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Compte rendu par Catherine Breniquet, Université Clermont-Auvergne Nombre de mots : 2973 mots Publié en ligne le 2024-01-25 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4763 Lien pour commander ce livre Depuis quelques années, la collection Terra Mater des PUBP publie l’actualité des recherches archéologiques effectuées sur le territoire national sous la forme de monographies ou ouvrages collectifs. À tout seigneur, tout honneur, l’archéologie de l’Auvergne y tient naturellement une place non négligeable. En témoigne l’ouvrage examiné ici, qui traite d’un site devenu « mythique » tant il a défrayé la chronique suite à d’incessantes querelles de localisation : Gergovie. Mais ce n’est pas cette polémique largement close qui anime la publication. L’oppidum de Gergovie est connu depuis que Jules César l’a mentionné au livre VII de la Guerre des Gaules. Le site lui-même existait antérieurement à la célèbre bataille qui vit s’affronter Romains et Gaulois en 52 av. J.-C. et qui, comme le rappelle D. Garcia dans sa préface, l’inscrivit au fil du temps dans le « roman national » (p. 6). En effet, Gergovie appartient au patrimoine, mais, bien qu’exploré dès le XIXe siècle, demeure très mal connu. La présente publication entend donc combler ce manque. Elle livre, sous la forme d’une mise en abîme audacieuse, intermédiaire entre le rapport d’opérations, la monographie et la synthèse, un bilan historiographique des recherches passées et leur mise en perspective grâce aux travaux récents. La forme même choisie donne ses qualités de précision à la publication, assortie de quelques redites inévitables. Les travaux dont on rend compte sont adossés à un projet de recherches et de valorisation pluridisciplinaire et pluri-institutionnel à l’échelon local baptisé « Gergovie et les sites arvernes ». Le site, son histoire, sa redécouverte, sa dimension patrimoniale, mais aussi son environnement au sens large du terme, se déclinent ici en plus de 600 pages, superbement illustrées, sous la direction conjointe de deux spécialistes de l’âge du Fer, Yann Deberge, Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), et Thomas Pertlweiser, Université de Vienne, en Autriche. La présence de l’Inrap comme maître d’œuvre s’explique par la volonté de l’Institut de contribuer à la recherche archéologique programmée en permettant la diffusion d’un savoir méthodologique renouvelé, construit sur l’expérience préventive.
L’ouvrage est très solidement charpenté en quatre grandes sections, précédées d’une courte introduction qui situe le propos dans la recherche sur le territoire arverne. Le premier chapitre (p. 13-41) est consacré au « contexte », décliné en deux sections. La première concerne le territoire arverne (p. 15-25). Y. Deberge le présente à travers les mentions des sources antiques (Strabon et César), évoque sa « culture matérielle » et les difficultés pour préciser le statut, vassal ou allié, de certains établissements rattachés à ce territoire. La géographie physique est ensuite évoquée ainsi qu’un état des recherches sur l’occupation du sol : présence de terres agricoles, de sites métallifères, d’axes de circulation, etc. L’archéologie illustre inégalement ces différents aspects mais beaucoup d’éléments semblent en place antérieurement à la conquête romaine. L’âge du Fer apparaît comme un tournant décisif qui montre déjà l’existence d’un maillage territorial régulier et dense, non centralisé, avec une mise en valeur agricole efficace. Les trois oppida du bassin clermontois, Gergovie, Corent et Gondole, font l’objet de la deuxième partie du chapitre (p. 27-41). Cette section rappelle les découvertes, sans les commenter dans le détail, de façon à introduire la suite de l’ouvrage. Ces trois oppida, concentrés dans la partie méridionale du bassin, interpellent sur la nature des liens qui les unissent. Doit-on reconnaître un oppidum central et deux sites satellites ? Si Corent et Gergovie ont des dimensions comparables, Gondole, plus excentré, semble pourtant « connecté » au dernier par un double fossé. Les trois sites fonctionnent-ils comme place centrale à des moments différents, que l’archéologie peine à mettre en lumière ? Le point le plus clair demeure que Gergovie apparaît, dès le début des recherches de terrain, comme le lieu de la fameuse bataille, n’en déplaise aux détracteurs de l’hypothèse. Cette section, qui présente des cartes retravaillées très claires, ne se veut pas plus exhaustive que le début du chapitre, mais cherche bien à présenter l’état de la documentation et des recherches. Un tableau chronologique de l’occupation du bassin arverne aurait toutefois gagné à être fourni au lecteur. La fin du premier chapitre est consacrée très logiquement à la description du dispositif des fortifications et des fossés (p. 37-41) et au croisement des sources qui les éclairent, notamment l’archéologie préventive et les dernières prospections en date. Le mobilier découvert, essentiellement de l’armement, est présenté. On notera la mention d’une sépulture atypique d’adolescent dans un fossé.
Le deuxième chapitre propose au lecteur, toujours sous la plume de Y. Deberge, l’histoire des recherches à Gergovie (p. 43-133), dominée par les fouilles des années 1930-1940. Celui-ci est divisé en trois sections : les recherches elles-mêmes (p. 45-87), la chronologie (p. 89-109), la fortification (p. 111-133). Il s’agit en réalité d’une synthèse bienvenue de l’ensemble des recherches sur l’oppidum qui justifie et amorce le chapitre suivant, consacré aux nouvelles recherches. Un premier bilan des travaux sur l’oppidum avait déjà été dressé par V. Guichard mais, publié en 1994, effleurait à peine, par force, les travaux du moment. Ceux-ci bénéficient ici d’une relecture en perspective autorisée par la publication d’archives photographiques inédites (p. 55-57, également p. 117-118, 120) et par les avancées récentes (archéologie préventive sur le plateau, le sanctuaire et le secteur oriental du site, sondages sur les portes ou le plateau). Des relevés au LIDAR fournissent des documents graphiques spectaculaires (p. 78-79) montrant les parcellaires fossiles et les zones d’accès à l’oppidum. La synthèse graphique de l’ensemble associant un réseau viaire hiérarchisé, des secteurs d’habitat, des aménagements publics en plus de l’enceinte, est fournie p. 84. Le chapitre se poursuit avec une discussion sur la chronologie de l’occupation du site et sa possible datation à la période gauloise. On ne trouve pas là un réexamen des collections anciennes de mobilier, mais plutôt une proposition argumentée et ciblée, fondée sur les occurrences de monnaies et de vaisselles importées, pour une occupation de l’oppidum comprise entre le Ier siècle av. J.-C. et le Ier siècle ap. J.-C., soit des débuts de La Tène D2 à la période augustéenne. La troisième section est consacrée à ce qui est connu de la fortification elle-même, redécrite à la lueur des réexamens ultérieurs aux travaux de terrain. La stratigraphie de l’ouvrage défensif apparaît d’emblée complexe, avec des réaménagements qui le sont tout autant (réfections de l’enceinte, terrasses, petites constructions à la destination incertaine, etc.) contrastant avec sa relative uniformité dans les secteurs les mieux étudiés (sud-est, sud-ouest, porte sud).
L’imposant chapitre 3 (p. 135-401) est dévolu à la présentation des nouvelles recherches sur les fortifications, incarnation même du site, mais faussement monolithiques. Écrit à plusieurs mains, il associe l’ensemble des spécialistes, déployant toute la pluridisciplinarité du projet. On y rappelle le cadre pluri-institutionnel large regroupant les principaux acteurs de l’archéologie locale (détail p. 139-141), programmée et préventive, son calendrier s’étirant de 2001 à 2008, ainsi que le cadre scientifique : surreprésentation des fouilles initiales, coexistence de trois oppida arvernes (Gergovie, Corent, Gondole) entraînant des questionnements sur l’habitat associé, le commerce, l’artisanat, le rôle du pouvoir et de la religion, etc., et imposant le recours à des données fraîches. Une étude géologique préliminaire ouvre le chapitre. Elle permet de prendre la mesure des difficultés de lecture du terrain, mis en culture depuis l’époque moderne, altéré par des dépôts de pente et des aménagements anthropiques. Un relevé micro-topographique et un relevé au LIDAR complètent avantageusement ce premier panorama. Ils permettent de relocaliser les vestiges connus antérieurement, d’amener la très forte probabilité de l’existence d’un relief artificiel sur tout le périmètre du plateau prenant la forme d’un talus, d’une terrasse, d’une muraille à éperons visibles à des degrés divers selon les secteurs, dernier état d’un mur antérieur, couronnant un escarpement artificiel taillé sur le rebord du plateau, dont il convenait de préciser la chronologie fine.
Les travaux de terrain ont porté sur quatre portions du tracé de la fortification avec des méthodes variées : fouille en aire ouverte sur 400 m2, fouilles plus ponctuelles au niveau de la porte ouest (260 m2, 950 m2, 300 m2) avec exposition des fouilles anciennes, sondages en plusieurs points (une centaine de m2 cumulés). La suite du chapitre est dévolue à la présentation des résultats obtenus sur le rempart sud-est, le rempart sud et la porte Ouest, le rempart sud-ouest, avec des observations détaillées sur le mobilier associé (caractérisation, datation). Le secteur du rempart sud-est a permis de redégager la « Tranchée des Anglais » et la mise en évidence des états successifs de la fortification (p. 161-231). Quatre phases sont attestées dont le premier état est une occupation antérieure à l’établissement du premier rempart, totalement inédit. Sa construction (précédée par un dépôt de fondation constitué de vases de stockage brisés intentionnellement donnant la mesure de la dimension symbolique de l’aménagement) est caractérisée par un mur de pierres et de remblais armé par une structure en bois, daté du Hallstatt D23-La Tène A1. Cette fortification est réaménagée au milieu du Ier siècle av. J.-C. avec un appareil de pierres sèches et des refends destinés à supporter un large chemin de ronde, selon un modèle grec. Une quatrième occupation antique est attestée, sans relation avec les précédentes. Ce sont sans conteste l’existence d’un rempart « gaulois » attesté uniquement au sud-est et la monumentalité de la fortification tardo-laténienne qui constituent les faits saillants de cette première sous-section. Les dégagements à la « Porte Ouest » (p. 239-325) avaient pour objectif la vérification des observations précédemment acquises. Malgré la disparition des liens stratigraphiques due aux premières fouilles, ils ont confirmé l’occupation ancienne du plateau (dès le Néolithique moyen II) et surtout précisé les phases d’aménagement et d’occupation de la porte, dès La Tène D2. Une carrière d’extraction de blocs de basalte destinés à des aménagements publics (voirie, places), et non au rempart, est suivie de l’installation de structures domestiques et artisanales liées à la métallurgie du fer en arrière du mur (bâtiments, structures excavées, radiers, citerne), puis d’un axe de circulation et enfin de l’installation d’une nouvelle porte maçonnée au mortier de chaux, « à la romaine », prenant la suite de l’ouvrage ancien. Le mobilier associé est diversifié, à la fois militaire et domestique, cadrant bien avec la présence d’un accès à l’oppidum. Les opérations menées sur le rempart sud-ouest, à proximité de la porte ouest, étaient justifiées par le peu d’informations provenant des fouilles des années 1930-1940. De fait, un sondage inédit a pu être retrouvé. Mais il s’agissait aussi d’étudier une portion bien conservée de la fortification, dont l’ancienneté a été confirmée. Les cinq phases stratigraphiques entrevues au niveau de la porte, dont la datation fournie par le mobilier s’échelonne de la Tène D2a à la période augustéenne (la 5e phase étant l’occupation contemporaine), sont proches : carrières de basalte suivies de l’édification du rempart, installation d’une rampe ou destruction du premier mur, construction du second rempart, sondages de la première moitié du XXe siècle. Deux particularités sont à noter : la présence de deux inhumations en fosse au nord du premier rempart (deux femmes dans un état sanitaire désastreux et présentant des traumatismes divers dont certains pourraient être à l’origine d’au moins un des décès) et deux dépôts d’ossements animaux appartenant sans doute à la même structure originelle. Si la contemporanéité des deux phénomènes n’est pas acquise, ces vestiges entraînent sur le terrain rituel. On regrettera que les rapports afférents n’aient pas été placés en annexe, car leur caractère très technique tranche avec le reste du propos. Certaines références anthropologiques n’apparaissent pas en outre dans la bibliographie finale. Le sondage sur le tracé du rempart sud (p. 233-237) et les deux tranchées implantées à l’ouest (p. 397-401) se sont révélés peu informatifs.
Le chapitre 4 est la synthèse de cet ensemble d’observations : séquence chronologique des aménagements avec un premier mur « gaulois » inédit, construit dès le Hallstatt D2-3/La Tène A1, suivi d’un second, laténien, à éperons, qui a offert son front à César. Mais progressivement, Y. Deberge décentre le propos à partir d’éléments qu’on aurait pu juger épars, vers une anthropologie de la protohistoire tardive parfaitement maîtrisée : la réorganisation socio-politique qui découle de la première fortification d’un site de hauteur, la dimension ritualisée de sa construction et les premiers équipements publics du plateau, l’écrasante monumentalité du rempart laténien, fruit possible d’une « collaboration » avec des architectes hellénisés (si ce n’est grecs) témoignant du pouvoir de l’aristocratie locale à lier des alliances et à mobiliser une main d’œuvre dépendante (même si elle était rétribuée), sans doute aussi nombreuse que la population était dense. Le débat sur la coexistence, la complémentarité ou la succession des trois oppida arvernes est habilement amené sur un terrain plus englobant, celui de l’émergence de centres aristocratiques arvernes structurés très tôt, mais restés instables, peut-être engagés dans des phénomènes d’urbanisation compétitifs qui ont favorisé la romanisation. Participent à ce mouvement le site d’Aulnat-Gandaillat, antérieur, la fondation d’Augustonemetum et le lotissement du plateau de Gergovie. Une conclusion (p. 455-457) reprend les grandes lignes du chapitre de synthèse et plaide, on s’en doute après une telle moisson de découvertes sur un terrain qui n’a pas dû être simple à explorer, pour la poursuite de l’effort.
Une série d’annexes regroupe (p. 459-513) 46 tableaux d’inventaire et dénombrement de mobilier (céramique, métal, monnaies, restes osseux), 66 planches hors-texte de céramique complétant les figures synthétiques incluses aux chapitres. Une bibliographie générale (p. 582-599) et la table des matières (p. 601-607) terminent l’ouvrage.
Table des matières
Préface (D. Garcia, p. 5-7)
Partie 1 : Contexte (p. 13-41) 1.1. Le territoire arverne (Y. Deberge, p. 15-25) 1.1.2. Éléments de géographie physique 1.2. Le bassin clermontois et ses oppida (Y. Deberge, p. 27-41)
Partie 2 : Gergovie, histoire des recherches (p. 43-133) 2.1. Recherches sur l'occupation de l’oppidum (Y. Deberge, p. 45-87) 2.2. Question de chronologie, un oppidum gaulois ? (Y. Deberge, p. 89-109) 2.3. La fortification de Gergovie (Y. Deberge, p. 111-133)
Partie 3 : Nouvelles recherches sur les fortifications de l’oppidum (p. 135-401) 3.1. Genèse et déroulement du programme de recherche (Y. Deberge et T. Pertlweiser, p. 137-143) 3.2. Géologie et état de surface du plateau (A. Goër de Hervé (†) et Y. Deberge, p. 145-149) 3.3. Le tracé d’ensemble de l’ouvrage défensif (Y. Deberge, avec la collab. de P.R. Nigst et É. Fovet, p. 151-159)) 3.4. Le rempart sud-est (T. Pertlweiser, Y. Deberge, C. Mennessier-Jouannet et M. Loughton, p. 161-231) 3.5. Observations ponctuelles sur le tracé du « rempart sud » (T. Pertlweiser et Y. Deberge, p. 233-237) 3.6. La Porte Ouest (Y. Deberge, T. pertlweiser, M. loughton et M. Garcia, p. 239-325) 3.7. Le rempart sud-ouest (T. pertlweiser, Y. Deberge, M. loughton, W.-R. Teegen, et S. Foucras, p. 327-395) 3.8. Premières observations sur la partie ouest de l’oppidum (T. Pertlweiser et Y. Deberge, p. 397-401)
Partie 4 : Synthèse (p. 401-453) 4.1. Bref bilan historiographique (Y. Deberge, p. 405-407) 4.2. Le rempart du Hallstatt final, une découverte inédite (Y. Deberge, p. 409-411) Conclusion (Y. Deberge, p. 455-457) Annexes (p. 459-580) Bibliographie ( p. 581-599) Liste des auteurs (p. 600) Table des matières (p. 601-607)
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |