Daniel, Noel (dir): The Circus, ca. 1870-1950, 29 x 44 cm, 672 pages, Trilingue (français, anglais, allemand), ISBN 978-3-8228-5153-1, 150 euros
(Taschen, Paris 2008)
 
Compte rendu par Catherine Dousteyssier-Khoze, Durham University
 
Nombre de mots : 1199 mots
Publié en ligne le 2009-07-20
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=476
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   Il s’agit là d’un ouvrage monumental, à tous les sens du mot, les huit kilos de papier venant à leur façon refléter les dimensions titanesques du cirque. Edité par Noel Daniel avec des notes et légendes de Dominique Jando, Linda Granfield et la collaboration, sur le plan historique, de Fred Dahlinger Jr., The Circus est un livre trilingue (anglais, allemand, français) qui retrace et documente l’histoire du cirque américain depuis son expansion à la fin du XIXe siècle jusqu’à son déclin dans les années 1950.

 

          Il est le fruit d’une vaste enquête de Noel Daniel qui, pendant plus de deux ans, a sillonné les Etats-Unis à la recherche d’archives sur le cirque. Pour elle, l’avènement du cirque coïncide avec la naissance de la culture populaire américaine. Elle décrit la mise en place d’une formidable machine à divertir qui annonce les techniques modernes de l’industrie du grand spectacle : « Le cirque était à la fois le Super Bowl, les Jeux Olympiques et le dernier film à grand succès d’Hollywood (p. 15) ». Sur les 30 000 images rassemblées, elle en retient 900 dans ce livre, qu’il s’agisse de photos inédites, de posters et affiches de / sur le cirque. C’est le grand attrait du livre, véritable spectacle, ultime régal visuel. On ne peut que louer l’immense variété et la très grande qualité de l’appareil iconographique, des photographies de Frederick Whitman Glasier ou Edward Kelty aux posters des lithographes Strobridge. L’une des photos qui représente peut-être le mieux l’essence chaotique et le gigantisme du cirque à son apogée occupe une double page (p. 170-171) : « Ringling Brothers and Barnum & Bailey, Madison Square Garden, NY City, 1931 ».



          Le livre est divisé en huit chapitres. Le chapitre 1, « Les origines mondiales du cirque » (Dominique Jando), propose un bref historique du cirque, à commencer par les premières représentations d’acrobates et jongleurs en Egypte (3000 ans avant J.C.), puis en Grèce, dans l’Empire romain ou encore en Chine. A partir du Moyen Age, les artistes itinérants (acrobates, jongleurs et montreurs d’animaux) bénéficient d’une reconnaissance professionnelle en se produisant lors d’immenses foires, d’Europe en Asie. Cependant, le cirque moderne n’apparaît véritablement qu’au XVIIIe siècle, souligne Jando, grâce aux voltigeurs à cheval anglais (premier cirque fondé par Philip Astley dans les années 1770). Le même Astley établit le premier cirque français sur le boulevard du Temple avant de laisser la place à la célèbre famille d’écuyers italiens Franconi, qui régna sur le monde du cirque parisien à travers tout le XIXe siècle (voir notamment la très belle gravure du dompteur de fauve Henri Martin, p. 102). Le cirque américain, auquel l’essentiel des chapitres suivants seront consacrés, fit quant à lui sa première apparition en 1793 à Philadelphie. Les multiples illustrations offrent de précieux aperçus sur l’évolution du cirque à travers les âges et les continents.


          Dans le chapitre 2, « Les merveilles du monde vous attendent », Dominique Jando souligne le rôle unique du cirque comme spectacle vivant avant l’avènement des médias modernes du XXe siècle. Fortement influencé par les techniques commerciales de Barnum, le cirque américain est présenté comme un spectacle sain qui peut distraire, voire instruire, toute la famille. En associant la ménagerie et les multiples parades et défilés aux jongleurs, clowns et acrobates, le cirque américain, qui connaît son âge d’or à l’époque victorienne, cherche avant tout à s’ouvrir sur l’exotisme. Les sideshows ou « galeries des phénomènes » popularisés par Barnum présentaient de multiples « sauvages » issus de tribus africaines ou asiatiques qui renforçaient la dimension mystérieuse et onirique du cirque. L’Ouest américain occupe également une place privilégiée dans l’imaginaire du cirque. Les nombreuses affiches et photographies reproduites dans ce chapitre font état de cette quête effrénée d’« exotisme » (cf. à titre d’exemple l’affiche de Ringling Bros and Barnum & Bailey, vantant sa tribu d’« authentiques sauvages Ubangis » issus de « l’Afrique la plus sombre et profonde », p. 179).


          Le chapitre 3, « Vénus de l’époque : l’émancipation de la femme artiste » (Dominique Jando), met l’accent sur le rôle clé de la femme dans le monde du cirque. Outre ses prouesses techniques en tant qu’acrobate, écuyère, jongleuse ou encore dresseuse, la femme apporte une dose de sensualité et d’érotisme qui constitue l’un des attraits implicites du cirque. Mais, respectées pour leurs qualités professionnelles, les artistes féminines de cirque sont source d’inspiration et ouvrent la voie à l’émancipation de la femme.


          Le chapitre 4, intitulé « Des bêtes étranges venues de pays lointains » (Dominique Jando), met en évidence la place qu’occupent fauves et éléphants dans l’imaginaire du public — le célèbre Jumbo, exhibé à Paris en 1861 et racheté en 1882 par Barnum, devint « la plus grande attraction que le cirque [eût] jamais connue » (p. 302-303). La variété des animaux ne cessa de s’accroître au cours du XIXe siècle : Jando cite l’exemple du cerf Coco dressé par les Franconi au Cirque Olympique de Paris au début des années 1810, dont une gravure est d’ailleurs montrée au chapitre 1 (p. 118). L’expansion des empires coloniaux européens, suivie par de nombreuses explorations, ne fit que renforcer la fascination du public pour les animaux exotiques et sauvages et donna naissance à un véritable commerce. Certains dompteurs devinrent des stars internationales, à l’instar de Van Amburgh qui affronta un tigre du Bengale lors d’une représentation en 1833. Et lorsque le visionnaire Barnum décida de mettre le cirque sur les rails en 1872, tout un zoo itinérant fut créé.


          Le chapitre 5 porte un titre qui pourrait fort bien s’appliquer à l’ouvrage lui-même : « Les numéros de cirque : un chaos organisé pour le plaisir des sens ». Dominique Jando évoque dans ce chapitre l’atmosphère de frénésie et magie qui caractérise le cirque (et notamment les tours de force de certains acrobates et voltigeurs).


          Dans le chapitre 6, « Cracheurs de feu et lanceurs de couteaux : les monstres et merveilles des attractions du sideshow », Linda Granfield explore les « galeries de phénomènes » rendues célèbres par Barnum. Ces sideshows, qui fonctionnent parallèlement aux représentations, sont composés de trois éléments : des nouveaux numéros relevant du surhumain, de l’exotique ou de l’extraordinaire ; des créatures empaillées ou conservées dans des bocaux et, enfin, des monstres ou phénomènes humains (p. 453). C’est ainsi tout un monde étrange, effrayant et mystérieux que découvre le public durant l’âge d’or du cirque itinérant américain (voir en particulier la double photographie du « Congrès des monstres » du Ringling Brothers and Barnum and Bailey Combined Circus, p. 464-465).


          Le chapitre 7, « La ville sous la tente : les coulisses du cirque » (Linda Granfield) évoque à travers de multiples photographies les dessous du cirque, le montage du ou des chapiteaux et la vie quotidienne des artistes itinérants. Enfin, le chapitre 8, « Les casse-cou : risquer le tout pour le tout pour le public » (Dominique Jando) souligne l’essence même du cirque, qui joue avec les limites humaines, et  conclut en rappelant que, bien avant les émissions de télé-réalité, « le cirque présenta des cascades périlleuses et spectaculaires à une échelle sans précédent » (p. 615).


          On peut noter certaines redondances d’un chapitre à l’autre ainsi qu’une absence parfois gênante de liens entre iconographie et texte (voir l’exemple, cité ci-dessus, du cerf dressé par les Franconi, mentionné dans le chapitre 4, mais sans qu’aucune mention ne soit faite de la gravure du chapitre 1) et une approche chronologique aurait sans doute donné une plus grande cohérence au matériel présenté. On aimerait aussi en savoir davantage sur la réception du cirque et son influence sur la culture de son temps (ses liens avec les autres arts du spectacle, notamment la pantomime ; son influence sur le roman au XIXe siècle). Rappelons cependant que l’ouvrage, en dépit de sa taille, n’a aucune prétention à l’exhaustivité. Et malgré ces réserves mineures, on ne peut qu’être fasciné par ce livre extraordinaire, trilingue et multicolore : The Circus is the « Greatest Show on Earth ».