Queyrel, François: Le Parthénon, un monument dans l’Histoire, 240 p., 14 illustrations et un dépliant hors-texte, 12,5 x 20 cm, ISBN 978284100-435-5, 26 euros
(Bartillat, Paris 2008)
 
Reviewed by Eva Simantoni-Bournia, Université d’Athènes
 
Number of words : 1462 words
Published online 2009-05-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=466
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       En entamant la lecture du dernier livre de François Queyrel, spécialiste de la sculpture grecque classique et hellénistique, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la nécessité d’un ouvrage de plus sur ce monument illustre mais si bien connu ! Entre  2000 et 2008 sont parus plus de 30 travaux scientifiques sur le Parthénon et ses sculptures ;  qu’est-ce que l’auteur pourrait dire de plus sur ce monument, qui n’ait pas été dit et écrit plusieurs fois déjà ? Il suffit pourtant de feuilleter l’édition pour commencer à percevoir les réponses.

 

       Si l’on considère l’aspect matériel de l’ouvrage, il faut convenir qu’il diffère foncièrement de ce à quoi on s’attendrait pour un livre traitant du chef-d’œuvre péricléen ; on est habitué soit à de gros livres d’une érudition incontestable, soit à des volumes recherchés, souvent très chers, richement illustrés et proches de ce qu’on appelle coffee table books. Dans notre cas le format réduit offre au lecteur la possibilité d’un transport facile, à peu près comme une édition de poche ; la couverture austère prédispose, par contre, à une lecture sérieuse. En feuilletant les pages on est agréablement frappé par les caractères lisibles et la netteté de l’arrangement du texte. Un choix satisfaisant de planches en couleurs hors-texte illustre les phases historiques du monument, son décor plastique et la restitution de la statue cultuelle, tandis que des dessins et des plans architectoniques, présentés dans le texte, aident à la compréhension. Un dépliant hors-texte avec la reconstitution intégrale de la frise, où chaque personnage est numéroté, illustre éloquemment le propos de l’auteur. Il est évident qu’il s’agit d’un livre relativement bon marché, mais soigné.

 

       L’ouvrage est divisé en deux parties, plus ou moins de longueur égale : la première fait connaître le temple classique, la deuxième instruit sur les mésaventures qui succédèrent à son apogée. Dès l’introduction l’auteur nous fait part de sa perception personnelle du monument, décor sculpté inclus. Pour utiliser ses propres termes : « Le Parthénon révèle le divin ancré dans l’humanité, une contemplation annoncée, promise et offerte à tout le peuple d’Athènes... Les Athéniens sont ici amenés à adhérer au culte de la cité dans un mouvement collectif qui joue sur les ressorts de la révélation personnelle ».

 

      Le premier chapitre introduit aux légendes et aux cultes associés au rocher de l’Acropole où se dresse le Parthénon. F. Queyrel fait le récit de l’histoire de la construction du monument et de la création de l’effigie d’Athéna Parthénos dans le chapitre suivant. Il présente le contexte historique avant de s’engager dans l’archéologie en nous communiquant toutes les informations nécessaires sur la cité d’Athènes et sur la vraie nature du rôle de Périclès. Brièvement, mais sans omettre aucun des points essentiels, il entreprend dans les chapitres III à V la description archéologique du temple et il prend tout son temps lorsqu’il expose les problèmes de reconstitution et d’interprétation du décor sculpté, surtout de la frise (chap. III, frontons ; chap. IV, métopes ; chap. V, frise ionique). Il se réfère, sommairement mais clairement, aux débats scientifiques et aux avis controversés des spécialistes - surtout les plus récents -, avant de passer à ses propositions personnelles ; pour reprendre ses mots : « L’unité de l’ensemble… vient… d’une idée simple : glorifier les dieux et les héros chers au cœur des Athéniens, qui se disaient autochtones, c’est exalter leurs légendes attachées à la terre d’Athènes et c’est rappeler par là même leur amour de la patrie » (p. 81). Quant à la fameuse frise ionique il estime qu’« en même temps qu’elle est une révélation du divin, elle est une affirmation de la conscience athénienne : les hommes sont comme les dieux attachés au sol sacré de l’Acropole et la fête des Panathénées est célébrée autant pour exalter la naissance d’Athènes que pour commémorer la naissance d’Athéna et sa victoire sur les monstres primordiaux ».

 

       La deuxième partie du livre - plus intéressante encore - commence avec le chapitre VI. Les malheurs ne mirent pas longtemps à frapper le monument merveilleux : dès le IVe s. avant notre ère un voleur arracha la gorgone qui ornait l’égide de la déesse chryséléphantine, qui, en 295 av. J.-C., fut aussi dépouillée de son or par le tyran Lacharès, alors assiégé par le roi Démétrios Poliorcète. On perd trace de la statue lorsqu’elle fut emportée à Constantinople, au Ve s. de notre ère. La dégradation lente du bâtiment culmina à la fin du VIe s., quand un incendie brûla la charpente du temple et dévasta son intérieur. Vers 582, après les modifications nécessaires, le temple de la vierge Athéna fut converti en église orthodoxe de la Vierge Marie. Durant la IVe croisade, en 1204, elle passa au rite catholique avant d’être rendue à l’orthodoxie par les Florentins. Les Turcs occupèrent Athènes en 1456 et, à leur tour, ils changèrent le Parthénon en mosquée.

 

       L’auteur recueille dans les chapitres VII et VIII une bonne partie des récits concernant le Parthénon du XVIIe au XVIIIe siècle. Ce sont des histoires étranges, souvent merveilleuses, et des descriptions pittoresques, que l’auteur transcrit en préservant l’idiome et l’orthographe de l’époque. On doit aux voyageurs, dont les visites se faisaient de plus en plus fréquentes, et à leurs dessins, notre seule chance de connaître le monument dans son intégrité, tant bien que mal conservée au dépit de péripéties diverses. Les commentaires de F. Queyrel sur les dessins du Parthénon et sur les perspectives de l’Acropole sont très pertinents, surtout ceux qui se réfèrent aux dessins des sculptures parthénoniennes, par malentendu attribués jusqu’à présent au peintre Jacques Carrey, né à Troyes. Il rectifie l’erreur et propose d’utiliser le terme conventionnel de « l’anonyme de Nointel » pour désigner le dessinateur, expression qui sauve de l’oubli le nom de l’ambassadeur français qui avait commandé l’exécution des croquis.

 

       La catastrophe définitive du temple survint en septembre 1687 ; elle était due à une bombe tirée par l’armée vénitienne de Morosini, qui fit exploser la cella, alors poudrière de la citadelle. Personne n’aurait dorénavant la possibilité d’admirer le monument dans son intégrité. Il y eut, depuis lors, une sorte de frénésie parmi les archéophiles et les collectionneurs  de l’Europe, à qui s’emparerait le plus d’antiques ! F. Queyrel insiste, au chap. IX, sur l’activité des Français, de l’aristocrate Choiseul-Gouffier et de son peintre et agent Louis François Sébastien Fauvel, en citant des fragments de leur correspondance, parfois très instructifs sur leurs intentions : « Ne négligés (sic) aucun moyen, mon cher Fauvel, de piller dans Athènes et son territoire tout ce qu’il y a de pillable ». On a bien invoqué l’ironie de l’ambassadeur pour défendre sa rapacité, - insignifiante, naturellement, comparée à celle d’Elgin - on ne peut lui trouver d’autre excuse que son attachement sincère à la terre d’Athènes, attachement qu’il partageait avec Fauvel !

 

       Le chap. IX présente les spoliations de Thomas Bruce, 7e Earl d’Elgin. F. Queyrel analyse le firman d’après lequel le milord anglais procéda à l’enlèvement des sculptures du Parthénon et comme la plupart des archéologues et historiens il déduit qu’il n’y était pas « question de déposer des murs des fragments sculptés ». Il ne peut s’empêcher de comparer les principes qui guidèrent les actions du diplomate anglais à ceux de Choiseul-Gouffier, pour aboutir à la conclusion que « Elgin a gravement endommagé le monument et a voulu en tirer de l’argent » et que « entre les deux hommes il y a la différence qui sépare l’amateur éclairé du spéculateur ». En fin de chapitre il laisse parler les voyageurs anglais qui, comme Edward Dodwell mais surtout comme Lord Byron, témoignèrent du sacrilège et en laissèrent des textes poignants.

 

       Les fortunes du bâtiment après la libération de la Grèce du joug turc font l’objet du Xe et dernier chapitre. Toutes les étapes de l’histoire récente du Parthénon y sont brièvement commentées, du projet monstrueux de von Schinkel qui voulait construire  le palais royal d’Othon sur l’Acropole (en y incorporant le Parthénon), au nouveau musée de l’Acropole érigé au pied du rocher, en passant par la Prière sur l’Acropole d’Ernest Renan. Même le débat sur le retour des marbres, ouvert depuis Byron, est présenté. L’ample programme de restauration du Parthénon, une des entreprises les plus sérieuses en ce domaine, n’est pas oublié mais pourrait jouir d’une présentation plus détaillée. Cette restauration exhaustivement documentée risque moins que toute autre de provoquer des réactions comme celle de Maurice Barrès, qui s’exclama « Pour avoir supprimé tout ce qui ne vous semble pas du Ve siècle vous croyez avoir mis sous nos yeux la pensée de Phidias ! Quelle aberration ! Vous avez simplement créé un nouvel état du Parthénon, l’état de 1900 ! ».

 

      Le livre finit par une brève conclusion et est doté d’un glossaire, d’une table chronologique et d’une bibliographie très informée, tous outils indispensables au lecteur, qui n’est pas forcément archéologue.

 

       En terminant la lecture on se rend compte qu’on a entre les mains un livre qui se lit facilement, qui aide à se rafraîchir la mémoire et acquérir nombre de connaissances nouvelles. On a le sentiment d’avoir été le témoin invisible des propos intimes des voyageurs, de s’être faufilé avec eux dans les ruelles sordides d’Athènes, d’avoir essayé de graisser la patte aux autorités turques, avant d’être, une fois de plus, exaspéré par les exploits de Morosini et d’Elgin. Chaque fois que des questions relatives à la perception du Parthénon sont posées, une réalité bien connue mais réconfortante est confirmée : que les grands exploits de l’esprit humain ne tarissent jamais, qu’ils ne sont pas épuisés par l’accumulation croissante de nos connaissances. D’autant plus que dans le cas du Parthénon il s’agit d’un monument qui continue à mettre en mouvement des fonctions psychiques purifiantes et à proposer des valeurs d’une jeunesse éternelle.