|
||
Compte rendu par Franck Wojan, Université de Rouen Nombre de mots : 1896 mots Publié en ligne le 2024-10-16 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4740 Lien pour commander ce livre Dans le monde scientifique, la publication des fouilles d’un site archéologique est toujours un événement, car il s’agit non seulement de dresser un bilan, mais aussi de le faire connaître à un large public. C’est le cas avec ce quinzième volume – en deux fascicules, d’un total de 920 pages auxquelles s’ajoute un plan hors-texte – de la collection des Études péloponnésiennes de l’École française d’Athènes, consacré entièrement à « l’Aspis », colline argienne dite aussi « du Prophète Élie ». Comme le rappelle à juste titre Véronique Chankowski dans la Préface (p. XV), ce travail est non seulement le « fruit de la collaboration d’une équipe internationale et d’un partenariat régulier avec l’Éphorie d’Argolide », mais il montre aussi (et surtout) le « renouveau des travaux argiens au sein de l’École française d’Athènes ». Je ne sais pas si on peut dire que le site d’Argos a été délaissé – le terme est sans doute exagéré –, mais il est vrai que d’autres sites – comme celui de Delphes – ont retenu davantage l’attention dans les publications de l’École (à quand un volume de la belle collection des « Sites et Monuments » consacré entièrement à la cité argienne ?).
Quoi qu’il en soit, ce bel ouvrage à la mise en page soignée s’attaque à un quartier de la cité des Argiens, celui de la colline de l’Aspis, « une éminence d’environ 100 m d’altitude située sur les marges occidentales de la plaine d’Argos » (p. 5), et dresse un panorama aussi complet que possible de son occupation entre le VIIIe et le IIe siècle avant J.-C. L’ampleur de la documentation et la richesse des deux fascicules ne facilitent pas le travail du recenseur (!), qui se propose dans les lignes qui suivent de survoler les différentes thématiques abordées.
Le fascicule 1 (XVI-478 pages) est divisé en deux grandes parties. La première (p. 1-78) concerne « Le site et les fouilles ». Antoine Chabrol présente tout d’abord (chap. 1) le site de l’Aspis dans son environnement naturel et géographique, et insiste tout particulièrement sur la ressource en eau et ses risques dans la plaine argienne en général. Ensuite, Gilles Touchais (chap. 2) s’intéresse aux mentions de l’Aspis dans la littérature antique, médiévale et moderne, ainsi que dans les débats contemporains : il s’agit de savoir si le nom antique – Aspis – est bien celui de la colline connue actuellement sous le nom de celle du Prophète Élie. L’auteur conclue que l’hypothèse émise naguère par Vollfgraff reste recevable : la colline de l’Aspis et celle du Prophète Élie ne font qu’une. Enfin, Gilles Touchais, Anna Philippa-Touchais et Sylvian Fachard (chap. 3) dressent une histoire des fouilles archéologiques et une présentation des contextes depuis les années 1970 jusqu’au milieu des années 2010. On perçoit d’autant mieux comment la curiosité des archéologues pour ce site a évolué, tout en cherchant à embrasser la période historique la plus large possible.
La deuxième partie (p. 81-478) se focalise sur les époques anciennes, le géométrique et le début de l’époque classique. Dans le chap. 4, Camilla Diogo de Souza décrit les caractéristiques de la céramique géométrique, pourtant « assez pauvrement représentée » in situ (p. 81). 46 pièces composées de 25 vases fermés et 21 ouverts ont été étudiées, que l’on retrouve dans le catalogue A. Anna Philippa-Touchais et Alexandra Alexandridou présentent (chap. 5.1) un dépôt votif découvert dans le secteur nord de la colline, qui s’étale du VIIIe au IVe s. av. et dont le matériel est regroupé dans le catalogue B.1. Le profil de la déesse Héra semble se dessiner. Les mêmes autrices (chap. 5.2) évoquent ensuite les découvertes qui n’appartiennent à aucun contexte précis, et qui sont regroupées dans les catalogues B.2 et B.3. On y trouve pêle-mêle de la céramique archaïque, des figurines archaïques et mycéniennes. Dans le chap. 6, Gudrun Klebinder-Gauss s’intéresse aux objets métalliques (fibules, anneaux, etc.), puis Marie-Françoise Billot (chap. 7) se consacre aux terres cuites architecturales d’époque archaïque, en distinguant celles qui relèvent du système corinthien et celles du système laconien. Les pièces sont respectivement présentées dans les catalogues C et D. Anna Philippa-Touchais discute dans le chap. 8 de la présence d’un sanctuaire archaïque sur la colline. Il apparaît que, à la fin du VIIIe s., les Argiens ont consacré deux sanctuaires à la déesse Héra, celui de l’Aspis (Héra Acraia) et le fameux Hèraion extra-urbain.
Le fascicule 2 (441 pages, p. 479-920) comprend la troisième partie, qui est entièrement consacrée aux périodes classique et hellénistique. Les trois premiers chapitres portent sur « Les constructions ». Sylvian Fachard et Jean-Claude Bessac (chap. 9) décrivent les remparts de la colline en s’intéressant à son tracé, ses composantes, sa datation, ses matériaux et techniques utilisés, pour finir par une présentation de l’architecture et du système de défense (courtines, tours, grand saillant) choisis pour ce lieu particulier dans la sitographie argienne en comparaison avec d’autres sites, et sachant que « Les remparts de l’Aspis forment un assemblage composite de divers types de murs et de tours construits sur plus de douze siècles ». Romaric Bardet (chap. 10) porte son regard sur les citernes, sortes de « passages souterrains », qui méritaient une étude complémentaire aux observations faites par Vollfgraff un siècle plus tôt. La conclusion qui s’impose est le caractère militaire des aménagements en lien avec une citadelle, plus qu’une fonction domestique ou publique. Les deux citernes sont datées entre la fin du IVe et le début du IIIe s. av. Gilles Touchais (chap. 11) achève ce tour d’horizon avec la description des quelques bâtiments construits à l’intérieur des fortifications, tous datés de l’époque hellénistique, mais dont il ne subsiste que peu de chose. L’auteur signale en conclusion (p. 672) que « tous ces bâtiments (…) présentent un certain nombre de points communs (…) : faible épaisseur des murs, exécution plutôt sommaire (avec remploi occasionnel de structures préexistantes), orientation variable, organisation lâche ». Au sommet de la colline, on note l’absence de vestiges hellénistiques interprétables.
Les six derniers chapitres sont consacrés au mobilier. Guy Ackermann (chap. 12) traite de la céramique classique et hellénistique dont les éléments sont présentés dans le catalogue E. C’est un matériel abondant (257 pièces), daté essentiellement de la haute époque hellénistique, mais qui a permis à l’auteur de distinguer quatre phases d’occupation de la colline (p. 702-703) et de montrer les contrastes entre les situations argienne, athénienne et corinthienne (p. 703-706). Dans le chap. 13, Marie-Françoise Billot s’attaque aux terres cuites architecturales d’époque classique et hellénistique, là encore en reprenant la distinction précédente (cf. chap. 7) entre les systèmes corinthien et laconien. Gudrun Klebinder-Gauss (chap. 14) fait de même avec les objets métalliques. Les découvertes sont respectivement recensées dans les catalogues F et G. Les ustensiles en terre cuite sont présentés par Caterina Martini et Guy Ackermann (chap. 15) et regroupés dans le catalogue H : il s’agit surtout de pesons de métier à tisser et de bobines, en lien avec le travail des textiles. Catherine Grandjean (chap. 16) s’intéresse pour finir aux monnaies (catalogue J) et décrit 19 exemplaires, dont la proportion d’argiennes est réduite (5/19) et ne sont pas antérieures à la fin du IVe s.
Le chap. 17, rédigé à six mains par Sylvian Fachard, Gilles Touchais et Guy Ackermann, tente le redoutable exercice de la synthèse à partir de données disparates. De ces quelques pages, je retiendrai surtout que l’occupation de la colline de l’Aspis est qualifiée de « marginale » et que le plateau sommital de la colline ne fut jamais un quartier d’habitation. C’était un quartier protégé par un rempart, qui s’appuie sur des défenses préexistantes, dont la fonction militaire transparaît largement. C’était aussi un quartier qui était incorporé dans le système de défense urbain mis en place par les Argiens. L’occupation du site change à l’époque hellénistique, avec une intensification de son occupation entre les années 330 et 290 (nouvelles murailles et nouveaux bâtiments, citernes). Si le profil des nouveaux occupants ne peut pas facilement être déterminé, l’aspect militaire reste de rigueur. Les auteurs parlent d’ailleurs de « citadelle de l’Aspis », à raison, bien que le « faciès archéologique d’une garnison [ne soit] pas aussi manifeste qu’on pourrait le croire ». Cela dit, la comparaison avec Rhamnonte ou Éleusis n’est peut-être pas la meilleure, sachant que l’Aspis était directement intégrée à la ville d’Argos, ce qui n’est pas le cas des deux forteresses attiques mentionnées.
En refermant ce double ouvrage, on ne peut qu’être satisfait du travail accompli par celles et ceux qui ont croisé la route d’Argos, cette « ville grecque de 6000 ans » comme le proclamait le sous-titre d’un ouvrage que Marcel Piérart et Gilles Touchais avaient consacré à la capitale de l’Argolide en 1996. La topographie de la ville antique se précise et, même s’il reste encore bien des mystères à éclaircir, une telle publication permet de mieux comprendre la vie de ce quartier à la fois un peu en marge de la ville antique tout en étant intégré à elle. J’avais évoqué une mise en page soignée ; j’ajouterai aussi la qualité des illustrations, que le format A4 et l’utilisation fréquente de la couleur rendent particulièrement lisibles. Un seul regret, qui incommodera sans doute le chercheur pressé : l’absence totale et inexpliquée du moindre index, compensée – mais pas entièrement – par une table des matières détaillée. Un second volume, consacré à l’habitat mésohelladique, est annoncé dans la Préface. Gageons qu’il apportera lui aussi son lot d’informations sur un site qui n’a désormais pratiquement plus de secret pour toute l’équipe réunie autour de Gilles Touchais et de Sylvian Fachard.
Sommaire
Fascicule 1
Sommaire (p. IX-XII) Liste des abréviations (p. XIII-XIV) Préface (p. XV) par Véronique Chankowski Introduction (p. 1-2) par Gilles Touchais , Anna Philippa-Touchais et Sylvian Fachard
Première partie Chap. 1. L’Aspis dans son environnement par Antoine Chabrol (p. 5-19) Chap. 2. L’ « Aspis » dans la littérature archéologique par Gilles Touchais (p. 21-31) Chap. 3. L’exploration des niveaux historiques : histoire des fouilles et présentation des contextes, par Gilles Touchais , Anna Philippa-Touchais et Sylvian Fachard (p. 33-78)
Deuxième partie Chap. 4. La céramique géométrique, par Camila Diogo de Souza (p. 81-119) Chap. 5.1. The clay-votive material (8th-4th cneturies): The Votive Deposit of the North sector par Anna Philippa-Touchais et Alexandra Alexandridou (p. 121-178) Chap. 5.2. The clay-votive material (8th-4th centuries): The uncontextualized finds par Anna Philippa-Touchais et Alexandra Alexandridou (p. 179-363) Chap. 6. The metal objects from the Geometric and Archaic periods par Gudrun Klebinder-Gauß (p. 365-402) Chap. 7. Les terres cuites architecturales d’époque archaïque par Marie-Françoise Billot (p. 403-452) Chap. 8. The archaic sanctuary on the Aspis hill: A tentative synthesis of the evidence par Anna Philippa-Touchais, (p. 453-478)
Fascicule 2
Troisième partie Chap. 9. Les remparts par Sylvian Fachard et Jean-Claude Bessac (p. 481-603) Chap. 10. Les citernes par Romaric Bardet (p. 605-641) Chap. 11. Les bâtiments par Gilles Touchais (p. 643-673) Chap. 12. La céramique des époques classique et hellénistique par Guy Ackermann (p. 675-770) Chap. 13. Les terres cuites architecturales d’époque classique et hellénistique par Marie-Françoise Billot (p. 771-807) Chap. 14. Metal finds from the Classical and Hellenistic periods par Gudrun Klebinder-Gauß (p. 809-825) Chap. 15. Les ustensiles en terre cuite par Caterina Martini et Guy Ackermann (p. 827-841) Chap. 16. Les monnaies par Catherine Grandjean (p. 843-852) Chap. 17. Séquence chronologique et nature de l’occupation du Ve au IIe siècle avant J.-C. : essai de synthèse par Sylvian Fachard , Gilles Touchais et Guy Ackermann (p. 853-861)
Conclusion générale, par Gilles Touchais , Anna Philippa-Touchais et Sylvian Fachard (p. 863-864) Bibliographie (p. 865-898) Crédit d’illustration (p. 899-901) Liste des auteurs (p. 903) Table des matières (p. 905-919)
|
||
Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |