abord à l’Institut de Musique Liturgique, puis à l’Institut Supérieur de Liturgie et enfin à l’Institut Catholique de Paris. 

 

         Cette présente somme reflète une carrière toute entière consacrée à l’étude des rites sous des angles d’approche extrêmement variés (anthropologie, musicologie, histoire, liturgie, théologie, etc.) et couvrant une vaste période chronologique. Comme le rappelle A. Davy-Rigaux dans son introduction, les textes ici réunis s’attachent essentiellement à l’étude du culte divin dans « ses manifestations orales et musicales telles qu’elles se sont exprimées au fil des siècles jusqu’à nos jours » (p. 9). Afin d’y parvenir, l’ouvrage regroupe des écrits de portée et d’origine très diverses – articles scientifiques, textes de vulgarisation, textes d’opinion, communications de colloque, conférences, pochettes de disque, interviews – destinés à un public hétérogène et n’ayant pas toujours bénéficié d’une large diffusion. Ceux-ci sont agencés selon six parties mettant en avant autant de thématiques fortes. 

 

         Les trois premières s’attachent à saisir la variété du culte dans sa dimension visuelle et théâtrale (partie 1 : « La manifestation du culte »), musicale (partie 2 : « Chant & musique ») et cérémonielle (partie 3 : « Culte et cérémonial dans l’histoire »). Jean-Yves Hameline y interroge notamment à nouveau frais la notion de musique sacrée en relisant de manière critique un vieux débat ayant mobilisé maints intellectuels depuis plusieurs siècles, apporte un éclairage neuf sur le cérémonial post-tridentin (p. 251-279 et 291-308) et propose un développement tout à fait passionnant sur Fénelon et ses Dialogues sur l’Éloquence en général et sur celle de la chaire en particulier (1677-1681) afin de conduire une réflexion sur l’éloquence de la chaire (p. 309-325).

 

         Contrairement aux parties précédentes, de portée plutôt générale et théorique, les trois suivantes abordent presque exclusivement la dimension musicale et orale du culte. La partie 4 (« Chant grégorien et Plain-chant ») est centrée sur la monodie et son usage au sein des offices. L’auteur y aborde tour à tour « L’image idéale du chantre carolingien » (p. 329-337), les pratiques post-tridentines en matière de plain-chant, en particulier les réformes du chant et leur répercussions éditoriales dans l’établissement du Bréviaire et du Missel (p. 343-361), sans omettre d’enquêter sur leur usage liturgique (p. 343-371) et sur le plaisir que pouvait procurer ce chant dans le déroulement des cérémonies (p. 397-405). La partie 5 (« Musiques d’Ancien Régime ») se nourrit de textes essentiellement destinés au grand public et sort du cadre plus universitaire qui prévalait majoritairement dans les parties précédentes. Si l’on écarte les présentations de programmes enregistrés, deux textes doivent retenir l’attention. L’un, consacré à la « ‘Latinité’ de Marc-Antoine Charpentier » (p. 487-501), met à jour la parfaite scansion du latin dans l’œuvre de l’un des plus grands rivaux de Jean-Baptiste Lully et dévoile certaines stratégies compositionnelles visant à produire une actio canendi effective, en adéquation avec la trilogie rhétoricienne moveredelectaredocere. L’autre, « Le cantique sur vaudeville à l’époque de Montfort et de Pellegrin » (p. 507-514), revisite les notions de cantique et de chanson spirituelle dans le cadre du renouveau de la dévotion privée à l’orée du xviiie siècle. 

 

         Quant à la sixième et dernière partie (« Chant, musique d’église et mouvement liturgique aux xixe et xxe siècles »), elle demeure probablement la plus hétéroclite. En effet, elle fait notamment cohabiter des textes sur la sociologie des pratiques chorales en France (p. 517-526), sur la musique liturgique et la redécouverte du chant grégorien au temps de Dom Mocquereau (p. 531-561 et 563-567), sur le Motu proprio de Pie X (p. 733-753) ou bien encore une étude sur « La musique d’église en France entre les deux-guerres » (p. 763-776). Sur le plan épistémologique, cette partie est la plus critiquable, même si la notion de « mouvement liturgique », dont l’origine – remontant aux environ de 1840 – est longuement discutée dans un très beau texte (« Liturgie, Église, Société », p. 605-629) pourrait lui servir de fil conducteur. De cet ensemble, il convient de retenir tout particulièrement la communication que Jean-Yves Hameline fit lors du colloque de 1980 pour le centenaire de la mort de Viollet-le-Duc (« Viollet-le-Duc et le mouvement liturgique au xixe siècle » ; p. 635-653). Dans cette contribution, l’auteur pose le célèbre architecte en « penseur » ainsi qu’en « ecclésiologiste » (p. 637) aux positions esthétiques bien trempées et le replace dans le contexte de la restauration néo-catholique, qui cherche à « retrouver dans le passé chrétien et national un modèle assez puissant pour remembrer une société chrétienne autour d’un art et d’une civilisation organiquement et exclusivement catholiques » (p. 641). Répondant de manière véhémente, en 1846, au rapport que Raoul Rochette avait présenté à l’Académie des Beaux-Arts, dans lequel celui-ci s’interrogeait sur le bien fondé de bâtir des églises en style gothique, Viollet-le-Duc défend une vision du Moyen Âge, reflet d’une « démocratie idéale, à la fois laïque et chrétienne, berceau de la civilisation nationale » (p. 651).

 

          À la lecture de ce bel ouvrage, ceux ayant connu l’auteur y retrouvent avec plaisir l’homme généreux, passionné et profondément érudit qui se plaisait à partager son savoir en une langue particulièrement précise, soignée et – parfois trop – luxuriante. Comme l’avoue J.-Y. Hameline dans son Avertissement, ces Écrits rassemblés ont une « vocation documentaire » (p. 17) dont la visée première est de faciliter l’accès du curieux et du scientifique à tel ou tel texte, parfois publié originellement de façon confidentielle. Sur le culte divin n’est pas un volume à lire intégralement en une fois : c’est une Bible – au sens étymologique du terme – dans laquelle le chercheur trouvera non seulement une mine d’or de connaissances, mais encore un modèle de rigueur, de méthode et de pensée qui ne manqueront pas de l’inspirer et de le stimuler pendant longtemps.