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Compte rendu par David Colling, Université Catholique de Louvain Nombre de mots : 1207 mots Publié en ligne le 2008-12-27 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=501 Lien pour commander ce livre L’ouvrage présenté ici est un véritable chef-d’œuvre, notamment dans le sens corporatiste du terme. En effet, cet imposant volume n’est autre que la publication de la thèse de doctorat que François Cadiou a soutenue avec succès en décembre 2001, à l’Université de Rennes 2. Reconnu par ses pairs, avec le soutien de son directeur de thèse Patrick Le Roux – qui préface la présente édition –, l’A. a eu l’opportunité de publier le résultat de ses recherches dans le trente-huitième volume de la Bibliothèque de la Casa de Velázquez. Le choix de l’éditeur s’est imposé naturellement suite au séjour que Fr. Cadiou effectua entre 1999 et 2001 dans la prestigieuse École française de Madrid, où il put mener ses recherches d’une manière optimale.
À l’entame de son étude, l’A. part d’un constat : l’historiographie s’accorde généralement pour considérer que les guerres menées par Rome dans la péninsule ibérique constituèrent les causes profondes, voire même les prémices des réformes structurelles de l’armée de la fin de la République. D’une armée non permanente et formée essentiellement des citoyens les plus riches de la société, on aurait été contraint de migrer vers une armée plus professionnelle, permanente, attachée à la province et davantage ouverte aux couches les plus humbles. Fr. Cadiou s’inscrit en faux contre ces idées généralement admises ; il ne remet bien évidemment pas en question l’évolution de l’institution qui a eu lieu sur le long terme, et qui aboutira à l’armée professionnelle des frontières de l’époque impériale, mais il précise que rien ne permet d’attester une amorce de ce phénomène en Hispanie durant la période républicaine. Pour appuyer son argumentation, l’A. aborde les différentes phases successives de la conquête de la péninsule par Rome : les combats, le contrôle et l’exploitation du territoire. Ces différentes approches font l’objet d’une partie divisée à chaque fois en trois chapitres.
Une première partie, intitulée « Armées et guerre », présente les différentes phases de combats qui jalonnèrent la lente conquête de l’Hispanie. En effet, l’importance de l’action militaire romaine dans la péninsule ne fut pas constante durant toutes ces années et les affrontements furent irréguliers. Les légions étaient envoyées ponctuellement par Rome afin d’y mener des missions dans le cadre d’une politique essentiellement offensive. Les levées de troupes auxiliaires avaient certes pour base un recrutement local, mais elles n’avaient pour objectif que de soutenir les légions ; elles n’existaient généralement que le temps d’une campagne, avant d’être dissoutes. Les troupes romaines bénéficiaient le plus souvent d’un avantage tactique indéniable, le même qui fit leur réputation durant des siècles : leur discipline et leur capacité à se présenter sur le champ de bataille en formations rangées. Les Ibères n’étaient pas inaptes en la matière, mais leur nombre plus restreint ainsi que la faiblesse de leurs moyens politiques ou économiques les obligeaient à opérer notamment sous le mode de la guérilla.
La deuxième partie, « Armées et territoires », est certainement celle où archéologie et sources écrites se côtoient le plus dans l’analyse pour tenter de reconstituer le fait historique. L’A. y relève tous les sites d’occupation militaire attestés par les fouilles ou les prospections, ainsi que ceux mentionnés dans la littérature. Son objectif est autre que la simple reconstitution de la carte des implantations militaires romaines en Hispanie pour la période républicaine. À un chapitre intitulé interrogativement « Vers une armée d’occupation ? », Fr. Cadiou conclut par la négative. Sur la base de toute la documentation à sa disposition, il réfute toute tentative romaine de vouloir instaurer une armée d’occupation dans la péninsule. Là encore, il va à contre-courant de l’opinion généralement admise dans l’historiographie, même récente. Se pose alors la question de la fonction et de la raison de la présence de tous ces camps. L’A. conclut que la grande majorité des garnisons mentionnées par ses sources correspondent généralement à des postes temporaires établis dans le but d’organiser de manière optimale une politique offensive et de soumission. Le but de Rome était alors encore d’assurer au mieux le déplacement et l’approvisionnement des troupes plutôt que la protection des cités déjà conquises. Ce dernier cas de figure n’est pas impossible pour la période républicaine ; un camp de légionnaire pouvait être construit à proximité d’une ville alliée ou dont on voulait s’assurer la loyauté, mais l’A. estime que, dans tous les cas, les motivations premières étaient dictées par le contexte de la campagne militaire.
Dans la troisième et dernière grande partie, intitulée « Armées et provinces », sont présentées les grandes conséquences de la création des provinces d’Hispanie Citérieure et d’Hispanie Ultérieure, en 197 avant notre ère, essentiellement du point de vue économique et du recrutement. Même si l’arrivée des Romains va de pair avec l’apparition d’une nouvelle fiscalité dans la péninsule, Fr. Cadiou estime que les taxes imposées par la nouvelle autorité romaine n’ont pas remis en cause le système du paiement du stipendium. En effet, le montant de la solde des légionnaires, toujours payée en monnaie romaine, continua d’être acheminé de Rome vers les provinces d’Espagne, et ce jusqu’au Ier siècle. L’A. ne veut pas voir dans la production massive de monnaies indigènes une réponse au besoin de payer les troupes de légionnaires venus de la péninsule italique ; par contre, il admet que ces productions locales puissent être mises en relation avec le développement du recrutement des unités auxiliaires. Ici encore, l’intérêt de l’A. est bien d’insister sur la présence et le réel contrôle que Rome exerçait en Espagne, sans forcément établir de nouvelles institutions militaire et financière permanentes. En gardant un lien financier entre les terres conquises et la capitale, l’État renonçait à décentraliser une partie de son autorité en province. Une toute autre approche s’applique pour le ravitaillement des soldats en fournitures diverses. Ici, on comprend aisément que les légionnaires ne recevaient pas directement de Rome les importantes livraisons de nourriture nécessaires à la gestion de la troupe. Il était vital que ces ravitaillements proviennent de régions proches des campements.
Étant donné que cet imposant volume constitue le fruit de recherches doctorales particulièrement poussées, nous ne sommes pas étonnés de constater l’incroyable richesse des références bibliographiques. Ce sont près de 120 pages de titres qui suivent les conclusions. On notera également que la présente publication cite abondamment la littérature récente, y compris celle publiée après la soutenance de la thèse en 2001, jusqu’en 2008. On y appréciera également la mention de nombreux documents non édités, mais néanmoins fort importants, comme des thèses de doctorat.
Le principal atout de cet ouvrage est incontestablement son caractère synthétique, mais aussi le regard nouveau qu’il permet de porter sur la présence romaine en Espagne durant la fin de l’époque républicaine, ainsi que sur l’évolution du visage de l’armée durant cette même période. Aucune autre somme n’aura probablement mieux synthétisé l’histoire des conquêtes romaines en Hispanie, mais aucun autre auteur ne se sera non plus autant écarté des interprétations traditionnelles sur le sujet. Et sur ce point précis, ce qui fait toute l’originalité et donc aussi l’intérêt de ce livre, à savoir un nouveau point de vue sur l’évolution de l’armée romaine dans les provinces hispaniques, peut également devenir son point faible, étant donné que c’est là qu’il sera probablement le plus sujet à la critique. Gageons toutefois que les spécialistes considéreront avec le plus grand intérêt cet important apport aux connaissances en la matière.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |