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Compte rendu par Frédéric Dewez, Université Catholique de Louvain Nombre de mots : 1607 mots Publié en ligne le 2024-07-16 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4735 Lien pour commander ce livre Cette publication, dirigée par Sabine Frommel et Ulrich Pfisterer, explore les concepts de beauté et de formes idéales dans l’art de la Renaissance. Ce travail examine comment ces idéaux sont représentés par les artistes, architectes et écrivains, naviguant entre l’idéalisation et l’imitation de la nature. Le livre s’intéresse également à la manière dont ces notions de beauté sont liées aux idées de vérité, de valeur, de vertu et d’amour, influençant ainsi les réalisations artistiques de manière significative.
L’ouvrage s’inscrit dans une réflexion approfondie sur l’histoire de l’art et de la littérature, en faisant écho à des discussions historiques et théoriques qui remontent au Moyen Âge et se prolongent jusqu’au XIXe siècle. Il fait également référence à l’œuvre d’Erwin Panofsky, « Idea », publiée en 1924, qui a également traité de concepts similaires dans le contexte de l’art de la Renaissance.
Le regard, à la Renaissance, devient un outil de connaissance, symbolisant le passage d’une vision médiévale dominée par des interprétations religieuses à une approche plus humaniste et empirique. Les formes idéales, quant à elles, sont largement influencées par la redécouverte des textes antiques et la réappropriation des idéaux classiques grecs et romains. Formes et regard peuvent aussi concerner l’histoire de la langue. C’est le champ d’investigation qu’explore Claudine Moulin, dans l’article d’ouverture de la première partie de l’ouvrage. L’autrice porte une attention particulière à l’agencement visuel de la mise en page des manuscrits dans le contexte de la pratique de l’annotation. Sa réflexion sur le rapport entre la mise en page et une certaine manière d’écrire est que ce rapport peut entrer en interaction non seulement avec les annotations et la langue, mais aussi avec le regard. Pour étayer son propos, Claudine Moulin nous partage l’étude qu’elle a réalisée sur un manuscrit du Haut Moyen Âge de l’abbaye bénédictine de Saint-Galle, une version bilingue latin-allemand de la règle de Saint Benoît, daté du début du IXe siècle, signé Sangallensis916. Elle en déduit que la forme idéale tant de l’écriture que de la lecture est solidaire « de la « mise en graphie », de la « mise en page » et de la « mise en espace » du support.
L’organe essentiel du regard, c’est bien sûr l’œil, car comme l’écrit Stéphane Toussaint, dans son article « Avant l’idée et avant l’image, il y a l’œil ». Et c’est celui de l’âme dont nous entretient l’auteur dans son étude consacrée à l’œil comme organe de l’âme dans la pensée de Marsile Ficin. Ce philosophe du XVe siècle a ceci de particulier qu’il ne sépare pas l’œil physique de l’œil mental. Cet œil de l’âme permet à l’être de s’ouvrir sur l’invisible et sur le monde. Après avoir présenté une mise en contexte autour de trois traités théologiques de la symbolique oculaire, Stéphane Toussaint analyse plus spécifiquement deux chapitres de la Théologie platonicienne, dans lesquels Ficin développe une véritable philosophie de l’œil que l’on retrouve, matérialisée dans certaines œuvres d’art du XVe eu XIXe siècle. Ficin reste platonicien dans sa conception de l’œil comme organe de lumière et se démarque d’Aristote dont il inverse le raisonnement.
De Platon et d’Aristote, il en est encore question dans l’article de Virginie Leroux, consacré à l’œuvre du Padouan Jules-César Scaliger. Ce théoricien du XVIe siècle place la poésie dans une double perspective : platonicienne quand il fait du nombre l’âme de la poésie, aristotélicienne quand il se réfère aux concepts de matière et de forme. Cette convergence des deux philosophes se manifeste clairement dans la comparaison que fait Scaliger entre la poésie et une statue de Jules César : le bronze est à la statue ce que le mot est au poète, et la forme est à la force et au mouvement ce que le plan et la place des mots sont au poème.
L’autrice, dans la suite de son étude, met clairement en évidence la manière dont Scaliger fait de Virgile le « poète idéal ». L’Énéide est la meilleure illustration de toutes les qualités poétiques qui permettent au poète d’être considéré comme tel.
Montaigne, quant à lui, se distancie de la pensée platonicienne même si, à la manière de Socrate, le philosophe et humaniste offre à la noblesse de son temps une leçon sur les grâces et la beauté. Comme le montre Jean Balsamo dans son étude sur la représentation de la beauté par Montaigne, la conception que se fait l’auteur des Essais est dichotomique : d’une part, il y a la beauté en elle-même et d’autre part les sens qui nous en donnent une certaine perception. Et c’est bien en cela qu’il s’affranchit de l’antinomie platonicienne, dans le sens où le philosophe grec oppose la réalité et les apparences alors que Montaigne envisage la beauté « en soi », dans tout ce qu’elle a de réel. La volonté du philosophe est de montrer comment, au travers de sa conception de la « forme essentielle », il se confond avec son ouvrage. Cette forme correspond, point par point, à ce qu’il est et à la manière dont il interagit avec son monde.
En peinture aussi, les processus de création et de perception sont étroitement liés. La manière dont on perçoit les choses est intrinsèquement connectée à l’idée du beau, telle qu’elle a été définie à la Renaissance. Partant de là, Michèle-Caroline Heck pose la question de la relation entre, d’un côté, la vision, le regard et la représentation et, de l’autre, le regard que l’artiste pose sur ce qu’elle appelle « les formes idéales ».
Il est essentiel pour l’artiste de repérer et de choisir les éléments les plus beaux de la nature afin de réaliser une œuvre harmonieuse et attrayante. Ce processus dépasse la simple imitation de ce qui est vu pour se tourner vers une amélioration via le discernement et la compréhension de l’artiste du concept de « Beau naturel », tel que l’a défini Roger de Piles, théoricien de l’art du XVIIIe siècle.
Le texte développe la notion que l’œil de l’artiste doit aller au-delà de la simple observation pour reconstruire le monde visible à travers des images mentales qui sont essentielles dans la création de l’œuvre d’art. Cela implique un équilibre entre ce qui est directement perçu et ce qui peut être recréé de manière imaginative pour transmettre des vérités plus profondes et une beauté accrue. Il est souligné que le rôle de l’artiste est de perfectionner la nature en sélectionnant ses parties les plus belles et en les intégrant dans un ensemble cohérent qui plaît à la fois esthétiquement et intellectuellement au spectateur.
Cette perspective s’ancre profondément dans le discours théorique de l’art, où l’interaction entre le naturel et l’idéal constitue le fondement de l’expression artistique. La beauté naturelle est perçue non seulement comme ce qui existe, mais aussi comme un potentiel que l’artiste peut élever par une sélection habile et une reconstruction imaginative.
Quelle que soit la manière dont le peintre considère son œuvre, son objectif est toujours le même : appeler le regard. Le voir, comme l’écrit l’autrice de l’article, implique de facto trois processus : la perception, l’appréciation et le jugement.
La forme idéale continue, encore et toujours, à inspirer les artistes. Mais il est une forme qui, pour Raphaël Tassin, reste l’incarnation d’un idéal qui n’a cessé d’évoluer, à savoir la tholos. Dans son article, l’auteur se propose d’examiner les raisons pour lesquelles les architectes modernes et contemporains ont manifesté un engouement certain pour cet édifice si particulier.
Après avoir mis en lumière les aspects architecturaux, historiques, et l’importance culturelle de la tholos dans l’Antiquité, Raphaël Tassin montre comment, au travers de sa réappropriation par différents artistes — peintres et architectes, l’édifice est devenu une forme archétypale très importante de l’architecture. Ce succès est très certainement dû tant à son pouvoir évocateur de l’Antiquité qu’aux valeurs morales ou religieuses que lui conféra l’Antiquité.
Cet ouvrage représente une contribution d’une haute valeur scientifique à l’étude de l’esthétique de cette période clé. Les articles, rédigés en plusieurs langues, enrichissent le discours académique par leur diversité et leur profondeur. De plus, l’ouvrage est magnifiquement rehaussé par 64 planches illustratives d’excellente facture, soigneusement choisies pour complémenter et éclairer les textes. Ces illustrations enrichissent la compréhension du lecteur de la matérialité et de l’espace de la Renaissance.
Table des matières
La forma ideale nell’arte e nel pensiero: tradizioni e mutazioni dal Rinascimento all’Ottocento Sabine Frommel, Ulrich Pfisterer, 7
IL QUATTROCENTO : TESTI, TECNICHE E IMMAGINI
Mise en graphie, mise en page, mise en espace : formes idéales de la culture écrite médiévale Claudine Moulin, 17
Reales und ideales Sehen. Sehtheorie und Linearperspektive Berthold Hub, 29
L’œil, organe de l’âme chez Ficin lecteur d’Aristote et de Plotin Stéphane Toussaint, 59
Machiavelli e l’evidenza del vedere Gian Mario Anselmi, 71
IL CINQUECENTO : IDEA, NATURA E ARCHEOLOGIA
La «certa idea» e due creazioni ideali di Raffaello: la Galatea e la Madonna Sistina Christoph Luitpold Frommel, 79
The mirror and the face. Parmigianino’s metaphor of the gaze Marzia Faietti, 93
An ideal vision of Renaissance Rome: Claude de Bellièvre’s Noctes romanae (c. 1514-18) Kathleen W. Christian, 113
La forme idéale dans les Poetices libris septem de Jules-César Scaliger (1561) Virginie Leroux, 125
Forme « naïve » et beauté cachée dans les Essais de Montaigne Jean Balsamo, 141
Das Ideal in Bewegung ? Jacques Androuet du Cerceau und Michel de Montaigne Julian Jachmann, 151
Problematisches Sehen illusionärer Schönheit: Die Armida-Episode in Torquato Tassos Gerusalemme liberata Jörn Steigerwald, 167
DAL SEICENTO ALL’OTTOCENTO : DALLA TEORIA ALL’INDIVIDUALITÀ
La forma ideale e la concezione geometria dello spazio Filippo Camerota, 181
Le beau naturel et la reconstruction du regard porté sur une forme idéale Michèle-Caroline Heck, 191
La tholos : pérennité et évolutions d’une forme idéale dans l’art de l’époque moderne Raphaël Tassin, 199
Dall’“Idea” al “Bello ideale” nella letteratura artistica, da Leonardo a Canova Carmelo Occhipinti, 213
Zum Begriff des « Ideals » bei Ernst Friedrich August Rietschel und Carl Gustav Carus Eckhard Leuschner, 231
Anti-Idea: Relative Schönheit in der älteren Kunsttheorie Ulrich Pfisterer, 243
Apparati
Indice dei nomi, 261
Referenze fotografiche, 265
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |