| AA.VV.: Dennis Hopper et le nouvel Hollywood, exposition Cinémathèque Française de Paris, 15 octobre 2008 - 19 janvier 2009. 192 pages, 25.8x21.5 cm, 130 ill., 45 euros (Skira Flammarion, Paris 2008)
| Compte rendu par Adrien Clerc, Université de Provence (Aix-Marseille I) Nombre de mots : 1810 mots Publié en ligne le 2009-02-27 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=493 « Ce qui comptait pour moi était d’introduire, d’une manière ou
d’une autre, la recherche artistique au sein de l’industrie
hollywoodienne. » C’est ainsi qu’est mis en mots, à la page 125 de ce
catalogue, le paradoxe de Dennis Hopper, utopiste exilé à Hollywood,
victime du succès d’un film « alternatif » sans doute trop
hollywoodien, Easy Rider, et de l’insuccès de métrages plus radicaux, The Last Movie en tête. Si l’œuvre éclectique de l’acteur-réalisateur est largement diffusée, de son apparition dans La Fureur de Vivre à sa performance de vidéaste psychotique dans The Blackout d’Abel Ferrara,
son activité de photographe et de collectionneur d’art est plutôt
méconnue. Ce beau livre nous donne l’occasion de découvrir un artiste
sensible, au regard aiguisé, étonnamment influencé par le pop art – et
plus prévisiblement par la photographie beat de Robert Frank.
Le livre s’ouvre sur une série de photographies pleine page, une série
de clichés en noir et blanc exposant les talents variés de Hopper
photographe, une suite d’images capturant une Amérique en plein
bouleversement, années soixante obligent : Andy Warhol nous refuse son
regard à grand renfort de lunettes noires, des enfants défilant pour
les Droits Civils regardent droit vers l’objectif... Les pages
suivantes débutent par deux courts textes, un avant-propos et une
introduction, qui nous donnent des informations sur la genèse de
l’exposition qu’a consacrée la Cinémathèque à Dennis Hopper ainsi que
le plan du livre – qui épouse celui de l’exposition. Nous passerons
ainsi par « Les Marges d’Hollywood », qui montrent l’importance de
l’art contemporain dans l’approche du cinéma de Dennis Hopper, puis
visiterons la galerie des « Nouveaux Mythes d’Hollywood », qui propose
une approche historique des bouleversements de l’industrie américaine
du cinéma, nous devrons alors « Quitter Hollywood » pour découvrir
l’Amérique métaphysique, celle des espaces infinis, du néant et de
l’angoisse existentielle, avant de revenir à « Los Angeles, le Vrai
Visage d’Hollywood » pour y découvrir sous l’objectif d’Hopper la
culture parallèle des gangs, pour enfin « Exploser Hollywood » dans une
conclusion logique au parcours d’Hopper, artiste qui a marqué toutes
ses transformations par une violente explosion, cinématographique,
photographique, picturale ou simplement personnelle.
Avant d’effectuer ce parcours à travers l’univers artistique de Dennis
Hopper une partie d’une vingtaine de pages est proposée, consistant en
une suite de repères biographiques illustrés par des reproductions plus
réduites d’œuvres d’Hopper, mais aussi de clichés de l’artiste sur ses
tournages, dans ses films, ainsi que des reproductions d’œuvres
collectionnées par Dennis Hopper. Si le procédé était certainement
nécessaire pour proposer un aperçu d’un artiste dont la vie n’est que
peu documentée, le choix des événements est problématique : sont mis à
un égal niveau les moments clefs de la carrière d’Hopper et des faits
plus anodins, tenant de la vie privée (mariages, divorces, amitiés
diverses et variées sont ainsi détaillés).
La première partie visuelle du livre, « Les Marges d’Hollywood », nous
met en présence d’un jeune homme exalté, l’apprenti acteur Dennis
Hopper, qui peint secrètement dans sa maison californienne, à l’abri
des regards et des critiques. L’hétéroclite est cependant de mise : si
ce sont les années 50 et 60 qui ressortent le plus de cette section, on
y trouve aussi plusieurs hommages d’autres artistes, ainsi que des
photographies prenant un Hopper vieillissant comme modèle. Il est alors
difficile de voir se dégager une cohérence dans le parcours proposé,
mais la valeur artistique de certaines reproductions suffit à tenir le
lecteur en éveil, tant on s’étonne de la force d’évocation des gravures
de Bruce Conner ou des huiles de l’acteur Vigo Mortensen. De courts
textes accompagnent la plupart des images, nous permettant d’acquérir
les repères nécessaires à une vue d’ensemble du large domaine
d’expressions et d’influences d’Hopper.
La seconde section, « Les Nouveaux Mythes d’Hollywood », semble débuter
sur le même principe de patchwork, avant de se stabiliser autour de
l’art photographique de Dennis Hopper, dans une série de clichés
saisissants de vitalité. On y croise des figures connues, telles que
Ronnie et Phil Spector, James Brown ou Martin Luther King ; on y voit
surtout des anonymes figés dans l’expression du mouvement, dans des
décompositions souvent basées sur le dynamisme que peut procurer le
déséquilibre. Hopper affirme une personnalité singulière, mélange de
photographe sportif perdu hors des stades et d’attrapeur de rêves
publicitaires fasciné par la marchandise et la célébrité.
La partie suivante fait un détour par Easy Rider en faisant se
succéder un certain nombre de documents de tournage et de photogrammes
qui ont surtout le mérite de rendre évidente l’évidence : au début des
années 70 Dennis Hopper n’est que difficilement distinguable de son
personnage Billy, il porte les mêmes vestes à franges et les mêmes
stetson, ses cheveux descendent dans la même cascade désordonnée, il
arbore surtout le même regard dépassé que son fier personnage. Derrière
l’arrogance que l’apprenti réalisateur, acteur confirmé, impose sur les
couvertures de magazine, on sent pointer la désorientation et l’effroi
face au vide qui vont caractériser le passage de cette décennie pour
Hopper. Les photographies disparaissent, Dennis Hopper jette au loin un
appareil qu’il mettra des années à retrouver : sur la fin de l’ouvrage
ce sont les peintures dont Hopper a fait l’acquisition qui défilent et
non plus les créations personnelles, comme pour signifier en creux le
point-mort, l’impasse dans laquelle l’artiste se trouve alors à tous
les niveaux. Réapparaissent timidement, au fil des pages, quelques
polaroïds, quelques toiles abstraites, quelques collages signés Hopper
: chaotiquement, par spasmes, le livre arrive à saisir un peu d’une vie
que l’on devine chaotique, agitée de spasmes. Le format de l’ouvrage et
la qualité des reproductions nous permettent de saisir pleinement la
qualité de certaines toiles, la simplicité abstraite de cadrages serrés
de graffitis. Certains effets de montage sont en revanche plus
difficilement acceptables : on a du mal à tirer du sens de la
juxtaposition d’une image d’explosion du film d’action Speed de
Jan de Bont, d’une peinture de Roy Lichtenstein représentant un savant
fou sur le point d’actionner un levier et d’une sculpture d’Hopper, Bomb Drop,
reproduisant le même objet. S’il y a récurrence thématique, c’est
surtout le caractère hétéroclite des images et de leur provenance qui
marque. La construction alterne ainsi bonheurs et maladresses.
Les différentes parties du catalogue sont entrecoupées de textes
courts, de quelques pages chacun, qui nous donnent une approche
plurielle de l’auteur Hopper. Jean-Baptiste Thoret, spécialiste du
cinéma américain des années 70, compose un beau portait de Dennis
Hopper, « L’Homme Qui Était Deux En Un », se basant sur le couple
Billy/Wyatt d’Easy Rider pour tenter de saisir un peu de l’identité forcément double de Dennis Hopper. Thoret revient ainsi sur l’héritage beat
du Hopper acteur, de l’improvisateur génial basant sa scansion
fascinatoire sur d’habiles répétitions et ponctuations verbales, avant
de pointer l’ombre obsédante de James Dean et donc de la Méthode, Dean
l’ami rencontré sur le tournage de La Fureur de Vivre. Ces
virages serrés sont autant de tentatives de saisir l’insaisissable,
l’identité passée d’un artiste plongée dans son époque. Thoret en
arrive ainsi - à la page 65 du livre, c’est-à-dire à quelques
encablures de son centre - à cette belle remarque qui met
parfaitement en mots le trouble constant que l’on a en parcourant les
clichés d’une existence contradictoire : ce qui ressort, c’est la «
hantise d’un personnage par son Autre, hantise d’une vie par son
fantôme, comme si la mort tragique [...] avait fait émerger dans le
monde hopperien cette certitude selon laquelle une partie de soi
manquera toujours à l’appel et que faire des films, endosser des rôles,
créer des œuvres d’art, consistait aussi (et peut-être surtout) à
fabriquer des doubles ».
Le texte suivant, écrit par Bernard Marcadé, critique d’art et
professeur d’esthétique et d’histoire de l’art, présente en deux pages
l’histoire de la création d’une œuvre cosignée par Marcel Duchamp et
Dennis Hopper, Hotel Green (Entrance). Ce panneau de bois peint
en vert, traversé d’un signe blanc représentant un doigt pointé vers le
bord droit de la surface, était à l’origine l’enseigne d’un hôtel dans
lequel Duchamp fut amené à présenter ses œuvres. Hopper, collectionneur
d’œuvres pop averti et ami d’Andy Warhol, y vit immédiatement un signe
fort, capable de constituer un emblème de la position de Duchamp : «
J’avais depuis longtemps retenu cette idée de Duchamp que l’artiste du
futur ne peindrait plus, mais qu’il pointerait plutôt son doigt en
disant “cet objet est de l’art” et qu’il deviendrait effectivement de
l’art » (p.101). Dennis Hopper revient ensuite, dans un entretien avec
Matthieu Orléan, chargé de l’exposition, sur les événements qui l’ont
amené à la création cinématographique, entretien dans lequel il résume
lui-même toute son ambivalence : « J’avais une mentalité que je
pourrais qualifier de moitié pop moitié hippie » (p.130). De nombreuses
anecdotes sur le tournage d’Easy Rider ou celui de Colors
ressortent, anecdotes qui, si elles ont le mérite de transporter le
lecteur dans l’univers frénétique d’Hopper, ne nous apprennent
finalement que peu sur la vie créative du photographe : le texte paraît
alors comme en décalage par rapport au contenu visuel de l’ouvrage,
revenant sur des films qui ne sont qu’indirectement le sujet de
l’ensemble. On aurait aimé en savoir plus sur les goûts d’Hopper en
photographie, la place de sa collection d’œuvres pop dans ses propres
réalisations, sa conception générale de l’art : autant de sujets qui ne
sont qu’esquissés dans cet entretien.
Le texte suivant, écrit par Pierre Evil, narre en toute simplicité les
rapports entre Dennis Hopper et celui qui nous est présenté comme son
alter-ego sur la scène rock : le chanteur canadien Neil Young, artiste
à la carrière variée et aux choix de production radicaux. Ce choix est
judicieux, tant il aurait été dommage de passer à côté d’une étude des
liens entre l’art cinématographique d’Hopper et les différentes scènes
de la musique populaire : tandis qu’Easy Rider fonctionnait
entre autres sur une utilisation judicieuse du caractère universel des
titres rock et folk de Bob Dylan, Jimi Hendrix ou le 13th Floor
Elevators, Colors joue lui de la confrontation entre la musique du jazzman Herbie Hancock et celle du rappeur Ice-T... Out of the Blue
tirant son titre d’une chanson de Neil Young qui met sur le même plan,
comme en surimpressions, Elvis Presley et Johnny Rotten. C’est le
double, encore, qui vient faire surface dans ces simples et belles
pages, qui ont le mérite de la clarté et de l’efficacité. L’ouvrage se
conclut sur un texte enlevé de Matthieu Orléan traitant de la place du
feu, de l’explosion dans l’œuvre de Dennis Hopper.
Malgré sa richesse iconographique, sa beauté et l’émotion générale qu’il dégage, Dennis Hopper & Le Nouvel Hollywood
ne présente pas un intérêt de premier plan pour le chercheur qui
travaille sur le cinéma, la peinture ou la photographie américaine de
la seconde moitié du 20ème siècle. Ne
proposant que peu de contextualisation, ce livre ne peut servir
d’entrée dans ce domaine. Ce n’est cependant pas son but : ce catalogue
cherche avant tout à témoigner visuellement d’une existence marquée par
les évolutions tentaculaires de l’art américain, et en ce sens
constitue une vraie réussite sur laquelle son lecteur reviendra
régulièrement, notamment en raison du caractère inédit de nombreuses
œuvres présentées. Plus qu’un symbole facile de l’anticonformisme et
d’une rébellion contrôlée et dérisoire, Dennis Hopper s’y impose comme
un artiste aux multiples facettes, certes mineur mais certainement
sincère, un témoin des mutations d’un demi-siècle d’Amérique.
SOMMAIRE
Avant-propos – Serge Toubiana, p. 14
Introduction – Matthieu Orléan, p. 16
Chronologie, p. 18
Dans les marges d’Hollywood, p. 32
Dennis/Hopper ou l’homme qui était deux en un – Jean-Baptiste Thoret, p. 62
Les nouveaux mythes d’Hollywood, p. 68
Hotel Green (Entrance) : l’histoire inframince d’une collaboration à deux mains – Bernard Marcadé, p. 100
Quitter Hollywood, p. 102
Faire un film c’est suivre son désir – Entretien avec Dennis Hopper – Matthieu Orléan, p. 124
Los Angeles, Le vrai visage d’Hollywood, p. 144
Rendre visible l’invisible : Dennis Hopper, un esthète en milieu (sub)culturel – Pierre Evil, p. 158
Exploser Hollywood, p.164
The freak of light ou le barge de la lumière – Matthieu Orléan, p. 176
Bibliographie, p. 180
Biographies, p. 182
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