| Lajoix, Anne: Marie-Victoire Jaquotot 1772-1855 Peintre sur porcelaine,
Archives de l’art français – Nouvelle période -Tome XXXVIII (Société de l’Histoire de l’Art Français [SHAF] Paris 2006)
| Compte rendu par Marie-Claude Chaudonneret, CNRS (Paris) Nombre de mots : 1514 mots Publié en ligne le 2009-02-14 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=468 Lien pour commander ce livre Connue et appréciée dans toute une partie de
l’Europe, célèbre au point que Balzac la cite dans deux de ses romans,
Marie-Victoire Jaquotot avait sombré dans l’oubli ; nous n’avions
aucune étude sur cette femme-artiste. Son identité même d’artiste fut
occultée, en grande partie parce qu’elle travailla pour la manufacture
de Sèvres, son statut étant perçu comme plus proche de l’artisan que du
véritable artiste. Les notices du catalogue de l’exposition Un âge d’or des arts décoratifs, 1814-1848
(Paris, Grand Palais, 1991) sont, à cet égard, significatives. Dans
cette remarquable étude sur une période peu connue, Jaquotot apparaît
comme artiste décorateur. Les objets sont, en effet, catalogués comme
des objets manufacturés dont la paternité revenait à la manufacture de
Sèvres. Les objets de porcelaine, peints par Madame Jaquotot, étaient
encore perçus comme des « produits de l’industrie » et non comme des
œuvres d’art.
C’est une lacune qu’Anne Lajoix vient de combler
avec cette monographie publiée par la Société de l’Histoire de l’Art
français avec le concours de la fondation Singer-Polignac, de la
fondation Napoléon et de la Ceramica Stiftung (Bâle). Cet ouvrage non
seulement comble une lacune mais aussi, et surtout, réévalue la
technique de la peinture sur porcelaine, réhabilite une artiste qui
maîtrisa avec une grande habileté cet art. Le sous-titre de l’ouvrage «
Peintre sur porcelaine » indique bien que Mme Jaquotot doit être
envisagée comme une artiste à part entière et non comme un artiste
décorant des objets de porcelaine. C’est donc un travail pionnier,
comme le souligne Daniel Alcouffe dans la préface, que nous donne Anne
Lajoix avec cet ouvrage issu de sa thèse pour le doctorat de
l’Université de Paris 1 sous la direction de Daniel Rabreau (décembre
1992). L’ouvrage, une monographie classique illustrée de reproductions
en couleurs, est constitué d’un texte introductif en deux chapitres, La vie, l’œuvre
(p. 15-59), d’un catalogue (p. 61-180), et complété par d’utiles
annexes (actes civils concernant l’artiste et sa famille, articles de
presse, correspondances), d’un état des sources, d’une bibliographie et
d’un index.
Dans son avant-propos (p. 19-13), Anne Lajoix
explique sa démarche. En l’absence d’étude sur Marie-Victoire Jaquotot,
elle a pris comme point de départ l’œuvre pour redonner vie à
l’artiste, pour pouvoir la redécouvrir, ce qui explique l’importance
donnée au catalogue dans l’ouvrage. D’autre part, confrontée à des
documents épars et peu nombreux, elle a recherché des sources nouvelles
pour mieux cerner le milieu d’origine, la formation, les relations de
Mme Jaquotot. Elle a dépouillé systématiquement et minutieusement des
fonds d’archives peu exploités, en particulier la volumineuse
correspondance échangée entre le directeur de la manufacture de Sèvres,
Alexandre Brongniart, et Marie-Victoire Jaquotot. Elle a ainsi
rassemblé et exploité une exceptionnelle documentation; les six cent
vingt-deux notes de l’introduction et les mille deux cent
quarante-quatre notes du catalogue le démontrent. Si la correspondance
conservée aux archives de la manufacture de Sèvres apporte bien des
informations sur les projets et les réalisations, sur le contexte de
production, elle donne des éléments seulement sur les œuvres réalisées
pour Sèvres ; il manquait donc ce qui concerne ses travaux pour des
manufactures parisiennes (Dagoty, Dihl) ou ses activités privées. Anne
Lajoix a donc étendu l’enquête à l’entourage de Jaquotot (son maître et
premier mari Etienne-Charles Le Guay, son fils naturel le peintre
d’histoire Philippe Comairas, les artistes qu’elle fréquentait ou les
commanditaires privés). Ces informations sont utilisées pour la
biographie (La vie, p.19-33) qui se présente comme une suite de
petits essais et de notices sur sa famille et son entourage, ses goûts
et ses voyages… Une synthèse de toutes ces données aurait permis de
mieux mettre en avant la personnalité de Madame Jaquotot, femme
indépendante, « moderne », qui sut exploiter son talent reconnu au-delà
des frontières, qui sut utiliser le vaste réseau de relations qu’elle
avait constitué au fil des années pour imposer ses choix et pour
progressivement se libérer de son employeur, le directeur de la
manufacture de Sèvres.
On regrette cette même absence de synthèse pour le chapitre suivant (L’œuvre,
p. 34-59), d’une lecture difficile. Des informations sur sa carrière
(qui recoupent parfois la biographie) et son art, sur sa clientèle
s’entremêlent avec des généralités qui étouffent des développements
intéressants, les pages consacrées à la copie (p. 46-51) par exemple.
Dans cette partie, les considérations sur le statut de la copie sur
plaque de porcelaine (« la recherche de la peinture inaltérable ») sont
particulièrement importantes et démontrent combien cette activité a
fait évoluer le statut de peintre de Jaquotot. Ces plaques de
porcelaine, dont le mode de fabrication fut perfectionné par Alexandre
Brongniart, étaient alors perçues comme des tableaux parfaits parce que
reproduisant les chefs-d’œuvre de façon inaltérable. En effet,
certaines peintures, saisies et arrivées en très mauvais état au
Museum, avaient fait prendre conscience que les œuvres étaient fragiles
et pouvaient disparaître. Ce fut le cas de La Madone de Foligno
de Raphaël entrée au Museum en 1799 et que l’on restaura après bien des
débats. Plus tard, en 1827, Jaquotot reproduisit sur porcelaine une
copie de cette Madone. On pensait alors qu’en copiant les
chefs-d’œuvre de la peinture et en utilisant pour ce travail un support
et des couleurs qui ne pouvaient se détériorer, on prévenait les
dégâts, on protégeait un patrimoine. L’autre avantage de ces
reproductions sur porcelaine était de diffuser, autrement mieux que la
gravure, les œuvres d’art. C’est cet argument que Jaquotot utilisa pour
proposer à Brongniart de copier La Vierge aux œillets de
Raphaël, tableau « qui n’existe pas au musée » et qui n’est « connu en
France que par la gravure ». À partir de la Restauration, la carrière
de Jaquotot prit une direction décisive et son art fut très fortement
revalorisé. En 1816 elle achevait La Belle Jardinière d’après
Raphaël, peinte sur une plaque de porcelaine qui, avant d’être exposée
au Salon de 1817, avait été présentée au roi qui s’était déplacé à la
manufacture de Sèvres. Louis XVIII s’associa alors au concert de
louanges en attribuant à l’artiste le titre honorifique de Peintre sur
porcelaine du cabinet du roi. Madame Jaquotot devenait, d’une certaine
façon, l’égal du Premier peintre du roi, le puissant baron Gérard. Le
succès de ces plaques de porcelaine était tel que, en 1822, Jaquotot
décida d’abandonner les pièces de forme pour s’y consacrer entièrement.
Elle ne voulut plus travailler pour la manufacture de Sèvres, ce qui
provoqua la colère de Brongniart, et chercha à obtenir, avec succès,
des commandes du ministère de la Maison du Roi. Jaquotot avait, en
effet, conscience de l’évolution de son statut. Reléguée au début de sa
carrière dans le rôle subalterne de peintre d’objets décoratifs, elle
était devenue un peintre d’histoire produisant ce qui était perçu comme
le tableau parfait, les couleurs étant « inaltérables ». Aussi, elle
eut l’audace d’imposer à la Maison du Roi des travaux à payer sur le
fonds destiné aux commandes et acquisitions et d’exiger, pour ces
travaux, des prix exorbitants, de faire décrocher, contre l’avis du
directeur des Musées royaux, des œuvres du musée du Louvre pour les
transporter chez elle. L’administration fut contrainte de céder à tous
ses caprices, l’artiste ayant habilement mis en avant qu’elle rendait «
un service particulier » en reproduisant les chefs-d’œuvre que « le
temps détruisait chaque jour ». Madame Jaquotot pensait être investie
d’une haute mission : préserver le patrimoine, transmettre à la
postérité des peintures dans leur aspect « original ».
Le catalogue constitue la partie importante de
l’ouvrage, ce qui correspond à la logique de la démarche d’Anne Lajoix
qui avait pris comme point de départ les œuvres pour redécouvrir
l’artiste. Ce catalogue donne de la consistance à la démonstration
quelque peu décousue du texte introductif. Les deux cent
quatre-vingt-dix notices, impeccables et parfaitement documentées, avec
pour chaque notice la reproduction en couleurs de l’œuvre, montrent
bien l’évolution de l’art de Jaquotot et de son ambition. Elle réalise
d’abord des pièces de service comme par exemple le service olympique,
cadeau de Napoléon au tsar Alexandre, puis des pièces isolées. Ce
furent d’abord, peints sur des médaillons de porcelaine, des portraits
de personnalités et surtout des portraits de personnages célèbres de
l’histoire de France. Progressivement, elle se détacha des supports
utilitaires et des portraits en miniature pour se consacrer
presqu’essentiellement à la peinture sur plaque de porcelaines, ces
plaques étant encadrées comme des tableaux et ayant le même statut. Ces
plaques de porcelaine étaient exposées, comme les peintures, au Salon
et non plus aux « Expositions des produits de l’Industrie ».
Madame Jaquotot copia des peintures des anciens maîtres, principalement
de Raphaël. Puis, à partir de 1821, elle entreprit de copier aussi des
ouvrages de peintres vivants. La première œuvre reproduite sur
porcelaine fut L’Amour et Psyché de François Gérard. Du même artiste, elle copia Corinne au Cap Misène
juste après le succès du tableau au Salon de 1824. La même année, peu
avant la mort de Girodet, avec qui elle entretenait des relations
amicales, elle commençait de reproduire La mort d’Attala. On
peut se demander si l’initiative de Jaquotot, copier les peintures des
maîtres de l’art moderne, n’est pas liée à l’événement considérable que
fut l’ouverture en 1818 du musée du Luxembourg, musée dévolu à l’art
vivant.
Ces copies de tableaux sur plaques de porcelaine ont
fait la fortune européenne de Madame Jaquotot, perçue par ses
contemporains comme l’égal de Raphaël. Elle aurait su mieux que
quiconque se fondre dans l’esprit d’un maître. Sous la Restauration et
la monarchie de juillet, le grand moment de sa production, elle
surpassa les peintres sur porcelaine les plus célèbres, son premier
mari Le Guay, Madame de Mirbel, Abraham Constantin. Dans le tableau de
François Joseph Heim, Charles X distribuant les récompenses à la suite du Salon de 1824
(1827, Louvre), commandé à l’issue du Salon de 1824, où avait été
exposée la copie sur porcelaine de L’Amour et Psyché de Gérard,
Marie-Victoire Jaquotot figure au premier plan de la composition, juste
derrière le roi. Cette place d’honneur illustre bien le statut conquis
par cette femme artiste, heureusement réhabilitée par Anne Lajoix.
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