Mazuy, Rachel - Watson, Jessica (dir.): André Claudot. La couleur et le siècle. 1 vol. (271 p.), illustrations n/b et couleur, 27 x 22 cm, ISBN : 978-2-38203-011-0, 35 €
(In Fine éditions d’art, Paris 2021)
 
Compte rendu par Juliette Milbach
 
Nombre de mots : 1079 mots
Publié en ligne le 2022-05-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4191
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          André Claudot (1892-1982). La couleur et le siècle est le catalogue d’exposition qui accompagnait la manifestation éponyme au Musée des beaux-arts de Dijon en 2021. L’ouvrage fait connaître la personne et le travail d’André Claudot, peintre bourguignon né à la fin du XIXe siècle ; formé aux beaux-arts de Dijon, enseignant en Chine (où il jouit d’une notoriété plus importante que dans son pays natal), actif à Paris, à la Ruche, engagé et militant (antimilitariste, anticlérical, résistant, adhérent à la SFIO et au parti communiste). L’exposition, que le riche corpus d’illustrations du catalogue pérennise parfaitement, présentait un grand nombre d’œuvres attestant la diversité des intérêts de l’artiste pour la peinture et les arts graphiques.

 

          L’art de Claudot est en effet multiple : les portraits et les paysages côtoient les scènes urbaines et/ou du quotidien. Outre les analyses et la chronologie placées en annexe, l’ouvrage comporte un bon nombre d’archives. On retrouve ainsi la carte d’adhérent au Parti communiste, les papiers liés aux qualités d’exposant dans les Salons (d’Automne, des Artistes indépendants, des Artistes anciens combattants). Des photographies de famille, des lettres issues de sa correspondance personnelle et des cartes postales sont aussi reproduites.

 

          Le catalogue vient combler un vide : l’œuvre, en effet, n’a, jusqu’ici, fait l’objet que de quelques articles ou mentions, et de trois expositions (1931, l978 et 1980) accompagnées de catalogues. Pourquoi Claudot est-il si peu connu en France ? Il a été un prolifique illustrateur dès les années 1910 dans Le Libertaire, et plus tard à La Jeunesse anarchiste ou encore les journaux bourguignons comme Le cri de Dijon. Son trait y est assuré, rapide, souvent drôle ou mordant. Mais en tant que peintre il a peu été montré en dehors de la Bourgogne (en particulier après son retour à Dijon en 1935). 

 

          Rachel Mazuy et Jessica Watson (également commissaires de l’exposition) avancent l’hypothèse que le séjour en Chine ait pu être un frein à sa notoriété française dans les années 1930. Le caractère difficile et colérique de Claudot, alors même qu’il cherchait à s’intégrer aux institutions dijonnaises, a pu limiter sa carrière. Les autrices se joignent aussi à l’opinion de Louis Gerriet (auteur de six articles consacrés à Claudot entre 1946 et 1956) qui estimait que les engagements politiques du peintre avaient été l’obstacle à sa reconnaissance.

 

          Le parcours politique de Claudot est l’axe central de l’ouvrage. L’artiste est fermement engagé dans les grands combats de son temps tout en gardant une constante distance. Mazuy et Watson s’emploient à expliquer ce fait. Ses liens avec le Parti communiste français, par exemple, ne semblent jamais servir de tremplin à sa carrière. Les causes, selon les autrices, peuvent être multiples : Claudot détestait André Fougeron, il restait perçu comme un anarchiste, il n’avait jamais été membre de l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), etc.

 

          De sa voix, de son militantisme, le lecteur pourra se faire une idée en visionnant du documentaire Ecoutez Claudot, film de Bernard Baissat et Tewfik Fares (https://www.dailymotion.com/video/xwd8ef). Réalisé en 1978, l’artiste y expose sa vision pendant près d’une heure en dialogue avec Jean Maitron. Il est y est fait plusieurs fois référence dans le catalogue, et tout particulièrement dans l’essai que Bertrand Tillier consacre à l’ancrage de Claudot dans son siècle. On découvre ainsi l’aspect multidimensionnel des engagements du peintre, un anti-impérialisme profond. La manière aussi, en tant qu’artiste, dont Claudot s’engage (dessins, caricatures, tract), allant même jusqu’à faire photographier certaines de ces toiles pour les diffuser en cartes postales afin de sensibiliser le peuple français en faveur du Vietnam. Tillier inscrit la démarche individuelle de Claudot dans la mentalité d’une époque, d’un vaste réseau de membres ou sympathisants du Parti communiste et d’un large spectre de préoccupations allant de l’anticolonialisme à l’antigaullisme. Cela permet au lecteur de se repérer dans les méandres d’une histoire politique française à laquelle ne sont pas forcément familiers ceux qui s’intéressent aux qualités plastiques de Claudot. Cette vocation pédagogique se retrouve dans l’abécédaire proposé à la fin de l’ouvrage.

 

          Le troisième essai du catalogue porte sur le séjour de Claudot en Chine (de 1926 à 1930). A Pékin, Claudot aura la charge de l’enseignement de la peinture occidentale, puis sera, en juin 1929, à Hangzhou, pour diriger un département de recherche (tout juste créé) que fréquente seulement une dizaine d’étudiants. Le texte de Philippe Cinquini met en avant les qualités pédagogiques de Claudot : sévère mais bienveillant, donnant en outre les rudiments du français à ses étudiants. La classe de recherche aurait été supprimée et Claudot poussé vers la sortie prématurément, peut-être en raison de ses sympathies anarchistes. C’est en tout cas l’hypothèse avancée par Cinquini.

 

          L’ouvrage est étoffé d’un index fait de notices (certaines longues de plusieurs pages) organisées par mots clefs ou noms propres et d’astucieux renvois. C’est un outil qui permet de contextualiser l’œuvre et la vie artistique de Claudot, et peut aisément se lire comme un texte, tout aussi bien qu’être consulté ponctuellement. On y trouve des peintres (Marcel Bach, Mathieu [Mattéo] Battaglia, Octave de Bouville etc.), des parents ou proches de Claudot (François Claudot, Suzanne Claudot), des lieux de résidences, de travail ou encore d’expositions (Brochon, Couchey), des périodiques ayant publié ses œuvres graphiques (comme le titre Clarté). Plusieurs éléments se recroisent, d’autres sont développés en dépassant la contrainte de la notice. Les différents ateliers qu’il a fréquentés tout au long de sa vie (de la Ruche à Montmartre) sont aussi évoqués.

 

          L’ouvrage plonge ainsi le lecteur dans le contexte historique et artistique du XXe siècle, en proposant, à travers le parcours de ce peintre finalement peu connu, des pas de côté possibles et des éclairages nouveaux. Il rend visible une certaine histoire politique française. Le caractère complet du catalogue (données biographiques, abécédaire, reproductions et analyses de son œuvre) en fait une référence sur le sujet.

 

 

Sommaire



Préface, 9


Avant-propos, 11

ESSAIS, 15

 

André Claudot, la couleur et le siècle, 17

Rachel Mazuy et Jessica Watson


André Claudot, la peinture et l’histoire, 27

Bertrand Tillier


Le projet artistique d’André Claudot en Chine, 37

Philippe Cinquini



ABÉCÉDAIRE, 49

Rachel Mazuy, avec la participation de Jessica Watson

 


CATALOGUE DES ŒUVRES, 157


Famille et formation, 158
Les débuts, 168
Un peintre dans la guerre, 176
En Chine, 190 
Artiste de l’école de Paris, 218
Retour en Bourgogne, 232
Un peintre militant, 238

Chronologie, 252
Bibliographie sélective, 262
Index, 266