| Schnitzler, Bernadette: Rites de la mort en Alsace, de la Préhistoire à la fin du XIXe siècle. Exposition musée Archéologique de la Ville de Strasbourg, 25 avril - 31 août 2008, 24x28 cm, 320 pages, 380 illustrations, ISBN : 978-2-35125-063-1, 32 euros (Musées de Strasbourg, Strasbourg 2008)
| Compte rendu par Gaëlle Dumont Nombre de mots : 2086 mots Publié en ligne le 2008-11-15 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=407 Ce très beau catalogue, richement documenté et
illustré, accompagne l’exposition présentée d’avril 2008 à août 2009 au
Musée Archéologique de la Ville de Strasbourg, la première d’une série
consacrée au thème de la mort en Alsace, considéré sous des angles de
vue multiples.L’étude des rites funéraires est un témoignage privilégié
de l’évolution des mentalités : de tous temps les hommes ont
répondu d’une manière particulière à cet événement inéluctable. Un
panorama allant de la Préhistoire à nos jours permet de mettre en
évidence les continuités, les variations ou les ruptures dans les
croyances liées à la mort. L’Alsace constitue un terrain d’étude
propice, non seulement grâce aux nombreuses recherches archéologiques
qui y sont menées, mais également en raison de ses traditions
religieuses variées et de son art funéraire original.
Éric Boës, dans un chapitre introductif, illustre bien cette évolution
en prenant l’exemple des cercueils depuis le Néolithique jusqu’au Moyen
Âge. En collaboration avec Patrice Georges, il rappelle ensuite les
dernières perspectives de recherche en matière d’archéologie funéraire.
Le catalogue est structuré de façon chronologique, depuis le Paléolithique jusqu’au XXe siècle. Des études de cas régionales côtoient des chapitres plus généraux, brossant un tableau assez complet du sujet.
En Alsace, les témoignages funéraires du Paléolithique et du
Mésolithique sont rares et difficiles à interpréter. Au Néolithique par
contre, on observe partout en Europe des pratiques très variées et
souvent fort élaborées, à mettre en relation avec une société qui se
structure et se hiérarchise peu à peu : les tombes peuvent être
individuelles ou abriter plusieurs corps, être isolées ou regroupées en
nécropole, de conception monumentale ou très modestes, contenir un
matériel riche et/ou abondant, indiquer de façon nette les clivages
sexuels et sociaux. La monumentalisation amorcée au Néolithique se
poursuit à l’Âge du Bronze, l’Alsace étant un des centres les plus
dynamiques de la « Civilisation des Tumulus » : les
tertres connaissent une longue utilisation et sont agrandis
successivement, certains d’entre eux pouvant concentrer jusqu’à
quarante sépultures autour d’une tombe fondatrice, laquelle contient
souvent un riche mobilier. Inhumation et crémation coexistent, l’usage
de l’une ou de l’autre prédominant selon les époques.
À l’Âge du Fer, la pratique d’inhumer dans des silos est très répandue
en Alsace, la signification d’un tel rite étant encore sujette à
hypothèses (marginalisation d’un individu ou rituel lié à la fertilité
et à la renaissance).
L’époque romaine constitue une nouvelle étape, les rites liés à la mort
et au culte des défunts étant désormais abondamment décrits dans les
textes. La crémation se généralise en Gaule entre le I
er et le IIIe
siècle ap. J.-C., et nombre de monuments témoignent de la romanisation
des élites gauloises. Si les mausolées sont rares et signes d’une
réussite sociale exceptionnelle, c’est surtout l’usage des stèles
funéraires qui s’est rapidement répandu dans la population, avec pour
particularité qu’elles portent des portraits du défunt ou de sa
famille, et non des scènes de métiers comme partout ailleurs en Gaule.
Des variantes locales ont également vu le jour : des stèles en
forme de maison sont répandues dans les Vosges, tandis que des piliers
grossièrement anthropomorphes sont caractéristiques de la région de
Saverne. Les inscriptions sont nombreuses et très codifiées, reprenant
des formules d’invocation, le nom du défunt et son âge au moment du
décès. Dans certains cas, des symboles assurent la protection de la
sépulture. Le mobilier funéraire comporte de la vaisselle en céramique
et en verre, des aliments, une monnaie (obole à Charon), des objets
personnels et des éléments prophylactiques.
Les nécropoles s’étendent à l’extérieur des villes, le long des voies
qui y mènent. Les nombreuses fouilles menées à Strasbourg depuis le XIXe siècle ont été l’occasion de découvrir ces ensembles et d’étudier avec précision leur développement.
À la fin du IV
e siècle et au début du Ve,
l’Alsace est intégrée au royaume franc. Comme dans de nombreuses autres
régions de France ou de Belgique, l’époque mérovingienne y est surtout
connue par le biais de ses nécropoles. Il s’agit de cimetières
organisés en rangées, souvent à partir d’un noyau central, implantés à
proximité de l’habitat. L’inhumation habillée est de mise, le mobilier
peut donc être assez abondant. Les tombes privilégiées se distinguent
par une construction et un dépôt funéraire plus soignés.
Dès le milieu du VIIe siècle, les offrandes se raréfient et les nécropoles se font plus restreintes. Dans le courant des VIIIe et IXe
siècles, elles seront progressivement abandonnées au profit des abords
des églises paroissiales, donnant naissance au cimetière chrétien.
Au Moyen Âge, l’Église acquiert un rôle central dans les pratiques
funéraires : sauf exception, il est obligatoire d’être inhumé en
terre consacrée, à proximité immédiate d’un lieu saint. Les défunts les
plus privilégiés sont enterrés dans l’église même, sous des dalles ou
dans des sarcophages plus ou moins ornés.
Les lieux de sépulture sont donc désormais situés au cœur des villes,
dans des espaces confinés qui connaîtront une longue durée
d’utilisation. Périodiquement, les ossements les plus anciens sont
regroupés, voire exposés, dans des chapelles-ossuaires afin de gagner
de la place. La perception de la mort évolue également : jusqu’au
XV
e siècle, elle est acceptée comme
naturelle, l’idéal étant de l’attendre dans son lit entouré de sa
famille et du prêtre. Par la suite, la mort est dramatisée, perçue
comme une épreuve, le jugement des actions déterminant le sort dans
l’au-delà. Le cérémonial de la confession, de l’absolution et de
l’extrême-onction prend une place de plus en plus importante. Une
conception empreinte de mysticisme, qui dédaigne le corps charnel au
profit de l’âme, fait son apparition à la fin du XIVe
siècle. Elle se manifeste dans des représentations de transis (cadavres
en putréfaction), de la Mort tenant un sablier, ou dans des
Vanités : tableaux chargés de symboles représentant les plaisirs
matériels, invariablement dominés par un crâne humain rappelant la
brièveté de la vie.
La dramatisation et la « baroquisation » de la mort culminent aux XVIe et XVIIe
siècles, surtout au sein de l’Église catholique : les messes de
funérailles se font grandioses et – initialement réservées aux
puissants – se répandent parmi la population bourgeoise. Les monuments
sont souvent imposants, voire grandiloquents.
Un important tournant a lieu à la fin du XVIIIe
siècle : pour des raisons d’hygiène, les cimetières sont renvoyés
hors des villes par un édit royal de 1776. Dans les églises, les
tombeaux laissent la place à des cénotaphes, toujours aussi somptueux.
En outre, le rituel se simplifie, les préoccupations se laïcisent et
les progrès de la médecine font reculer l’âge de la mort. Au début du
XIXe siècle, l’Église est dépossédée à
la fois de la gestion des cimetières et de l’organisation des
funérailles, qui reviennent respectivement aux communes et à des
sociétés spécialisées. Sous l’action des libres-penseurs, la crémation
est remise au goût du jour et légalisée en 1889.
Les cimetières urbains ne cessent
de s’agrandir, leur organisation reflétant celle des villes des vivants
(rues, quartiers hiérarchisés) ; les monuments, qui tendent de
plus en plus vers la verticalité, deviennent des œuvres architecturales
aux formes multiples et sont chargés de symboles, de plus en plus
souvent signés par des sculpteurs renommés. Sous l’influence du courant
romantique, les styles néo-égyptien, néoclassique et néo-médiéval
connaissent un grand engouement au sein des classes les plus
favorisées. Sur les tombes plus modestes, on trouve des croix en bois,
en fonte ou en fer forgé. À la fin du XIXe
siècle, les ornements mobiles en fonte, pierre ou céramique se
multiplient : couronnes de fleurs, statuettes, souvenirs
funéraires, vases et bénitiers. Certains d’entre eux sont spécifiques à
la région, comme les vases en grès, les compositions de perles, les
tableaux réalisés à l’aide de cheveux et les souvenirs en églomisé.
Dans les campagnes, la mort s’accompagne d’un grand
nombre de superstitions et de légendes, variables d’un village à
l’autre. Le rituel qui entoure le décès vise non seulement à assurer au
défunt son passage vers l’au-delà, mais également à laver la famille de
la « souillure » occasionnée par la mort. Il est en outre
l’occasion de faire jouer la solidarité au sein de la communauté. La
survie du défunt dans les mémoires est assurée par des messes de
souvenir et par l’entretien et le fleurissement réguliers de la tombe.
La communauté juive possède un rituel qui lui est propre, prônant une
grande simplicité quel que soit le statut social du défunt. Un carré
spécifique leur est réservé dans les cimetières municipaux. Quant aux
mennonites, un mouvement réformiste minoritaire apparu au XVIe siècle, leur détachement d’avec le monde leur fait préférer des sépultures isolées, souvent dans les jardins privés.
L’ouvrage se clôt sur un bref chapitre listant une série d’expressions et de proverbes alsaciens liés au thème de la mort.
L’atout de ce catalogue – outre les illustrations très nombreuses et
d’une qualité remarquable – est sa multiplicité de niveaux : la
présence de chapitres généraux remet les études de cas régionales en
perspective et permet au grand public de brosser les grandes lignes de
l’évolution des rites funéraires. Quant aux chercheurs, ils y
trouveront nombre de références, notamment dans le domaine
archéologique, et une abondante bibliographie, souvent récente, qui ne
se cantonne pas qu’aux publications francophones.
Dans les chapitres relatifs à l’archéologie, les études de cas
concernent des découvertes tant anciennes que récentes, voire inédites,
et s’efforcent de présenter des exemples variés. Les illustrations sont
très pertinentes, avec notamment de nombreux plans de fouilles. Le
choix des documents pour les périodes ultérieures s’avère également
judicieux : les œuvres – qui proviennent toutes de musées
strasbourgeois – ne font jamais double emploi et illustrent toujours
parfaitement les chapitres qui les précèdent.
Une seule critique peut-être : on pourrait regretter l’absence de
cartes, qui auraient rendu plus parlantes les nombreuses références à
l’un ou l’autre terroir, ainsi que d’un plan de Strasbourg, où replacer
les innombrables découvertes qui y ont été faites.
Sommaire :
En guise d’introduction
É. Boës : Pour une approche chronologique : archéologie et évolution générale des pratiques funéraires (p. 9-12)
É. Boës et P. Georges : Pour une approche méthodologique : considérations sur les pratiques funéraires (p. 13-16)
1. Préhistoire
B. Schnitzler : Les premières sépultures du Paléolithique (p. 18-19)
É. Boës : La sépulture paléolithique d’Entzheim, une sépulture de
plein air dans le cône d’alluvions de la Bruche (p. 20-22)
B. Schnitzler : Au Mésolithique (p. 23-24)
Chr. Jeunesse : Nécropole et société : les pratiques funéraires du Néolithique centre-européen (p. 25-33)
B. Schnitzler : Quelques nécropoles néolithiques d’Alsace (p. 34-38)
2. Protohistoire : les Âges du Bronze et du Fer
A.-M. Adam : Les rites funéraires en Alsace à l’Âge du Bronze et à l’Âge du Fer (p. 40-45)
B. Schnitzler : De curieuses tombes en silo d’époque celtique (p. 46-49)
B. Schnitzler : Nécropoles protohistoriques d’Alsace (p. 50-59)
3. Époque romaine
B. Schnitzler : Le déroulement des funérailles et le culte des défunts à Rome (p. 62-65)
B. Schnitzler : Le testament du Lingon (p. 66-67)
B. Schnitzler : Rites funéraires et nécropoles gallo-romaines en Alsace (p. 68-77)
B. Schnitzler : Des monuments en pierre pour défier l’éternité (p. 78-87)
B. Schnitzler : Le mobilier funéraire (p. 88-91)
B. Schnitzler : La protection symbolique de la tombe (p. 92-95)
4. Époque mérovingienne
M. Châtelet : De la nécropole communautaire au cimetière chrétien (p. 98-103)
B. Schnitzler, M. Roth-Zehner et É. Cartier : Nécropoles
mérovingiennes : découvertes anciennes et récentes (p. 104-112)
5. La mort au Moyen Âge
B. Schnitzler : La naissance du cimetière médiéval (p. 114-116)
B. Schnitzler : La mort chrétienne : un art de mourir (p. 117-119)
P. Brunel et B. Schnitzler : Rites funéraires médiévaux (p. 120-123)
P. Georges : Embaumer ses morts : autopsie d’une pratique occidentale (p. 124-129)
C. Dupeux, D. Jacquot et C. Marcle : Images de la mort au XV
e siècle (p. 130-135)
B. Schnitzler : Chapelles-ossuaires (p. 136-138)
B. Metz : Les cimetières fortifiés en Alsace (p. 139-140)
B. Schnitzler : Monuments funéraires médiévaux à Strasbourg (p. 141-157)
6. De la Renaissance au XVIIIe siècle
B. Schnitzler : De la mort exemple aux fastes du baroque (p. 160-165)
B. Schnitzler : Monuments funéraires des XVIe et XVIIe siècles à Strasbourg (p. 166-167)
B. Schnitzler : Monuments funéraires du XVIIIe siècle à Strasbourg (p. 168-181)
B. Schnitzler et P. Brunel : Découvertes alsaciennes du XVIe au XVIIIe siècle (p. 182-185)
C. Dupeux : La Mort tenant un sablier (p. 186-187)
D. Jacquot, M. Lavallée et C. Marcle : Sélection d’œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles du Musée des Beaux-Arts (p. 188-199)
D. Jacquot : La mort du Christ (p. 200-203)
D. Jacquot : Des morts mythologiques (p. 204-205)
M. Lavallée : Les Vanités (p. 206-211)
É. Martin : Réduction du monument funéraire de Maria Magdalena Langhans et de son enfant mort-né (p. 212-217)
7. Le XIXe et le début du XXe siècle
B. Schnitzler : La mort romantique : le cimetière urbain du XIXe siècle (p. 220-224)
C. Marcle : Une sélection d’œuvres du XIXe siècle (p. 225-229)
B. Schnitzler : Typologie des monuments (p. 230-237)
D. Hugues et B. Schnitzler : Les cimetières strasbourgeois vers 1900 (p. 238-243)
B. Schnitzler : Une symbolique codifiée (p. 244-257)
B. Schnitzler : Mobilier funéraire et décor des tombes (p. 258-269)
L. Schlaefli : Images mortuaires alsaciennes de la fin du XIXe siècle (p. 270-277)
8. La mort à la campagne : rites et coutumes
B. Schnitzler : Les traditions populaires et la mort (p. 280-289)
B. Schnitzler et M. Weyl : La tradition juive et la mort (p. 290-294)
B. Schnitzler : Cimetières mennonites d’Alsace (p. 295-296)
B. Schnitzler : Légendes et superstitions liées à la mort (p. 297-300)
M. Schneider : Une sélection d’œuvres du Musée Alsacien (p. 301-312)
B. Schnitzler : Le thème de la mort dans les proverbes et expressions en Alsace (p. 313-314)
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