| AA.VV.: (Koukouli-Chryssanthaki, Haïdo - Treuil, René - Lespez, Laurent - Malamidou, Dimitra),
Dikili Tash, village préhistorique de Macédoine orientale. Recherches franco-helléniques dirigées par la société archéologique d’Athènes et l’École française d’Athènes (1986-2001), 21x28 cm, 416 p. ill. n/b et coul.
ISBN 978-2-86958-231-5 (EfA, Recherches franco-helléniques), ISBN 978-960-8145-68-9 (Bibliothèque de la Société archéologique d’Athènes, 254). 80 euros (Ecole française d’Athènes, Athènes 2008)
| Compte rendu par Matthieu Ghilardi, Centre Franco-Egyptien d’Etude des Temples de Karnak (CNRS) Nombre de mots : 1969 mots Publié en ligne le 2008-11-15 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=437 Lien pour commander ce livre Cet ouvrage est une synthèse des programmes de recherches
archéologiques et d’étude de géographie-géomorphologie entreprises
autour du site de Dikili Tash, et de la plaine de Drama qui l’entoure.
Le lecteur ne doit pas se fier au titre (trop restrictif à notre avis)
qui semble concentrer l’ensemble des résultats sur ce village
préhistorique de Macédoine orientale. Il s’agit pour l’essentiel (2e
partie) de la publication du volume de thèse de Laurent Lespez (maître
de conférences à l’Université de Caen-Basse Normandie) qu’il présenta
en 1999 pour l’obtention du grade de docteur (Lespez, 1999). Après la
publication de la thèse d’Eric Fouache (Fouache, 1999), par l’Ecole
française d’Athènes, celle de Laurent Lespez constitue seulement le
second travail publié en français traitant de géoarchéologie au cours
de ces vingt dernières années. Les travaux récemment réalisés en Grèce
dans le cadre de thèses pluridisciplinaires de
géographie-géomorphologie (Desruelles, 2004 ; Ghilardi, 2007),
attendent d’être diffusés plus largement auprès des communautés
scientifiques (relevant des sciences humaines et sociales ainsi que des
géosciences) et du grand public. Quoi qu’il en soit, nous sommes
heureux de pouvoir lire l’ouvrage de Laurent Lespez, sur bien des
points exemplaire, tant sur le fond que sur la forme. Le travail
réalisé apporte clairement des réponses aux archéologues et aux
historiens soucieux de connaître les conditions paléoenvironnementales
d’évolution des sociétés humaines dans la plaine de Drama, ainsi qu’aux
géomorphologues désireux de voir les théories fondatrices en débat
(Vinta-Finzi, 1969). Les récents travaux portant sur l’évolution
quartenaire (holocène essentiellement) des paysages en Grèce sont
utilement complétés (Fouache, 1999).
La publication de la thèse de Laurent Lespez intervient après une
large diffusion de ses résultats dans des revues internationales à
comité de lecture (Lespez, 2003). La reconnaissance scientifique de ses
travaux n’est donc plus à établir et les apports majeurs dans la
compréhension des paléodynamiques continentales en contexte balkanique
ont déjà été largement prouvés et adoptés par les différentes
communautés scientifiques. Le délai écoulé entre la soutenance de la
thèse et la publication est de presque dix ans et rappelle qu’au sein
des sciences et humaines et sociales, les rythmes de publication des
résultats diffèrent sensiblement selon la spécialité. En
géomorphologie, où les connexions avec les géosciences sont
importantes, les résultats se publient plus rapidement : c’est
pour cette raison que la publication de la thèse de Laurent Lespez est
intervenue dans un contexte où l’ensemble de ses résultats a été
largement diffusé par ailleurs (en langues anglaise et française). La
notion de temps est donc très relative selon les disciplines…
L’ouvrage, publié dans la collection de la Bibliothèque de la
Société d’Archéologie d’Athènes (n° 254), se décompose en trois
parties :
- la première (pp. 1 à 19) présente le
programme de recherches archéologiques et pluri-disciplinaires. Haïdô
Koukouli-Chryssanthaki et René Treuil (ancien membre de l’Ecole
française d’Athènes), responsables des études du site de Dikili Tash,
présentent successivement les contextes scientifiques de recherches
antérieures et le programme mené entre 1986 et 2001. Les préoccupations
archéologiques ont très vite été dépassées par la volonté de connaître
le contexte paléoenvironnemental d’évolution des sociétés humaines dans
la plaine de Drama.
- La deuxième partie (pp. 21 à 394), qui
constitue l’apport essentiel de l’ouvrage, repose sur l’étude des
conditions paléoenvironnementales de la plaine de Philippes-Drama. Le
travail réalisé par Laurent Lespez au cours de ses années de thèse est
ici synthétisé en trois sous-parties. La présentation successive des
objectifs, des méthodes qui justifient le plan adopté, des résultats,
des interprétations et des conclusions permet de juger de l’excellente
qualité du travail accompli par le géomorphologue soucieux d’apporter
de nouvelles avancées dans son champ disciplinaire. La volonté de
faciliter l’accès aux résultats obtenus est rendue possible par le
choix d’une approche « géoarchéologique », qui se veut
volontairement pluridisciplinaire.
- La troisième partie (pp. 395 à 416) donne un
recueil des cartes archéologiques de la plaine de Philippes-Drama et de
ses bordures I et II. De nouveau, la clarté des documents est
exemplaire et la réalisation de belle facture.
La présentation de l’ouvrage est très claire, bien aérée et les
illustrations remarquables pour leur compréhension, même pour le
non-spécialiste de géomorphologie ou d’études paléoenvironnementales.
Il aurait été plus agréable d’avoir davantage de figures en couleurs,
mais les coûts supplémentaires ont dû probablement en limiter le
nombre ; cela ne nuit en aucun cas à leur lisibilité. On relève
également quelques légers problèmes lors de l’impression des figures,
comme celui rencontré à la page 171 (figure 36), où les numéros
figurant sous l’image satellitaire ne se reportent à aucun des blocs de
couleur dans la légende. Il s’agit sûrement d’un problème lié au
format d’impression. Le lecteur pourra aisément passer sur cette erreur
et la compréhension de la figure apparaît aisée, même pour le
non-spécialiste. Il existe également quelques oublis d’informations sur
certains documents géographiques : la figure 12 (p. 80) ne
comprend ni échelle, ni nord géographique, ni coordonnées spatiales
(latitude et longitude), de sorte que le néophyte ne saura pas
forcément quelle est l’échelle spatiale de travail. De même, on aurait
aimé avoir plus de renseignements pour l’élaboration du modèle
numérique de terrain de la figure 79 (p. 324) : aucun
renseignement sur le fonds topographique utilisé, ni sur la méthode de
création du M.N.T., n’est fourni. De plus les courbes de niveau
interprétées ne possèdent aucune information altimétrique.
Pour que le compte rendu soit en relation avec le contenu de
l’ouvrage et avec la spécialité de l’auteur du présent article, il nous
est apparu surtout important d’insister sur la deuxième partie traitant
essentiellement de géomorphologie quaternaire. Il est donc logique
qu’une attention particulière lui soit apportée, et il convient
désormais de présenter brièvement et d’analyser l’essentiel des
informations contenues dans chacune des trois sous-parties :
Tout d’abord, l’introduction rappelle de manière très explicite les
objectifs de la recherche ainsi que les méthodes d’analyse pour tenter
de répondre aux différentes problématiques posées. Dans un style concis
et précis, l’auteur fait en premier lieu un bilan des différents
travaux réalisés sur la morphogenèse holocène en contexte balkanique et
met ainsi en évidence sa volonté d’étudier l’évolution des paysages
dans la plaine de Drama, (et a fortiori, dans le secteur de Dikili
Tash), dans un contexte scientifique plus large. Les travaux de
référence (Vinta-Finzi, 1969 ; Fouache, 1999) sont ainsi cités et
l’intention de comprendre les rythmes de l’alluvionnement et de
l’incision sur les versants est placée au centre de l’étude.
Les méthodes privilégiées reposent sur une approche
« géoarchéologique » et se fondent sur une étude de
géographie historique (étude des récits d’auteurs anciens et analyse
critique des supports cartographiques) associée à une étude
paléoenvironnementale complète et largement adoptée par la communauté
des géosciences et des sciences humaines et sociales. Un important
travail de terrain, fondé sur la réalisation de sondages à la tarière à
main et au carottier, ainsi que sur l’observation et la description de
coupes naturelles, a permis de réaliser de nombreuses analyses sur les
sédiments prélevés. Des analyses de sédimentologie, des marqueurs
biologiques, de palynologie et de datation par le radiocarbone ont été
effectuées. L’interprétation spatiale des données acquises
ponctuellement (sondages) a ensuite été facilitée par le traitement
d’images satellitaires (LANDSAT) et l’utilisation de supports
cartographiques classiques, ainsi que par des photographies aériennes.
Les méthodes ainsi présentées permettent de constater que
l’approche géoarchéologique repose sur des études de géographie
historique et d’analyse paléoenvironnementale des paysages. Cela permet
ensuite, grâce à l’utilisation de supports numériques et
cartographiques, d’interpréter spatialement les résultats acquis
en laboratoire. A ce titre, le travail de Laurent Lespez va de pair
avec celui réalisé par Eric Fouache (1999) sur la côte occidentale de
la Grèce et tous deux doivent être considérés comme des travaux
fondateurs, en Grèce, de l’approche « géoarchéologique
moderne ». Ils ont permis à une nouvelle génération de chercheurs
de développer de récentes recherches dans la péninsule balkanique
(Coussot, 2007 ; Ghilardi, 2007) et sur le pourtour du bassin
méditerranéen (Devillers, 2005).
La première sous-partie est une présentation
générale du secteur d’étude et permet de mieux faire connaissance avec
le cadre physique de la plaine de Drama, laquelle se révèle être un
« bassin intramontagnard dans le sud du Rhodope ». Les
contextes topographique, géologique, néotectonique, géomorphologique et
bioclimatique sont tour à tour exposés et s’appuient sur des
illustrations d’une remarquable précision et d’une grande facilité de
compréhension. Même si le lecteur semble bien éloigné du site de Dikili
Tash en lisant ces quatre-vingt-quatre pages qui constituent la
première sous-partie, le changement d’échelle géographique se justifie
par la nécessité de replacer le village préhistorique dans un contexte
d’étude plus général et plus large. Le travail réalisé au cours de
cette première sous-partie couvre l’ensemble des données géographiques
nécessaires à la mise en place du cadre de l’étude. Les données
néotectoniques et les rythmes quaternaires d’incision des cours d’eau
sont transmises au lecteur de manière très méticuleuse et l’on comprend
dès lors l’intérêt majeur de la thèse de l’auteur.
La deuxième sous-partie traite des rythmes de
la morphogenèse holocène. L’auteur présente le façonnement pléistocène
(première partie du Quaternaire) des paysages de la plaine de
Drama et insiste en particulier sur la période post-glaciaire.
Plusieurs cours d’eau dont le Xéropotamos, la rivière de Drama et
l’Angitis, sont étudiés : l’étude fine de plusieurs coupes
stratigraphiques ainsi que les analyses sédimentologiques et
géochimiques effectuées sur les sédiments permettent de reconstituer
fidèlement les différentes phases d’alluvionnement et d’incision.
Enfin, la troisième sous-partie traite de
l’évolution des paysages depuis le Néolithique et de l’utilisation par
les sociétés humaines de leur environnement et de ses conséquences
géomorphologiques. Il est question des conséquences de la mise en
valeur des versants par les populations sur les dynamiques
hydrosédimentaires. Trois grandes phases d’aménagement des pentes des
vallées ont contribué à modifier les paysages : au Néolithique-Âge
du Bronze, à l’époque romaine-paléochrétienne et pendant les périodes
byzantine et ottomane. Le travail réalisé n’est pas exclusivement
géomorphologique et prend en compte les facteurs humains d’évolution
des sociétés (changement du parcellaire, types de cultures pratiquées,
etc.) pour expliquer les modifications de l’alluvionnement et des
rythmes de l’incision. La figure 87 (p. 382) est remarquable de
compréhension pour le spécialiste comme pour le néophyte : huit
blocs diagrammes couvrant une période qui s’étend depuis le début de
l’Holocène (-10 000) jusqu’à l’époque actuelle permettent de
retracer les phases majeures des changements agricoles et de
l’aménagement des terroirs. Les déforestations importantes intervenues
au Néolithique et à l’époque ottomane sont parfaitement illustrées.
Il est inutile de rappeler les apports scientifiques majeurs de cet
ouvrage pour la compréhension des relations entre les sociétés
humaines, et les conséquences de leurs aménagements sur la morphogenèse
holocène. L’Homme est donc en partie responsable des grandes phases
d’alluvionnement et des cours d’eau, mais les variations climatiques au
cours de l’Holocène ont également un rôle non négligeable dans la
modification hydromorphologique des fleuves et rivières. Les relations
amont-aval, comme nous le rappelle avec pertinence Laurent Lespez,
doivent être appréhendées et maîtrisées. On ne peut étudier de manière
indépendante les fluctuations climatiques et les aménagements d’origine
anthropique, et leurs conséquences sur la dynamique sédimentaire des
versants et des cours d’eau. Parfois, le texte semble s’orienter sur la
quasi-exclusivité des processus morphologiques engendrés par les
activités humaines, pour expliquer les différentes phases
d’alluvionnement et d’incision.
Plan :
I. Haïdô Koukouli-Chryssanthaki et René Treuil, Le programme de recherches, pp. 1 à 19
II. Laurent Lespez, L’évolution des paysages du Néolithique à la
période ottomane dans la plaine de Philippes-Drama, pp. 21 à 394
1) Un bassin intramontagnard dans le sud du Rhodope, pp. 71 à 155
2) Rythmes de la morphogenèse holocène, pp. 157 à 244
3) L’évolution des paysages depuis le
Néolithique, l’utilisation par les sociétés humaines de leur
environnement et ses conséquences géomorphologiques, pp. 245 à 377
III. Haïdô Koukouli-Chryssanthaki, Dimitria Malamidou et Laurent
Lespez, Cartes archéologiques de la plaine de Philippes-Drama et de ses
bordures I et II, pp. 395 à 416
Références bibliographiques citées dans le texte :
COUSSOT C., 2007. Evolution géomorphologique et
paléogéographique du bassin de Skopje (A.R.Y.M.) à l’Holocène.
Incidences sur l’implantation néolithique. Thèse de Doctorat, Paris 12 Val de Marne.
DESRUELLES S., 2004. L’eau dans l’ensemble insulaire cristallin
méditerranéen Mykonos-Délos-Rhénée (Cyclades, Grèce) et sa gestion dans
la ville antique de Délos. Thèse de Doctorat, Paris 4 Sorbonne, 457 p.
DEVILLERS, B., 2005. Morphogenèse et anthropisation holocènes d’un bassin versant semi-aride : Le Gialias, Chypre. Thèse de doctorat, Aix Marseille 1, 2 vol., 416 p.
FOUACHE E., 1999. L’Alluvionnement historique en Grèce occidentale et au Péloponnèse: géomorphologie, archéologie et histoire. BCH Supplément 35, Editions De Boccard, 235 p. (thèse soutenue en 1994)
GHILARDI M., 2007. Dynamiques spatiales et reconstitutions paléogéographiques de la plaine de Thessalonique (Grèce) à l’Holocène récent. Thèse de Doctorat, Paris 12 Val de Marne, 475 p.
LESPEZ L., 1999. L’évolution des modelés et des paysages de la
plaine de Drama et de ses bordures au cours de l’Holocène (Macédoine
orientale, Grèce). Thèse de doctorat, Lille thèses, 539 p.
LESPEZ L., 2003. Geomorphic responses to long-term land use changes in Eastern Macedonia (Greece). Catena, 51, 3-4, 181-208.
VINTA-FINZI C., 1969. The Mediterranean Valleys. Geological Changes in Historical Times. Cambridge, 169 p.
|