Andrieu, Morgane – Kasprzyk, Michel (dir.) : Archéologies romaines en Gaule Lyonnaise. Hommages au professeur Gilles Sauron, (Archéologie et Histoire Romaine, 47), 225 p. coul, ISBN : 978-2-35518-115-3, 42,00 €
(Mergoil, Dremil-Lafage 2021)
 
Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université Grenoble-Alpes
 
Nombre de mots : 1965 mots
Publié en ligne le 2022-08-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4263
Lien pour commander ce livre
 
 

        Alors qu’il peut paraître artificiel de rassembler des articles disparates à l’occasion d’un recueil d’hommages, ici, les lecteurs trouveront convergences et complémentarité méthodologiques : croisement des sources, points de vue en miroir ou en reflet, comparaisons géographiques, échelles différentes. Les éditeurs de ce recueil d’articles (dix + un en images) en hommage à Gilles Sauron, qui portent tous sur la seule Gaule Lyonnaise, ont judicieusement souligné, dans leur introduction, p. 11-12, que celui-ci avait encadré nombre d’étudiants et de travaux sur les Gaules. L’absence de contributions relatives à la seule Italie, qui a été un objet de nombre de ses recherches, n’est donc pas incongrue. Les lieux d’enseignement du récipiendaire, à Dijon puis à Paris, suffisent à justifier la cohérence de l’aire provinciale retenue dans le titre. Le choix du pluriel, archéologies romaines, est judicieux puisque les auteurs des articles sont des spécialistes de disciplines archéologiques variées – céramologues, toichographologue, entre autres – et des historiens qui se livrent à des enquêtes tant historiques qu’historiographiques. Le titre apporte réellement un éclairage sur l’esprit du livre. Si les contributions ont majoritairement pour source documentaire la céramique et les vestiges peints ou sculptés, c’est la mise en série et en contexte, méthodiquement, qui fonde l’unité des contributions et des interprétations, leur intérêt et leur valeur. L’ordre retenu met en évidence la cité des Éduens (quatre des articles), le secteur oriental et méridional de la province correspondant aux axes naturels de circulation de la Saône et de la Seine et leurs affluents : de Lyon aux Carnutes et Tricasses en passant par les Éduens (sept des articles) et les Sénons limitrophes, la thématique de la céramique (trois articles).

 

        Les contributions fondées sur la documentation céramique montrent des rythmes dans le cheminement des types de céramique, les inflexions et les différences selon les cités dans la façon de vivre. La céramique, ce dont on ne doutait pas, est un marqueur social autant qu’économique. Mêmes réduites en quantités, les données locales, pour peu qu’elles soient situées dans un contexte plus large, comparées avec d’autres, contribuent à brosser le tableau des sociétés provinciales, ici gauloise. Le montre l’enquête conduite par P. Denat-Simon, J. Simon, sur la sigillée de tradition italique, qui fait son apparition dans les Gaules vers 40 av. J.-C. Les a. dressent le tableau de quatorze ans de fouilles à Chartres/Autricum. Peu fréquente dans cette ville, elle s’y raréfie assez tôt, à l’époque tibérienne où les productions des ateliers de Gaule du Sud et ceux du Centre prennent de l’ampleur. Le point de vue d’A. Ahü-Delor est autre. Il est moins question ici d’analyser la chronologie de la pénétration de tel type de céramique que d’interpréter le mobilier céramique servant d’ossuaire dans des nécropoles de Troyes et d’Autun en termes de gestes et pratiques funéraires.

 

        L’étude approfondie et détaillée de N. Delferrière et P. Nouvel sur le décor des maisons chez les Éduens à Bibracte, Pâture du Couvent et domus PC (1, 2, 8, 14, 35) dans le quartier résidentiel du Parc aux chevaux, et dans d’autres endroits du territoire éduen, met en évidence la précocité de la réception par les élites gauloises éduennes de pratiques et de techniques méditerranéennes, avant la conquête. L’archéologie éclaire ici la connaissance que l’on avait de l’ancienneté et de l’étroitesse des liens, tant politiques qu’économiques, entre Éduens et Romains grâce aux sources littéraires. Si ce n’est pas nouveau, c’est désormais mieux étayé par les découvertes récentes : peintures murales, mosaïques, stucs, roches décoratives en ornement pariétaux témoignent de l’appropriation par les élites éduennes d’une « culture visuelle romaine » (p. 93) qui s’est tôt enracinée, comme en témoignent les décors d’enduits peints de troisième style pompéien dès le milieu du Ier s. av. J.-C. Le panorama dressé par Y. Labaune, M. Kasprzyk avec des collaborateurs sur la naissance de la ville augustéenne d’Augustodunum actualise, grâce aux fouilles et recherches récentes la connaissance des motifs topographiques, de la structuration de l’espace – la trame urbaine orthonormée, l’enceinte, la parure monumentale – et confirme la proposition d’A. Rebourg d’une occupation gauloise originelle à l’emplacement du complexe périurbain de La Genetoye. Les auteurs restent prudents au regard des nombreuses lacunes encore dans la documentation, ponctuelle. Mais il semble bien que le choix d’installer là la capitale de la cité ait tenu compte de cette implantation. L’article est méthodologiquement jumeau du précédent en ce qu’il montre une nouvelle fois combien est stimulante la conjonction des spécialités, archéologiques, historique, épigraphique.

 

        En miroir ou en négatif photographique, l’article de L. Borau sur la gestion de l’eau dans les agglomérations des Éduens autres que le chef-lieu met en évidence les différences entre la capitale et la treizaine d’agglomérations du territoire. Ici les équipements hydrauliques sont beaucoup plus modestes que dans la capitale : l’alimentation est principalement assurée par des puits. Les rares équipements construits consistent en quelques tuyaux et canalisations variées. La seule gestion, observée dans la moitié des sites, consiste en la récupération des eaux de ruissellement avec des caniveaux. Il n’y a ni fontaine, ni bassin collectif. Il n’y avait probablement pas sinon de gestion de l’eau publique dans ces agglomérations du moins d’actions évergétiques en faveur d’une telle organisation qui étaient concentrées dans la capitale, lieu de concentration du pouvoir et de ses représentations.

 

        À l’opposé chronologique de l’étude qui portait sur le décor des maisons de Bibracte, celle de M. Kasprzyk, T. Inacio, sur l’établissement rural aristocratique de l’Antiquité tardive de Migennes, chez les Sénons, en limite sud-est de cette cité, illustre la permanence de la richesse décorative dans une maison exceptionnelle par sa taille : une des pièces, vraisemblablement une salle de réception, fait près de 235 m2, superficie qui ne se rencontre guère ailleurs que dans la villa de Chiragan, à Martres-Tolosanes. Le réexamen de la documentation du site bien connu et fouillé dans les décennies 1970 et 1990, la mise en série et les comparaisons mises à jour à l’occasion de la reprise du dossier permettent d’affiner les conclusions. Peut ainsi être proposée l’affirmation d’un « lien fort du propriétaire ou des occupants avec l’administration impériale : fibule cruciforme, umbo et éperon » et inscription fragmentaire en l’honneur de Constantin (AE, 1983, 701).

 

        Isolé dans l’économie géographique générale de l’ouvrage, puisqu’il concerne la cité des Parisii, l’article de M. Andrieu et E. du Bouëtiez de Kerorguen est exemplaire méthodologiquement en prenant appui sur un seul objet inscrit, en l’occurrence une amphore orientale de type Agora M281 couverte de graffites, trouvée soigneusement découpée dans le comblement inférieur d’un puits constitué de déchets domestiques ordinaires (vases en céramique, en verre, en bronze ; aiguilles et jetons en os ; monnaies) datés de la seconde moitié du IIe ou du IIIe siècle apr. J.-C. dans le jardin du Luxembourg qui correspond à un quartier résidentiel situé à l’ouest-sud-ouest de la ville antique, entre le forum, à l’est, et les limites de la ville, à l’ouest. Descriptions précises, mises en contexte à des échelles différentes, mise en relation des faits et indices archéologiques et des graffites, analyse progressive et détaillée fondent les hypothèses de l’interprétation et les conclusions de façon convaincante et permettent d’entrer dans l’histoire comme on entre dans une bonne photographie. Les mots et signes tracés sur l’amphore (nature du produit : passum ; poids et mesures ; motif d’un tridents et lettres ; peut-être un chrisme et surtout un nom propre : Dionisanus) racontent une histoire : celle d’une amphore qui a contenu du vin, probablement un passum importé d’Orient, peut-être d’Éphèse, un vin exotique de luxe, ce qui pourrait expliquer la marque d’appartenance au nominatif et a connu ensuite un autre usage, celui de réceptacle funéraire en forme de coquille après avoir été soigneusement découpée.

 

        À ces articles qui déclinent l’archéologie comme l’entrée dans la terre s’ajoutent trois contributions qui la déclinent comme entrée en matière distanciée. En présentant les ouvrages et les archives Pierre Wuilleumier récemment donnés à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, V. Faure et Dj. Fellague montrent la richesse et l’intérêt des archives, quelles qu’elles soient, et de leur conservation pour préserver l’avenir de la recherche, un thème et une réflexion qui ont récemment été ceux du 145e congrès du CTHS[1]. Il est toujours possible d’examiner à nouveaux frais des documents anciens ou de les éclairer d’un nouveau jour par des découvertes plus récentes. C’est dans une certaine mesure les questions que pose A. Desbat à propos d’éléments d’une statue en bronze découverts à Lyon en 1847. L’a. livre le panorama des artefacts et écrits relatifs à une statue colossale élevée sur la rive droite de la Saône et qui existait déjà au XVIe s. pour éclairer les vestiges antiques. Les allers et retours entre les époques sont une pratique nécessaire en histoire et en archéologie. La dernière contribution, d’A. Louis, consiste en un album de restitutions ou d’évocations architecturales antiques de monuments et de sites de la Gaule Lyonnaise (deux de ses restitutions illustrent la première et la quatrième de couverture). Précédées de la présentation expliquée et dessinée de la méthode de restitution (règle et compas…), les quinze planches complètent harmonieusement le volume. Il s’agit bien avec cette contribution en images de réflexion, de mise à distance. Pas plus que les mots elles ne déforment mais forment.

 

        Les articles sont écrits dans un style fluide sans jargon même s’il est parfois difficile de suivre certains raisonnements ou d’en être convaincu en raison d’expressions ou de constructions approximatives qui obscurcissent  d’un paragraphe à un autre ou de formulations qui ne permettent pas de comparer. Que faut-il retenir de la part de la sigillée à Chartres entre la p. 13 – 1,6% – et la p. 21 – 8% ? Que faut-il comprendre par « prioritaire » à propos de la crémation, p. 23 ? Que faut-il comprendre dans les conclusions p. 70 et de la comparaison entre Troyes et Autun : « C’est donc un acte prémédité qui dans la nécropole de Troyes ne semble pas revêtir – loin s’en faut – de caractère impératif » ? « À Autun, la récupération volontaire de résidus brûlés de mobilier est soulignée ; elle ne semble répondre à aucune sélection (…). À Troyes, les ossuaires pourraient faussement donner une image similaire : en effet, l’ossuaire n’est pas anticipé (…) alors que les officiants ont ici (sic ?) pris soin de n’extraire (…) que les restes osseux et de trier (…). » L’ouvrage est bien édité avec des illustrations de qualité et est très agréable à lire. C’est un bel hommage.

 

[1] 145e congrès du CTHS, Nantes, 4-7 mai 2021, Collecter, collectionner, conserver, dont une session était intitulée « Les archives de fouille : quel avenir ? »


 

 

Table des matières

 

P. Denat-Simon, J. Simon, La sigillée italique de Chartres. Bilan de quatorze années de fouilles archéologiques préventives, p. 13-22.

 

A. Ahü-Delor, Crémation et mobilier céramique : au sujet des pratiques funéraires à Troyes et Autun à l’époque augustéenne, p. 23-73.

 

N. Delferrière, P. Nouvel, La vie privée des Éduens : le décor de l’habitat urbain de la seconde moitié du Ier s. av. à la fin du Ier s. de n.-è., p. 75-99.

 

Y. Labaune, M. Kasprzyk, avec la collab. de St. Alix, A. Delor-Ahü, A. Hostein, S. Mouton-Venault, P. Nouvel, St. Venault, Autun, naissance d’une ville augustéenne, p. 101-119.

 

L. Borau, Une gestion de l’eau dans les agglomérations antiques de la cité des Éduens ?, p. 121-140.

 

A. Desbat, Le colosse de Lugdunum : Mercure ou génie de Lyon ?, p. 141-145.

 

V. Faure, Dj. Fellague, Les ouvrages et les archives Pierre Wuilleumier à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (Lyon), p. 147-150.

 

M. Andrieu, E. du Bouëtiez de Kerorguen, Une découverte exceptionnelle ! Ce que révèlent une amphore et les graffites mis au jour au Sénat (Jardin du Luxembourg, Paris), p. 151-167.

 

M. Kasprzyk, T. Inacio, L’établissement rural aristocratique de l’Antiquité tardive « dessous la Côte Mitière » à Migennes (Yonne) : les fouilles de Jean-Louis Tainturier, p. 169-204.

 

A. Louis, Quelques images du temps qui passe… Évocation de sites de la province de Lyonnaise, p. 205-222.