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Compte rendu par Michel Tarpin, Université Pierre Mendès France Grenoble II Nombre de mots : 1721 mots Publié en ligne le 2008-10-19 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=422 Lien pour commander ce livre Le livre de P. Bonini est issu d’une thèse de l’université de Padoue, très active dans le domaine de l’archéologie de la maison antique, comme le rappelle F. Ghedini dans sa présentation. Le champ couvert par cette étude, déjà vaste en soi, se limite à la maison urbaine de Grèce, îles comprises, sous l’Empire. Le choix d’intégrer au catalogue des monuments aussi exceptionnels que le « palais impérial » de Salonique me paraît pertinent, car ce sont ces constructions de luxe qui influent sur l’édilité privée. B. recourt cependant fréquemment à des comparaisons avec d’autres domaines géographiques et occasionnellement avec des villae. Après une introduction détaillée sur l’état de la recherche, le livre se compose de deux grandes parties. La première (p. 1-199) est une analyse formelle de la maison grecque d’époque romaine (on peut regretter le choix de cette expression pour désigner en fait l’époque impériale), replacée dans son contexte historique, la seconde est un imposant (400 pages) catalogue de maisons. Ce catalogue prend place dans les travaux de l’université de Padoue, qui a aussi publié récemment un inventaire des maisons de Tunisie (voir le compte-rendu sur le site d’Histara : lien http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=426). L’auteur rappelle d’emblée que son travail comble une lacune importante dans l’étude de l’édilité privée antique. En effet, si certaines des maisons étudiées ici étaient déjà connues, voire célèbres, la synthèse manquait véritablement. Fort prudemment, l’auteur a choisi de porter son étude jusqu’au VIe siècle, ce qui lui permet d’étudier véritablement l’évolution de la maison d’époque impériale. Les deux premiers chapitres (« La casa romana in età imperiale » et « La Grecia romana »), en forme d’introductions méthodologiques, présentent un rapide et utile bilan bibliographique de la recherche sur la maison romaine, puis un sommaire rappel historique sur la Grèce romaine, dans lequel on trouve un petit chapitre sur les propriétaires des maisons, bien difficiles à identifier. Ces chapitres de contextualisation, visiblement hérités de la thèse, n’entrent pas directement dans la discussion. Le troisième chapitre (« Le case e la città »), tente de cerner la place de l’habitat privé dans l’urbanisme. Les remarques préliminaires sur le fait que les maisons « non contribuiscono a definire in maniera diretta l’urbanistica della città » ou qu’elles constituent « il tessuto connettivo primario » ne me paraissent pas indispensables à l’analyse qui suit, introduite d’ailleurs par le constat de nombreuses lacunes dans les plans archéologiques de villes d’époque impériale. L’époque étudiée fait que les maisons s’inscrivent dans la trame viaire préexistante, voire dans les espaces de maisons antérieures. Le lien à l’édilité publique paraît ici beaucoup moins net qu’en Italie : les maisons riches sont souvent à l’écart des agoras et des monuments publics. Il ne paraît pas non plus y avoir de ségrégation sociale évidente dans le tissu urbain. Le quatrième chapitre, qui prépare le chapitre de conclusion, analyse les maisons du catalogue partie par partie, latrines comprises. L’étude des entrées, par exemple, conduit à la conclusion que cette dernière n’est qu’un espace de transition, car elle n’est pas le lieu d’accueil des visiteurs dans le monde grec (p. 44). Il serait peut-être utile ici de rappeler que les fauces tendent à disparaître des maisons reconstruites peu avant l’éruption du Vésuve, et manquent dans les maisons des IIIe et IVe siècles d’Ostie. Le critère classique que constitue l’opposition culturelle Grèce - Rome n’est donc peut-être pas opérant. La volonté d’inventaire systématique conduit à accorder relativement peu de place à l’analyse fonctionnelle des péristyles centraux, pourtant désignés comme caractéristiques des maisons étudiées. Mais cette discussion de détail permet aussi d’avancer des arguments de poids en faveur d’une origine occidentale du péristyle tétrastyle en Grèce : on le trouve en effet surtout en milieu colonial (p. 57). La lecture typologique de B. amène une certaine ambiguïté entre péristyle tétrastyle et atrium tétrastyle. Le même argument colonial est évoqué à propos des péristyles à jardin (p. 63), mais la forme du chapitre conduit à séparer les deux questions, pourtant fortement liées. Par ailleurs, il me semble qu’on doit être prudent dans l’évocation du plan à atrium comme témoin de l’origine occidentale d’un propriétaire. Ce plan est justement en train d’évoluer fortement en Italie durant la période que traite B, comme on le voit bien, par exemple, à Herculanum. Des colons ont très bien pu souhaiter construire de manière plus « moderne ». La prudence de B. dans l’identification fonctionnelle des pièces (particulièrement p. 95), dites parfois simplement « de séjour », est parfaitement justifiée en l’absence de mobilier déterminant. On souhaiterait cependant savoir sur quel critère sont identifiées les bibliothèques, supposées nombreuses (p. 90-91). La gestion de l’eau dans la maison occupe tout le chapitre 5. Il faut reconnaître que c’est là un point important dans le fonctionnement de la maison. En outre, B. parvient à mettre en évidence le nombre relativement important des cours à bassin qui ont de bonnes chances de répondre au modèle de l’atrium à impluvium, en général de type tétrastyle (p. 118). La grande variété des bassins et l’évolution des formes sont soigneusement décrites. On apprend ainsi que les fontaines et jeux d’eaux se déplacent, au Bas Empire, vers des locaux couverts, plutôt que dans les espaces ouverts (p. 142). Dans le même temps, les thermes se singularisent par leur grande variété (p. 149-150). B. énumère à ce propos les explications proposées. Le chapitre 6, enfin, fait l’inventaire des techniques de construction mises en œuvre dans les maisons étudiées. B. relève la grande rareté de l’opus reticulatum, qui ne se rencontre qu’en milieu colonial ou fortement romanisé (p. 167). La question des appareils semble, comme celle des formes, constituer un intéressant témoignage d’acculturation. Le chapitre 7 constitue la synthèse critique des remarques particulières faites dans les chapitres précédents. B. y dénonce l’idée que le modèle de la maison classique « grecque » se serait maintenu jusqu’en pleine époque byzantine. Il relève en effet une évolution des formes tout au long de l’Empire, ainsi que des modifications profondes, comme la disparition de l’andron. Dans la ligne de son projet, il insiste avec raison, en citant Vitruve, sur l’évidente adéquation du plan au mode de vie du propriétaire. Son analyse prend en compte l’impossibilité d’un véritable typologie des maisons, qui ne sont pas un produit industriel. La rareté des aménagements fondés sur un axe visuel entrée - pièce de représentation lui paraît cependant significative (p. 171). Les systèmes d’axialité et de symétrie sont présents en différentes parties des maisons, mais n’obéissent pas aux traditions de la maison à atrium de type pompéien. Il relève, dans des maisons de grande dimension, des cheminements subtils conduisant à la pièce de réception principale, à travers plusieurs espaces découverts (p. 174). La tendance à l’amplification de la surface couverte, à la multiplication concomitante des cours et à la création d’espaces liés à des activités plus variées représente, dans les maisons de luxe du Bas Empire, un point remarquable de cette étude (p. 183). Dans la mesure où cette tendance a été constatée ailleurs dans l’empire, on aurait souhaité voir développer cette remarque autrement que par un rapide renvoi bibliographique. Même s’il n’est pas aisé à expliquer, le simple fait que les maisons orientales, à l’origine plus réduites que les surfaces moyennes constatées en Occident, tendent à s’en rapprocher à partir du IIe siècle, est un constat significatif (p. 185). Avec justesse B. relève que les maisons grecques d’époque impériale dérivent en continu des maisons hellénistiques, mais que le modèle italien républicain à atrium était alors devenu obsolète. Il me semble cependant plus pertinent d’insister sur la capacité d’innovation des propriétaires que sur la notion de « maison romaine d’époque impériale » (les guillemets sont dans le texte), d’autant que B. note très justement que le péristyle est devenu un élément de la romanité. Il serait important, à ce propos, de marquer la nuance entre les jardins à péristyle du type pompéien, et les péristyle pavés (p. 188-189). Les remarques sur l’évolution du rôle de la femme sous l’Empire mériteraient une plus ample discussion, à la hauteur de leur importance dans la discussion République - Empire / Occident - Orient. Enfin, B. constate une convergence des maisons d’époque impériale avancée qui privilégient la multiplication des pièces de réception, les aménagements de confort et de luxe (p. 194). Dans l’ensemble, l’approche de B. est à la fois prudente et bien documentée. L’approche, essentiellement typologique, avec ses limites, relève à la fois du genre et du projet global de l’université de Padoue. Le catalogue couvre 50 sites, dans le Péloponnèse, la Grèce continentale et les îles. La carte de répartition montre un certain nombre de lacunes de l’archéologie. Chaque maison, même partiellement connue, fait l’objet d’une notice, parfois assez ample, et d’un plan normalisé. Il n’y a pas de renvoi aux photos qui illustrent la même maison dans le texte, ce qui est dommage. On regrette que la numérotation du catalogue n’ait pas été systématiquement utilisée pour les renvois dans le texte. Les maisons sont souvent citées sous leur nom commun, avec le plus souvent un renvoi au catalogue en note, ce qui alourdit la lecture (par exemple p. 137 : Athènes C dans le texte et Athènes 8 comme légende de la photo). La mise en page conduit à rejeter en fin de notice le plan, qui se trouve de ce fait souvent en vis-à-vis de la notice suivante. Comme nombre de plans ne portent pas d’indication, on peut parfois hésiter sur le plan à rattacher à la notice. S’il faut faire un reproche à l’ouvrage, c’est surtout d’avoir gardé en grande partie la forme d’une thèse, intégrant l’ensemble de la discussion de détail systématique, parfois un peu lourde, et une part de description très importante. Mais ce petit travers assure le lecteur du sérieux de la démarche et de l’érudition de l’auteur. C’est indiscutablement un livre indispensable, qui vient combler une grave lacune, et conduit le lecteur à souhaiter des synthèses du même type, par exemple sur l’Orient grec, l’Illyrie ou sur les Gaules. Le catalogue, malgré les petits défauts formels relevés, constitue un outil de travail fondamental, clair et simple d’usage. L’uniformisation des plans permet un travail de comparaisons efficace. Certains regretteront sans doute l’absence de relevés de fouille pierre à pierre, mais le choix de l’auteur est légitime. B. livre ici la matière qui permettra à la recherche sur la maison « romaine » de se développer vers des horizons rarement intégrés à la discussion jusqu’à présent. Ce livre devrait entrer dans toute bonne bibliothèque universitaire.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |