Svoboda, Marie - Cartwright, Caroline (eds.): Mummy Portraits of Roman Egypt: Emerging Research from the APPEAR Project. 228 p., 169 color ill., 26 diagrams and tables, ISBN : 9781606066546, US $60
(J. Paul Getty Museum, Los Angeles 2020)
 
Compte rendu par Estelle Galbois, Université de Toulouse II - Jean Jaurès
 
Nombre de mots : 2353 mots
Publié en ligne le 2022-01-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4135
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          Marie Svoboda et Caroline R. Cartwright publient dans cet ouvrage les actes du colloque du projet de recherche Ancient Panel Painting: Examination, Analysis and Research (APPEAR), qui s’est tenu à la Villa Getty en mai 2018. Le volume (185 p.), édité avec soin, est disponible en format imprimé et en format numérique. Il rassemble 18 contributions, de longueur inégale, richement illustrées de photographies de bonne qualité, de tableaux, de diagrammes, de chromatogrammes. L’ouvrage propose aussi un glossaire, une bibliographie, la liste des institutions prenant part au projet et une biobibliographie des différents contributeurs.

 

          Dans l’avant-propos du livre (p. IX-X), Timothy Potts met en lumière le nouveau positionnement de la recherche sur ces portraits dits du Fayoum (élargis aux représentations de divinités) puisque l’on s’intéresse désormais à la matérialité de ces images : matériaux mobilisés, outils à disposition des peintres et techniques utilisées sont désormais au centre des préoccupations des chercheurs. On saisit aussi d’emblée tout l’intérêt du groupement de recherche APPEAR fondé en 2013, qui constitue un espace d’échanges unique pour les 47 musées partenaires engagés dans ce projet international.

 

          Marie Svoboda, Caroline R. Cartwright et Susan Walker rappellent brièvement en introduction (p. 1-6) la genèse du projet, initialement centré sur les portraits peints de momie (sont aussi inclus dans le projet les linceuls en textiles, les portes, etc.), et les progrès accomplis en matière d’analyse des matériaux (bois et pigments) grâce aux nouvelles technologies (en particulier la MEB, microscopie électronique à balayage) depuis l’exposition Ancient Faces: Mummy Portraits from Roman Egypt du British Museum en 1997. Outre la question de la matérialité des portraits, l’un des objectifs affichés est l’identification potentielle des ateliers de peintres qui ont confectionné ces images en se basant sur l’essence des bois employés, les pigments et les liants, et la technique des artisans. À terme, les données obtenues seront rassemblées dans une base de données accessible à la communauté scientifique. Il est précisé dans l’introduction que les différentes contributions sont organisées en deux parties (dépourvues de titre), mais sans ordre particulier à l’intérieur de celles-ci. Cela gêne un peu la lecture, car l’on aurait pu associer plusieurs contributions entre elles : celles concernant les analyses physico-chimiques sur les pigments (garance, vert, bleu égyptien, indigo) ou encore celles portant sur les outils technologiques utilisés pour étudier ces portraits (comme l’imagerie multispectrale, les algorithmes, les techniques non invasives pour analyser les pigments, etc.).

 

          La première partie rassemble 12 communications. Les premiers articles portent respectivement sur la cire et les liants utilisés dans la confection des portraits de momies (art. 1), les essences de bois choisies comme support des images (art. 2) et les pigments : la garance (art. 3), les pigments verts (art. 4), le bleu égyptien (art. 5) et l’indigo (art. 6). Dans l’étude conduite par Ken Sutherland, Rachel C. Sabino et Federica Pozzi, on apprend notamment que les portraits qui n’ont pas été peints à la cire d’abeille ont été fabriqués avec de la colle animale, et que, si les technologies actuelles favorisent notre compréhension des matières colorantes, des difficultés persistent concernant la nature des liants employés (problèmes de contamination des surfaces antiques avec la présence de résidus de colle utilisée pour fixer le portrait sur la momie) ou modernes (traitements liés à la restauration des peintures qui faussent l’interprétation des résultats). À cela s’ajoutent des obstacles liés à un manque d’homogénéité dans les protocoles d’analyse suivis et dans la terminologie usitée. Pour ce dernier aspect, les auteurs proposent par exemple de recourir au terme d’encaustique quand il y a des preuves visuelles d’application à la chaleur et le terme générique de cire (ou de cire d’abeille) quand le matériau a été identifié, mais qu’il n’y a pas d’indicateurs visibles comme les traces d’outils. Ils suggèrent aussi de dissocier la détrempe à la colle et à la gomme.

 

          À partir d’un échantillonnage de bois prélevé sur 180 portraits de momies et 20 panneaux de bois peints sans portraits (état de mai 2018), Caroline R. Cartwright fait le constat que les arbres provenant d’Égypte ont été peu utilisés (20,6 %) par les artisans pour confectionner les panneaux, contrairement aux arbres européens (79,4 %), en particulier le bois de tilleul (69,4 %). Après avoir rappelé les qualités et les défauts intrinsèques de chaque essence, l’auteur suppose que les préférences culturelles et régionales et les coûts des différents bois ont guidé les choix des commanditaires.

 

          La contribution de Richard Newman et Glenn A. Gates est centrée sur la garance, l’un des colorants les plus couramment utilisés dans les portraits de momies pour les draperies et les clavi, les carnations, les lèvres, les couronnes et les guirlandes.

 

          Les pigments verts sont examinés par Caroline Roberts. Une enquête bibliographique combinée à des analyses en laboratoire nous apprend qu’un large éventail de matériaux a été utilisé pour créer la couleur verte dans l’art égyptien (comme le cuivre, la malachite ou encore les pigments de synthèse). Les analyses ont également montré que le choix des pigments verts s’était élargi au fil du temps.

 

          Deux bleus, le bleu égyptien et l’indigo, étaient employés par les artisans pour colorer les vêtements, les bijoux et plus rarement les yeux. Les peintres se servaient aussi de cette teinte pour les fonds unis des portraits ou pour le modelé des visages. L’enquête de Gabrielle Thiboutot est menée dans une perspective économique, sociale, artistique et symbolique.

 

          Une équipe de chercheurs s’intéressent ensuite à l’indigo à partir de portraits du Brooklyn Museum. Cette couleur a été identifiée sur 5 des 6 portraits du musée à l’aide de différentes techniques. Sur les trois portraits à l’encaustique, l’indigo a été retrouvé mêlé à des pigments rouges, tandis que sur les deux autres peintures à la détrempe, on a relevé la présence de l’indigo dans des mélanges plus variés. L’indigo, mélangé avec de la garance, permettait d’obtenir la teinte pourpre.

 

          Trois contributions de cette première partie portent plus spécifiquement sur les nouvelles technologies mobilisées pour étudier les portraits (art. 6, 8 et 10). L’article de Joanne Dyer et de Nicola Newman débute par une présentation des portraits de momies du British Museum. Les auteurs dressent ensuite un inventaire des différentes techniques d’imagerie multispectrale dont ils se sont servis pour étudier 26 portraits de la collection, puis font enfin un état des lieux des pigments identifiés et localisés au cours de l’étude. Ils insistent enfin sur l’importance d’établir des normes dans l’enregistrement et le traitement des données pour permettre des analyses comparatives objectives.

 

          Des techniques non destructives et des prélèvements ont permis à Evelyn Mayberger, Jessica Arista, Marie Svoboda et Molly Gleeson de faire apparaître des coups de pinceau invisibles à l’œil nu et de mettre en lumière les effets des peintres (vibration, profondeur, éclat) pour rendre les chairs. Grâce à la mise en série de portraits étudiés avec des algorithmes, un groupe de chercheurs montre de façon convaincante que les portraits du Fayoum ont été conçus sur le même schéma, avec un emplacement des traits des visages analogue. Si l’on compare les portraits peints avec des visages réels, on se rend compte qu’ils ont été volontairement allongés, du menton aux yeux, alors que le front est au contraire plus bas que dans la réalité. De même, la bouche est plus petite, alors que les yeux sont exagérément grands.

 

          Trois autres contributions portent respectivement sur un panneau de bois, conservé à Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design, représentant le dieu Hérôn (art. 9), sur la question des provenances des portraits funéraires (art. 11) et sur l’étude de peintures conservées au Musée des Beaux-Arts de Budapest (art. 12). Le panneau de bois du dieu Hérôn, daté de la fin du iie ou du iiie siècle de notre ère, est un document tout à fait remarquable, puisque seuls quatre portraits de ce type ont conservé leur encadrement, également en bois. Ce panneau a fait l’objet d’une enquête iconographique, historique et technique. Une reconstitution digitale du document, avec l’éclat des teintes originelles, est proposée à la fin de l’article (p. 99, fig. 9.15).

 

          Dans sa communication, Judith Barr engage une réflexion sur la provenance des portraits et évoque les problèmes de contextualisation de ces peintures sur bois. Pour ce faire, elle s’appuie sur le travail fondamental de Klaus Parlasca, qui a commenté plus d’un millier de ces images[1]. Les résultats présentés dans le cadre de cette enquête s’appuient sur les données de mai 2018. Sur 278 tableaux référencés dans la base APPEAR, un peu plus de 100 sont issus de fouilles et sont documentés. Ils proviennent du Fayoum (Hawara, Fag el-Gamous, Tebtynis, Karanis), de Haute-Égypte (Ammar el-Fag et Thèbes), de Moyenne-Égypte (El-Hibeh) et de Basse-Égypte (Tanis). L’auteur aborde aussi la question complexe de l’acquisition de ces portraits et du marché de l’art.

 

          La dernière étude de la première partie se focalise sur les cinq portraits de momies conservés au Musée des Beaux-Arts de Budapest. Kata Endreffy et Árpád M. Nagy retracent de manière synthétique l’histoire de ces peintures qui proviennent de trois collections privées.

 

          La deuxième partie, plus courte, comporte 6 articles, chacun de quelques pages. Le premier, dû à Renée Stein et Lorelei H. Corcoran, est dédié au portrait d’un jeune homme conservé à l’Université Emory (art. 13). Les analyses de matériaux et l’imagerie spectrale ont montré qu’il avait en réalité été reconstruit à partir d’au moins trois portraits antiques.

 

          Jane L. Williams, Caroline R. Cartwright et Marc S. Walton tentent de définir les caractéristiques de l’atelier de Tebtynis (art. 14) à partir de panneaux conservés au Phoebe A. Hearst Museum of Anthropology de l’Université de Californie, à Berkeley. Fait exceptionnel, car cela nous renseigne sur les pratiques des artisans, le revers de l’un d’entre eux présente une esquisse avec des indications sur la façon dont l’effigie devait être peinte. Neuf portraits présentent une esquisse préliminaire sur l’avers et/ou une inscription grecque au revers. Les artisans se sont par ailleurs servis de bois de sycomore comme support à leurs peintures. L’originalité des peintres de Tebtynis se mesure aux choix opérés dans les matériaux à disposition et à la manière dont ils les ont exploités. Cette étude de cas est d’importance, car elle permet d’entrevoir les pratiques d’un atelier en particulier.

 

          Bettina Vack, Roberta Iannacone et Katharina Uhlir présentent les résultats des analyses non destructives de pigments menées sur dix portraits du Kunsthistorisches Museum de Vienne (art. 15). On retrouve notamment du blanc de plomb, du bleu égyptien, de la garance, déjà signalés dans d’autres contributions.

 

          Des boucliers en bois peints des environs de 256 après J.-C. mis au jour à Doura-Europos sont convoqués dans ce volume pour comparer les techniques et les matériaux utilisés par les artisans (art. 16).

 

          Dans son article, Joy Mazurek revient sur la nature des cires, des huiles, des résines végétales, des acides gras et des protéines (art. 17).

 

          Lin Rosa Spaabœk et Joy Mazurek apportent des informations complémentaires à la contribution précédente en revenant sur la question des cires, des huiles, des résines végétales et des protéines à partir de peintures conservées au Danemark et à la Ny Carlsberg Glyptotek (art. 18). 

 

          Un index en fin de volume aurait été bienvenu pour recouper les différentes informations. De même, on aurait apprécié une synthèse générale faisant le bilan des résultats obtenus et annonçant les perspectives de recherche et les travaux à entreprendre dans les années à venir.

 

          Pour résumer, en dépit des quelques réserves formulées sur l’organisation de la matière, cette synthèse interdisciplinaire, novatrice, foisonnante et stimulante, éclaire d’un jour nouveau les portraits du Fayoum, qui ne cessent de nous fasciner.

 


[1] Mumienporträts und verwandte Denkmäler. Wiesbaden, 1966.


 

 

Sommaire

 

Foreword – Timothy Potts, vii

Acknowledgments, ix

Introduction – Marie Svoboda, Caroline R. Cartwright, Susan Walker, p. 1

 

Part One

  1. Challenges in the Characterization and Categorization of Binding Media in Mummy Portraits – Ken Sutherland, Rachel C. Sabino, Federica Pozzi, p. 8
  2. Understanding Wood Choices for Ancient Panel Painting and Mummy Portraits in the APPEAR Project through Scanning Electron Microscopy – Caroline R. Cartwright, p. 16
  3. The Matter of Madder in the Ancient World – Richard Newman and Glenn Alan Gates, p. 24
  4. Green Pigments: Exploring Changes in the Egyptian Color Palette through the technical Study of Roman-Period Mummy Shrouds – Caroline Roberts, p. 34
  5. Egyptian Blue in Romano-Egyptian Mummy Portraits – Gabrielle Thiboutot, p. 46
  6. Multispectral Imaging Techniques Applied to the Study of Romano-Egyptian Funerary Portraits at the British Museum – Joanne Dye, Nicola Newman, p. 54
  7. Evaluating Multiband Reflectance Image Subtraction for the Characterization of Indigo in Romano-Egyptian Funerary Portraits – Lauren Bradley, Jessica Ford, Dawn Kriss, Victoria Schussler, Federica Pozzi, Elena Basso, Lisa Bruno, p. 68
  8. Invisible Brushstrokes Revealed: Technical Imaging and Research of Romano-Egyptian Mummy Portraits – Evelyne (Eve) Mayberger, Jessica Arista, Marie Svoboda, Molly Gleeson, p. 79
  9. Framing the Heron Panel: Iconographic and Technical Comparanda – Georgiana E. Borromeo, Ingrid A. Neuman, Scott Collins, Catherine Cooper, Derek Merck, David Murray, p. 90
  10. A Study of the Relative Locations of Facial Features within Mummy Portraits – Jevon Thistlewood, Olivia Dill, Marc S. Walton, Andrew Shortland, p. 101
  11. From All Sides: The APPEAR Project and Mummy Portrait Provenance – Judith Barr, p. 110
  12. Painted Mummy Portraits in the Museum of Fine Arts, Budapest – Kata Endreffy and Árpád M. Naggy, p. 119

 

Part Two

  1. Scrutinizing ‘Sarapon’: Investigating a Mummy Portrait of a Young Man in the Michael C. Carlos Museum, Emory University – Renée Stein, Lorelei H. Corcoran, p. 128
  2. Defining a Romano-Egyptian Painting Workshop at Tebtunis – Jane L. Williams, Caroline R. Cartwright, Marc S. Walton, p. 132
  3. Nondestructive Studies of Ancient Pigments on Romano-Egyptian Funerary Portraits of the Kunsthistorisches Museum, Vienna – Bettina Vak, Roberta Iannaccone, Katharina Uhlir, p. 136
  4. Painted Roma, Wood Shields from Dura-Europos – Anne Gunnison, Irma Passeri, Erin Mysak, Lisa R. Brody, p. 139
  5. Characterization of Binding Media in Romano-Egyptian Funerary Portraits – Joy Mazurek, p. 142
  6. Binding Media and Coatings: Mummy Portraits in the National Museum of Denmark and the Ny Carlsberg Glyptotek – Lin Rosa Spaabœk, Joy Mazurek, p. 148

 

Glossary, p. 153

Bibliography, p. 161

APPEAR Participants, p. 177

Contributors, p. 179