Haug, Annette – Flecker, Manuel (Hrsg.) : Bildwanderungen – Bildtransporte. Die augusteische Bilderwelt jenseits der Alpen, 280 p., 127 farb. Illustrationen, 30 s/w Illustrationen, 27 x 24 cm, Hardcover, ISBN : 978-3-7954-3681-0, 30 €
(Verlag Schnell und Steiner, Regensburg 2021)
 
Compte rendu par Nicolas Mathieu, Université Grenoble-Alpes
 
Nombre de mots : 2437 mots
Publié en ligne le 2022-09-27
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4626
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       Cet ouvrage collectif résulte d’un projet européen collectif (ERC) et accompagne une exposition qui s’est tenue à Kiel du 16 octobre 2021 au 16 janvier 2022 dont il reprend le titre. Il comprend deux ensembles : des études scientifiques de synthèse, p. 31-163 et le catalogue, p. 165-249. Le livre, un in 8° relié très maniable, est très bien édité avec des photographies de qualité. La bibliographie, en fin d’ouvrage, est très abondante (p. 253-277) et n’est pas uniquement en allemand, ce qui mérite d’être positivement souligné quand beaucoup d’ouvrages en anglais ignorent, eux, le reste du monde. Le catalogue comprend 41 notices d’œuvres exposées : statues en pierre (originaux ou copies), bronzes, gemmes, vaisselle en argent (originaux ou copies), en sigillée, monnaies. Compte tenu de la période, on trouve des portraits sculptés ou des hauts-reliefs célèbres (César, Auguste, Tibère, Germanicus, M. Caelius mort dans le désastre de Varus à Teutobourg, Blussus et Menimane à Weisenau…), le pilier de Nimègue, des vases et autres objets en argent issus de la tombe de Hoby, des fragments d’enduits peints de maisons d’Augsbourg, Xanten, Trèves. Les notices sont complètes et précises.

 

       L’avant-propos (p. 7-9) rappelle le pouvoir des images[1] et la nécessité de contextualiser culturellement leur place et leur rôle. Est redite aussi la nécessité de différencier les cultures : la culture romaine et la culture des secteurs situés au nord des Alpes. C’est la condition pour comprendre si et combien les images dans les provinces septentrionales sont reçues. Qui a le plus haut intérêt à la diffusion d’images, des images ? Existe-t-il des processus de filtrage ? Les images diffusées dans les secteurs septentrionaux, par transport ou fabrication sur place, sont-elles des créations par transformation ou bien tout au départ a-t-il été conceptualisé et les images ont-elles été diffusées comme si elles étaient établies dans un espace romanisé ?

 

       L’introduction de M. Flecker (p. 11-28) présente l’exposition et ses objectifs en la situant dans le contexte historique de la conquête césarienne dans les années 59-58 av. J.-C. jusqu’à l’organisation augustéenne et la maîtrise de l’espace germanique sous Tibère. De cette période de près de trois quarts de siècle, donc plusieurs générations, nous est parvenue une grande quantité d’objets divers en genres, supports, provenances et, de ces contrées soumises à l’autorité romaine, certains des beaux témoignages d’orfèvrerie, travail du bronze, témoignages de la présence de soldats (décorations, cingulum, glaives), décors de maison etc., tous témoignages archéologiques qui conduisent à s’interroger sur les interactions entre émetteurs et récepteurs, sur les producteurs et les utilisateurs. Le titre de sa contribution en énonce clairement les perspectives : transport, appropriation, transformation ou comment, à partir des types et exemples de documents choisis, déceler, expliciter et comprendre la part complémentaire et réciproque de ces trois approches. Indirectement cette introduction est donc une invitation à réfléchir à ce qu’est la création, en acte et dans son environnement mouvant, fait de contacts qui ne sont pas seulement des confrontations. C’est peu ou prou le fil conducteur dans les différentes synthèses.

 

       A. Hielscher (p. 31-48) s’intéresse au trésor de vaisselle d’argent de Hildesheim, du nom de son lieu de découverte en 1868, un des trois trésors connus du Ier s. apr. J.-C., le seul qui provienne de Germania magna, c’est-à-dire en dehors des frontières de l’empire, les deux autres venant de Pompéi où ils ont été préservés par la catastrophe de l’éruption du Vésuve. Ce trésor est volumineux : 54 kg, soit deux fois plus que celui de la maison de Ménandre à Pompéi (23,5 kg). La datation exacte des différentes pièces et l’identité de ses derniers utilisateurs sont depuis l’origine sujettes à discussions. S’il n’est pas prouvé qu’il puisse s’agir de P. Quinctilius Varus, défait militairement en 9 apr. J.-C. à Teutoburg, la possibilité qu’il se soit agi d’un officier romain dans le contexte militaire des conquêtes de la Germanie au début du Ier s. apr. J.-C. est la plus plausible, au moment des campagnes de Drusus en 12/9 av. J.-C., de celles de Tibère en 4-6 apr. J.-C. ou Germanicus en 12-16. Si beaucoup des thèmes appartiennent au registre culturel gréco-romain (par ex. mythologiques), religieux (Cybèle, Attis), il faut cependant s’interroger sur l’utilisation de ces objets dans le cadre du convivium et observer que certains des motifs ou thèmes sont réduits par rapport aux objets et thèmes comparables dans les trésors de vaisselle d’argent de Pompéi (clair tableau comparatif p. 34). Et il y a des figures ou des combinaisons de figures qui semblent compléter l’échantillon romano-italien avec des animaux ou des sources mythologiques et de divinités qui ressortissent ou sont adaptées à un contexte provincial. Il faut s’interroger pour ce trésor et cette vaisselle sur les mêmes dynamiques d’influence et d’évolution que celles qui existent pour les productions de lampes, de céramique sigillée etc. Les provinces et les camps romains de légionnaires n’étaient pas à l’écart. Le trésor d’argent de Hildesheim avec son histoire changeante est un de ces exemples les plus impressionnants d’un état d’une production, des choix par qui les utilise. Il n’y a pas de programme a priori dans la composition de ce trésor.

 

       M. Flecker (p. 49-68), à propos de la vaisselle d’époque augustéenne et de son image entre Italie et provinces septentrionales, s’intéresse à trois phénomènes : au transport, à l’appropriation et à la transformation. Il étudie en particulier pour la sigillée les transferts de technique et les choix de pâtes, des productions d’Arezzo aux productions gauloises, notamment lyonnaises (à partir de l’étude approfondie des années 1990 sur le site de production de Lyon-la-Muette[2]). Ce qui est mis en valeur, à travers l’étude détaillée d’objets ou de fragments d’objets sur les frontières de l’empire, c’est, dans la combinaison répétitive de motifs, des formes qui empruntent à des modèles locaux autant qu’italiens, autrement dit l’utilisation d’une palette que n’inspire pas seulement l’Italie. Cela constitue l’indice de la diffusion de productions gauloises et non italiennes alors. L’atelier de Lyon-la-Muette n’est pas le seul. On pourrait ajouter l’atelier de Chrysippus à Saint-Romain-en-Gal, c’est-à-dire à Vienna, chef-lieu des Allobroges en Narbonnaise, avec le motif des bustes de profil (Auguste ou Agrippa et sans doute Roma casquée) au-dessous de colonnes qui est typique de sa production. D’autres exemples sont pris : celui de potiers dont le nom est connu par la signature (Scotius, Rutenos) ou celui du potier attesté par des estampilles au nom de P. Flos, sur des fragments de poterie trouvés dans le long de deux cours d’eau, le Rhin et la Lippe. Il est possible qu’une stèle funéraire, datée de la première moitié du Ier s. apr. J.-C. découverte à Cologne, qui mentionne l’affranchi M. Petronius Corumbus, pour son co-affranchi M. Petronius Albanus soit liée à ce potier. Alternent ainsi harmonieusement dans cette contribution micro-histoire de dossiers ponctuels et synthèse maîtrisée du thème.

 

       A. Haug (p. 69-90), dans un article aux illustrations bien choisies et conçues pour la démonstration, s’intéresse aux maisons et à leur décor pour saisir l’atmosphère de l’habitat en prenant des exemples issus de fouilles dans trois villes septentrionales des contrées germaniques de l’empire, Cologne, Augsbourg et Xanten, étudiées en les comparant à l’exemple de Pompéi. Cologne a fourni des exemples qui illustrent une ville romaine. L’article conclut à l’existence d’une décoration de la maison, à une culture mixte qui emprunte autant aux concepts indigènes, celtiques, qu’aux formes romano-italiennes. Les inspirations sont doubles. Au premier siècle de la présence romaine en Germanie, il s’agit moins d’une reprise directe et complète de ce qui est contemporain en Italie que d’un processus de sélection et d’appropriation, et cela tant dans le décor que dans les formes de la maison.

 

       L’enquête de J. Lang (p. 93-109), fondée sur les pierres gravées (intailles), à partir d’un corpus de plus de 800 pierres découvertes dans des nécropoles, en fouille, de la seconde moitié du Ier s. au IVe s., est un essai sur la personnalité de leurs détenteurs et utilisateurs. Une première partie est un très nuancé et détaillé questionnement sur la relation entre les productions de ces objets, l’environnement de leurs utilisateurs (lieux de vie, statuts) et une interrogation sur la part de l’individualité et le poids de l’environnement collectif, de la société. C’est donc un questionnement aussi sur l’affichage par le détenteur et la réception de ces objets dans l’espace public. En ce qui concerne les producteurs et les productions, il faut rappeler le poids de l’Italie dans le répertoire thématique d’Auguste aux Julio-Claudiens. L’article rappelle l’importance de la présence de militaires à l’époque augustéenne, des camps de Mayence, Bonn, Xanten, Neuss. L’impression dominante est celle de la marque romaine tant dans les motifs que pour les utilisateurs qui venaient d’Italie. L’analyse du corpus ne met pas en évidence de motifs iconographiques particuliers à des soldats, quand bien même ceux qui les utilisaient et ceux qui les voyaient vivaient majoritairement dans les camps ou à proximité. Il faut probablement comprendre que le statut de militaires, citoyens romains comme l’attestent quelques exemples de pierres gravées au nom de soldats, par exemple centurions, porteurs des tria nomina, n’est pas en lien direct avec les motifs iconographiques. Dans le même esprit, Ph. Kobusch (p. 111-126) analyse la réception de la monnaie romaine dans la vallée du Rhin auprès de ou du point de vue des soldats, des faussaires et des Germains en comparant des exemples de trésors ou de monnaies romaines et des faux. L’importance des messages politiques est flagrante toujours, qu’il s’agisse de représentation de divinités, de thèmes mythologiques ou de portraits d’Auguste. Ce message politique fonctionne parallèlement à celui des constructions monumentales dans les villes.

 

       J. Lipps (p. 129-147) envisage la question sous l’angle des transfert et appropriation créative en se fondant sur les monuments funéraires, notamment de soldats, datés du Haut-Empire de Mayence, Cologne, Xanten. Ils peuvent témoigner de contacts dans ou de leur foyer, en sorte qu’on peut parfois se poser la question de monuments différents, des frères, que l’absence de noms sur les stèles ne nous permet pas de reconnaître. D’où aussi l’idée de monuments d’importation (Importdenkmäler). L’auteur s’interroge sur les processus d’acquisition d’une praxis culturelle, d’images et de l’artisanat. L’analyse des monuments de Mayence et d’autres au nord des Alpes montre que ces stèles funéraires ne résultent pas seulement d’un processus d’une telle praxis culturelle d’images et d’artisanat comme des imitations immédiates. Il s’agit plutôt d’appropriation et d’ajustements selon un processus complexe.  L’article conclut plutôt à l’identité des individus étudiés, ce qui n’entre pas en contradiction avec leur rôle en tant que citoyens, soldats, civils romains. Cela va au-delà de leur appartenance à des catégories qui peuvent être géographiquement corrélées avec un horizon, un but, un grade etc. Il faut aussi relever une autre caractéristique du début de l’empire : l’existence de spécificités locales dans des types généraux. Il existe des constructions socio-économiques et politiques qui recueillent aussi les traditions politiques locales. Les transferts et les appropriations créatives peuvent être dans des détails, des éléments comme la forme des visages, le traitement des yeux, avec des monuments qui, par ailleurs, ont une forme qui peut être inspirée d’ailleurs. La comparaison entre tel monument de soldat et tel de couple de civils (fig. 11/12) illustre la porosité entre sphères sociales ou statutaires et aires.

 

       P.-A. Kreuz (p. 149-164) étudie les monuments à relief qui apparaissent dans les Gaules à la suite de la conquête césarienne avec leur dimension politique et statutaire. L’exemple développé est celui du « pilier de Nimègue », dans le nouvel établissement civil. Le contexte chronologique et humain de ce monument est détaillé : c’est celui de la conquête du territoire, de sa maîtrise progressive. S’il y a un très grand nombre d’événements notamment militaires qui se déroulent à cette époque, localement c’est bien la constitution de la ciuitas Batauorum qui est au cœur de l’élévation de ce pilier d’époque tibérienne comme le montre le relief médian de la face avant où est représentée une scène de libation sur un autel au nom de Tib(e)r. C(ae)sar avec un homme en toge en train d’être couronné qui tient une patère inclinée en direction du focus de l’autel. Le monument conduit à s’interroger sur les motifs de son élévation et sur la façon dont les images, politiques et religieuses, des différents panneaux ont été reçues par une population d’une très récente région de frontière à l’intérieur de l’empire et sur la familiarité qu’elle pouvait avoir avec de telles images romaines et sur le sens de ce langage imagé, figuré. Si le phénomène est connu, le mérite de l’étude est de l’assurer en l’enracinant dans des réalités provinciales avec précision, clarté et solidité.

 

       Savantes, précises, rigoureuses, ces synthèses entrent en résonnance entre elles pour dessiner en miroir des niveaux de circulation de modèles, d’objets et de pratiques. L’intérêt de ce livre est de montrer une fois encore combien relire et revoir des objets bien connus et devenus classiques voire canoniques est nécessaire et fructueux quand les spécialistes font le choix de la pluridisciplinarité, de la rigueur d’analyse, de la solidité de la bibliographie et de la clarté de l’expression. L’ouvrage est un convaincant état des lieux culturel bien informé et nuancé d’un territoire périphérique de Rome aux générations de sa conquête, autant qu’un outil de méthode pratique pour qui s’intéresse aux sociétés provinciales, à la sémiologie des images, aux relations entre textes et images. Ce sont en effet les documents qui dans chacun des articles constituent le socle des questions et de l’analyse de la circulation des images, de leurs objectifs, de leurs usages, de leur réception, de leur appropriation sans que jamais la dialectique du raisonnement ne soit celle de la romanisation. C’est le signe d’un dépassement de la réflexion stimulant. Et un très bon livre d’histoire, au sens originel du terme, enquête de terrain qui donne vie et chair aux hommes.

 


[1] Il faut rappeler le livre fondamental de Paul Zanker, Augustus und die Macht der Bilder, Munich, C. H. Beck, 1997.

[2] A. Desbat, M. Genin, J. Lasfargues, « Les productions des ateliers de potiers antiques de Lyon », Gallia, 53, 1996, p. 1-249.


 

 

 

Sommaire

 

 

Avant-propos : A. HAUG, M. FLECKER, p. 7-9.

 

Introduction : M. FLECKER, p. 11-28.

 

Partie 1. Contubernium, domus, praetorium. Bilderwelten des convivium

 

A. HIELSCHER, Bebildertes Luxusgeschirr aus der Germania magna. Der Hildesheimer Silberschatz, p. 31-48.

M. FLECKER, Transport – Aneignung – Transformation. Augusteisches Tafelgeschirr und seine Bilder zwischen Italien und den Nordwestprovinzen, p. 49-68.

A. HAUG, Häuser und ihre Ausstattung. Wohnatmosphären nördlich des Alpen, p. 69-90.

 

Partie 2. Persönliche Bilderwelten

 

J. LANG, Persönliche Bilderwelten. Gravierte Ringsteine in Edelstein und Glas, p. 93-109

Ph. KOBUSCH, Soldaten, Fälscher und Germanen. Zur Rezeption römischer Münzen im Rheingebiet, p. 111-126.

 

Partie 3. Bilder im öffentlichen Raum

 

J. LIPPS, Transfer und kreative Aneignung. Frühkaiserzeitliche Grabstelen in Mainz, p. 129-147.

P.-A. KREUZ, ‘Kaiserliche Bildwerke’. Das Beispiel des Tiberius-Pfeilers aus Nijmegnen, p. 149-164.

 

Catalogue, p. 166-247.

 

Bibliographie, p. 253-277.