Poccardi, Grégoire – Sanidas, Giorgos M. (dir.) : Le feu dans la cité antique. Usages, risques, réglementations, (Collection Archaiologia), 140 p., ISBN : 978-2-7574-3367-6, 18 €
(Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq 2021)
 
Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université Grenoble-Alpes
 
Nombre de mots : 1616 mots
Publié en ligne le 2024-09-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4491
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       Fruit de deux journées d’étude tenues à l’université de Lille en 2013 et 2014 dans le cadre de projets de recherche du centre HALMA UMR 8164 autour des villes et des espaces du monde gréco-romain, auxquelles participèrent des archéologues et des historiens, cet ouvrage collectif très bien édité est organisé autour de trois thèmes : « Cadre civique et religion » (deux articles) ; « Risques, destructions » (quatre articles) ; « Économie » (deux articles). On y circule dans le monde méditerranéen grec et impérial romain sous le prisme des sources textuelles, littéraires et épigraphiques, et des sources archéologiques. Les articles sont tantôt généraux, tantôt ponctuels, études de cas résultant de fouilles ou de l’analyse d’un type particulier de source. Le point commun et fil conducteur, le feu, y est donc traité de façons très diverses, ce qui nécessite de commencer par une présentation contribution par contribution avant de conclure en renvoyant aux nombreuses et riches observations que les éditeurs ont faites dans leur introduction (p. 11-13) et en fin de volume (p. 133-137). Chaque contribution comporte une bibliographie. La plupart sont illustrées de photographies lisibles, en noir et blanc ou en couleurs.

 

       Après une brève introduction, le livre s’ouvre par l’article de mise en perspective d’un aspect du thème que G. M. Sanidas consacre au feu dans les villes grecques et à l’attitude que les cités ont eue face à cette question. Il n’y a que très peu d’attestations de l’intervention des cités dans les questions relatives à l’utilisation, aux usages, aux précautions à prendre autour du feu, alors même qu’il est présent partout dans les villes non seulement pour les usages privés domestiques (les fours, fournils et autres structures de cuisson) mais aussi pour les usages artisanaux ou dans le cadre de la religion ou des grands travaux liés à l’urbanisme. Les quelques rares textes parvenus à nous sont des lois ou des règlements sur la protection des sanctuaires contre les risques d’incendie liés à l’usage du feu allumé pour les rites et cérémonies religieuses. Et paradoxalement, alors que les cités, à l’occasion de chantiers de construction, par exemple à Athènes la réorganisation et la construction de l’Acropole entre les deux guerres médiques, ou les chantiers de bronziers pour la fabrication de statues, ont été les plus utilisatrices et consommatrices de feu, aucune source ne témoigne de mesures de précaution ou de réparation.

 

       La contribution de K. Chryssanthaki-Nagle présente plutôt la dimension cathartique ou symbolique dans le monde grec en portant sur le feu dans les cérémonies religieuses, cultes à mystère compris, et les rituels de sacrifice. Qu’il s’agisse de l’espace sacré, public, de l’espace domestique, ou de circonstances publiques ou privées comme les funérailles, le feu est nécessaire réellement ou symboliquement avec les lampes à huile placées dans la tombe, qui « reproduit la maison que le défunt quitte » (p. 39).

 

       Avec l’article de Roland Étienne, sur Délos, s’ouvre la deuxième partie, consacrée aux risques et destructions, c’est-à-dire aux incendies, à leurs origines, circonstances et conséquences. Sous un titre bref et évocateur, « Délos : au feu ! », R. Étienne étudie la « mise en évidence, lors de fouilles, de traces d’incendies » (p. 45) et la possibilité d’interpréter, dans deux inscriptions, des morts par le feu. L’auteur rappelle, à la suite d’autres, que les traces de cendre peuvent certes révéler un incendie mais non en elles-mêmes les circonstances, la durée, l’ampleur et les conséquences de l’événement. L’état du mobilier qui a subi le feu et d’autres vestiges peuvent parfois être mis en relation pour essayer de comprendre par exemple si les habitants auraient pu ou non mettre à l’abri des biens, s’enfuir etc. La présence de squelettes, comme dans l’exemple des trois qui ont été retrouvés broyés dans l’habitation VII de l’îlot des bronzes, n’est pas toujours suffisante pour expliquer les causes de la mort. Comme le montre le second type de sources convoquées par l’a., les inscriptions, funéraires ou non, en l’absence de squelettes et de vocabulaire descriptif dans le texte gravé lui-même ne disent rien sur les circonstances de la mort. Seules les hypothèses qui sont fondées sur la datation relative du monument gravé, par des critères internes ou externes, des comparaisons textuelles et archéologiques, rendent possibles des hypothèses. Et il faut éviter de trop prêter à des événements connus par ailleurs : en l’occurrence pour Délos ceux de 88 ou de 69 av. J.-C.

 

       Les deux articles suivants, respectivement de G. Poccardi à propos de quelques incendies dans les bains romains (p. 57-67) et de Ch. Davoine sur les bâtiments incendiés connus par des inscriptions lapidaires qui usent d’un vocabulaire descriptif typé, se complètent. L’enquête s’élargit ici au monde méditerranéen romain. Le lien entre les bains et le feu est évident : c’est le chauffage de pièces et de bassins. En prenant des exemples à Ostie, dans le reste de l’Italie et ailleurs dans l’empire fondés sur des inscriptions qui attestent des restaurations dont certaines ont pour cause un incendie (cas à Ostie de CIL, XVI, 376 ui ignis consuptas), l’a. montre que si le feu constituait une réelle menace pour les édifices thermaux et leurs usagers, les attestations de catastrophes dont il pouvait être la cause sont peu nombreuses et qu’il ne semble pas que l’usage du feu ait été la cause d’un surcroît d’incendies. En l’absence d’indices archéologiques convergents, mis au jour lors de fouilles, ou d’indices textuels parallèles, comme le montre en outre l’article très précis de Ch. Davoine qui analyse les expressions utilisées dans les inscriptions lapidaires mentionnant des restaurations ou des reconstructions de bâtiments à la suite d’une destruction violente (uis), l’incendie qui détruit tout ou partie d’un bâtiment n’est pas toujours causé par l’usage du feu dans celui-ci. La destruction par un incendie peut tout autant être la conséquence d’une propagation d’un incendie extérieur, résulter de la guerre, être un acte volontaire et non accidentel. Le vocabulaire utilisé dans les inscriptions définit les incendies comme une manifestation d’une violence des éléments, comme un séisme, une inondation, une tempête ou une incursion ennemie, de sorte que la mention d’une restauration nécessitée par la vétusté (uetustas) exclut l’incendie : celle-ci est en effet « ce qui fait périr toute chose de l’intérieur ». C’est donc le contraire de la violence externe.

 

       La dernière contribution de cette partie, celle d’A. Lampadaridi, à propos de Gaza païenne, fondée sur une source hagiographique, la Vie de Porphyre de Gaza, écrite par Marc le Diacre à l’époque protobyzantine, illustre le recours au feu, à l’incendie volontaire par les chrétiens de Gaza, pour détruire le paganisme. Le feu est alors utilisé réellement et symboliquement puisque la destruction matérielle des temples, en totalité ou partiellement, permet de faire table rase d’édifices et entraîne la désaffection d’un usage. La valeur purificatrice est donc associée à la destruction physique.

 

       La troisième partie, relative à l’économie, est illustrée par deux articles archéologiques, respectivement sur l’agglomération nervienne en Gaule Belgique de Fanum Martis (Famars), dans lequel sont présentées les activités artisanales nécessitant l’utilisation du feu pour chauffer, alimenter des fours, mises au jour par des fouilles (productions céramique, d’objets métalliques ou de verre) et sur l’utilisation du charbon de terre, autrement dit la houille, dans une forge antique à Saultain à quelques kilomètres à l’ouest de Valenciennes, également chez les Nerviens. Dans cette étude de cas-ci, analyse géophysique et paléométallurgique des battitures, c’est-à-dire des micro-déchets projetés sur le sol lors du martelage du fer sur l’enclume, ont permis de dessiner les contours des activités artisanales : nature et espace d’usage. Les deux articles sont donc fondés sur les traces de l’usage du feu. La localisation des fours et autres espaces de production de feu montre que contrairement à ce qui est souvent considéré comme une évidence, les activités artisanales potentiellement dangereuses à cause des risques d’incendie n’étaient pas reléguées en périphérie et celles qui le sont l’étaient probablement moins en raison du danger, à savoir le risque d’incendie qui existait tout autant pour les bains, les fournils des boulangers, tous situés au cœur des villes, sans parler les foyers des particuliers, que pour des raisons économiques ou pratiques, par exemple l’accessibilité au transport des matières premières ou des produits finis.

 

       Le mérite de ce recueil, outre l’intérêt de chacune des contributions, est dans les enseignements de méthode au-delà des différents thèmes abordés, mis en perspective par les éditeurs. Avec la deuxième partie s’est ouverte la réflexion sur les sources, leur valeur, leur interprétation et les raisonnements qui permettent de s’interroger sur les traces, leur diversité, ce qui les a provoquées. Sont engagées ici, dans l’après, les conditions méthodiques des raisonnements régressifs et comparatistes que les études de cas archéologiques portent davantage encore. Comment, à partir des seuls résultats – mention d’un incendie, produit fini, mort – reconstruire la chaîne des causes, des conséquences internes, externes. Comment ouvrir l’éventail le plus large des possibilités. Comment faire progresser nos connaissances, notre compréhension de situations locales ou ponctuelles.

 

 

Table des matières

 

Grégoire Poccardi, Giorgos M. Sanidas, Introduction, p. 11-13.

 

Cadre civique et religion

 

Giorgos M. Sanidas, Le feu dans les villes grecques et l’attitude de la cité : aspects pratiques et mise au point, p. 17-32.

 

Katerina Chryssanthaki-Nagle, Le feu dans les cérémonies grecques, p. 33-42.

 

Risques et destructions

 

Roland Étienne, Délos : au feu !, 45-56.

 

Grégoire Poccardi, À propos de quelques incendies dans les bains romains, p. 57-67.

 

Charles Davoine, « Consumé par la force du feu » : les bâtiments incendiés dans les discours épigraphiques, p. 69-83.

 

Anna Lampasaridi, Τὰ εἰδωλεῖα πυρὶ παραδοῦναι. Gaza païenne consumée par le feu, p. 85-90.

 

Économie

 

Jennifer Clerget, Géraldine Teysseire, Raphaël Clotuche, Fanum Martis : artisans du feu au cœur de l’agglomération, p. 93-113.

 

Benjamin Jagou, Utilisation du charbon de terre dans une forge antique : un exemple du IIIe siècle ap. J.-C. à Saultain (Nord), p. 115-131.

 

Grégoire Poccardi, Giorgos M. Sanidas, Éléments de synthèse et d’ouverture, p. 133-137.