Borjon, Michel (dir.): Bordeaux, Port de la Lune, Patrimoine Mondial, 28x23 cm, ISBN : 978-2-909351-90-2, 28 euros
(Ardea, Paris / Mollat, Bordeaux 2008)
 
Recensione di Aurélien Davrius, École pratique des Hautes Études (Paris)
 
Numero di parole: 1506 parole
Pubblicato on line il 2009-12-07
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=444
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Michel Borjon, directeur du bureau d’études GRAHAL, présente dans cet ouvrage collectif le patrimoine bordelais. La parution du présent volume fait suite au classement par l’UNESCO le 28 juin 2007 du centre historique de Bordeaux, et notamment de son port. Le maire de Bordeaux, Alain Juppé, a écrit la plus longue des trois préfaces (p. 5-10).
Le livre, qui fait l’éloge de la cité girondine, retrace dans un premier chapitre (p. 20-52) son histoire, de l’Antiquité à nos jours. Cette partie, très brève, aborde de manière rapide, à usage du grand public, les dates importantes de la cité. De la création de Bordeaux, alors nommée Burdigala, au IIIe siècle avant notre ère par les Bituriges Vivisques, les auteurs passent à sa domination romaine, période où Burdigala commença son développement urbain autour de son port. L’arrivée des premiers chrétiens, vers la fin du IIe siècle, a laissé des traces archéologiques. Le passage des Vandales puis des Wisigoths est suivi par l’installation des Francs, et le triomphe durable du royaume carolingien. Mais le raid normand de 848 y met un terme, et Bordeaux devient alors la tête d’un puissant duché, allié à la Gascogne. En 1154, deux ans après son union avec l’ancienne reine de France Aliénor d’Aquitaine, le duc Henri Plantagenêt accède à la couronne d’Angleterre. Pour trois siècles, l’histoire de Bordeaux est liée à celle du puissant royaume d’Angleterre. Le principal événement de cette période fut la guerre de Cent Ans, avant le retour de Bordeaux dans le royaume de France en 1451. La période successive se montra plus glorieuse pour la ville. Bordeaux participe à la renaissance humaniste en particulier par la création du collège de Guyenne sous l’impulsion de Jean de Tartas. Montaigne y fut l’élève de Marc Antoine Muret. Une autre époque faste fut celle des Lumières. Les protestants sont tolérés à Bordeaux, et la communauté juive bien intégrée. Sous les empires, les monarchies et les républiques du XIXe siècle, Bordeaux continue à prospérer, grâce à son port. La ville devient même un temps capitale provisoire de la France après la défaite de 1870. La chose se répète au début de la Première Guerre mondiale, période où son port approvisionne le pays, car à l’abri de la marine ennemie. Le chapitre se conclut avec l’ère Chaban-Delmas, maire de 1947 à 1995.
Le second chapitre (p. 53-60), consacré au vin, souligne la source de richesse qui permit l’essor du port. Le XVIIIe siècle inaugura la renommée des grands crus de la région. Nous pouvons regretter le caractère sommaire de cette partie consacrée à un sujet aussi important pour Bordeaux.
Un troisième chapitre (p. 61-80) traite plus spécifiquement du port et de ses activités. Le port médiéval et ses constructions navales, s’agrandit aux XVIe et XVIIe siècles, on passe ensuite à la longue crise du XIXe siècle et on conclut par la modernisation contemporaine. Un vaste réseau commercial, avec les colonies, les États-Unis, le Canada, la Chine ou l’Orient, contribua à cet essor. Aujourd’hui, Bordeaux est le sixième port de France.
Le quatrième chapitre (p. 81-166), le plus long du livre, est consacré à l’évolution urbaine de la ville. Partant de la Burdigala antique, l’ouvrage passe en revue les monuments les plus caractéristiques pour chaque époque marquante de l’histoire bordelaise. Les textes, trop brefs, ne donnent que des renseignements sommaires sur les édifices. Pour le XVIIIe siècle, l’ouvrage met naturellement l’accent sur l’œuvre architecturale et urbaine des Gabriel. La place royale commencée en 1730 reste aujourd’hui encore un des fleurons du patrimoine de la ville. Seules les façades étaient construites à l’origine, supportées par des étais. Charge à la municipalité de construire les corps de bâtiment. La statue de Louis XV qui est installée sur la place, œuvre des Lemoyne père et fils, est considérée comme ayant été le plus beau groupe équestre du XVIIIe siècle. L’ouvrage n’en propose même pas une reproduction ! Sont évoqués l’hôtel des Fermes, l’hôtel de la Bourse, le pavillon central et la fontaine Saint-Projet. L’œuvre urbanistique de l’intendant Tourny est également exposée, ainsi que les travaux de Victor Louis : le Grand-Théâtre, l’îlot Louis, la place de la Comédie, l’îlot Bonnaffé ou encore la maison Gobineau. Outre ces grands chantiers, Bordeaux connaît d’importants travaux vers la fin du siècle, avec notamment le Palais-Rohan, ancienne résidence de l’archevêque aujourd’hui hôtel de ville, mais aussi de nombreux hôtels particuliers. Le XIXe siècle verra quant à lui la disparition des anciennes fortifications et forteresses, permettant ainsi une circulation plus aisée entre la ville et ses faubourgs. Fait le plus marquant, la destruction de l’ancien château Trompette pour créer la place des Quinconces entre 1818 et 1828, plus vaste place d’Europe avec ses douze hectares. Devant un hémicycle, l’esplanade est une terrasse qui rattrape progressivement la pente du terrain, surplombant le quai vers lequel on descend par des escaliers monumentaux. Des allées, promenades plantées d’arbres, s’étendent de chaque côté en léger contrebas. Rues et lotissements se répartissent en trois secteurs. Le premier, à l’arrière de l’hémicycle, a des rues en éventail. Les deux autres, de part et d’autre des allées, forment des rues qui se coupent à angle droit. Les colonnes rostrales, édifiées par Pierre-Alexandre Poitevin en 1828, à l’extrémité orientale de la place, passent pour le signe avant-coureur de l’épuisement du style néoclassique à Bordeaux, alors que, pour d’autres, aucun monument bordelais ne se réfère de manière aussi directe à l’Antiquité classique. Sous la IIe République et le Second Empire, Bordeaux est l’objet d’importants travaux d’urbanisme et s’étend vers le sud, en direction de la gare Saint-Jean. Après 1870, on constate un ralentissement des travaux, qui ne consistent plus qu’en l’achèvement des projets déjà en cours. Les constructions de l’entre-deux guerres se caractérisent par une tradition à l’âge d’or bordelais, comme le montre le pastiche dix-huitièmiste de la Bourse maritime, reproduction presque fidèle du pavillon central de la bourse. Le maire, Adrien Marquet, fait preuve d’une volonté de préserver le patrimoine du XVIIIe siècle, alors qu’il mène une politique ambitieuse de modernisation de la ville : réfection des égouts, macadamisage des rues et des trottoirs, rénovation de l’éclairage public, transformation en promenades des terrasses des hangars maritimes situés de part et d’autre des Quinconces, construction de nouveaux abattoirs, de piscines municipales, du stade selon une solution architecturale hardie pour l’époque, de la Bourse du travail… La Seconde Guerre mondiale vient interrompre ce cycle de constructions. La période qui s’étend de 1945 à 1970 est marquée par l’essor de la construction à usage d’habitation et par le remodelage des grandes infrastructures. Le mouvement classique reste fortement ancré dans les traditions bordelaises puisqu’en 1953 l’architecte Roger Mothe édifie, avec l’immeuble de la Caisse régionale de Sécurité sociale, situé cours Saint-Louis, une œuvre qui ne fait aucune concession au modernisme. Son auteur renoue avec la tradition locale, allant jusqu’à utiliser la pierre comme matériau.
Enfin, le cinquième et dernier chapitre (p. 167-177) est dédié plus en détail au quartier consacré par l’UNESCO, la zone du port. L’ouvrage explique que l’inscription de Bordeaux-port de la Lune a été proposée au patrimoine mondial au titre des « ensembles ». En effet, le centre historique bordelais appartient aux « groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science ». Pour la constitution du dossier, les auteurs insistèrent également sur la comparaison entre Bordeaux et d’autres villes déjà inscrites, telles Florence, Saint-Pétersbourg, Nancy, Edimbourg, Naples, Sienne, Porto, Salzbourg, Riga, Tallin, Lyon, Urbino, Bruges, Aranjuez, Liverpool ou encore Le Havre.
En guise de conclusion (p. 179-202), Alain Juppé signe un texte où il retrace la politique qu’il a suivie en matière culturelle. On voit bien que cet ouvrage constitue une commande de la municipalité de Bordeaux. La mention de différents collaborateurs n’apparaît que dans la page de titre. L’ouvrage se clôt par une brève bibliographie sur Bordeaux et par une table des matières (p. 203-205).

Il faut regretter la pauvreté de cet ouvrage. Bien qu’il ne soit en rien scientifique, il aurait pu offrir plus d’informations au lecteur, qui ne trouve qu’un travail de vulgarisation destiné à promouvoir le patrimoine bordelais. À trop grands traits, il survole les bâtiments et l’histoire de la ville. Le texte, court, est illustré par de nombreuses illustrations qui manquent parfois de pertinence, et sont le plus souvent orphelines de légendes (excepté pour les reproductions de tableaux, il faut chercher les légendes des photos à la dernière page). La part, importante, réservée aux autorités locales et intervenants culturels de la ville peut laisser rêveur, car l’aspect politique se mélange alors trop avec l’aspect culturel. On peut également regretter que les auteurs n’aient guère traité leur sujet, le port de la Lune, et les raisons de son inscription sur la liste convoitée de l’UNESCO. Panégyrique de la cité, le livre rassemble une succession de notices, quelque peu décousues et superficielles, sur le patrimoine et l’histoire de Bordeaux. La superficialité des textes ne permet pas au lecteur une perception précise des lieux et du contexte historique. La mise en page des illustrations est originale : trop souvent, le maquettiste a décidé de les couper de part et d’autre de la feuille. Pour regarder une photo dans son entier, le lecteur voit d’abord, par exemple, un petit morceau de celle-ci sur la page de droite, puis le reste sur le verso de la même page, qu’il doit tourner ! Ce curieux procédé, destiné sans doute à un « habillage » original de l’ouvrage, lasse au final les yeux et brouille l’esprit plus qu’autre chose. On aurait pu profiter de cette publication publicitaire pour servir avec plus de soin la curiosité du public. On attend encore un ouvrage plus scientifique et plus complet sur le dossier, ouvrage que le public (même le « grand public ») est en droit d’attendre.