Fenet, Annick : Le musée Guimet et ses Amis. Cent ans d’histoire partagée. 24 X 18 cm, 312 p., ISBN : 9789461618504, 35 €
(Snoeck, Gand 2023)
 
Compte rendu par Corinne de Menonville
 
Nombre de mots : 1502 mots
Publié en ligne le 2024-06-13
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4728
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       Raconter l’histoire de la Société des Amis du Musée Guimet n’est pas une chose facile. L’auteur l’a judicieusement couplée en toute logique historique avec celle du Musée Guimet, ce qui rend le sujet beaucoup plus parlant.

 

       Son ouvrage conséquent (310 p.) voit sa première partie, celle de l’histoire du Musée, organisée chronologiquement. Elle est suivie d’un focus sur chacune des différentes personnalités ayant présidé la Société des amis dont Émile Senart, brillant orientaliste, David David-Weill, célèbre banquier et grand mécène, ou Paul Pelliot, sinologue, grand savant polyglotte, sont parmi les plus remarquables. L’auteur intègre ensuite quelques pages intéressantes sur les différentes rénovations architecturales dont a bénéficié le Musée et sur la bibliothèque, pièce maîtresse de la rotonde qui accueillit les fameux « thés » où étaient reçues de nombreuses personnalités dans les années 1920-1930. Une dernière partie présente, un peu succinctement à notre avis, nous y reviendrons, les acquisitions (en réalité les dons) de la Société des Amis au Musée.

 

       Le musée porte le nom de son fondateur, Émile Guimet (1836-1918). Celui-ci est lyonnais. Son père, brillant industriel, avait inventé le fameux bleu Guimet qui fit la fortune de la famille et qui permit à son fils, dans la grande tradition du XIXe siècle des industriels érudits et passionnés de voyage et de découvertes, d’entreprendre de nombreux périples : dans un premier temps autour de la Méditerranée et notamment en Égypte en 1865-1866 où il se passionne d’emblée pour l’histoire des religions, puis il part pour un tour du monde en 1876 en commençant par les États-Unis puis l’Asie, du Japon à la Chine et à l’Inde, en compagnie de l’artiste Felix Régamey (1844-1907). Ce dernier est chargé de relater et d’illustrer les grands moments de ce voyage. Son ouvrage, Les Promenades japonaises, connut à leur retour un grand succès. Il aurait été intéressant de s’attarder un instant sur ce peintre qui illustre si bien ce qui va dorénavant constituer la passion pour les religions d’Émile Guimet et déterminer par là l’orientation de sa vie, par exemple en insérant certains de ses tableaux montrant Émile Guimet en train de discuter avec des moines ou de négocier des achats au Japon.  Tout au long de ses périples, Émile Guimet fait l’acquisition de nombreuses œuvres rassemblant ainsi progressivement le socle des collections du Musée. En 1879, Émile Guimet ouvre son premier Musée à Lyon puis dix ans plus tard, après de longues négociations avec la Ville de Paris, celui de l’avenue d’Iéna sur le modèle de celui de Lyon inauguré en novembre 1889.

 

       Quant à l’association, elle ne voit le jour qu’en 1923, sur le modèle de celles du Louvre et du Musée Cernuschi et sous l’impulsion d’Alexandre Moret (1868-1938). Celui-ci, au cours d’une séance du Comité-Conseil en janvier 1923 (conseil créé par Émile Guimet et dirigé par lui de 1906 à 1913), relève la nécessité de créer une Société « qui nous soutiendrait de son concours moral et pécuniaire et [ce afin] par des initiatives privées, de maintenir et de développer la situation scientifique du musée ». Il fallait aussi construire de nombreuses vitrines pour installer les 2 000 objets provenant du legs de Jean (fils d’Emile) Guimet, organiser les salles par sphère civilisationnelle ou géographique et non plus religieuse comme c’était le cas, monter des expositions, rédiger des catalogues ou encore financer des expéditions archéologiques comme celle de Pelliot. Or il y avait urgence car les finances du Musée étaient au plus bas.

 

       C’est Émile Senart qui va assurer la première présidence. Il est aussi membre ou président de nombreuses autres compagnies comme l’Académie des inscriptions et belles-lettres, la Société asiatique, le Comité de l’Asie française, la toute jeune Association française des Amis de l’Orient créée en 1920, dont le siège est dans les locaux du Musée, et à la fin de sa vie de l’Institut de civilisation indienne, à la Sorbonne, en 1927, ce qui fit sans doute que ce sanscritiste resta relativement discret. L’association lui doit ses statuts et par là son éligibilité au mécénat. Il ouvrit son carnet d’adresses pour trouver les premiers membres de l’association et sut faire rentrer au Conseil d’administration des hommes appartenant au milieu des affaires. S’il n’a procédé à aucune acquisition durant son mandat, il fit don de nombreux ouvrages (175 volumes) issus de son propre fond et il soutint en cherchant des financements de nombreuses expéditions, dont celles de Pelliot.

 

       David David-Weill fut le deuxième président. Du fait des graves événements politiques, sa présidence se fit en deux temps (1928-1939 et 1945-1952). Collectionneur hors normes, il sut se montrer très généreux avec de nombreux musées par quantité de donations de son vivant. Raymond Koechlin (grand collectionneur, membre des Amis du Louvre puis président du Conseil des Musées nationaux) dira qu’il s’est montré « le plus généreux des mécènes ». Plus de 300 œuvres sont ainsi entrées au musée grâce à lui.  André François-Poncet dira encore : « son désintéressement est absolu. Si un conservateur lui signalait une pièce rare qu’il serait bon d’acquérir pour le musée, il l’achète aussitôt ». Il sut aussi s’intéresser au fonctionnement du musée le « dépannant » financièrement si besoin était.

 

       Nous citerons encore Paul Pelliot, brillant sinologue et philologue, qui fut le troisième sur les neuf présidents à ce jour. Il assura l’intérim de l’association de 1939 à 1945.  Mais dès 1919, il participait au Comité-Conseil, suivant dès lors la gestion du musée au plus près et influençant les orientations scientifiques. Son apport fut celui d’un grand savant. On lui doit notamment la découverte des manuscrits bouddhiques dans les grottes de Dunhuang, sauvant ainsi d’une destruction probable de nombreux sutras et plus de 150 peintures liturgiques.

 

       Les présidents suivants furent Jacques Bacot, Robert Gérard, André Ross, Geneviève Daridan, Olivier Gérard et actuellement Géraldine Lenain. L’auteur détaille avec minutie les apports financiers et les dons obtenus à chacune des présidences.

 

       Elle montre ensuite la participation de l’association aux événements culturels du Musée à travers certains financements de supports de communication ; l’association a soutenu le réaménagement des salles de l’hôtel Heidelberg, annexe du Musée au 19 avenue d’Iéna qui a longtemps hébergé les collections en provenance de temples japonais, et l’entretien de son jardin japonais. Elle soutint jusqu’en 2017 le Festival des cinémas asiatiques offrant le prix Émile Guimet et organisa de nombreuses conférences. Depuis, l’association se concentre sur l’achat et la restauration d’objets d’art le plus souvent sur la sollicitation du président du musée et de ses conservateurs.

 

       L’auteur détaille par département et numéros d’inventaire la liste des œuvres offertes, montrant ainsi la prééminence du Japon. Puis, selon un ordre chronologique, elle passe en revue chacune des acquisitions avec bibliographies, commentaires, photos et emplacement. Cela a pour effet d’offrir un beau panorama des acquisitions tout en en montrant les limites. On est frappé par la grande diversité des œuvres offertes touchant à l’ensemble des départements et incluant dorénavant des œuvres contemporaines.

 

       En revanche, on remarque que certaines pièces comme les peintures et les photographies, en raison de leur grande sensibilité à la lumière, ne figurent pas dans le parcours, ce qui est normal mais quid des sculptures ? On ne peut qu’être surpris qu’elles restent en réserves. On citera la sculpture intitulée « La tête au chignon, » en provenance d’Inde du Sud, XVIIe siècle (p. 221) qui, offerte en 1934, ayant donné lieu à certaines hésitations quant à sa provenance et à sa datation, semble avoir été oubliée. Elle ne sera pas exposée avant 1980 puis elle repartit dans les réserves au moment des travaux et ne se retrouve pas à la réouverture du musée en 2007. L’auteur indique qu’elle devrait être exposée prochainement. On pense aussi au « Joueur de Qin », Chine, Wei du Nord, VIe siècle (p. 230) qui connut un sort un peu différent. Offert en 1938, il était dans les salles jusqu’en 1980 puis n’est pas réapparu dans la nouvelle muséographie.

 

       Comme nous l’avons dit précédemment, le département du Japon a bénéficié de la part de l’association d’un grand nombre de dons dont certains sont tout à fait remarquables, comme le « Coffret pour nécessaire à la cérémonie de l’encens », XVIIsiècle, offert en 1999, (p. 264) ou, en 2000, (p. 266) le paravent « Allégorie de la peinture et de la calligraphie », début XVIIe siècle, et pourtant, comme plusieurs autres, ils sont toujours en réserves.

 

       On regrette aussi qu’il n’y ait pas plus d’informations sur l’importance de l’œuvre au sein de chaque département, ce qui aurait nécessité de solliciter plus largement les conservateurs. L’auteur mentionne seulement et très discrètement à l’avant-dernière page, la participation de certains d’entre-eux.

 

       En conclusion, l’auteur, en s’appuyant sur de nombreuses archives inédites de l’association, a relaté avec beaucoup de précision et de sérieux son histoire. Les petites remarques émises ici restent minimes eu égard à l’importance du travail présenté et à l’abondante iconographie réunie pour cet ouvrage qui comble un vide dans l’histoire du Musée Guimet, indissociable de celle de l’Association des Amis du Musée.