Blandin, Béatrice: Les pratiques funéraires d’époque géométrique à Erétrie. Espace des vivants, demeures des morts. Tome XVII de la Série ERETRIA, Fouilles et recherches, publication de l’Ecole suisse d’archéologie en Grèce. 2 volumes brochés, 22 x 30 cm, vol. 1: 176 p. de textes, vol. 2: 200 p. de catalogue. ISBN 978-2-88474-406-5. 80 Euros.
(Infolio éditions, Gollion 2007)
 
Compte rendu par Gaëlle Dumont, Université libre de Bruxelles
 
Nombre de mots : 1282 mots
Publié en ligne le 2009-02-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=416
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Cet ouvrage en deux volumes, publication de la thèse de doctorat de Béatrice Blandin, se veut la synthèse des découvertes faites dans le domaine funéraire sur le site d’Érétrie, sur la côte occidentale de l’île d’Eubée, entre le IXe et le début du VIIe siècle.  
Les premières recherches sur le site remontent à 1885 et se sont poursuivies jusqu’au début du XXe siècle. Après des interruptions dues aux deux guerres mondiales et à la guerre civile grecque, elles ont repris en 1952, menées par des équipes grecques et suisses. Étant donné le caractère ponctuel des découvertes funéraires, les informations sont de qualité variable, et n’ont jamais été confrontées. L’auteur se propose donc de rassembler la documentation relative aux 97 tombes mises au jour dans 22 chantiers de fouilles différents.

La première partie de l’ouvrage est consacrée aux types d’ensevelissement. L’incinération et l’inhumation coexistent et peuvent adopter des formes variables. Les incinérations se présentent pour la plupart en fosses (primaires ou secondaires). Un groupe de sept ou huit sépultures – toutes concentrées dans la nécropole dite « de l’Hérôon » se démarque par le fait que les restes calcinés sont déposés dans un chaudron de bronze, lui-même enterré dans une fosse. Les comparaisons abondent en Eubée, en Grèce et en Grande Grèce, où ce type de tombe possède une connotation héroïque (comme l’atteste la poésie homérique) et est donc réservé aux hommes adultes. A Érétrie, il est tout à fait remarquable que cette pratique concerne les hommes autant que les femmes. Par leur mobilier, elles sont datées de la fin du VIIIe et du début du VIIe siècle.
Les inhumations se présentent le plus souvent en fosse, dont les dimensions ne correspondent pas forcément à la stature du défunt (B. Blandin ne s’attarde pas sur cette considération ; notons que dans certaines nécropoles on a remarqué que les fosses larges et profondes témoignaient d’un statut privilégié du défunt). Les squelettes très mal conservés ne permettent pas de déterminer la position des corps, sauf dans deux cas, où le corps reposait en décubitus dorsal, la tête à l’est. Certaines fosses pourraient avoir été coffrées de bois ou de terre crue et avoir comporté une couverture de dalles. L’inhumation – dont la pratique s’échelonne du Géométrique moyen II jusqu’au début du VIIe siècle – est réservée aux adultes des deux sexes, qui  sont accompagnés d’un mobilier plus ou moins abondant.
Les tombes dites « à enchytrisme » sont réservées aux enfants jusqu’à un an : les corps sont déposés dans une jarre, elle-même enterrée dans une fosse. Les récipients utilisés sont de types très variables et de qualités inégales : vases tournés ou modelés, voire amphores commerciales ou récipients de stockage. Certains d’entre eux sont des remplois, d’autres ont un usage exclusivement funéraire, le choix de l’un ou l’autre relevant probablement de facteurs économiques et sociaux. Il est intéressant de remarquer qu’au début du VIIe siècle les inhumations d’enfants s’éloignent des zones d’habitat pour prendre place dans les nécropoles d’adultes, indiquant une évolution dans le statut de l’enfant au sein de la communauté. Il est également frappant de constater que les fœtus ont droit à une sépulture identique à celle des enfants décédés après la naissance.
Les tombes devaient être signalées en surface par des semata, probablement des vases monumentaux de type Dipylon, bien qu’aucun n’ait été retrouvé en place. Fait étonnant, les tombes en chaudron ne semblent pas avoir été signalées, comme l’indiquent les recoupements entre elles.

La seconde partie porte sur le mobilier, dont l’analyse ouvre plusieurs perspectives : aperçu du rituel funéraire et du statut des défunts, datation, étude des productions locales, des importations et des liens commerciaux.
La céramique constitue l’essentiel des offrandes. La plupart des vases sont tournés et décorés, mais on observe également quelques récipients plus grossiers. Il faut remarquer que la vaisselle utilisée comme offrande se retrouve également dans l’habitat et qu’il ne semble pas exister une céramique exclusivement funéraire, qui porterait par exemple un décor caractéristique. Les vases déposés dans les tombes ont sans doute appartenu au défunt et/ou été utilisés au cours du banquet funéraire. On ne remarque pas de corrélation entre le type de céramique et l’âge et le sexe du défunt, sauf dans le cas des tombes à enchytrisme où tous les récipients présentent des dimensions réduites (à l’exception de la jarre qui contient le corps).  La production est essentiellement locale, les quelques importations (attiques, chypriotes ou corinthiennes) ayant probablement été acquises pour leur contenu et non pour un usage spécifiquement funéraire.
Les bijoux, locaux et importés, présentent une grande variété de types (diadèmes, colliers, bracelets, bagues, fibules, épingles, scarabées) et de matériaux (or, argent, bronze, fer, pâte de verre, ambre, serpentine). L’or et l’argent sont réservés aux adultes.
Les diadèmes, de fabrication locale, sont composés d’une feuille d’or portant un décor estampé. Leur fragilité et leur grossièreté d’exécution en font des ornements destinés exclusivement aux funérailles, tant pour les enfants que les adultes, quel que soit le type de tombe. Pour les autres bijoux, il est difficile de déterminer s’ils appartenaient au défunt ou s’ils ont été exécutés spécialement pour les cérémonies funèbres.
Les armes, réservées aux hommes issus d’une certaine élite sociale, consistent en épées et lances en fer. Les épées – et les lances dans une moindre mesure – sont systématiquement brisées ou tordues avant d’être déposées dans les tombes, pratique très courante en Grèce, à Chypre et en Orient, et qui est sujette à diverses hypothèses : elle servirait à éviter que le mort n’utilise son arme contre les vivants, ou à indiquer qu’elle n’est pas transmissible et qu’elle reste éternellement attachée à son propriétaire.
Il faut bien entendu ne pas perdre de vue les catégories de matériel périssable : textiles, bois, vannerie, cuir, végétaux, aliments et boissons.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, l’auteur propose une image de la société érétrienne sous un nouvel angle de vue. En effet, depuis une trentaine d’années, plusieurs chercheurs (C. Bérard, A. Mazarakis Ainian, J.-P. Crielaard entre autres) se sont intéressés à la composition et à l’évolution de la communauté, mais sans tenir compte des vestiges funéraires, qui n’avaient jamais été étudiés dans leur ensemble jusqu’à présent, ni de la chronologie, qui a été considérablement affinée dans l’étude de B. Blandin. Le modèle qui prévalait était celui d’une société basée sur une opposition binaire (aristocratie/population) passant au système de la polis vers 720-680.
Les premiers indices d’une occupation à Érétrie remontent au IXe siècle : ils sont ténus et attestent d’une occupation stable mais de peu d’envergure. La société prospère au cours du VIIIe siècle : l’habitat, les lieux de culte et les nécropoles se multiplient, les importations témoignent de contacts commerciaux avec l’extérieur. L’évolution se poursuit au VIIe siècle, avec notamment une intensification des importations. Dès le milieu du VIIIe siècle, les sépultures quittent la proximité de l’habitat, où elles étaient regroupées par noyaux familiaux, pour des nécropoles où coexistent adultes et enfants : nécropoles dites « de l’Hérôon », « du sanctuaire d’Apollon » et « de l’aire sacrificielle nord ». Chacune d’entre elles semble appartenir à un groupe social élevé, qui est souvent marqué dans l’architecture ou le mobilier de la tombe. Il faudrait donc imaginer une communauté dirigée par plusieurs groupes familiaux plutôt que par un « prince », et un passage progressif vers l’organisation en cité.

La synthèse est complétée par le second volume, qui reprend toutes les données ayant permis l’étude : état de la documentation, contexte stratigraphique, description des tombes et du mobilier, interprétation des vestiges. Les résultats des analyses anthropologiques et archéozoologiques y sont également détaillés. Enfin, il est complété par une riche documentation graphique : cartes générales, plans de fouilles, relevés et inventaire du matériel.
L’ouvrage est très structuré et riche en comparaisons ; il faut également noter que l’auteur expose systématiquement les diverses hypothèses qui ont pu être émises avant de développer son point de vue. Notre seul regret concernera peut-être l’absence de bibliographie hors-texte, les renvois en bas de page pouvant s’avérer fastidieux.

L’étude de Béatrice Blandin, outre qu’elle constitue une bonne synthèse des coutumes funéraires, a permis de nuancer l’image qu’on se faisait de l’évolution de la société érétrienne. En effet, en mettant l’accent sur certains aspects tels que la chronologie et la répartition des vestiges, elle a dépassé l’image binaire qu’on se fait encore trop souvent des sociétés géométriques. Une perspective intéressante serait de mettre en relation les conclusions de cette étude avec le développement des établissements eubéens en Grande Grèce, par exemple.