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Compte rendu par Marie-Thérèse le Dinahet, Université Lyon II Nombre de mots : 2448 mots Publié en ligne le 2008-10-16 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=418 Lien pour commander ce livre Deux tombes macédoniennes furent découvertes en 1897 sur le territoire d’Érétrie ; l’une au nord-ouest de la ville, à proximité d’un grand cimetière classique et hellénistique, tire son nom de figurines identifiées comme des Erotes, la seconde est située à 8 km à l’est de la ville, à Amarynthos. La première fut rapidement publiée par K. G. Vollmoeller en 1900 qui sut identifier les objets volés et dispersés : le lot le plus important se trouve au Museum of Fine Arts de Boston ; dans la seconde, J.-M. Gard a réalisé en 1971 des sondages dont les résultats ont été mis à la disposition de C. Huguenot. La tombe d’Amarynthos est mieux conservée, mais le matériel funéraire n’a pu être retrouvé. Avant les recherches de l’auteur, ni la date de la création, ni celle de l’utilisation de ces tombes n’étaient assurées ; la place et la signification du mobilier funéraire n’avaient pas été prises en compte. C’est donc une étude profondément originale qui a été menée, étude très complexe puisqu’aux compétences architecturales, il fallait joindre des compétences d’épigraphiste, de céramologue, faire des recherches sur l’orfèvrerie, la toreutique, la coroplastie classique et hellénistique. Le titre de l’ouvrage ne donne d’ailleurs qu’une idée partielle de la richesse du contenu. En cherchant constamment à confronter les trouvailles d’Érétrie (architecture, mobilier et objets) avec ceux des tombes dites macédoniennes, l’auteur a réalisé une synthèse passionnante sur cet art funéraire qui a rayonné depuis le nord du monde grec jusqu’en Grèce centrale et en Égée. Le volume I est consacré à l’étude des tombes, le volume II contient le catalogue du matériel découvert, deux annexes traitent des origines de la tombe macédonienne et des tombes dites apparentées ; les planches photographiques sont d’une excellente qualité. Une seule petite remarque : il eût été sans doute plus clair de présenter l’histoire d’Érétrie de la fin du IVe au début du IIe dès le début de l’ouvrage et non dans le chapitre V, ce qui facilitait la lecture du chapitre consacré aux inscriptions de la tombe aux Erotes.
Au début de l’ouvrage (chapitre 1) après avoir défini ce qu’il faut entendre par tombe macédonienne (tumulus couvrant une chambre funéraire à voûte en berceau clavé précédée d’un dromos), une présentation très claire de l’architecture, de l’orientation et de l’origine controversée de ce type de monument est faite, l’accent est mis sur les difficultés de datation de ces ensembles presque tous pillés, souvent réutilisés ; pour beaucoup d’entre eux, des publications complètes manquent ; un tableau synoptique précieux à la fin du second volume (p.136-145) donne l’état de la question. Le problème de l’origine de la voûte clavée en berceau, invention qui est disputée entre la Macédoine et la Thrace, est abordé dans ce chapitre, C. Huguenot penche pour la solution macédonienne. Ce procédé de construction s’est largement diffusé en Grèce à l’époque impériale ; mais il faut bien noter qu’à cette époque le tumulus a disparu du paysage et que les chambres funéraires souterraines à berceau clavé sont surmontées d’un monument distyle ou prostyle en forme de temple qui relève d’une tradition micrasiatique diffusée dès l’époque hellénistique dans les îles de l’Égée.
Le chapitre 2 commence par la description du tumulus de la tombe aux Erotes ; ses dimensions le situent dans la moyenne (diamètre : 33 m) ; la chambre, comme il est habituel, se trouve excentrée par rapport au sommet du tumulus. L’originalité du monument se trouve dans sa situation exceptionnelle ; il est, à la différence de l’immense majorité des tombes macédoniennes, situé dans un lieu qui dominait le paysage environnant. Au centre du tumulus, un massif formé de briques crues (hauteur environ 6 m, base carrée d’environ 5 m de côté) devait servir de piédestal à une statue ; ce type de base monumentale est rarement attesté en Grèce : il a été restitué sur deux autres tombes à tumulus d’Érétrie, mais aussi en Thessalie, à Phères, et en Macédoine, à Amphipolis. C’est probablement un lion souvent présent dans l’imagerie funéraire macédonienne qui surmontait cette base. Le dromos à couvrement plat était revêtu d’une peinture à fresque, qui imite une construction isodome en grand appareil. L’auteur montre que ce type de décor est bien répandu en Macédoine dès la fin du IVe s. et ne peut servir d’indice chronologique. Une porte en bois permettait l’accès à la chambre funéraire de plan carré. C. Huguenot a reconnu au Musée d’Érétrie des éléments en bronze qui provenaient de la porte, en particulier des têtes de clous qui décoraient les vantaux. Au fond de la chambre était aménagée une niche destinée à recevoir des offrandes. La voûte était couverte d’une peinture blanche, les parois étaient ornées de peintures exécutées selon la technique de la détrempe ; ce décor a presque entièrement disparu, mais il a pu être analysé grâce aux relevés qui en ont été faits lors de la découverte. L’hypothèse de réaménagements successifs (trois phases) des peintures est rejetée ; il est probable que l’ensemble date de la première utilisation de la chambre. Le décor peint sur les quatre parois comprend des rangées de couronnes qui paraissent accrochées à des clous en fer encore en place dans les murs ; certaines couronnes (parois est et nord) portent des bandelettes, des guirlandes s’y ajoutent (paroi nord) et différents objets (miroir au nord, épée et 5 vases à l’est) étaient aussi peints ; ce qui avait été identifié comme un bouclier est probablement une patère ; ce type de décor très bien connu pour les tombes de Macédoine rappelle des rituels funéraire (les couronnes), mais aussi fait allusion aux exploits guerriers de l’un des défunts (épée) ; la vaisselle est celle utilisée lors des banquets et évoque donc les joies du symposion dans ce monde et dans l’au-delà. Cette tombe est surtout remarquable par son exceptionnel ameublement de marbre recouvert de peintures : deux lits, deux trônes sans dossier et un haut coffre sur une base, ces peintures sont encore un peu visibles sur le trône A, où, près de l’inscription b était peint un être ailé entouré de griffons et sur le coffre C, à décor de rosettes et de couronnes. Chaque meuble présente une cavité intérieure qui servait de réceptacle aux restes incinérés des défunts, des noms de défunts masculins sont gravés sur les klinai et de défuntes sur les trônes et le coffre.
Grâce à l’étude méthodique des moulurations et des caractères des inscriptions, la chronologie de l’utilisation de la chambre a pu être déterminée, ainsi que la date de la disparition des différents défunts de familles apparentées ; on peut les suivre sur trois générations au moins. Les klinai sont contemporaines de l’exécution de la chambre ; le trône A en situation privilégiée fut mis en place en même temps ou peu après les klinai ; le trône B et le coffre C sont les plus tardifs (chronologie de construction et d’utilisation de la tombe : 300-220, d’après l’étude des moulurations, ensevelissements, d’après la paléographie, à des dates comprises entre 275 et 220) ; le premier enterrement fut celui de Kratésipolis I (trône A) dans le second quart du IIIe siècle, sans doute l’épouse de Paramonos (klinè I) ; elle fut rejointe par sa cousine Kratésipolis II ; la dernière inhumation fut celle d’Euagreia (coffre C). Dans le second quart du second siècle, le monument fut conçu et les premiers défunts y furent ensevelis. L’étude de la diffusion des noms renvoie en partie à la Macédoine (Kratésipolis, Alexandros, Ménelaos). Deux noms sont nouveaux, Airippè et Euagreia, mais Airripidès et Euagros sont attestés à Érétrie. Kratésipolis est sans doute la petite fille de Kratésipolis, épouse d’Alexandros, fils de Polyperchon, qui, après la mort de son époux, réussit à conserver quelque temps des possessions dans le nord du Péloponnèse, et chercha en vain à épouser d’abord Ptolémée Ier en 308 puis à se rapprocher de Démétrios Poliorcète. On ignore tout de l’histoire de Kratésipolis après 307. C. Huguenot suppose qu’elle réussit à instaurer son autorité quelque temps sur Érétrie et à y implanter sa famille, une ascendance quasi royale permettrait en effet d’expliquer la présence d’un trône et d’un diadème dans cette sépulture. Les relations familiales possibles sont présentées de façon prudente p. 135. La présence du lit funéraire renvoie certes au symposion, élément important de la sociabilité à la cour macédonienne mais – en raison de la présence des trônes pour les épouses – il doit aussi renvoyer aux joies des banquets dans l’au-delà. Le trône dans l’ensemble de la tradition macédonienne, n’est pas nécessairement associé à une sépulture féminine, mais il est évidemment toujours le signe du pouvoir. Les derniers membres de la famille ont dû être obligés de quitter Érétrie car il restait encore de la place (dans la klinè II et le coffre C) lorsque la tombe fut fermée (l’analyse de la situation historique est traitée de façon exhaustive plus bas p. 239-241).
Le chapitre III est consacré au riche mobilier funéraire. Il comprend d’abord 28 figurines de garçonnets ailés, drapés dans une chlamyde ou parfois revêtus d’une simple écharpe, deux portent un costume phrygien. Elles étaient suspendues au plafond de la chambre funéraire ; elles sont proches des productions béotiennes, mais ont été fabriquées localement. Les objets que portent ces Erotes relèvent en partie de l’univers féminin (miroirs, coffret) mais pas exclusivement ; les vases à parfum en effet ne sont pas réservés aux femmes ; ils sont utilisés lors des funérailles, et certains (aryballes) lors des activités gymniques. Les instruments de musique sont variés : cithare, cymbales, tambourin, flûte ; un Eros tient un masque de théâtre, un autre présente le buste d’une divinité féminine à diadème. L’ensemble ne présente donc pas d’unité : le masque devait renvoyer aux plaisirs de cette vie ; pour l’auteur, les instruments de musique avaient une vertu cathartique, mais elle repousse l’idée d’allusion à des cultes à mystères, ce qui avait été suggéré à partir de la présence de cymbales et du masque. Elle montre surtout de façon convaincante qu’il ne faut pas reconnaître dans ces figurines le dieu Éros dont la fonction funéraire n’est pas attestée en Grèce à cette époque mais des psychai, images des âmes des défunts représentés sur les lécythes attiques à fond blanc du Ve s ; l’atmosphère joyeuse (danses et musique) créée par ces figurines évoque un au-delà radieux. Une quarantaine de boucliers miniature, soit ovales (type celte), soit circulaires qui avaient été identifiés à tort comme des boutons ou des éléments de parure, étaient suspendus aux parois ; parmi eux, on trouve quatre boucliers circulaires de type macédonien (rosette entourée de cercles concentrique) et, parmi les épisèmes, dont la majorité (19 cas) représente une tête de Méduse, l’image (7 cas) d’un Hélios aux traits d’Alexandre et celle d’une tête de jeune homme aussi aux traits d’Alexandre, portant une kausia qui est entourée des étoiles, symboles des Disocures, enfin celle d’un molosse. Si les Erotes renvoient à des traditions locales, ces boucliers correspondent donc bien aux goûts de commanditaires de culture macédonienne. C. Huguenot montre dans son étude des bijoux qu’ils n’ont pas été élaborés au même moment et qu’ils ont pu faire l’objet d’une transmission familiale : c’est le cas du diadème à rinceaux comparable à celui de la tombe C de Vergina, il fut probablement créé à la fin du IVe ou au début du IIIe pour Kratésipolis. La tombe aux Erotes contenait encore des vases mais non pas, à la différence d’autres tombes macédoniennes, une vaisselle de symposion ; l’étude de ces objets prouve qu’il faut être très prudent lors de la datation d’une tombe : en effet certains ont dû être transmis de génération en génération ; c’est le cas des six hydries de bronze probablement fabriquées localement à la fin du Ve ou au début du IVe s . Mais le couvercle d’une pyxis en céramique d’origine locale placée dans la cavité du trône b destinée à recevoir les cendres de la défunte est contemporain de la sépulture.
Le chapitre IV décrit la tombe d’Amarynthos ; la chambre carrée (2 m 85 de côté) enfermait deux lits sculptés dans des plaques de calcaire ; entre elles, un espace était aménagé pour les cendres et les offrandes ; ces klinai sont exceptionnelles à cause de la qualité des sculptures des draperies et de la polychromie du tissu censé recouvrir matelas, oreillers couvertures ; les montants sont composés de différents éléments circulaires (type A) dans lesquels s’intercale une patte de félin (type A1), selon un modèle d’origine achéménide connu à partir de la fin du IVe s. en Macédoine ; l’image du lit à la mode perse a été diffusée par des sceaux, monnaies et probablement des carnets de croquis ; ce type de lit que l’on peut dater de la seconde moitié du IIIe s. fut utilisé par les membres de l’élite macédonienne d’Érétrie pour donner plus de prestige à leur dernière demeure.
Le chapitre V analyse les traits caractéristiques des rituels funéraires macédoniens (crémation, place du bûcher) et comprend une critique justifiée des essais pour retrouver partout en Macédoine des phénomènes d’héroïsation. L’auteur montre que les cas sont peu nombreux. Les exemples d’une superstructure surmontant d’une tombe intra-muros ne sont attestés qu’à Philippes, à Archontiko près de Pella et, en Épire, à Cassopé (pour le cas de Calydon en Étolie, il faut citer aussi l’étude de Ch.Wacker, Das Gymnasion in Olympia, Geschichte und Funktion, 1996, qui a prouvé que l’héroon de Calydon faisait partie d’un bâtiment qui était certainement un gymnase). C. Huguenot présente les connaissances sur l’histoire d’Érétrie de la fin du IVe à la fin du IIIe, en particulier au temps de Démétrios Poliorcète, puis sous la monarchie antigonide (vers 267-198) ; il est certain que les défunts ensevelis dans la tombe aux Erotes jouèrent un rôle important dans la défense macédonienne d’Érétrie mais des questions demeurent : on ne sait en quelles circonstances, Kratésipolis, veuve d’Alexandros, put installer sa famille et insérer sa descendance à Érétrie. Il est hypothétique de supposer que Kratésipolis, épouse de Paramonos, ait, à l’instar de sa grand-mère, hérité d’un mari des troupes qui auraient été ensuite transmises à son nouvel époux ; la présence d’une gemme représentant une Aphrodite guerrière (p. 182) n’est pas un argument suffisant ; cette gemme peut faire allusion au rôle de la première Kratésipolis considérée comme la gloire de la famille.
Le chapitre VI présente de façon exhaustive la diffusion de la tombe macédonienne en Grèce centrale et en Épire. Dans le second volume, le catalogue soigné du matériel funéraire est suivi de la liste des tombes macédoniennes, l’annexe 1 résume la question de l’inspiration de cette architecture funéraire (problèmes de l’origine de la voûte clavée, liens avec l’architecture domestique, palatiale…) et l’annexe 2 présente des tombes dites apparentées (voûte en plein cintre mais à encorbellement et chambre à plan carré attestées dès le VIe s. en Asie mineure) qu’il ne faut pas confondre avec les tombes de type macédonien. L’ouvrage est complété par un index très complet, donc il est en tous points excellent.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |